Gestion des crises humaines au travail : solliciter une aide extérieure - Objectif Soins & Management n° HS_2020 du 01/03/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° HS_2020 du 01/03/2020

 

Qualité & Gestion des Risques

Dossier

Jean-Marc Ségui  

Pour désamorcer certaines crises humaines à l'hôpital, il peut être intéressant de faire appel à un prestataire extérieur, neutre et objectif, pour réussir à inverser la situation. Jean-Marc Segui est co-gérant du cabinet Umanove et expert en médiation RH et amélioration des relations interpersonnelles. Grâce à l'aide d'une équipe de consultants coachs et de psychologues qui interviennent dans les établissements hospitaliers et médico-sociaux, il accompagne les situations qui peuvent aller d'une simple tension à une crise humaine (conflits, burn-out harcèlement, etc.).

La santé est un domaine touché par les problématiques relationnelles fortes : les tensions voire les situations de mal-être aboutissant parfois au pire comme le suicide des professionnels y sont fréquentes. C'est d'ailleurs du monde de la santé que vient le terme burn-out, qui fut employé la première fois par Herbert Freudenberger en 1974 pour décrire l'état d'épuisement des « free clinics », de jeunes bénévoles très investis dans le soin aux toxicomanes, qui finissaient par perdre toute motivation et développer des symptômes d'épuisement intense. « Cependant la problématique n'est pas spécifique du secteur, elle touche aujourd'hui tous les domaines car elle dépend essentiellement des relations entre humains. Ce qui fait la performance d'un service, c'est la qualité du travail, mais aussi la qualité de bien-être du personnel et du fonctionnement efficient d'une équipe » assure Jean-Marc Segui. « Mais bien sûr, dans le secteur hospitalier ou médico-social, les facteurs de stress liés au travail lui-même et les organisations hiérarchiques particulières ainsi qu'une culture vraiment propre à ce milieu, empreinte de croyances limitantes [cf. encadré 1] sont autant de facteurs qui entraînent des situations de conflits », poursuit le spécialiste des ressources humaines.

Prendre de la distance

Une fois que toutes les ressources internes pour régler le conflit ont été épuisées, il peut être intéressant de se tourner vers une solution alternative : « dans les situations de crise, il n'est pas rare que toutes les personnes concernées disent faire les choses au mieux dans l'intérêt du patient, et de bonne foi, mais dans les faits, les tensions, les conflits et les comportements déviants entre collaborateurs vont à l'encontre des intérêts du patient. Notre rôle est de remettre ces personnes au cœur de l'enjeu, au cœur de l'activité tournée vers le patient » résume Jean-Marc Segui.

Faire appel à un prestataire extérieur, c'est sortir des émotions, prendre une distance par rapport à l'équipe pour se recentrer sur le travail avec le patient : cela amène aussi à aider le personnel à mieux se connaître pour connaitre les besoins de chacun. Travailler avec quelqu'un n'implique pas, en effet, de « bien le connaître », ce qui parfois peut entraîner des mécompréhensions, de la mésentente parce que les choses ne sont pas dites. Le travail de désamorçage implique de prendre du temps, avec tous les membres d'une équipe soignante, pour travailler en retirant l'émotionnel et se recentrer sur le côté professionnel, dans l'intérêt du patient.

« En faisant le pari d'aborder la gestion de crise de l'extérieur, on se donne les moyens d'intervenir sans affect, sansa priori, en toute neutralité, ce qui est parfois compliqué au sein des équipes » estime Jean-Marc Segui.

Des causes variées

Ainsi, dans le domaine des établissements de soin, les regroupements de cliniques peuvent parfois conduire à des soucis organisationnels, notamment en modifiant leratio personnel/patients dans une logique comptable qui induit des changements dans le fonctionnement des équipes, qui ne sont pas forcément toujours compris. Dans le domaine public, les groupements d'établissements visant à mutualiser les moyens, dans l'optique d'une optimisation de la balance coûts/dépense amènent aussi de multiples tensions dans un milieu déjà soumis au stress : difficultés de recrutement, difficultés d'accès aux ressources... Le terreau est bien présent pour que l'étincelle mette le feu aux poudres. « Il est déjà arrivé que dans certaines situations, des soignants ne se supportent plus et la hiérarchie réorganise les plannings pour qu'ils ne se croisent pas au sein du service, une situation intenable pour le fonctionnement de l'hôpital », déplore Jean-Marc Segui, qui décrit des conflits au sein même des comités de direction, ou entre des chefs de service qui ne veulent pas se partager le personnel ou encore des soignants qui ne comprennent pas que tel service fonctionne comme ça et qu'un autre fonctionne différemment...

