Monique Rothan-Tondeur, une infirmière dédiée à la recherche - Objectif Soins & Management n° 271 du 01/10/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 271 du 01/10/2019

 

Actualités

Claire Pourprix  

PORTRAIT

Cadre supérieur de santé titulaire d'un doctorat (PhD) en santé publique et d'une habilitation à diriger des recherches (HDR), Monique Rothan-Tondeur dirige la Chaire Recherche sciences infirmières AP-HP – Paris 13, hébergée par le Laboratoire Education et Pratiques en Santé (LEPS). Rencontre avec une passionnée de recherche qui cultive l'art de la transmission.

« Je ne me suis pas assise un jour en disant je ferai de la recherche. Les choses se sont faites naturellement, ou plutôt grâce aux médecins que j'ai rencontrés. » Monique Rothan-Tondeur, le sourire dans la voix, retrace son parcours. Un cursus pour le moins original. « Lorsque j'ai débuté comme infirmière, en 1977, j'ai eu la chance d'occuper un poste de faisant fonction de panseuse instrumentiste en neurochirurgie à l'hôpital Lariboisière à Paris, un service spécial et passionnant. Je me suis alors sentie attirée par le nouveau métier d'hygiéniste. Comme pour le pratiquer il fallait être cadre, je suis devenue cadre et enseignante, jusqu'à ce que je trouve un poste d'hygiéniste. »

De 1987 à 2002, elle exerce comme cadre hygiéniste à l'hôpital Jean Rostand de l'AP-HP puis au groupe hospitalier Charles Foix-Jean Rostand. Un domaine d'activité « épatant » qui la conduit à participer à des conseils scientifiques et administratifs de sociétés savantes, aux côtés de grands noms de l'hygiène hospitalière en France et en Europe tels que Michel Bientz, Jean-Jacques Haxhes, ou encore Michèle Zumofen. « Des opportunités rêvées, qui m'ont permis de beaucoup apprendre », confie-t-elle.

Risque infectieux en gériatrie

Poussée par ses collègues, Monique Rothan-Tondeur effectue en 1988 un diplôme universitaire AEA Management du risque infectieux (actuellement DIU), à la faculté Xavier Bichat. « Ce DU, axé sur le versant épidémiologique, m'a beaucoup plu. Je me suis découvert une appétence pour les chiffres, les statistiques, explique-t-elle. De plus, cela m'a apporté un nouveau point de vue : non plus la vision individuelle du patient, mais celle populationnelle ou d'un groupe de patients. » Bien qu'au départ elle aurait préféré s'orienter sur la cardiologie ou la rééducation, c'est en gériatrie qu'elle va mettre en pratique ses nouvelles connaissances en matière de risque infectieux, au sein de l'hôpital Charles Foix qui lui propose un poste. « A l'époque, cela n'allait pas de soi : les gériatres n'avaient pas spécialement envie d'avoir un comité de lutte contre les infections nosocomiales au sein de leur établissement, d'autant que ce n'était pas obligatoire. » Pourtant, l'infirmière trublion trouve rapidement sa place au sein de l'équipe. « Nous avons vécu des moments passionnants et de là est née l'idée d'étendre la lutte contre le risque infectieux au niveau de l'hôpital et dans d'autres hôpitaux, pour faire du multicentrique. Je ne savais même pas ce que ça voulait dire à l'époque ! »

Embarquée dans cette aventure, Monique Rothan-Tondeur reprend ses études pour décrocher un DEA de Santé publique épidémiologie systèmes d'information, en 1998, puis entreprend un doctorat de Sciences : Santé publique « Système de soins hospitaliers », à l'Université Paris 7.

« Finalement, j'ai découvert la recherche en avançant. Mes pairs n'étaient pas forcément aidants car aussi ignorants que moi sur le sujet, mais mes directeurs m'ont toujours soutenue. » Et c'est ainsi qu'elle a mené de front un travail à temps plein, l'arrivée d'un enfant et sa thèse !

Amélioration des pratiques

A l'issue de ses années de doctorat, en 2001, Monique Rothan-Tondeur fonde et coordonne l'Observatoire du risque infectieux en gériatrie, accueilli au sein de l'Unité de Recherche Charles Foix AP-HP – Inserm U707.

En 2009, elle ouvre la toute nouvelle Chaire Recherche infirmière AP-HP – EHESP, dont elle est titulaire et responsable. En 2013, la Chaire Recherche sciences infirmières AP-HP intègre l'Université Paris 13, où elle est hébergée par le Laboratoire Education et Pratiques en Santé (LEPS). Spécialisée sur l'amélioration des pratiques infirmières, la chercheuse a fait de nombreuses publications : une centaine d'articles, dont 48 dans des revues indexées, 7 livres, et près de 400 communications orales. Elle défend une vision élargie des sciences infirmières : « il s'agit d'une discipline propre, avec un champ de recherche propre, mais cela n'empêche pas d'aller bien au-delà des seuls actes et actions infirmiers. Pour preuve, les infirmiers écrivent dans de très nombreux domaines de santé publique et de sciences de l'éducation (l'obésité, le diabète, etc.), en apportant leur point de vue infirmier. »

Pour une meilleure reconnaissance de la recherche infirmière française

Pour la chercheuse, les choses vont dans le bon sens : « la recherche en sciences infirmières a bien plus évolué au cours des 15 dernières années qu'au cours des 100 années qui ont précédé ! Il y a encore beaucoup à faire, certes, mais l'évolution doit être reconnue. » Reste un point à améliorer : la publication dans des revues indexées, encore trop timide pour que la recherche infirmière française soit reconnue sur le plan international.

Monique Rothan-Tondeur reconnaît d'ailleurs être très exigeante dans la sélection des candidats doctorants, et exige au moins deux articles acceptés en publication indexée en trois ans : « je ne veux pas qu'on puisse dire qu'il s'agit d'une thèse de complaisance. C'est la condition pour que les infirmières soient reconnues comme des scientifiques à part entière. »

Une chaire à utilité sociale

La chaire de Recherche en sciences infirmières vise à promouvoir la réflexion (épistémologique voire sociologique) sur la recherche infirmière, son contexte, son utilité, tout en valorisant des études utiles à court et moyen termes pour les populations et les patients. Elle veille donc à ce que les résultats produits soient innovants et utilisables par les professionnels de santé et les patients.

Elle compte 16 programmes de recherche en cours. Toutes les études doivent porter sur les champs de la prévention, de l'empowerment ou du management, en étant orientées sur la transculturalité, la collaboration et la technologie.

« Les programmes ont tous une utilité sociale », souligne Monique Rothan-Tondeur. A titre d'exemple, un programme porte sur l'amélioration de l'observance au traitement antirétroviral en milieu rural de la République Démocratique du Congo, à travers une approche multimodale transculturelle en sciences infirmières impliquant le patient partenaire à travers le théâtre traditionnel. Un autre s'intéresse au rôle infirmier en Ehpad dans la transmission des informations au médecin de ville pour limiter la prescription inappropriée d'antibiotiques aux personnes âgées. Et un troisième est dédié à la perception des patients dans le cadre de la chirurgie ambulatoire.

Des domaines très larges car la chaire étant la seule dans le domaine des sciences infirmières, elle ne saurait être trop spécialisée,mais qui tous rentrent dans le cadre de l'éducation et de l'amélioration des pratiques en santé.