Interview de Dominique Le Bœuf, présidente de l’ordre infirmier | Espace Infirmier
 
20/01/2009

Interview de Dominique Le Bœuf, présidente de l’ordre infirmier

Elue triomphalement à la tête de l’ordre infirmier le 14 janvier avec 38 voix sur 48, Dominique Le Bœuf, 47 ans, mère de deux enfants, a longuement reçu www.espaceinfirmier.com. Au ministère de la Santé où elle dispose d’un bureau au titre de la mission sur l’évaluation des compétences des professions de santé dont elle est chargée, la première présidente de l’ordre infirmier français a répondu à toutes nos questions sur son parcours, la future organisation de l’ordre et les principaux sujets de l’actualité infirmière.

Pouvez-vous nous retracer votre parcours?

J'ai eu mon DE en 1982. J’ai toujours voulu être infirmière, c’était mon projet et je suis une infirmière heureuse. Je suis entrée directement à l'hôpital de Versailles auquel je suis toujours rattachée. J'ai d’abord travaillé en médecine interne, puis en réanimation respiratoire, puis en soins intensifs de cardiologie. Ensuite j’ai fait l'école des cadres à laquelle j'ai été reçue en 1989.
J'ai travaillé comme cadre en neurologie avant d'avoir l’immense chance de monter l’activité d’hématologie clinique à l’hôpital de Versailles avec une équipe à laquelle je dois beaucoup.
Comme je m'intéressais aux questions d’évaluation avec le développment de la démarcha qualité à l’hôpital, j’ai fait un premier DESS d’évaluation en alternance à Aix-Marseille en 1998. Mon  sujet de mémoire, un peu utopique  à l’époque, portait sur les critères d’émergence des réseaux de soins. C’était intéressant pour moi parce que ce sujet m’a incitée  à sortir de mon hôpital. J’ai rencontré des acteurs de l’ambulatoire et goûté à une certaine forme de pluridisciplinarité qui m’allait bien.
J’ai commencé un peu à toucher des problématiques de région puisque mon directeur de mémoire à l’époque était directeur adjoint de l’Urcam d’Île-de-France.
Je suis revenue dans mon établissement un an après et me suis très vite réinscrite en DEA de sociologie chez Michel Crozier,  un des sociologues préféré des infirmières, qui travaille sur les stratégies d’acteurs à l’hôpital. J'ai fait ce DEA de sociologie de l’action organisée en une année. Mon sujet : l'hôpital local, les professionnels de santé et le territoire, rien d'exceptionnel à l'époque, mais d'une actualité brûlante aujourd'hui ! Pendant deux mois, je suis donc partie suivre des médecins généralistes et observer la vie de l’hôpital local dans des régions comme le Cantal.
La problème du vieillissement de la population m’a particulièrement frappée lors de cette enquête et j’ai particulièrement suivi les activités cliniques des infirmières en long séjour et en maison de retraite, activités méconnues et pourtant essentielles à la prévention des complications du grand âge.
Cette enquête m'a amenée à suivre aussi les activités des infirmiers libéraux que je ne connaissais pas bien.


Avez-vous d'autres activités, syndicales, politiques, associatives?
Les activités d’expertises comme celles que j’ai eues à la HAS ne sont pas très compatibles avec des activités syndicales.  Dès le début de mon exercice infirmier j’ai adhéré à des associations telles l’ANFIIDE, l’UNASIIF. Quand j’ai été cadre  de santé à l’hôpital de Versailles, j’ai adhéré au SNPI. Ces engagements me permettaient de participer à la « vie » de l’établissement et aux décisions et aussi d’avoir accès à l’information. 
Je suis entrée à la HAS en 2000 sur une mission qui devait durer trois mois et j’y suis restée deux ans. Pendant ces deux ans à l’Anaes, cette formidable maison professionnelle, j'ai travaillé sur l’évaluation des réseaux de soins et des réseaux de santé, et j’ai pu participer aux premières expérimentations de l’évaluation des pratiques professionnelles avec les médecins  libéraux, j’ai aussi participé à l’élaboration de recommandations de pratiques cliniques et c’est vraiment à l'Anaes que je me suis aperçue que les infirmières étaient loin de tout ça, qu'elles n'étaient pas dans ces lieux et qu'elles avaient peu l’occasion d’apporter leur contribution et expertises professionnelles sur des sujets touchant très souvent les soins infirmiers.  

