Tout son chemin l’amène aux Roms - L'Infirmière Libérale Magazine n° 270 du 01/05/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 270 du 01/05/2011

 

Hafidha Andriamanalina, infirmière au sein de l’Areas

La vie des autres

Venir en aide aux Roms migrants venus de plusieurs pays d’Europe de l’Est, repérer leurs besoins de santé, les urgences parfois : la tâche d’Hafidha Andriamanalina est ardue. Elle s’y consacre avec ténacité sur les terrains insalubres où ces personnes des plus démunies essaient de vivre.

Infirmière depuis trois ans au sein de l’Association régionale d’étude et d’action sociale auprès des gens du voyage et Roms migrants (Areas), Hafidha Andriamanalina sait combien le lien peut être fragile avec ces personnes venues de Roumanie, de Bulgarie, de l’ex-Yougoslavie. Elles s’installent où elles le peuvent, restent un moment, changent de terrain ou repartent quelques temps avant de revenir…

Hafidha travaille auprès des Roms migrants dont les problématiques sont assez différentes des gens du voyage. Environ 1 000 personnes roms venues de l’Est vivent aujourd’hui dans la métropole lilloise, observe l’infirmière. Des jeunes, des vieux, des enfants, des familles entières, dans le plus grand dénuement.

La première semaine, « j’ai vraiment eu l’impression d’atterrir dans un autre monde », se rappelle-t-elle. Un monde où les gens « sont dans la misère et n’ont pas toujours de quoi manger ni où dormir ». Elle s’est sentie « nécessaire ». Mais il lui a fallu du temps pour gagner leur confiance et pouvoir voir un enfant, une femme enceinte… Aujourd’hui, elle représente pour beaucoup « le docteur », même si ce n’est pas elle qui leur prodigue des soins.

Grands besoins de santé

Au sein de l’équipe qui travaille auprès des Roms migrants (lire l’encadré), Hafidha est chargée de favoriser leur accès aux soins. Sur chacun des terrains repérés, elle rencontre les familles qu’elle connaît, fait connaissance avec les nouveaux arrivés, constate les départs… Leurs besoins de santé sont grands, parfois urgents. Gale, teigne ou morpions ne sont pas rares. L’été dernier, lors des expulsions en masse des Roms, « leurs caravanes ont été détruites et ils ont été obligés de dormir dans des tentes, se souvient l’infirmière. Les problèmes dermatologiques ont été multipliés par quatre ». Promiscuité, chaleur et impossibilité de respecter un minimum d’hygiène se sont conjugués… Les cas d’hépatiteA ou de tuberculose qui apparaissent doivent être rapidement traités, de même qu’une récente épidémie de rougeole.

Elle incite alors les personnes concernées à consulter un médecin dans un cabinet ou ceux de l’association Médecin solidarité Lille (MSL), avec laquelle l’Areas a tissé un partenariat. Le hic : la plupart n’ont aucun droit ouvert pour bénéficier de la Sécurité sociale. Et pour cause, les démarches ne sont pas simples – ni prioritaires pour des gens préoccupés d’abord par leur subsistance immédiate. La carte vitale – un “sésame”, même pour les non-francophones – est si compliquée à obtenir que la plupart des familles restent des mois, voire des années sans couverture sociale.

Accompagner les naissances

En cas d’urgence, pour une fracture, un accident ou un accouchement inopiné, « si je sais qu’une personne ne peut pas aller seule à l’hôpital ou n’ira pas, je prends le temps de l’accompagner », explique l’infirmière. En 2009, d’ailleurs, 47 naissances ont eu lieu parmi les femmes Roms connues de l’Areas, dont 14 chez des mineures, contre 26 l’année dernière (dont 6 chez des mineures). « Elles arrivent parfois enceintes de trois ou quatre mois sans avoir fait aucun examen, observe Hafidha. Si j’ai la chance de les repérer, je fais le nécessaire pour qu’elles fassent un bilan sanguin, une échographie, ou qu’elles bénéficient d’une consultation médicale. Sinon, elles vont aux urgences de l’hôpital le jour de l’accouchement. »

Des réticences culturelles

Elle organise avec MSL, mais aussi avec l’association Pédiatres du monde, le suivi des personnes tout juste sorties de l’hôpital pour une suite de césarienne, des injections ou un pansement par exemple. Pour leur suivi post-natal, les mamans sont orientées vers les services de prévention du conseil général. Mais les familles sont souvent réticentes vis-à-vis de la vaccination, note Hafidha. « Je dois parfois passer du temps pour leur expliquer, seule ou avec la médiatrice sanitaire qui parle roumain, que cela sert à protéger leur enfant des maladies. Ils ont les mêmes pathologies que les autres enfants mais elles prennent davantage d’ampleur et exigent plus de soins. De ce fait, la précarité et le manque de soins influent sur la croissance des enfants. » Leur héritage culturel et leur éducation expliquent en partie leur refus de soins. Souvent, illustre l’infirmière, une fois que le médecin hospitalier a prescrit les médicaments, ils veulent repartir alors qu’une hospitalisation est nécessaire… Lorsqu’il s’agit d’un enfant, c’est particulièrement difficile.

Ce matin encore, elle était avec des médecins sur un terrain mais à peine la moitié des enfants ont pu être vus. Il a fallu expliquer pourquoi aux parents déçus. « C’est un travail fatiguant, stressant et parfois frustrant mais aussi enrichissant », résume Hafidha, au milieu des couvertures oranges de secours qui encombrent son bureau. Des “provisions” pour l’hiver prochain.

Elle dit de vous !

« Il n’y a pas d’infirmière libérale qui intervient sur les terrains des Roms migrants. Ce serait peut-être possible mais, pour travailler avec les infirmières libérales, il faudrait que les familles soient au moins en cours d’acquisition de l’AME. Et la majorité d’entre elles n’en sont pas là. Alors on ne fait pas appel à elles. Mais pourquoi pas, à l’avenir, préparer ce type de partenariat ? »

L’ASSOCIATION

L’oxygène des Roms et des gens du voyage

Areas apporte une aide sociale, éducative, scolaire, administrative et sanitaire aux gens du voyage et, depuis quelques années, aux Roms migrants arrivés des pays de l’est de l’Europe. L’association est soutenue dans ses actions par les pouvoirs publics (Agence régionale de santé du Nord-Pas-de-Calais, Conseil général du Nord, Caf, CPAM, préfecture, Fonds social européen).

Elle dispose de deux services : un pour les gens du voyage et un pour les Roms migrants. Celui-ci est composé de huit personnes salariées (cinq éducateurs spécialisés, un animateur social, une médiatrice sanitaire et une infirmière), dont certains travaillent sur des projets transfrontaliers avec les pays d’origine. En plus de l’action de fond menée chaque jour, ils ont aussi réussi, avec l’aide de collectivités locales, à installer des Roms issus d’un terrain particulièrement insalubre sur un nouvel emplacement à Tourcoing, doté de caravanes d’occasion, de toilettes, d’une benne à ordures et bientôt de l’eau et de l’électricité.

* Areas, 66 rue Saint-Gabriel, 59800 Lille, 03 20 54 14 02, areas@wanadoo.fr.