Plaisirs et soins palliatifs, antinomiques ? | Espace Infirmier
 
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08/10/2021

Plaisirs et soins palliatifs, antinomiques ?

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À l’occasion de la Journée mondiale des soins palliatifs, nous partageons cette réflexion de membres de l’AJMSP. Aborder les « plaisirs en soins palliatifs » est une manière percutante et peu souvent évoquée de nous éclairer sur la spécificité de la prise en soins des patients dans ce contexte. Il s’agit bien de porter attention à la personne dans son intégralité.

Il faut bien vous l’avouer : quand nous avons décidé du sujet mis en lumière cette année par cette brève publication (« Les plaisirs en soins palliatifs »), je me suis inquiétée de la façon dont j’allais bien pouvoir l’aborder… Ne serait-ce pas, par nature, un peu antinomique ? Comment penser que les soins palliatifs puissent rimer aussi avec plaisirs ?

Les patients expriment la possibilité d’éprouver du plaisir durant leur maladie et malgré les difficultés de celle-ci, mais tous sont unanimes pour expliquer qu’il n’y a pas de place pour le plaisir quand il y a de l’inconfort comme la douleur ou l’angoisse.

Plaisirs du corps

Souvent assimilés à la fin de vie immédiate, les soins palliatifs recouvrent en fait une période beaucoup plus longue. Ce sont des soins qui portent attention à la personne dans son intégralité : son corps, son âme, sa vie sociale, sa vie intime… et cela durant plusieurs mois, parfois plusieurs années, conjointement aux traitements habituels de la maladie.

Un de nos patients interrogés s’est senti pleinement reconnu et touché de la confiance qui a pu lui être témoignée ; cette relation privilégiée avec l’équipe lui a permis de mieux vivre sa situation.

Alors lorsqu’on me dit « plaisir », je pense d’abord plaisir du corps… et oui, je parle bien de sexualité. Est-ce déraisonnable de penser que sur les dernières années d’une vie, la personne souhaite maintenir son contact charnel, par exemple avec celui ou celle qui a partagé parfois pendant des décennies, son intimité ? Impossible de penser cela au cours de la maladie ? Pas si sûr…

C’est vrai, j’en suis témoin chaque jour, les professionnels intervenant en soins palliatifs ont à cœur de porter attention à la personne dans son intégralité.

Lorsque nous rencontrons une personne malade, gardons à l’esprit qu’elle a une histoire, des valeurs, des éléments importants qui construisent et soutiennent son désir de vie. Pour certaines personnes, ce que nous nommons « qualité de vie » passe par la possibilité de vivre encore une sexualité. On croit souvent qu’elle s’éteint avec l’âge ou la maladie, et même que l’on peut l’interdire. En réalité, c’est son expression qui se modifie : elle conserve pour la personne l’importance qu’elle a toujours eue.

Que signifie « possibilité de vivre encore une sexualité » ? Je ne le sais pas avant d’en avoir discuté avec la personne. Lorsqu’on permet à un couple d’avoir de l’intimité dans une chambre d’hôpital par exemple, je ne sais pas ce qu’ils en feront. Vont-ils regarder un film ? Avoir un moment de tendresse ? Un rapport sexuel ? Cela leur appartient, et j’accepte simplement de ne pas entrer sans y être autorisée.

Bien sûr, la sexualité s’axera certainement moins sur la performance, et plus sur des tonalités d’intimité, de sensualité, de séduction. Oui, de séduction. Et c’est peut-être de cela dont nous pouvons partir pour aborder le sujet avec ceux que nous accompagnons, avec ceux que nous rencontrons. Car tous ou presque le disent : ils n’osent pas aborder cela d’eux-mêmes, mais ils aimeraient que le soignant le fasse. Et s’il y avait des aménagements simples qui favorisent l’expression de la sexualité de la personne, dans le respect de chacun ?