Cette expérience m’a vraiment motivée pour essayer de contribuer à une meilleure représentation des infirmières dans ces lieux d’expertises. 
C'est à cette époque qu'on a commencé à parler de l’ordre et que le groupe Ste-Anne a commencé à se réunir.  J’ai eu l’opportunité de me joindre à ce groupe et ce fut une période très riche. 
J’avais toujours rêvé que ma profession se fédère et sincèrement pour moi le groupe Ste-Anne a été un très grand moment : pouvoir mettre ensemble les directeurs de soins, les libéraux, les infirmiers sapeurs-pompiers, les infirmières de santé au travail, les infirmières scolaires, les Ibodes, les puéricultrices  autour d’un projet, quelque peu utopique au départ, c’était une grande aventure collective. J’étais profondément convaincue comme tous ceux qui ont participé à ce groupe qu’il fallait cet ordre.
Mon passage à l’Anaes me permettait aussi de comprendre le fonctionnement des organisations professionnelles et  du système de santé et d'expliquer aux autres qu’on était en train de vivre de très grandes réformes et qu’on allait en vivre d’autres et qu’il était nécessaire de se rassembler pour pouvoir enfin y contribuer de manière plus efficace 
J’avais aussi à l’Anaes des contacts européens et internationaux qui me permettaient de les convaincre que si pour l'instant en France on avait l’impression d’être souvent à l’arrêt, nos confrères et consoeurs  avançaient et qu’ils n'attendaient que nous pour avancer.
C'était vraiment un formidable groupe avec un excellent coordonnateur en la personne de Jean-Jacques Scharff, porte-parole de ce groupe. L’ordre lui doit beaucoup.
Je suis aussi expert au Haut conseil en santé publique. Les infirmières sont assez peu investies sur la santé publique. D'ailleurs, sur 150 personnalités qualifiées au Haut conseil, on est trois infirmières. Ce sont des activités auxquelles nous ne sommes pas très rompues, or ce sont  pourtant des sujets de notre pratique quotidienne : maladies chroniques, déterminants de santé, iatrogénie, risques liés aux soins.


Ce mandat de présidente de l'ordre va-t-il vous amener à réorganiser votre emploi du temps ? D'autant que vous avez deux autres mandats aux niveaux départemental et régional.
Les différents mandats départementaux, régionaux ne posent pas de problème au contraire. Les infirmières s’étonnent beaucoup de ça. Je suis amenée à collaborer régulièrement avec les cinq autres ordres depuis très longtemps et c’est courant chez eux, ça ne gêne personne. Je fais partie de ceux qui se sont battus pour qu’on ait des départements. Je crois beaucoup à la force du local. On est 500 000 infirmières. Pour pouvoir les fédérer, pour pouvoir aller au plus près d’elles, il faut avoir une dimension locale.
Paris n’est pas la France, loin de là! On voit bien qu’il y a des dimensions particulières un peu partout et il faut pouvoir approcher ces dimensions-là. J’ai participé à la création en Bretagne d’une association de professionnels de santé libéraux en 2002 et on voit bien que les problématiques régionales ne sont pas les mêmes partout. Et qu’il faut savoir se déplacer.


