Jurisprudences récentes à propos de situations professionnelles - Objectif Soins & Management n° 271 du 01/10/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 271 du 01/10/2019

 

Droit

Gilles Devers  

Analyse de quelques décisions récentes de jurisprudence : agression d'un patient par un autre, sanction disciplinaire d'une aide-soignante, information préalable et charge de la preuve, faute de diagnostic (ischémie du pied - hernie discale), prise en charge d'une hypertrophie mammaire, surveillance d'un patient en chambre d'isolement (1).

Agression d'un patient par un autre

Dans un service de médecine générale, l'agression d'un patient par un autre, qui était désorienté mais pas agressif, avec un personnel attentif et réactif, ne révèle pas une faute dans le fonctionnement du service.

Faits

Un patient atteint depuis 1999 d'une maladie neuro-dégénérative a été hospitalisé le 3 octobre 2012, à l'âge de 63 ans, dans un CHU en raison d'une suspicion de coliques néphrétiques.

Dans la nuit du 4 au 5 octobre 2012, il a été victime d'une agression commise par un autre patient, âgé de 79 ans, occupant une chambre voisine.

Il a présenté une fracture ouverte du 5e doigt de la main gauche nécessitant une intervention chirurgicale d'ostéosynthèse qui a été réalisée le 5 octobre 2012. Le 8 octobre suivant, il a pu regagner son domicile.

Analyse

Le patient ayant agressé la victime le 4 octobre 2012 avait été admis la veille en vue de la réalisation d'un bilan organique en raison de troubles du comportement. Son agressivité à l'égard du personnel soignant avait initialement nécessité la mise en œuvre d'une contention qui a été levée, conformément aux règles de bonnes pratiques, dans la matinée du 4 octobre, en association avec un traitement pharmacologique.

Ce patient n'a ensuite présenté aucun signe d'agitation particulier jusqu'en début de nuit. Hospitalisé dans une chambre contiguë à celle de la victime, il a été retrouvé dans la chambre de ce dernier vers 23 h et a été raccompagné à son lit par les aides-soignants.

Il y est cependant retourné peu de temps après et a agressé à cette occasion la victime.

La circonstance que ce patient n'ait pas fait à nouveau l'objet d'une mesure de coercition, notamment de contention, ni même d'une mesure de surveillance constante dès son premier retour dans sa chambre, ne peut constituer une faute alors que son état ne pouvait laisser suspecter un risque d'agression à l'égard d'un autre malade au sein d'un service d'hospitalisation de courte durée non spécialisé.

Cour administrative d'appel de Bordeaux, 25 juin 2019, no 17BX02338.

Exclusion définitive d'un Ifsi suite à l'interruption d'un stage

L'interruption d'un stage, avec une situation de risques pour les patients, dans le cadre d'études non convaincantes, justifie une exclusion définitive de l'Ifsi.

Faits

Une jeune femme avait intégré un Ifsi au mois de février 2012, en vue de la préparation du diplôme d'État d'infirmier. Par une décision du 5 novembre 2015, la directrice de l'Ifsi a prononcé son exclusion définitive.

En droit

Selon les articles 10 et 11 de l'arrêté du 21 avril 2007, le conseil pédagogique est consulté pour avis sur les situations individuelles d'étudiants ayant accompli des actes incompatibles avec la sécurité des personnes prises en charge.

Analyse

Le stage effectué dans le service d'hépato-gastro-entérologie d'un centre hospitalier avait été interrompu le 22 juin 2015, alors qu'il devait s'achever le 5 juillet 2015, en raison de l'insuffisance professionnelle de l'étudiante. Cette situation doit être analysée comme une suspension de stage, au sens de l'article 11 de l'arrêté du 21 avril 2007.

La décision visait l'existence de difficultés de la part de l'étudiante à comprendre et à analyser les situations réalisées, à mobiliser des connaissances théoriques, à mettre en œuvre une surveillance d'un patient en lien avec la pathologie concernée, mais également une incapacité de la part de l'intéressée à appliquer un protocole en lien avec des thérapeutiques et une non-maîtrise des techniques de perfusions. Ces difficultés et insuffisances reprochées dans sa pratique professionnelle étaient attestées par les rapports établis lors de ses différents stages.

