Interview de Chantal Eymard et Odile Thuilier | Espace Infirmier

Editions Lamarre : Qu’est-ce que la recherche en soins infirmiers ?

Chantal Eymard et Odile Thuiler : La recherche en soins infirmiers est une recherche scientifique qui s’élabore conformément aux critères de scientificité des recherches en sciences humaines, sociales et sanitaires. Elle produit des connaissances au service de la qualité des soins infirmiers et de la santé des individus et des groupes sociaux. Ces connaissances peuvent conforter, amplifier, élargir des lois générales, des modèles ou des théories, mais elles peuvent aussi les remettre en question, les bousculer, les contredire, mettre en évidence certaines de leurs limites et participer à l’élaboration d’autres théories, lois et modèles.

Elle « englobe tous les aspects des questions de santé qui revêtent un intérêt pour les soins y compris : la promotion de la santé, la prévention des maladies, et les soins aux individus de tous âges pendant leur maladie, durant leur rétablissement ou lors de l'accompagnement vers une mort dans la dignité et la paix » (CII, 1998).

Elle s’inscrit dans une pratique professionnelle qui s’adresse à l’être humain. Elle engage donc le chercheur dans une réflexion éthique et déontologique. Il s’agit de faire évoluer la façon de concevoir les pratiques, les événements, et non pas d’ériger de nouveaux dogmes, qu’ils soient théoriques ou méthodologiques et ainsi de contribuer à la professionnalisation des personnels de santé. En ce sens, la recherche est indispensable pour générer de nouveaux savoirs, évaluer les pratiques et services existants, et fournir des preuves qui servent de référence pour la pratique, la formation, la recherche et la gestion dans le domaine du soin. Son principal objectif est d'améliorer les résultats en matière de santé en faisant avancer les savoirs et la pratique dans le domaine du soin, tout en apportant une contribution informée à la définition de la politique de santé.

Quelles sont les finalités du mémoire demandé aux étudiants infirmiers ?

Le mémoire s’inscrit dans une initiation à la recherche en soins infirmiers. Considéré comme une épreuve de professionnalisation, il participe de l’acquisition d’une culture professionnelle et de la compréhension de la santé en tant que champ social. Il est un outil de réflexion au service de l’étudiant sur l’analyse de sa pratique et de ses compétences professionnelles, l’investissement du soi professionnel, la conceptualisation des situations, et son apport implication/distanciation dans les situations professionnelles. Il participe de l’acquisition d’une culture professionnelle et de la compréhension de la santé en tant que champ social.

Les commandes institutionnelles varient fortement d’un institut de formation à l’autre. Cependant quelle que soit la commande de l’institut de formation, l’étudiant doit démontrer dans la rédaction et la soutenance du mémoire : l’appropriation des savoirs fondamentaux pour l’exercice professionnel, des savoirs utiles pour étayer les techniques et la dynamique des relations au travail ; la capacité à se positionner et à agir en professionnel compétent dans un lieu d’exercice en utilisant les connaissances théoriques et méthodologiques pour analyser les situations professionnelles ; la capacité à communiquer ses expériences, à l’écrit et à l’oral, avec une communauté professionnelle, en utilisant un langage professionnel et en assurant une posture pertinente aux situations rencontrées.

Quels sont, à votre avis, les pièges à éviter dans la rédaction ?

Les pièges à éviter dans la rédaction d’un mémoire d’initiation à la recherche sont nombreux, car l’écriture doit allier les spécificités d’une écriture scientifique et professionnelle. L’écriture diffère de celle des transmissions. Il ne s’agit pas d’aller à la ligne à chaque phrase, ce qui donnerait l’impression au lecteur d’une pensée hachée. L’un des écueils, dans l’écriture d’un texte à visée scientifique et réflexive, est l’exercice de référenciation : distinguer d’une part ce qui est de ses propres conceptions, sa propre expérience à mettre à distance et d’autre part les écrits, les références à des travaux de terrain étayés par les recherches. Les seconds servent la mise à distance du premier, cependant « penser avec la pensée de l’autre » n’est pas qu’un exercice de stylistique mais relève du travail de conceptualisation, ce qui est un nouvel apprentissage.