Pour quelqu’un qui a fait toute sa carrière dans le public, vous vous êtes beaucoup intéressée aux libéraux...
Oui, j’ai eu cette opportunité. Je pense que c’est ce qui a fédéré sur ma candidature. Mon expérience professionnelle m’a permis d’approcher tous les secteurs d’activités où exercent les infirmiers, public, privé, mais aussi ambulatoire, en entreprise etc… 


Etait-il important pour vous que la présidente de l’ordre soit une femme ?
Je n'en ai pas fait une affaire de principe. Mais je pense que c’est important. On est 85% de femmes, mais pour moi ce n’était pas obligatoirement un critère ultra sélectif. La profession se masculinise assez, et on ne va pas les rejeter !


La date de la prochaine réunion du conseil est-elle fixée ?
Non, elle n'est pas fixée, mais ce sera début février. Mon souhait pour la première réunion, c’est de réunir tous les suppléants et tous les titulaires. C’est une demande forte des élus nationaux  et ça correspond à une  représentation couvrant bien les champs d’exercice. L’élection au Conseil national a permis la représentation d’une  grande diversité des exercices. On a des infirmières scolaires, des infirmières de centres de lutte contre le cancer, des infirmières de santé publique et je trouve que ce conseil représente assez bien la population infirmière. C’était très important pour moi à la fois que tous les secteurs géographiques soient représentés (neuf intersecteurs) et que tous les secteurs d’activité soient représentés. L’objet étant qu’on puisse se reconnaître comme une profession et non plus comme un emploi.


Le tirage au sort des élus pour deux ans et des élus pour quatre ans ainsi que l'appel à cotisation auront-ils lieu lors de cette prochaine réunion ?
Le tirage au sort, oui. Pour ce qui est de l’appel à cotisation, ce sera une assemblée de départements. Je réunirai tous les départements et les régions. En tout cas c'est mon souhait. Je le soumettrai au conseil national pour avis. L’assemblée de départements permettra de déterminer ce qu'est, pour les départements, une cotisation raisonnable et acceptable. Raisonnable pour que l’ordre puisse fonctionner et que nous ayons notre indépendance. Acceptable pour que toutes les infirmières s’y retrouvent.


Le chiffre de 30 euros circule…
Je me plierai à la volonté des départements. Mes centres d’intérêts comme les réseaux de santé ne sont pas neutres, les bons départs commencent quand on a pris le temps du consensus, je prendrai le temps nécessaire.


Mais 30 euros, ça vous paraît dans les clous ?
Les départements nous le diront.


Comment les cotisations seront-elles perçues? Y aura-t-il prélèvement?
On ne peut pas prélever sur la fiche de paie. C’est un acte volontaire de cotisation [mais cet acte est néanmoins obligatoire, c’est comme les impôts, ndlr].


L'ordre dispose-t-il d'un local propre?
Pour l’instant non, tout est à faire. Mais on va trouver un lieu. Ca restera sûrement à Paris. Il est important que chacun puisse y venir.


Allez-vous fonctionner en réunions plénières ou vous organiser en groupes de travail ?
ça, c’est la réunion plénière de février qui va en décider. C’est très important parce qu’il va falloir qu’une culture se diffuse. La culture ordinale est une culture à part. Mais on s’y fait très bien. 


Quel rythme vous paraîtrait adapté ?
A mon avis, c’est un conseil au moins tous les trois mois au départ, et plus si affinités. Si nécessaire.


Est-il prévu de faire un site Internet ?
Oui bien sûr ! Très vite. Il est prévu que ce soit un site interactif avec les départements.


Y a-t-il un numéro de téléphone ?
Non, pour l’instant c’est mon portable. J’ai ouvert une adresse postale: Conseil National de l’Ordre des infirmiers, 116 rue de la Convention, 75015 PARIS, avec l’ordre des podologues. Et une adresse mail :  ordre-infirmier.national@orange .fr.
Je me suis engagée à faire aussi vite que possible, mais sans précipitation. J’ai eu la chance de suivre l’ordre des podologues dans sa création, l’ordre des kinés dans sa création, leurs expérience récente sera pour nous très instructive.


