Jean Leonetti : « La loi sur la fin de vie est encore très mal connue des soignants » - L'Infirmière Libérale Magazine n° 225 du 01/04/2007 | Espace Infirmier
 

L'infirmière libérale magazine n° 225 du 01/04/2007

 

Interview

Député des Alpes-Maritimes, Jean Leonetti a été le rapporteur en 2005 de la loi sur le droit des malades et la fin de vie. Deux ans après son entrée en vigueur, et alors que le débat sur l'euthanasie est relancé, il en dresse un bilan.

Est-ce que la loi de 2005 relative à la fin de vie a changé les pratiques ?

Deux ans après son adoption, elle est loin d'être appliquée comme elle le devrait, alors même qu'elle constitue un bon cadre. Elle a validé les bonnes pratiques et mis hors la loi les mauvaises. Avant cette loi, un soignant qui injectait un produit dans son coin à un patient était considéré de la même façon que celui qui, devant les souffrances du malade, arrêtait un traitement, après consultation de son équipe. Cette loi permet de lutter contre l'acharnement thérapeutique en instaurant la collégialité, afin de prendre la moins mauvaise décision. Elle s'oppose au principe qui voudrait que chacun prenne une décision dans le secret de sa conscience et que, parce qu'il a sa conscience pour lui, ce serait la bonne décision. La loi, avant tout, ne dit pas quoi faire, mais surtout comment faire : ses maîtres-mots sont transparence, dialogue, et traçabilité. On consulte le malade, l'équipe médicale et paramédicale, la famille. Et surtout on écrit ce que l'on fait, et on ne fait pas ce que l'on ne peut écrire. C'est un garde-fou.

Quels sont les freins à la bonne application de la loi aujourd'hui ?

D'abord, la loi est mal connue et mal comprise des soignants, qui, de façon générale, font beaucoup de confusions sur le thème de l'euthanasie. Des médecins me disent « j'ai pratiqué l'euthanasie », alors que, selon la loi, ce n'est pas le cas. Un patient auquel on aura injecté une dose importante de morphine pour calmer des douleurs, en prenant le risque d'accélérer son décès, ne relève pas de l'euthanasie. En revanche, le geste d'un médecin, qui, dans son coin, sans en référer à personne, injecte une dose de potassium, relève de l'euthanasie sauvage et clandestine.

La frontière entre les deux est assez mince...

En fin de vie, on est évidemment dans des zones grises. Reste que tout est dans l'intention et dans la traçabilité, et c'est là l'esprit de la loi. On peut augmenter progressivement la morphine pour soulager le patient après consultation de toutes les parties et inscription au dossier médical, avec une personne présente dans la chambre, au risque d'abréger sa vie. Mais sous-entendre qu'administrer de la morphine en phase terminale et injecter une dose massive, un "bolus", revient au même, c'est faux.

Que dire du verdict de Périgueux ?

Je crois qu'il est assez juste. Le jury populaire a estimé, concernant le médecin, qu'il était inutile de sanctionner outrageusement la personne, mais qu'il était nécessaire de sanctionner l'acte, qui reste une transgression : la société doit le signifier.

Quels sont les autres freins à une bonne application de la loi de 2005 ?

Mal connue, la loi est aussi mal appliquée. Il est par exemple encore très rare qu'un patient désigne une personne de confiance. De même, la procédure collégiale est mal suivie, les décisions sont prises encore trop rapidement. Sans compter que les soins palliatifs sont insuffisamment développés et de façon inégale sur le territoire, comme l'a pointé le dernier rapport de la Cour des comptes. De plus, il faut mettre en place une formation accélérée de tous les soignants aux soins palliatifs, afin qu'ils aient une attitude moins angoissée, moins solitaire devant la mort.

Dans un contexte de recherche d'économies, n'est-ce pas un peu utopique ?

Effectivement, avec la T2A, la démarche palliative, qui n'est pas un acte curatif, n'est pas valorisée. Elle ne présente aucun intérêt économique. Parallèlement, le droit des malades à l'hôpital est insuffisamment développé, ce qui ne pousse pas les soignants à se demander jusqu'où ils doivent poursuivre les soins, et se traduit par un acharnement thérapeutique trop fréquent.

C'est-à-dire ?

L'acharnement thérapeutique et l'euthanasie active sont deux pendants de la négation de la mort. D'ailleurs, on constate souvent que la demande d'euthanasie succède à l'acharnement thérapeutique, même s'il est de bonne foi. En tant que soignants, nous avons deux impératifs : le premier est inscrit dans la loi, c'est l'obligation de non-souffrance, quitte à hâter la mort ; le deuxième est le devoir de non-abandon : on peut très bien traiter les gens sans les soigner, et vice et versa. Aider les gens à mourir, les accompagner, ce n'est ni le suicide assisté, ni les traitements inutiles : c'est une attention tout au long de la prise en charge du malade, et non pas seulement en fin de parcours, comme c'est trop souvent le cas. Les soignants doivent discuter en amont, prendre connaissance de l'environnement du patient et de son parcours, amorcer la réflexion assez tôt pour éviter l'acharnement thérapeutique. Cela nécessite d'améliorer et d'évaluer la prise en charge de la fin de vie.

Au domicile, les choses sont plus compliquées...

Effectivement, l'équipe au complet n'est pas présente sur les lieux, la procédure s'en trouve donc allégée. Reste qu'on peut dialoguer avec le médecin et surtout l'entourage. L'essentiel est de ne pas tout décider seul et de laisser des traces de ses actes. Ensuite, tout dépend de l'impact de la situation dans laquelle on se trouve : il est sûr que renvoyer une personne âgée de 95 ans en phase de cancer généralisé se faire soigner à l'hôpital relèverait de l'acharnement thérapeutique.

Que pensez-vous des exemples belges et hollandais, qui ont dépénalisé l'euthanasie sous certaines conditions ?

Ils se retrouvent face à de nouveaux problèmes. La loi n'a pas tout réglé. Se posent aujourd'hui dans ces pays des questions du type : quoi faire pour un enfant de moins de 12 ans ? Et pour un malade mental, qui ne peut décider lui-même ? Et pour un dépressif chronique, qui dit avoir perdu tout goût de la vie ? Je constate en général que, dans ces pays, on glisse peu à peu vers des problématiques de suicide assisté et non d'euthanasie en fin de vie. Or c'est le vrai problème qui se pose.

Pensez-vous qu'il y ait des risques à faire une loi sur l'euthanasie dans le contexte économique que nous évoquions ?

C'est effectivement l'un des risques à envisager. On peut très bien imaginer que la pression sur les malades, dans un environnement qui valorise la forme, la jeunesse, l'utilité, sera de plus en plus importante. La tentation est grande pour un établissement, une famille exténuée ou la société en général, de faire partir un patient un peu plus tôt que prévu. On va complètement à l'encontre du droit des malades en amont comme le préconise la loi. Et puis il reste à savoir : qui fait le geste ? C'est aussi un débat.

Jean Leonetti en quelques dates-clés

- 2005 : rapporte la loi relative au droit des malades et à la fin de vie.

- Depuis 1997 : député des Alpes-Maritimes. Il est aussi premier vice-président du groupe UMP de l'Assemblée nationale.

- Depuis 1995 : maire d'Antibes (Alpes-Maritimes). Il est également président de la Communauté d'agglomération de Sophia-Antipolis.

- Jean Leonetti est cardiologue de profession.