Ainsi, certains des rapports mettaient en avant la bonne volonté de l'étudiante et ses qualités relationnelles, ou notaient une amélioration, mais tous soulignaient des lacunes dans la pratique et dans les connaissances de l'étudiante. Notamment, le rapport du stage qu'elle avait effectué du 22 avril au 29 juin 2014 précisait qu'« il serait souhaitable que l'étudiante approfondisse encore un peu ses connaissances théoriques pour les adapter à sa pratique quotidienne ». De plus, l'étudiante n'avait pas validé le stage réalisé du 1er septembre au 7 novembre 2014 dans un service de chirurgie générale et cardiovasculaire, lors duquel des manquements précis et circonstanciés lui avaient été reprochés.

Des progrès avaient été constatés lors du stage qu'elle avait réalisé en décembre 2014 et janvier 2015 en bloc opératoire, mais il était indiqué, dans les appréciations établies à l'issue de ce stage, que les prestations de l'intéressée ne correspondaient pas aux exigences attendues à ce stade de la formation.

Par ailleurs, elle n'avait pas davantage donné satisfaction lors de son stage « de rattrapage » réalisé dans un service d'hépato-gastro-entérologie et lors duquel lui avaient notamment été reprochées une méconnaissance des pathologies communes du service, des erreurs dans la préparation des injections ou des perfusions ainsi qu'une mauvaise maîtrise du protocole de désinfection des mains. Ces manquements étaient corroborés par plusieurs personnes du service qui avaient signé ce dernier rapport.

L'étudiante contestait ces faits et invoquait des insuffisances d'encadrement au cours de ses différents stages et une différence de traitement dont elle aurait fait l'objet en raison de ses fonctions antérieures d'aide-soignante. Toutefois, elle ne produisait qu'une seule attestation, établie par une infirmière exerçant dans un des services au sein desquels elle avait effectué un stage. Alors que les appréciations sur son comportement et ses aptitudes professionnelles émanaient de plusieurs professionnels exerçant dans des services différents, les faits qui fondent la décision litigieuse pouvaient être regardés comme matériellement établis. En outre, eu égard à la nature de ces faits, qui étaient incompatibles avec la sécurité des personnes soignées, et à leur répétition, mais également aux résultats obtenus dans ses évaluations théoriques, la directrice de l'Ifsi était fondée à décider d'exclure définitivement l'étudiante de la formation.

Dans de telles affaires, tout se joue sur la qualité et la précision des documents établis par le responsable du stage.

Cour administrative d'appel de Nancy, 14 mai 2019, no 17NC01006.

Sanction disciplinaire d'une aide-soignante

Le non-respect par une aide-soignante des consignes ainsi que des actes manquant d'attention constituent des fautes disciplinaires, mais la sanction doit être proportionnée à ces faits et tenir compte du comportement professionnel général.

Faits

Une aide-soignante a été recrutée en 2004 par un établissement public et promue en 2010 comme aide-soignante titulaire. Elle était affectée dans un service prenant en charge des personnes âgées. À la suite de plaintes formulées par certaines de ses collègues, elle a été suspendue de ses fonctions le 19 novembre 2015. Le directeur d'établissement, par décision du 1er février 2016, suivant l'avis unanime du conseil de discipline réuni le 29 janvier 2016, l'a sanctionnée d'une exclusion temporaire de fonction d'une durée de douze mois.

Pour prendre la sanction contestée, le directeur a retenu trois griefs, à savoir le non-respect des consignes de soins relatives à la prise en charge de la douleur, des refus de soins et des fausses déclarations lors de la traçabilité des températures des repas.

Analyse

La matérialité

La matérialité des fautes reprochées était prouvée par les pièces du dossier. En 2015, l'aide-soignante avait notamment omis à plusieurs reprises de réaliser certains soins, en particulier des soins de bouche, auprès des patients dont elle avait la charge, et de contrôler la température de leurs repas. Elle avait également, le week-end des 24 et 25 octobre 2015, assuré à deux reprises la toilette d'un patient sans attendre qu'une infirmière lui administre le médicament antalgique qui lui était prescrit, alors même que cette consigne lui avait été rappelée. Ce même week-end, avant de réaliser la toilette d'une patiente en fin de vie, elle s'était abstenue de lui administrer un suppositoire de Doliprane, comme elle en avait pourtant l'obligation. Ces manquements constituent des fautes qui justifient une sanction disciplinaire.