Est-il prévu de doter l’ordre d’une publication ?
Il y aura un bulletin de l’ordre comme partout et plus vite on le fera, mieux ce sera. Ce sera fonction des moyens qu’on aura. Il me semble essentiel que chaque infirmière reçoive chez elle, très vite, un deux pages. Je cotise, je suis informée. Deux pages, ça se lit en faisant manger le petit dernier, en allant au travail, au moment de la pause.
Le manque d’information des infirmières m’a beaucoup frappée. Il y en a de l’info, on peut aller la chercher, mais en même temps, quand on a ça chez soi, ce n’est pas du tout pareil.


L'ordre va avoir besoin de communiquer car il n'est pas vraiment au centre des préoccupations de toutes les infirmières…
Vous savez, on a quand même beaucoup souffert de désinformation, ça a été très compliqué. On a eu la chance que notre ordre se fasse très, très vite. Les kinés ont mis 15 ans, nous on a mis 18 mois quasiment à partir du vote de la loi. C’est court pour des gens qui n’ont aucun moyen de communiquer.
Pour des élections comme on a eu là, moi qui suis allée regarder les résultats de toutes les élections par voie électronique, c'est un score honorable. Il y en a beaucoup qui ont l’habitude regarder le verre vide et assez peu le verre plein. On est parti quand même d’assez loin. En 2002, Sainte-Anne c’était 43 associations qui devaient se mettre d’accord, dont des syndicats libéraux qui n’avaient somme toute pas vraiment besoin d’un ordre. Trois ans, pour moi qui suis sociologue, je vais vous dire, c’est un beau score. Et sans se fâcher !
On nous avait prédit qu’on n'arriverait pas à organiser ces élections, qu’on ne serait pas capable de se mobiliser, qu'on ne bougerait pas les infirmières. On a bougé ! Ce n’est pas si simple ! Quand je regarde le chemin des autres, moi je nous trouve pas mal.
Il ne faut pas vivre dans ses illusions. Quand je me suis présentée, j’ai bien pris la mesure. Mais en même temps, je crois qu’on ne fera adhérer les infirmières que si on les fait un peu rêver sans faire d’angélisme bien sûr. 


Quels sont pour vous les chantiers prioritaires ?
Réunir mon conseil et tout de suite commencer le code de déontologie. C’est ce qui fonde notre identité ordinale. Il faut que tous les départements y participent. Comme l’ont fait tous les autres ordres. Après, commencer tout de suite à parler du fonctionnement de l’ordre, comment on va le monter au niveau du fonctionnement interne et très vite avoir une capacité de communiquer. Parce que là, s’il ne se passe rien dans cinq mois et qu’on demande des cotisations, ça va être un peu compliqué à expliquer. Il va aussi falloir nous compter, nous recenser, savoir très précisément qui fait quoi où pour nous connaître mieux.
Une des mes  priorités en tant que présidente, c’est de me déplacer. Je suis parisienne, ce n’est pas obligatoirement un handicap. Là, j’ai déjà des conseils régionaux (Bretagne) qui m’ont invitée, je vais y aller. Je pense qu’il faut que les territoires puissent voir une présidente qui n’est pas virtuelle, pas enfermée dans sa tour d’ivoire et qui est capable de se confronter au terrain. 


Quand pensez-vous pouvoir émettre l'appel à cotisation ?
Dès qu’on pourra, je ne peux pas vous dire. 


Mi-2009 ?
J’espère, mais c’est vraiment très lié à ce que diront les départements. Pour avoir beaucoup observé les présidents des autres ordres, je vous assure que ce n’est pas du tout une position omnipotente.


L'un des gros chantiers d'actualité concerne la réforme des études infirmières. A titre personnel, êtes-vous favorable à une licence générale ou professionnelle?
Moi, je suis la présidente de mon conseil, je n'ai plus d’avis personnel. Mais je suis une universitaire. L’université ne me fait pas peur. Je travaille déjà beaucoup avec d’autres consoeurs européennes qui sont docteurs en sciences infirmières et très sincèrement, ce ne sont pas des intellectuelles coupées de la base. Quinze pays en Europe ont déjà franchi ce pas. Clairement, je ne vois pas pourquoi on serait les derniers. Après, réunion du conseil début février et ce sera à l’ordre du jour.