Une autre difficulté tient de l’investissement de soi dans la réalisation du mémoire et d’une écriture qui doit à la fois rendre compte du processus de professionnalisation (qui se traduit souvent par une tendance à utiliser le « je » et de la distanciation de son expérience professionnelle nécessaire au travail de problématisation, comme à celui d’analyse et d’interprétation des données (avec la tendance à utiliser le nous). Une prolifération de « je, ma, mon… » donne une impression au lecteur de « narcissisme », « nombrilisme », alors qu’une prolifération de « nous » peut donner l’impression d’un manque d’engagement.

Y a-t-il une seule méthodologie de recherche à suivre ?

L’usage courant du mot méthodologie a produit beaucoup de confusion dans son utilisation et notamment un doux mélange et même une indifférenciation entre méthode et méthodologie. L’origine du mot méthode est grecque : méthodos composé de méta et de hodos (route, voie) indique la « direction qui mène au but ». La méthode indique le chemin tracé à l’avance pour aller vers un but. Davantage de l’ordre des procédures que des processus, elle ne relève pas uniquement ou obligatoirement du programme, elle est aussi une façon de raisonner, d’appréhender une question ou un problème. Elle répond à la question du « comment faire ? », tout en l’appréhendant par rapport à un « pour quoi faire ? ». Dans quelle(s) finalité(s) ? Elle renseigne autant sur les éléments pratiques du chemin emprunté que sur les modèles théoriques de référence et le paradigme de recherche privilégié.

D’un point de vue étymologique, le terme méthodologie est réservé au discours sur la méthode, sur le chemin choisi : du grec logia « théorie » et logos « discours ». Davantage du domaine des processus, la méthodologie tente d’expliciter, de justifier, de communiquer les choix, les orientations, la démarche anticipée et entreprise tout au long du chemin, la ou les postures des auteurs ou coauteurs de l’action concernée par la méthode. Elle favorise le travail de distanciation de la personne qui agit. L’analyse méthodologique est référencée théoriquement. Elle met à l’étude l’implication de l’auteur de l’action : en ce sens elle ne peut être que singulière puisque travaillant à la singularité du sujet qui a emprunté le ou les chemins, la méthode de son choix pour conduire une action. Le discours produit est singulier. En revanche, on parlera davantage de méthodologies au pluriel puisque on peut rencontrer autant d’analyses méthodologiques différentes que d’individus.

Le métier du soin ne peut à mon avis se concevoir de façon simple car la situation de santé des personnes que nous soignons est rarement simple. Elle relève non pas uniquement du compliqué, mais du complexe, c’est à dire d’éléments que l’on ne peut forcément dissocier. En ce sens la construction des problématiques en soins infirmiers peuvent difficilement se concevoir autrement que dans la complexité sauf à travailler un réductionnisme dont il faudra se méfier des résultats.

La recherche en soins infirmiers ne peut donc se réduire à une seule science quelle qu’elle soit et donc à une seule méthode de recherche, comme seule voie et chemin possible énoncé comme vrai. Dans l’hypothèse contraire, elle prend le risque se s’enfermer dans un réductionnisme qui ne valoriserait et ne rendrait compte que de la partie simplifiée du vivant, d’éléments découpés, sortis de la complexité du contexte dans lequel ils évoluent, de la complexité de leur système et des interactions qui les concernent. Elle ne rendrait compte que d’un type de regard simpliste porté sur la situation de soin. L’évolution de la science et le débat épistémologique ont permis de dépasser le caractère absolu, d’une vérité scientifique par rapport à deux grandes traditions scientifiques (positivisme et herméneutique) et d’une méthode unique pour valider les faits sociaux. Quelle que soit la méthode empruntée, aucune recherche ne peut saisir le phénomène étudié dans sa totalité, encore moins en sciences de la santé où l’éthique ne permet pas de réduire le sujet à l’état d’objet aux contours nettement délimités. L’avancement de notre réflexion nous convie à dire aujourd’hui que les limites épistémologiques des différentes méthodes ne peuvent pas se réduire dans une combinaison, ni une juxtaposition. Si chaque méthode de recherche est restrictive, pour l’étude d’un phénomène en soins et santé, elle en propose une approche particulière.

Propos recueillis par Maud Thévenin, Éditions Lamarre.

Pour en savoir plus sur « Le travail de fin d’études 3e édition »

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