« Un challenge quotidien pour les infirmières » | Espace Infirmier
 
« Un challenge quotidien pour les infirmières »

19/11/2012

« Un challenge quotidien pour les infirmières »

Axelle Franchomme, une infirmière de 26 ans, revient d'une mission de deux mois pour Médecins sans frontières auprès des Pygmées du Congo-Brazzaville. Objectif : les traiter contre le pian, une maladie infectieuse qui provoque des lésions cutanées et des déformations osseuses. Elle raconte.

Une expédition dans la forêt tropicale, une maladie oubliée, un peuple ostracisé... La mission que vient de mener Médecins sans frontières auprès des Pygmées akas du Congo-Brazzaville a tout du film d'aventure. En deux mois, près de 17 500 personnes ont été traitées contre le pian, une maladie infectieuse qui a ravagé l'Afrique jusque dans les années 1960 et qui continue de sévir dans les communautés pauvres des régions tropicales d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine et du Pacifique occidental. Axelle Franchomme, infirmière de 26 ans, nous fait part de son expérience.

Espaceinfirmier.com: Comment se caractérise le pian ?

Axelle Franchomme: La maladie se manifeste d'abord par des plaies et des ulcères sur le corps et le visage. Dans une seconde phase, la maladie reste latente, elle s'endort. Chez environ 10% des patients non traités, elle évolue ensuite en déformations osseuses irréversibles, provoquant de gros soucis moteurs chez les personnes infectées. Certains patients sont aussi atteints de gongosa, c'est-à-dire d'une mutilation de la mâchoire. Dans les villages pygmées du nord-est du Congo-Brazzaville, la prévalence du pian pouvait aller jusqu'à 10% de la population. Comme il s'agit de nomades, la maladie peut se propager dans les pays voisins, en République démocratique du Congo (RDC) et en République centrafricaine.

 

Comment se traite cette maladie ?

Autrefois, le pian se traitait par une injection intramusculaire de benzathine-benzylpéniciline. C'était un geste invasif et douloureux. Suivant les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'objectif était de traiter la maladie avec une dose unique d'azithromycine sous forme de sirop pour les enfants et de gélule pour les adultes. C'est un antibiotique facile à administrer, peu cher et indolore.


Comment s'est déroulée cette mission ?

Au cours du premier mois, l'objectif était de recenser et de traiter un maximum de personnes. On se déplaçait en 4x4, le long des grands axes. Il y a des jours où l'on a vu en consultation jusqu'à 500 patients. Le deuxième mois, il s'agissait de retrouver les patients traités pour une surveillance et d'atteindre les Pygmées que l'on n'avait pas encore pu traiter. C'est une population qui se déplace beaucoup pour se nourrir, donc il est difficile de les rassembler en un seul endroit. Les deux dernières semaines étaient un peu plus sportives car on était à pied. Certains jours, on a marché 6 ou 7 heures, traversé des rivières avec parfois de l'eau jusqu'au cou. Quand on avait de la chance, on se déplaçait en pirogue. J'ai été ravie de la manière dont les gens nous ont accueillis : dans le calme, avec le sourire, reconnaissants des efforts qu'on avait faits pour venir soigner le pian mais aussi d'autres pathologies (diarrhée, paludisme, pneumopathie, etc.).


Quel bilan dressez-vous en tant que soignante ?

Cette mission était un challenge quotidien pour les trois infirmières (1). Les Pygmées n'ont aucun accès aux soins ou à la médecine occidentale : le premier centre de santé se trouve souvent à 10, 15 km de marche à travers la forêt. Beaucoup n'avaient jamais avalé une pilule de leur vie ; le fait de ne pas mâcher avant n'était pas naturel. Je me mettais à la place de ces enfants qui n'avaient jamais vu un « blanc » de leur vie, et se voyaient administrer un médicament avec une grosse seringue dans la bouche, avec leur mère qui leur tenait la tête. La barrière de la langue nous empêchait de les calmer avec des paroles. J'ai beaucoup appris en terme d'approche du patient, de psychologie du malade.

Il nous a aussi fallu diagnostiquer des pathologies uniquement sur des bases cliniques, à partir des symptômes que présentaient les patients. Il fallait qu'on soit sûr de nous pour administrer un traitement. Il y avait toujours une courte discussion avec le médecin.

 

Vous êtes plutôt jeune pour ce genre de mission. Quel est votre parcours ?

C'est vrai que je suis l'une des plus jeunes à MSF... J'avais envie de travailler dans l'humanitaire depuis le lycée. J'ai fait mes études en soins infirmiers en Belgique et j'ai été diplômée à l'été 2008. Après trois mois de travail à domicile, je suis partie en Inde et j'ai travaillé pour une association au sein d'une clinique mobile. Au bout de 9 mois, je suis revenue travailler en Belgique, en oncologie et en soins palliatifs. J'ai passé un diplôme de médecine tropicale à Anvers. Et en décembre 2010, comme j'avais les deux ans d'expériences requis, j'ai postulé à MSF. Depuis, je suis partie en mission en RDC, en Haïti et en Côte d'Ivoire. Le pian au Congo-Brazzaville était ma 4e mission. Là, je vais me poser un moment, travailler en intérim dans le Nord -ma région d'origine- ou en Belgique. C'est important de se mettre à jour.

Propos recueillis par Aveline Marques


 

(1) Trois équipes, composées d'une dizaine de personnes chacune (médecin, infirmière, logisticien, traducteur...), ont silloné la forêt et les abords du fleuve Oubangui. Au total, ils se sont rendus dans une centaine de villages isolés.

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