Cela urge là…
Oui, mais enfin, le référentiel de compétences est déjà validé. Dont acte. Le référentiel de formation est en passe de l’être. 


Justement, au niveau des groupes de travail de la Dhos, certains se plaignent d’incohérences…
Je lis tout ce qui se passe. Je lis tout ce que les syndicats disent, je pense qu’ils font très bien leur métier et ils ont tout mon respect. Maintenant, la présidente de l’ordre vient d’être élue et le conseil national aussi, à partir d’un référentiel de compétences validé et d’un référentiel de formation en passe de l’être. Après, tout reste à faire. C’est un vrai sujet de conseil.


Il ne reste que deux mois de négociations, pour une entrée en vigueur dès septembre et la ministre n’a toujours pas arbitré, elle esquive à chaque fois qu’on lui demande...
Ecoutez, je suis infirmière, mais je suis aussi sociologue. Les faits sont têtus, je me baserai sur les faits et je ne rentrerai pas dans la passion, sinon ça va être très vite compliqué et ce n’est pas dans la mission. La mission de l’ordre c’est de veiller au maintien de la compétence de ses membres. C’est dans la loi. Mon ordre veillera à ce que la formation soit adéquate aux compétences qu’aujourd’hui les patients sont en droit d’exiger et que les besoins de santé sont en droit aujourd'hui d’exiger en termes d’évolution de la profession.


Sur la question de la rémunération des infirmières…
Ah, ça c’est les syndicats ! Je compte sur eux. Mais on voit bien que dans toute l’évolution de la profession infirmière, quand on regarde les autres pays, très clairement, dès qu’il y a eu un ordre, il y a eu très souvent une évolution de la rémunération et il y a eu souvent une intégration universitaire de la formation des infirmières. Donc laissons faire le cours de l’histoire, je pense qu’il fallait que l’ordre se mette en place d’abord. Un ordre ce n’est pas fait pour être dans la réaction, c’est très important. Les positions passionnelles ne sont pas à l’ordre du jour. Sur le dossier LMD, on va saisir des experts, je vais appeler mes collègues universitaires, on va monter un groupe s’il y a besoin pour toute la filière et à ce moment-là on arrivera face au ministère avec un dossier instruit. Maintenant, si la Dhos a décidé de finir avant que l’ordre arrive, ce n’est pas de mon fait. Ou en tout cas si le programme s’est fait comme ça, et bien il faut que je fasse avec.


L'autre gros dossier d’actualité, ce sont les délégations de compétences...
Moi je ne parle jamais de délégation de tâches, c’est franco-français. Je parle de compétences partagées. Connaissant bien la HAS, ce que j’ai trouvé dommage, c’est qu'on ait aussi peu de documentation internationale. C'’est quand même une grande lacune de la part de la HAS alors qu’ils le font pour tout.


Pourquoi là non ?
Eh bien je ne sais pas. Mais sans cette expérience internationale, c’est quand même très difficile d’expliquer comment ça marche. Quand je travaille avec mes collègues anglaises, elles ont un gros avantage. Bien sûr qu’elles travaillent dans des maisons de santé organisées  avec des médecins, qu’elles y sont très heureuses, ce n’est pas le problème. Sauf qu’elles sont prescripteurs indépendants, on oublie de le dire dans le rapport de la HAS, de même qu’on oublie de dire que c’est le Council et le Royal College qui leur font leur conduites et leurs bonnes pratiques. Nous, c’est pas ça, donc c’est très différent.