La sanction

Alors que les fautes étaient survenues en 2015, au moins pour les plus graves d'entre elles, l'aide-soignante n'avait jamais été sanctionnée depuis son recrutement en 2004, et sa manière de servir avait fait l'objet d'appréciations positives de la part de ses supérieurs, y compris d'ailleurs dans son évaluation pour l'année 2015, intervenue quelques jours avant le week-end des 24 et 25 octobre 2015.

Les faits reprochés étaient limités et ne révélaient pas, ainsi que l'a d'ailleurs reconnu l'infirmière de service dans un témoignage recueilli le 9 décembre 2015, une volonté de nuire à ses patients, mais plutôt une confiance excessive, voire infondée, dans sa capacité à juger de l'état de souffrance de ceux-ci. En outre, ces actes n'avaient pas mis en danger la santé de ses patients.

Dans ces conditions, la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de douze mois sans sursis n'était pas proportionnée.

Cour administrative d'appel de Nantes, 21 juin 2019, No 17NT02247.

Information préalable et charge de la preuve

S'agissant de l'information préalable aux soins, la signature d'un document par le patient n'est ni nécessaire ni suffisante, mais les praticiens doivent établir qu'un entretien préalable a eu lieu, mettant le patient à même de donner en connaissance de cause un consentement éclairé.

En droit

Selon l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique (CSP), « toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel ».

La production d'un document écrit signé par le patient n'est ni nécessaire ni suffisante pour que puisse être considérée comme rapportée la preuve, qui incombe aux professionnels de santé, de la délivrance de l'information. Il leur appartient d'établir qu'un entretien, préalable nécessaire à la délivrance d'une information conforme à ces dispositions, a bien eu lieu et de démontrer par tout moyen que le destinataire de l'information a été mis à même de donner en connaissance de cause un consentement éclairé à l'acte de soins auquel il s'est ainsi volontairement soumis.

Analyse

Après un amaigrissement majeur à la suite d'une chirurgie bariatrique intervenue le 4 janvier 2012, une dermolipectomie abdominale a été pratiquée sur la patiente le 31 juillet 2013 dans un CHU. Selon l'expert qui a examiné le dossier et entendu les parties, une information satisfaisante avait été donnée à la patiente lors du rendez-vous du 13 juin 2013. Cet entretien était certes une visite de contrôle de gastroplastie pratiquée l'année précédente par le même chirurgien, mais la plastie abdominale, qui est la suite logique d'une chirurgie bariatrique, avait été évoquée par le chirurgien. Par ailleurs, la patiente avait signé le document de consentement à l'issue d'un délai de réflexion de plus d'un mois, lors de son admission dans le service la veille de l'opération.

Dans ces conditions, le défaut d'information n'est pas établi.

Cour administrative d'appel de Marseille, 11 juillet 2019, no 18MA04661.

Faute de diagnostic (ischémie du pied)

L'absence d'examen vasculaire, alors qu'une ischémie au pied gauche était notée chez un polytraumatisé, est une faute de diagnostic à l'origine de l'amputation du pied.

Faits

Un patient âgé de 20 ans a été victime d'un grave accident le 28 décembre 2007, alors qu'il circulait en voiture. Pris en charge par le service des urgences d'un centre hospitalier, il présentait de multiples traumatismes du crâne, de la face, du bassin et des membres inférieurs. Il a subi plusieurs interventions chirurgicales afin notamment de réduire la fracture ouverte des os du nez, d'assurer l'enclouage des fémurs et de réaliser une aponévrotomie rendue nécessaire par le syndrome des loges musculaires de la jambe gauche.

