Laboratoires et infirmières libérales : LE CONFLIT D’INTÉRÊT PEUT-IL EXISTER ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 270 du 01/05/2011 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 270 du 01/05/2011

 

Le débat

En examinant le projet de loi de bioéthique, les députés ont abrogé l’ordonnance du 13 janvier 2010 qui réglemente les prélèvements effectués en cabinet infirmier. Sous peu, le Sénat devra se prononcer à son tour sur ce texte. De quoi relancer le débat sur les relations entre laboratoires et Idel.

Dominique Caillat,

président du Syndicat des laboratoires de biologie clinique

À votre connaissance, dans quels cas l’infirmière libérale peut-elle être confrontée à des conflits d’intérêt ?

Il peut être tentant pour un laboratoire de s’aliéner les services d’une infirmière pour recueillir les prélèvements dont elle a la charge par son propre réseau de clientèle. Ce sont des pratiques qui ont eu cours par le passé et qui – j’ai bon espoir – auront tendance à disparaître, notamment grâce à l’ordonnance de janvier 2010. Ce genre de pratique peut prendre différentes formes : ristournes, cadeaux, avantages en nature. Sans aller dans l’extrême, il y a forcément une forme de connivence dans cette démarche que nous, syndicat, dénonçons. Cela porte atteinte au libre choix du patient.

Quels sont les garde-fous ?

Le grand mérite de l’ordonnance du 13 janvier 2010 est justement d’entraver ce genre de pratique. Rappelons que ce texte est applicable depuis l’année dernière. Or, dans la nuit du 10 février 2011, une poignée de députés a réussi par un amendement – en première lecture – dans le cadre du projet de loi de bioéthique à faire abroger cette ordonnance ! Il est absolument aberrant qu’on puisse supprimer une telle disposition sous prétexte, entre autres, que les infirmières libérales se sentaient spoliées d’une partie de leurs activités, à savoir le prélèvement sanguin*. Notez que, d’ici à 2016, tous les laboratoires devront obtenir l’accréditation Cofrac [Comité français d’accréditation, ndlr]. Ce qui est très lourd et nécessite, notamment, une traçabilité parfaite de tout le cheminement du prélèvement.

Quelles en sont les limites ?

L’ordonnance de janvier 2010 règle ces problèmes de santé publique et, en même temps, clarifie les relations entre laboratoires et infirmières libérales en prévoyant justement un système de convention bien établi. Mais, dans ce cadre, il faut interdire toute participation financière croisée ou tout intérêt du biologiste et du cabinet infirmier. Il faut une indépendance totale entre les deux structures, qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales.

David Guillon,

infirmier libéral à Nice, coordinateur du réseau Argil06 et élu au Conseil départemental de l’Ordre infirmier (CDOI) des Alpes-Maritimes

À votre connaissance, dans quels cas l’infirmière libérale peut-elle être confrontée à des conflits d’intérêt ?

Depuis que nous sommes prescripteurs, nous sommes de plus en plus courtisés par certains laboratoires pharmaceutiques. Ils laissent régulièrement des échantillons au cabinet. Ils essaient aussi de participer à l’organisation de réunions. Il nous arrive d’en profiter. D’autant qu’ils disposent de budgets dédiés à la formation et l’information. Il faut reconnaître que, en ce qui concerne les produits strictement identiques d’un laboratoire à l’autre, ce genre d’attentions peut nous influencer. […] La question du conflit d’intérêt se pose aussi concernant les laboratoires d’analyse médicale. Pour ma part, j’y suis moins confronté. Toutefois, il me semble que ce problème se présente plutôt dans les cas où il n’y a plus de petits laboratoires de quartier. Sachant qu’un laboratoire a un tarif supérieur à celui de l’infirmier libéral, il peut lui rétrocéder un montant plus important que celui que l’infirmier aurait pu retirer en effectuant l’acte sans passer par le laboratoire.

Quels sont les garde-fous ?

Il y a la loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner, qui préconise le libre choix du patient. Dès lors qu’un professionnel décide d’orienter son patient vers un autre professionnel de santé, il porte atteinte à cette liberté. Il y a aussi les conventions avec les laboratoires [prévues dans l’ordonnance du 13/01/10, ndlr]. Les contrats de collaboration sont en effet une bonne chose. Au Conseil de l’Ordre, nous nous battons pour que les infirmiers fassent ce genre de démarche. Cela protège autant l’infirmier que le laboratoire, dès lors que l’accord précise les responsabilités de chacun. Il est bien entendu important d’éviter toute aliénation vis-à-vis du laboratoire. Les CDOI vont d’ailleurs se doter de commissions qui pourront être saisies et seront chargées d’émettre un avis sur d’éventuelles clauses abusives.

Quelles en sont les limites ?

Le problème est surtout lié au regroupement de laboratoires. De grosses structures se montent en rachetant de plus petites. Elles ont davantage de moyens et peuvent avoir plus d’attraits…

* Ce texte prévoit des règles précises pour tout prélèvement effectué en cabinet. Il est question de la norme 15 189 qui impose des contraintes en termes d’environnement, de méthodologie de remplissage des tubes et de transport. Lire aussi pages 6-7.