Vous vous situez plutôt du côté de ceux qui disent qu’il ne faut surtout pas toucher au décret d’actes pour maintenir un cadre sécurisant ou de ceux qui pensent qu'il faut l’assouplir ne serait-ce que pour faire reconnaître ce qui se pratique déjà ?
Je suis plutôt avec ceux qui disent qu’il faudra sûrement à un moment le faire évoluer, mais pourquoi le faire évoluer en deux mois ? Les Québecois ont mis trois ans à faire évoluer leurs codes de professions tous ensemble avec tous les ordres. Penser qu’on peut faire évoluer le décret de compétences infirmières tous seuls sans les autres, ça me paraît difficile. Je ne suis pas du tout fermée à la possibilité de faire évoluer un jour le décret de compétences.
La HAS préconise de l’assouplir par missions, en nous comparant aux sages-femmes, mais ils oublient complètement de dire que les sages-femmes sont une profession médicale à compétences définies ! Dans ce cas-là pourquoi pas les infirmières ? Mais nous, ce n’est pas le cas. Donc on nous fait des rapprochements, des raccourcis hâtifs qui ne permettent pas aujourd'hui de réfléchir correctement sur cette évolution.
Je pense que c’est un vrai sujet ordinal. Quand les médecins voudront en discuter avec l’ordre des infirmiers, ils sont maintenant à même de le faire. Et si on peut le faire avec d’autres, on le fera. Très clairement, je ne suis pas contre cette évolution, mais ce qui était un peu gênant, c’était cette précipitation. C’est trop d’enjeux, c’est trop symbolique pour les infirmières, faisons-le correctement. 


Que pouvez-vous dire pour rassurer les infirmières quant au rôle de sanction de l‘ordre qui peut aller jusqu’au retrait du diplôme?
Pour l’instant l’ordre n’a pas de mission de sanction au niveau du service public hospitalier. Donc rien ne change pour eux ! Pour ce qui concerne les libérales, c’est juste une mise en place d’un décret qui n’avait jamais été mis en place jusqu’à maintenant.
Moi, je reste assez confiante, je suis persuadée qu’il n’y a pas tant que ça d’infirmières qui travaillent mal. Ca se saurait ! Et puis je pense que c’est très fort aussi en terme d’image, de pouvoir dire qu’on a peu de remontées, qu’il n'y en a pas tant que ça. Ca peut permettre aussi de faire remonter certaines difficultés. Et puis quand même, ce qui peut les rassurer c’est que là, elles vont pouvoir enfin être jugées par leurs pairs. Actuellement, c’est quand même les médecins qui les jugent, c’est l’ordre des médecins qui le fait ! 


Dans des cas comme les accidents dramatiques qu'on a vus pendant les fêtes, qui impliqueraient des infirmières, l'ordre n'aura donc aucun rôle?
L’ordre sera légitime sur ses différentes missions. La ministre fait une réunion le 26 janvier sur ce sujet, je suppose qu’elle va y inviter l’ordre des infirmières.


Quels seront les rapports de l’ordre avec les autres professions à ordre ?
Il y a un comité de liaison inter-ordres (CLIO) qui fonctionne déjà très bien. Ils se réunissent très régulièrement et ils nous attendent. Ils travaillent sur des sujets comme l’harmonisation des mandats ordinaux (l'idée serait d'aligner tout le monde sur trois ans renouvelables par tiers), sur le Répertoire partagé des professions de santé (RPPS) et sur l’élargissement aux paramédicaux de ce répertoire. Je suis sûre qu’on arrivera à travailler à un moment sur les compétences partagées.


Est-ce que ce sera ne pas plutôt au sein du Haut conseil des professions paramédicales (HCPP) ?
Le HCPP pour moi n’est pas un ordre, sa compostions reste très hospitalière  et je pense qu’il va travailler sur l’organisation, ce qui est son rôle. Mais je trouve qu’on a tendance aujourd’hui à réduire la coopération des professionnels de santé à quelque chose d’organisationnel alors qu’on voit bien qu’on touche toutes les qualifications et toutes les évolutions des différents segments professionnels et je suis persuadée que l‘ordre est le plus à même de le faire, en tout cas de se mettre en perspective, ne serait-ce que pour faire évoluer la réglementation, entre autre le décret.


