Télétransmission, vers la fin de la tolérance ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 225 du 01/04/2007 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 225 du 01/04/2007

 

Perspectives et enjeux

Véritable bouleversement, au quotidien, du travail administratif des libérales, la télétransmission en SESAM-Vitale s'est progressivement répandue et imposée. Au point de devenir bientôt une contrainte incontournable pour toute infirmière en exercice ? Examen d'un dossier en pleine évolution...

La télétransmission serait- elle une affaire réglée ? Selon les statistiques du GIE SESAM-Vitale, 44 543 infirmiers, soit 86,55 % des infirmiers libéraux, ont télétransmis en SESAM-Vitale en décembre 2006. Un taux élevé à rapprocher de la moyenne nationale, toutes professions de santé confondues (en exercice libéral), à la même date : 80,2 %. Et s'il est vrai que ce taux reste encore largement inférieur à celui des pharmaciens (largement en tête avec 97 % des officines concernées en décembre 2006), les infirmiers libéraux font figure de bons élèves !

L'évolution des statistiques du GIE SESAM-Vitale en ce début d'année 2007 paraît même indiquer une accélération, puisque le taux d'infirmiers concernés a atteint 89,5 % en février 2007, contre 81,32 % pour l'ensemble des professions de santé. Certes, ces statistiques englobent tous les professionnels ayant télétransmis au moins un flux électronique dans le mois, mais on souligne à la Cnamts « que les infirmières utilisent la carte Vitale pour 80 % de leur activité en moyenne, ce qui est élevé. »

FREINS LEVÉS

Comment s'analysent ces résultats ? On dénombre, tout d'abord, semble-t-il, peu de refus de principe parmi les libérales, même s'il existe des exceptions, à l'image de cette libérale qui s'insurge qu'on lui demande de télétransmettre, même si « cela peut être pratique dans le fond » avec des « tarifs inadmissibles, bloqués depuis des années et un pouvoir d'achat en baisse ».

Quant à la peur de l'informatique, elle paraît avoir peu à peu reculé, comme dans l'ensemble de la population. Cette crainte dépassée, il ne restait comme frein majeur à la télétransmission - outre son coût, atténué par les aides - que son inadaptation initiale à un exercice rarement confiné entre les murs d'un cabinet. Et, de l'avis général, c'est l'évolution vers une plus grande mobilité avec l'option TLA qui a changé la donne et permis l'essor de la télétransmission.

TLA : L'ATOUT DÉCISIF

Sur le terrain, les avis vont dans ce sens. « J'ai commencé à télétransmettre en SESAM-Vitale très rapidement, après que le TLA m'a été présentée, témoigne ainsi Marie-Dominique Fabre, infirmière à Chatou dans les Yvelines, qui avait déjà informatisé la gestion de son activité à l'époque et également expérimenté la transmission en norme B2, via un minitel. Je télétransmets aujourd'hui près de 100 % de mon activité, à l'exception des actes isolés, et j'apprécie à la fois les délais de paiement et la diminution importante des erreurs auxquelles nous étions confrontées avant la télétransmission. » Un bilan globalement satisfaisant, même si elle déplore tout de même des difficultés informatiques ponctuelles.

Expérience similaire au sein de l'autre cabinet de la ville, où Éliane Isoppo (télétransmettant environ 95 % de son activité) se souvient : « Avec mon associée, nous avons commencé dès que nous avons bénéficié d'une démonstration du TLA. Nous sommes nulles en informatique, malgré l'utilisation d'un logiciel de gestion, mais nous avons finalement gagné du temps, même si cela nous a obligées à faire nos papiers plus régulièrement. »

DISPARITÉS

Faut-il en déduire que s'achève aujourd'hui - apparemment sans heurt - l'évolution historique enclenchée par l'ordonnance Juppé de 1996 ? Notons que l'examen des taux de télétransmission des infirmiers département par département (également publiés par le GIE SESAM-Vitale) donne une image nettement plus contrastée que les statistiques globales. Ainsi, au 28 février 2007, alors que l'Aube et la Haute-Marne affichent des taux de 100 %, le département des Deux-Sèvres n'obtient que 62,92 %, le taux de télétransmission restant indéterminé dans près d'une vingtaine de départements.

DES CAISSES TRÈS IMPLIQUÉES DÈS LE DÉBUT...