Son pied gauche présentant un état trophique préoccupant, il a été transféré le 7 janvier 2008 dans le service spécialisé d'un CHU, où une ischémie de ce membre inférieur a été diagnostiquée. Les soins apportés n'ont pas permis d'éviter une amputation transmétatarsienne de l'avant-pied gauche le 25 février 2008, puis l'amputation de la totalité du pied le 27 avril 2011.

Analyse

L'ischémie au pied gauche était notée lors de son admission le 28 décembre 2007, mais aucun examen vasculaire n'avait été réalisé, ce qui a conduit à une dégradation progressive de ce membre inférieur. Ce retard constitue donc une faute de diagnostic. Les soins apportés n'ont pas permis d'éviter l'amputation du pied gauche. Le retard imputable à la prise en charge de l'ischémie présente un caractère fautif et se trouve de façon directe et certaine à l'origine de l'amputation de son pied gauche.

Cour administrative d'appel de Nancy, 23 juillet 2019, no 17NC02737.

Faute de diagnostic (hernie discale)

Le fait de ne pas avoir pratiqué l'examen d'imagerie qui aurait permis d'éviter un diagnostic défavorable est une faute engageant la responsabilité.

Faits

Souffrant de lumbagos et de sciatalgies chroniques, une patiente a présenté, le 28 février 2012, une lombosciatalgie bilatérale sévère pour laquelle elle avait été prise en charge par un centre hospitalier du 4 au 13 mars 2012. Elle avait de nouveau été hospitalisée au sein de cet établissement le 11 avril 2012 après avoir subi une perte brutale des urines et des selles à son domicile. Un syndrome dit « de la queue de cheval » a été diagnostiqué, justifiant le transfert dans un CHU où elle a été opérée en urgence le 12 avril 2012 d'une hernie discale L5-S1. Depuis cette intervention, elle présente des troubles sphinctériens et sexuels, ainsi que des douleurs au niveau des lombaires et des membres inférieurs.

Analyse

La patiente souffrait d'une hernie discale diagnostiquée en 2011. Malgré l'évolution défavorable de cette pathologie, révélée par la survenue de nombreux lumbagos, elle n'a fait l'objet d'aucun examen par voie d'IRM lors de sa prise en charge hospitalière du 4 au 13 mars 2012. Seul un traitement antalgique lui a été prescrit, alors que ses antécédents de lombosciatique à bascule et son état hyperalgique imposaient, après confirmation par une IRM, le diagnostic d'une aggravation de sa hernie discale L5-S1. Ce diagnostic aurait permis une intervention avant que n'apparaisse le syndrome de la queue de cheval. Ce syndrome est à l'origine des troubles sphinctériens et génitaux présentés par l'intéressée, à l'exclusion des douleurs résiduelles affectant les lombaires et les membres inférieurs imputables à son seul état initial. Une telle faute de diagnostic engage la responsabilité de l'établissement.

Cour administrative d'appel de Nancy, 23 juillet 2019, no 17NC02703.

Prise en charge d'une hypertrophie mammaire

Faits

Une patiente, née en 1947, souffrant de douleurs dorsales liées à une hypertrophie mammaire, a subi, le 21 mars 2011, une plastie mammaire de réduction. En raison d'une nécrose du sein droit, elle a été suivie plusieurs mois et a dû subir deux nouvelles interventions chirurgicales, les 16 mai 2011 et 10 janvier 2012, pour reprendre la plastie mammaire.

La patiente soutient qu'elle n'a pas été informée des risques de nécrose tissulaire inhérents à la technique de réduction mammaire retenue ainsi que de leur gravité et qu'ainsi, elle n'a pas été en mesure de consentir en connaissance de cause à l'intervention chirurgicale.

Analyse

Information préalable

La patiente a bénéficié de deux entretiens avec le chirurgien avant l'opération et a été revue par celui-ci la veille de l'intervention chirurgicale. Elle a signé le 25 février 2011, soit trois semaines avant l'opération, un formulaire de consentement éclairé dans lequel il est mentionné qu'elle reconnaît avoir reçu une fiche explicative concernant l'intervention. En réalité, la patiente n'a sans doute pas bien compris les explications qui lui ont été fournies, mais le nécessaire avait été fait.