Plaisirs de la table

Les plaisirs du corps sont aussi ceux d’un corps apaisé, soulagé de ses souffrances. La relaxation, le toucher-massage, la sophrologie, pour ne citer que cela, sont de plus en plus présents autour des soins techniques. Ces approches peuvent contrecarrer la violence d’une relation hypermédicalisée à la maladie, en remettant au centre « le corps habité », celui dans lequel il fait bon vivre.

C’est aussi la possibilité de rencontrer des professionnels en blouse blanche qui prennent le temps d’être à l’écoute : lorsque la socio-esthéticienne redonne sa beauté au visage, sa douceur au regard, c’est un plaisir dans le miroir à la fin, tout autant qu’un plaisir du moment partagé à deux.

Certains de nos patients nous ont témoigné des plaisirs éprouvés dans la rencontre d’une équipe bienveillante, attentionnée et à l’écoute.

Et lorsqu’on me dit « plaisir », je pense aussi à la bonne chair, au bon vin. Ces rituels sont souvent délaissés dans les systèmes hospitaliers, alors que nos aïeux savaient combien les plaisirs de la table sont l’essence même du bien vivre. Certaines initiatives voient le jour, comme des accords passés entre hôpitaux et écoles hôtelières pour permettre aux patients de retrouver ce sens délaissé : des repas préparés avec finesse, une nourriture élaborée, des choix de boissons ne se limitant pas au dilemme « carafe d’eau » ou « eau gélifiée »…

La possibilité de boire des alcools est ordinairement bannie dans l’approche médicalisée du soin, mais elle redonne le sentiment d’une vie de partage, de liens sociaux conviviaux… bref, le goût de la vie d’avant.

Toutefois, avec la maladie et les effets secondaires des traitements, certains patients nous font part d’un renoncement à certains plaisirs qui ne leur paraissent plus possibles ; par exemple, manger n’est plus forcément source de satisfaction du fait de la perte d’appétit et du goût.

Plaisirs des oreilles et de l’esprit

J’entends aussi par plaisir ceux qui sont plus intellectuels, comme la musique, l’art-thérapie ou les récits de vie, qui ont également trouvé leur place entre les temps de soins : dans l’hôpital ou en dehors, les possibilités de s’échapper et de s’exprimer à sa façon se multiplient. Par exemple, dans l’Aveyron, des séances de création musicale sont proposées aux patients ainsi qu’aux aidants et aux soignants. Les objectifs sont de permettre à chacun de découvrir ses ressources personnelles et ses capacités créatrices, de rompre l’isolement en racontant son histoire, sa vie, ses émotions.

Pour nos patients rencontrés, ces plaisirs que sont le chant, la lecture, ou parfois même la télé nécessitent une attention qui n’est plus possible à cause de la fatigue ou de la faiblesse engendrée par la maladie…

Plaisir d’être entouré

Enfin, les plaisirs en soins palliatifs sont tout simplement dans le relationnel avec autrui : véritable ambivalence du rapport au temps qui passe, au temps qu’il reste, pour cette recherche de qualité et de vérité dans les échanges. La présence des proches permettra parfois les partages les plus intenses.

On observe, lors de nos échanges avec les patients, un recentrage sur des plaisirs simples : « être chez soi, entouré de ses proches », sur les choses essentielles : « relation aux autres, à la nature… », voire existentielles : « plaisir de vivre tout simplement ». Pour eux, le désir de profiter de la vie et du temps présent, de vivre les choses pleinement, de « ne plus se donner de retenue, de s’autoriser plus de choses », crée un investissement du temps présent qui leur paraît alors fondamental, ainsi qu’une plus grande attention à leur corps.

« Les choses matérielles perdent de leur consistance. »

Les plaisirs en soins palliatifs seraient une façon de remettre les sens à l’honneur : du goût, du toucher, de la vue, du désir… pour poser l’accent sur la qualité de la vie.

Texte corédigé par les membres de l’Association pour la Journée mondiale des soins palliatifs (AJMSP)

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