L'attitude des caisses primaires explique, semble-t-il, ces différences. « La CPAM des Alpes-Maritimes a fait de la télétransmission, dès l'origine, un axe majeur de sa stratégie, souligne ainsi son directeur, Jean-Jacques Greffeuille. Avant la mise en place du dispositif SESAM-Vitale, la quasi-totalité des infirmiers procédait déjà à des échanges de données informatisées (EDI), grâce au minitel. Cet outil convivial leur a permis de se familiariser avec l'informatique et les procédures de télétransmission. » Résultats affichés à fin janvier 2006 : 85,8 % de décomptes FSE et 97,7 % de décomptes en EDI (pourcentage intégrant les télétransmissions en norme B2, la norme initiale).

Outre la mise en place d'une organisation et de moyens importants pour promouvoir la télétransmission, la CPAM a multiplié les initiatives. « Nous avons réalisé de multiples actions vers les infirmiers du département : participation à divers forums et soirées débats, journées portes ouvertes en association avec les principaux éditeurs de logiciels infirmiers, réunions avec les différentes associations et organisations syndicales, mise en oeuvre de plusieurs campagnes de communication à chaque étape du projet Vitale, anticipation des démarches administratives pour l'obtention de la Carte professionnel de santé et, enfin, accompagnement et suivi personnalisé en vue de consolider le nombre d'infirmiers en FSE », énumère Jean-Jacques Greffeuille.

... OU DES CAISSES TRÈS RÉACTIVES AUJOURD'HUI

Autant de bonnes pratiques dont s'est inspiré le département des Hauts-de-Seine, par exemple. Quatre journées portes ouvertes ont ainsi été organisées en mars en direction des libéraux : « Nous les avons conçues comme de véritables petits salons, en présence d'éditeurs de solutions informatiques et de correspondants de notre service SESAM-Vitale, explique-t-on au Département Communication de la caisse. L'objectif est de montrer concrètement comment fonctionne la télétransmission et de démontrer que la contrainte initiale se transforme, au final, en un gain de temps et des paiements plus fiables et rapides. »

Une vaste campagne en direction des assurés a également été orchestrée. De quoi faire réfléchir les professionnels les plus réticents, d'autant que la caisse met à la disposition des assurés une liste à jour de ceux en SESAM-Vitale (sur Internet ou par téléphone)... Un accompagnement pour faciliter des débuts parfois laborieux est prévu : « Nous pouvons faire, à la demande de chaque infirmier, un démarrage au cabinet avec un "flux test", explique Francis Muller, référent informatique et technique. Parfois, nous intervenons aussi pour débloquer une situation, lorsque par exemple le fonctionnement du TLA n'a pas été bien compris. » Un coup de pouce dont a bénéficié Claude Steinbrecher, infirmière à Suresnes (cf. témoignage ci-contre).

TOURNANT EN VUE ?

Cependant, de l'action incitative à la pression excessive, la frontière est ténue. Et, malgré une certaine prudence, on dénonce ici et là quelques lettres menaçantes aux infirmiers réticents à passer à la télétransmission. Dans l'ambiguïté des textes juridiques applicables, les argumentaires des caisses seraient-ils alors de plus en plus musclés ?

En toute hypothèse, les négociations conventionnelles en cours - dont nous ignorons les résultats à l'heure où nous écrivons ces lignes - pourraient modifier largement la donne, au détriment des derniers infirmiers résistant à SESAM-Vitale pour la totalité ou une partie de leur activité. Au risque également de nourrir l'amertume de toutes ces professionnelles qui soulignent à la fois le coût et le caractère contraignant de la télétransmission.

L'associée de Marie-Dominique Fabre, Odile Humpert, récemment exposée à un important retard de paiement dû à des difficultés d'accès à Internet dans « l'indifférence générale » argumente ainsi : « L'aide pérenne et l'aide à la maintenance ne reflètent pas les coûts que nous devons assumer. C'est l'AMI et l'AIS qui devraient être revalorisés significativement en cas de télétransmission puisque l'on exige l'utilisation d'un outil supplémentaire, l'outil informatique, pour la réalisation de nos actes. »

L'arrivée imminente de la carte Vitale 2 - que les lecteurs en service devraient (suivant les informations dont nous disposons) tous pouvoir lire si l'on se limite aux informations déjà contenues dans la carte Vitale 1 - pourrait amplifier ce mécontentement. Car, comme pour le DMP, ces évolutions devraient entraîner à terme au minimum de nouvelles adaptations logicielles ou imposer l'achat des derniers lecteurs sortis. Or les informations sur ces sujets demeurent parcellaires et, une fois de plus, les infirmières libérales semblent être tenues à l'écart d'évolution majeures du système de santé et de leur exercice...