Technique opératoire

La patiente soutient que le praticien a commis une faute en privilégiant une réduction mammaire par la technique monopédiculée à pédicule supérieur qui, eu égard à son surpoids, son âge et son hypertrophie mammaire, présentait des risques, plutôt que la technique d'amputation greffe de type Thorek.

Selon l'expert, la technique retenue présentait, au regard de la situation de la requérante, un risque vasculaire plus important que la technique d'amputation greffe qui, elle, assure une parfaite sécurité vasculaire, mais cette dernière est réservée aux hypertrophies et ptoses majeures où le risque vasculaire d'une technique pédiculée est considéré comme trop important. Aussi, il n'est pas prouvé de faute dans le choix de la technique opératoire.

Surveillance

La nécrose des tissus du sein droit n'a été constatée que sept jours après l'opération, mais selon l'expertise, ce délai pour découvrir cette complication post-opératoire n'a pas été tardif. La patiente n'avait fait état d'aucune souffrance de la plaque aréolo-mamelonnaire durant son hospitalisation, et le chirurgien, qui l'a régulièrement suivie, n'a relevé aucun hématome ou signe clinique défavorable.

Cour administrative d'appel de Nancy, 25 juin 2019, no 17NC01484.

Surveillance d'un patient en chambre d'isolement (1)

Le suicide d'un patient en chambre d'isolement, par étouffement, ne laisse pas apparaitre de faute, analysée à travers la relation, la surveillance et la fouille.

Faits

Un patient né le 25 juin 1954, souffrant de troubles psychiatriques ayant nécessité plusieurs hospitalisations en service de psychiatrie depuis 1981, a été hospitalisé dans un CHS à la demande d'un tiers le 4 octobre 2012 après avoir fugué de son domicile.

Par ordonnance du 16 octobre 2012, le juge des libertés et de la détention a ordonné le maintien de soins sous contrainte en hospitalisation complète.

Il avait, du fait d'un comportement agressif, été placé en chambre d'isolement depuis le 7 novembre 2012.

Le patient a été retrouvé sans vie, la bouche remplie de papier hygiénique, le 16 novembre 2012, aux environs de 4 h 45.

Analyse

Doléances et des craintes exprimées par le patient

Avant son suicide le 16 novembre 2012, le patient n'avait jamais effectué de tentative de suicide. S'il avait pu se montrer violent à l'encontre des tiers dans le cadre de délire de la persécution, il ne s'était jamais montré violent envers lui-même. Son hospitalisation sans son consentement à compter du 4 octobre 2012 n'était pas liée à un risque d'autolyse mais par la volonté de l'astreindre à suivre un traitement médicamenteux. Au cours de cette hospitalisation, le patient avait pris régulièrement ses traitements, lesquels ont été adaptés à sa pathologie via notamment une augmentation des doses de Haldol et de Loxapac. S'il avait évoqué auprès des soignants les jours précédant son suicide une angoisse très forte et la conviction qu'il allait mourir avant ses 59 ans, un tel anniversaire ne devait intervenir que dans plus de six mois, et le patient n'avait pas montré lors de telles discussions avec le personnel soignant de signes de violence envers lui-même ou de volonté de se suicider avant son anniversaire. Par suite, rien dans ses antécédents ni dans le comportement de l'intéressé ne révélait une urgence suicidaire nécessitant une surveillance constante de ce dernier.

Surveillance

Le patient ayant exprimé la crainte d'être tué par deux autres patients, il avait été à cette occasion placé en chambre d'isolement et bénéficiait ainsi, du fait d'un tel placement en chambre d'isolement, d'un protocole de surveillance spécifique sous forme de ronde de surveillance par les infirmiers toutes les heures.

Le 15 novembre 2012, les infirmiers ont décrit à 21 h le patient comme très délirant, mais calme, se couchant et s'endormant vers 22 h. Les feuilles de surveillance et les transmissions ciblées confirment la réalisation de telles rondes chaque heure pendant toute la nuit, soit directement dans la chambre, soit via un contrôle par l'oculus de celle-ci, et ce jusqu'à la découverte de son suicide. Ainsi, cette surveillance, régulière et attentive, était adaptée à son état de santé.