Donc vous estimez n’avoir pas grand-chose à faire dans ce HCPP ?
Ce que je sais, c’est que celui qui a fait le décret sur le HCPP a considéré que les ordres n’avaient pas grand chose à y faire puisqu’on ne vote pas. Alors que les employeurs comme la FHF, la FHP par exemple, votent.


Quand on entend Mme Bachelot, on comprend que c’est l’avis du HCPP qu'elle recherchera dans les discussions sur les coopérations …
Certains ordres régionaux et départementaux dont je suis issue ont fait une demande d’amendements pour que dans l’article du projet de loi HPST sur la coopération des professionnels de santé, l’avis des ordres soit demandé. Nous espérons très fortement que nous serons entendus par la ministre.


Comment envisagez-vous les relations de l'ordre avec les syndicats ?
Excellentes. J’ai eu des fonctions dans des syndicats, je pense qu’ils ont toute leur place et il faut qu’ils l’aient. Tout ce qui concerne le statut ne concerne pas l’ordre, tout ce qui concerne les négociations conventionnelles pour les libéraux ne concerne pas l’ordre. Il peut avoir un avis éventuellement à donner, mais très clairement ça relève de la fonction syndicale.


Avez-vous pensé à une stratégie pour apaiser les rivalités qui existent avec certains syndicats, hostiles à l'ordre?
Je pense que tous ces syndicats que je connais bien par ailleurs, ne comprennent pas ce que c’est qu’un ordre. On nous renvoie sans cesse que c’est vieux, que c’est suranné, que c’est corporatiste, alors que la demande est forte au niveau  européen de ce type d’organisation  pour favoriser la mobilité et la reconnaissance des qualifications particulièrement dans les professions réglementées. Avec l’Europe et la mondialisation, on revient très clairement à des cultures de métier. Mais on peut les penser moderne ! Je pense qu’ils ne savent pas ce qui s’y passe. Mais cela dit, il y a un certain nombre d’élus ordinaux syndiqués.


Aurez-vous à cœur d’entretenir des relations avec les autres ordres infirmiers européens, québecois ?
C’est déjà fait. Ils m’ont déjà écrit pour me féliciter.
Je voudrais dire un mot des associations. Moi, je ne suis pas spécialisée. Il faut qu’on mobilise les associations pour qu'elles nous apportent une expertise sur le contenu. Très clairement, moi je ne peux pas parler aujourd'hui des ibodes.
Le plus bel exemple que j’ai, c’est l’ordre des sages-femmes. Ils ont une fédération des associations et des syndicats (le CASSF) qui se réunit souvent à l’ordre des sages femmes. L’ordre c’est leur maison, mais ça ne les empêche de garder leurs spécificités pour mieux travailler ensemble.


La crise de l'hôpital, des services d'urgences, fait couler beaucoup d'encre ces temps-ci. Y a-t-il pour vous un problème de moyens, une pénurie de soignants ?
Je ne sais pas, il faut  aller voir et travailler sur des faits et des chiffres. Si besoin, je saurai trouver les ressources comme l’association des infirmières d’urgence et elles vont pouvoir me dire s'il y a des tensions. On va instruire le dossier. Il ne s’agit pas de rester silencieux, mais passer au 20h à la télé, ce n’est pas mon rêve.


Qu’est-ce que ça vous fait de devenir la première présidente de l’ordre des infirmières de France ?
Le sentiment d’une lourde responsabilité, vraiment. Un très beau challenge. Moi, je suis convaincue. Mon challenge, c’est de convaincre un maximum d’infirmières. Cela va se jouer sur la capacité de l’ordre à pouvoir leur ressembler, sur la capacité de l’ordre à être au plus près de leurs préoccupations, à faire évoluer la profession et surtout à anticiper. Très clairement, l’ordre va travailler pour les générations futures et pour nos patients futurs.



Propos recueillis par Cécile Almendros

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