Des aides financières... minimales ?

- Une "aide pérenne à la télétransmission" annuelle de 274,41 Euro(s), perçues automatiquement par les infirmiers concernés en mars à condition d'avoir télétransmis en SESAM-Vitale au minimum 70 % des feuilles de soins au cours de l'année précédente, à laquelle s'ajoute une aide annuelle à la maintenance de 100 Euro(s) : l'effort financier de l'Assurance maladie ne paraît pas à la hauteur des dépenses engagées par les libérales : ordinateurs, lecteurs, abonnement Internet, logiciels agréés, maintenance, etc. L'annonce par la voix du président de Convergence infirmière, Marcel Affergan, de la signature d'un nouvel avenant à la convention de 2002 prorogeant ces aides pour l'année 2007 avec une légère augmentation de l'aide pérenne, portée à 280 Euro(s), satisfera-t-elle les infirmières ? Ce n'est pas certain. Au jeu des comparaisons, en effet, celles-ci sortent perdantes, notamment face aux médecins...

Sévérité législative mais souplesse conventionnelle

- Instaurée par l'Ordonnance Juppé n°96345 du 24 avril 1996, l'obligation de télétransmettre des feuilles de soins électroniques sécurisées, dans le cadre de ce qui allait devenir le système SESAM-Vitale, a été formulée de façon particulièrement stricte, avec un système de sanctions conventionnelles à édicter et une date butoir fixée à l'origine au... 31 décembre 1998 ! Dans la pratique, la souplesse l'a largement emporté jusqu'à aujourd'hui. Ainsi l'avenant n°2 à la convention en vigueur, adopté le 21 octobre 2002, précisait-il que : « Toute infirmière adhérant à la présente convention s'engage à offrir le service de la télétransmission des feuilles de soins aux assurés sociaux. » Mais, aussi, à l'alinéa suivant, que : « L'engagement s'applique au fur et à mesure que les conditions techniques de sa mise en oeuvre effective sont remplies. » Une nuance de taille...

Un cas emblématique ?

- Libérale depuis 1974, installée à Suresnes depuis 1977, Claude Steinbrecher vient de franchir un cap difficile : maîtriser le fonctionnement de son TLA - grâce à la visite d'un correspondant SESAM-Vitale de la CPAM - et disposer enfin d'une informatique en état de marche. « Je n'y connaissais rien, j'ai dû m'y mettre devant les difficultés de remboursement et les délais très longs que je rencontrais, souligne-t-elle. Cela m'a pris un an. J'ai heureusement disposé de l'aide de proches car on ne peut pas compter sur les services de maintenance, pourtant obligatoires... » Si elle positive en se disant qu'elle va désormais pouvoir profiter du courrier électronique et de l'Internet, Claude avoue une certaine nostalgie pour les envois en norme B2, grâce au minitel. D'autant qu'à 62 ans, elle n'a accompli cette mutation difficile que pour exercer jusqu'à l'âge de 65 ans afin d'obtenir une retraite à taux plein.

Pour en savoir plus

- http://www.sesam-vitale.fr : statistiques, présentations détaillées du système SESAM-Vitale, classement des logiciels infirmiers agréés en fonction de leur utilisation effective et renvoi vers les autres sites utiles aux professionnels.

- http://www.ameli.fr : aspects conventionnels de la télétransmission, dont les aides.

Les syndicats, entre résistance et accompagnement

- Comment les quatre syndicats représentatifs, en pleine négociation conventionnelle à l'heure où nous achevons ce dossier, abordent-ils la question de la télétransmission ? Pour le savoir, nous avons posé trois questions identiques à chacun de leur président. Leurs réponses révèlent de réelles divergences d'appréciation et d'approche...

1. La télétransmission semble aujourd'hui être largement entrée dans les habitudes des infirmiers libéraux, même si cela ne va pas sans difficulté. Quel bilan tirez-vous de cette évolution de l'exercice libéral ?