Fouille

Une fouille avait eu lieu deux jours auparavant et avait permis de retrouver une brosse à dent cachée sous le matelas par le patient. Alors qu'aucun signe d'urgence suicidaire n'était visible, l'équipe soignante n'avait pas à procéder à une fouille de la chambre d'isolement la veille du suicide ou au cours de la nuit pour vérifier si des feuilles de papier hygiénique n'auraient pas été dissimulées par ce dernier.

Cour administrative d'appel de Lyon, 4 juillet 2019, no 17LY02427.

Surveillance d'un patient en chambre d'isolement (2)

Le suicide d'un patient en chambre d'isolement (étouffement avec le matelas) n'engage la responsabilité qu'en cas de faute dans le choix du matériel utilisé, le diagnostic ou la surveillance.

Faits

Un patient, né en 1982 et qui souffrait depuis son enfance de troubles psychotiques graves de la personnalité avec épisodes délirants, avait été admis le 4 septembre 2005 dans un CHS sous le régime de l'hospitalisation à la demande d'un tiers. Il est décédé le 11 décembre 2005 par asphyxie dans la housse de matelas plastifiée de son lit, à l'intérieur de la chambre d'isolement de cet établissement public de santé qu'il occupait.

Analyse

Le matelas utilisé

Aucune disposition législative ou réglementaire ne prescrivait, à la date des faits, l'utilisation dans les chambres d'isolement des services de psychiatrie de matelas sécurisés comprenant une housse thermosoudée au matelas et dépourvue de fermeture Éclair. À la même date, aucun document interne, ni le protocole dit « de procédure d'utilisation des chambres d'isolement » de l'établissement établi le 30 mai 2005 ni le « document de référence pour les agents de nuit » de ce même établissement, ne comportait cette prescription.

La pratique était d'équiper les chambres d'isolement de tels matelas dans le but d'empêcher les patients d'accéder à la mousse des matelas et de prévenir les risques d'incendie.

Dans ces conditions, l'absence d'un matelas sécurisé sans fermeture Éclair dans la chambre d'isolement et la présence d'une housse de matelas plastifiée avec fermeture Éclair dans laquelle il s'est enfermé et étouffé, ne constituent pas un manquement à une obligation préexistante et n'ont, dès lors, pas le caractère d'une faute de nature à engager la responsabilité.

Diagnostic

Le patient avait été admis le 4 septembre 2005 sous le régime de l'hospitalisation à la demande d'un tiers, son père, à la suite d'un comportement agressif au domicile familial à l'égard de ses frères et sœurs et pour des coups portés dans les murs. La persistance d'un risque hétéro-agressif dans le service avait justifié son placement en chambre d'isolement avec entrée dans la chambre, soins et délivrance des repas effectués par au moins deux soignants de sexe masculin.

Mais le patient n'avait pas présenté de comportement auto-agressif avant son décès. Ni les antécédents du patient ni son comportement depuis son hospitalisation le 4 septembre 2005, et plus particulièrement dans les heures qui ont précédé son décès, ne révélaient une situation d'urgence suicidaire.

Surveillance

Les mesures de surveillance prescrites pour la nuit, consistant en une surveillance au moins toutes les deux heures à travers le hublot de la porte de sa chambre d'isolement en allumant la lumière dans la chambre, étaient adaptées et avaient été respectées durant la nuit du 10 au 11 septembre 2005. Par suite, l'absence de mesures de surveillance du patient plus importantes ne constitue pas une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service.

Cour administrative d'appel de Lyon, 13 juin 2019, no 18LY00282.

Changement d'affectation et procédure disciplinaire pour un infirmier

Un changement d'affectation, pris dans le cadre de l'organisation du service, et même s'il inclut la réponse à un comportement personnel, est une mesure d'ordre intérieur, non susceptible de recours. En revanche, un manque de compétence et d'attention est une faute disciplinaire.

Faits

Un infirmier, titulaire depuis 1994 au sein d'un établissement public médico-social, exerçait ses fonctions au sein d'un foyer d'accueil médicalisé.