2. Comment voyez-vous l'évolution prochaine de la carte Vitale (carte vitale 2, DMP) ?

3. Qu'attendez-vous de l'Assurance maladie dans le domaine de la télétransmission ?

Marcel Affergan

Président de Convergence Infirmière

- 1. Bilan. Si la télétransmission a créé des difficultés, la convention que nous avons signée en 2002 a permis d'éviter la mise en place de mesures coercitives - pourtant prévues par les ordonnances Juppé qui ont instauré l'obligation de télétransmission - et de privilégier les mesures incitatives, avec l'aide pérenne.

- 2. Évolution. L'arrivée de la carte Vitale 2 pose des problèmes à la fois politiques - faudra-t-il assumer encore un peu plus du travail incombant aux caisses ? - et techniques. Cependant, seules les interfaces logicielles devraient évoluer. Le DMP suscite encore d'importantes discussions : nous voulons qu'il intègre la démarche de soins infirmiers qui va se mettre en place...

- 3. Revendications. Nous souhaitons résoudre le cas spécifique des infirmiers en fin de carrière. Nous demandons également que les aides soient maintenues et augmentées pour tous les autres professionnels, que les caisses offrent un meilleur soutien pratique à la télétransmission et que cessent les pressions insidieuses que nous relevons...

Philippe Tisserand

Président de la FNI

- 1. Bilan. Votre constat me paraît trop optimiste : de nombreux infirmiers libéraux télétransmettent encore et veulent continuer à télétransmettre en norme B2. Il est vrai que le système SESAM-Vitale a été conçu pour les médecins, sans tenir compte de nos spécificités (cabinets pluriprofessionnels, actes en série, domicile), et qu'il reste complexe. Or ce transfert des tâches de l'Assurance maladie a été réalisé sans rémunération, avec des compensations financières très faibles.

- 2. Évolution. Le DMP risque d'aboutir à ce que "les médecins parlent aux médecins", alors qu'il pourrait impliquer de fortes contraintes pour les professionnels : nouveaux investissements en matériel, sécurisation des cabinets pour garantir la confidentialité des données...

- 3. Revendications. Nous demandons la simplification et l'adaptation du système à notre forme d'exercice, la suppression des contraintes liées aux envois postaux de bordereaux papier concomitants à la télétransmission, ainsi que les mêmes aides que celles accordées au corps médical.

Jean-Michel Elvira

Président de l'Onsil

- 1. Bilan. La télétransmission n'est qu'un outil administratif, pour améliorer les procédures de paiement et remboursement des soins. Elle ne représente pas une évolution de notre exercice libéral comme le serait la consultation infirmière. Nous estimons qu'il en résulte, en revanche, une contrainte administrative supplémentaire. Les procédures - mal adaptées à l'ambulatoire - sont trop compliquées. Seuls les infirmiers subissent de la part des caisses des menaces de non-paiement des cotisations sociales s'ils ne télétransmettent pas...

- 2. Évolution. Pour le DMP, aussi bien que la carte Vitale 2, c'est le flou artistique pour l'instant ! Nos lecteurs vont-ils être compatibles avec la carte Vitale 2 ? On peut s'interroger sur le coût de cette nouvelle carte par rapport à celui de la fraude qu'elle est censée combattre.

- 3. Revendications. L'Onsil revendique le libre choix du praticien de télétransmettre ou non. Nous demandons aux caisses une simplification des procédures, ainsi qu'une augmentation et une pérennisation des aides à la télétransmission pour nos collègues...

Annick Touba

Présidente du Sniil

- 1. Bilan. La télétransmission est une obligation conventionnelle et une évolution inéluctable qui a pour avantages la disparition de nos innombrables feuilles de soins papier et une rémunération rapide. Le bilan est évidemment positif malgré les difficultés de certaines professionnelles peu familiarisées avec l'informatique et un coût bien supérieur à l'aide pérenne la plus basse de tous les professionnels de santé...

- 2. Évolution. Tout est flou, actuellement, sur ces sujets ! Notre but est de donner au DMP un véritable intérêt pour les infirmiers en créant une véritable coordination des professionnels de santé autour du patient.

- 3. Revendications. Les infirmières télétransmettent beaucoup avec un volume important de soins : leur aide doit être augmentée substantiellement et il faut une aide à l'achat d'un lecteur pour les nouvelles installées. Nous revendiquons aussi la mise en place d'une formation gratuite préalable à l'installation, comprenant l'informatique et la télétransmission. Enfin, nous voulons une mesure de tolérance pour les professionnelles proches de la retraite...