En février 2013, à la suite d'un incident survenu avec une patiente atteinte d'épilepsie, il s'était vu infliger un avertissement. Il avait ensuite été affecté dans un autre service, à compter du 1er juin 2013.

Puis, par un conseil de discipline du 20 mai 2014, il avait été sanctionné d'une mise à la retraite d'office par une décision du 20 mai 2014.

Le changement de service

En droit

Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent des mesures d'ordre intérieur, insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination ou qu'elles revêtent le caractère d'une sanction disciplinaire, est irrecevable.

Analyse

L'infirmier avait été transféré du foyer d'accueil médicalisé où il était affecté vers une autre unité de l'établissement. Ses tâches avaient évolué en raison de cette mutation, dès lors qu'elles n'étaient plus d'ordre psychiatrique, mais ses nouvelles missions relevaient des fonctions dévolues aux infirmiers. Les deux emplois concernés correspondaient au même grade, au même positionnement hiérarchique et donnaient lieu à la même rémunération, et les responsabilités étaient restées du même ordre.

Le changement d'affectation était, également, motivé par la volonté de faire aborder à l'intéressé des fonctions nouvelles et celle de pourvoir à un poste devenu vacant dans l'unité d'accueil. Cette décision d'affectation n'avait donc pas porté atteinte aux droits et prérogatives statutaires de l'infirmier.

Certes, le changement d'affectation avait été pris pour des motifs tenant au comportement, mais il restait une mesure d'ordre intérieur, ne faisant pas grief et ne pouvant être contesté en justice.

La sanction disciplinaire

En droit

Selon l'article 29 du statut général (loi du 13 juillet 1983), toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire.

Analyse

Il était reproché à l'infirmier d'avoir démontré pendant la dernière période une réelle insuffisance professionnelle ainsi qu'un manque de rigueur dans l'accomplissement de ses tâches au quotidien. La liste était sérieuse : prélèvement de sang insuffisant dans un tube ensuite complété à nouveau, carences graves dans les transmissions écrites et orales, défaut de communication d'informations essentielles concernant l'état de santé des résidents et le fonctionnement du service, manque de réactivité dans l'exécution des prescriptions des médicaments, erreurs récurrentes médicamenteuses, oublis ayant des conséquences sur le bien-être des résidents, fautes d'asepsie, notamment concernant le soin à un résident porteur du VIH, difficultés à retenir l'identité des résidents...

L'infirmier soutenait que la sanction était fondée sur des faits non avérés ou sur des faits dont il convenait de réduire les effets et la portée, en raison notamment de la responsabilité pesant sur certains de ses collègues de travail. Toutefois, l'établissement versait au dossier un rapport rédigé par l'équipe des infirmiers qui faisait état, de façon précise et circonstanciée, des manquements répétés commis par leur collègue en matière de transmissions et de communication d'informations de nature médicale, d'une méconnaissance des règles en matière d'asepsie après l'emploi d'un ustensile utilisé sur un patient atteint du VIH ou encore de la manipulation inappropriée d'un échantillon comportant du sang prélevé sur un patient. L'examen des cahiers de transmission confirmait l'existence de ces manquements.

L'infirmier reconnaissait certains de ces manquements, mais il les attribuait à un défaut de formation lors de son changement de service en mars 2013. Toutefois cet agent, qui bénéficiait d'une ancienneté de plus de 20 ans, avait effectué deux stages de formation à la pratique des soins infirmiers sur les derniers temps, et malgré l'accompagnement par un collègue, il avait commis d'autres erreurs. Ainsi, ces omissions et les négligences répétées étaient de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire.

Eu égard à la gravité des faits reprochés, susceptibles de perturber le bon fonctionnement du service et de mettre en danger des patients particulièrement vulnérables, et en l'absence de remise en cause par l'infirmier des modalités de son exercice professionnel, la sanction de la mise à la retraite d'office était proportionnée à la gravité de ces fautes.

Cour administrative d'appel de Nantes, 12 avril 2019, no 17NT02009.

(1) Pour chaque affaire est indiqué le numéro de rôle (ex. : no 428080 pour la première affaire), ce qui permet de retrouver le texte complet de la décision sur Légifrance.

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