Dans ce cas, la frontière entre autorité et autoritarisme est parfois ténue [voir encadré 2]. Ces différences aboutissent fatalement à la naissance de tensions voire de conflits. Néanmoins, il n'existe pas vraiment de cartographie-type des conflits, mettant en scène tel ou tel membre du personnel : « mais on constate tout de même une ligne régulière de tensions entre les équipes soignantes entre elles ou avec certains médecins, Il existe aussi des dérives managériales, des directions d'établissement qui supervisent plusieurs établissements et qui outrepassent leurs attributions », reconnaît Jean-Marc Segui.

Situation de crise

Lorsqu'une situation nécessite une aide extérieure, les demandeurs ne sont pas toujours forcément les mêmes : il peut s'agir du directeur d'établissement, d'un responsable des ressources humaines ou d'un médecin du travail, parfois aussi les partenaires sociaux (ex-CHSCT), même si cette stratégie est rarement retenue par Umanove.

Un diagnostic de fonctionnement, basé sur des critères de qualité de vie au travail et de prévention des risques psychosociaux, est posé : il utilise des critères de l'INRS qui recensent à la fois les situations de travail qui exposent à un risque, les effets observables possibles et les conséquences sur la santé [voir encadré 3]. « Les premières questions qui se posent lors de l'établissement de ce diagnostic sont de savoir pourquoi des tensions existent et qui elles impliquent en interrogeant les principaux concernés : parfois, les gens ne se rendent pas compte de leurs propres actions ou comportements, que ces comportements ou attitudes ont pu être interprétés différemment de ce qu'ils ont voulu exprimer... », résume Jean-Marc Segui.

Autre facteur d'émergence de conflits ou de tension « la parole qui se libère » : ce qui était tolérable, voire acceptable à une époque ne l'est plus aujourd'hui (paroles sexistes, comportements discriminants, attitudes hiérarchiques directives etc.). Le fait de faire appel à un prestataire crée un espace de paroles, avec un psychologue, qui peut parfois mettre en lumière des griefs qui sommeillaient depuis longtemps.

Autre facteur aidant, le cadre légal : « La loi a aussi évolué [voir encadré 4] : les encadrants sont beaucoup plus sensibilisés à ces problématiques de burn-out, harcèlement, risques psychosociaux, ils sont formés et tentent de mettre en place des solutions pour pallier certains problèmes. Néanmoins, il peut arriver qu'un déficit managérial induise une tension au sein des équipes, mais le fait d'avoir cadré les contours des risques psycho-sociaux rend les choses moins tolérables et permet aux personnes d'avoir les clés pour avancer », poursuit Jean-Marc Segui.

Diagnostic et solutions

La première phase, celle du diagnostic, se fonde sur des interviews en face à face avec les membres du personnel, individuellement ou à l'aide d'un questionnaire, néanmoins moins efficace, la parole étant toujours plus complète. Cette étape permet de dresser un état des lieux le plus objectif possible et d'identifier les nœuds de tension, de dysfonctionnement, de « refaire raconter l'histoire ». « On se rend compte que parfois, certaines situations prennent une mauvaise tournure pour des problèmes relativement bénins, par exemple des téléphones qui ne fonctionnent plus ou mal dans un service de soin pendant des mois, des plannings mal organisés ou une réunion entre les équipes de nuit ou celles de jour qui a été supprimée et qui perturbe la liaison entre les agents », reconnaît Jean-Marc Segui. Lors de cette étape, on identifie ce qui se joue chez les différentes parties ou personnes, quel besoin n'a pas été satisfait ou mal satisfait. On récolte aussi les propositions que les uns et les autres peuvent avoir : l'idée est de ne pas apporter une solution toute faite, qui pourrait d'ailleurs ne pas être applicable, mais d'être à l'écoute et récolter les propositions d'amélioration.

A partir de là, un plan d'action est mis en œuvre, avec des actions d'organisation, des actions de médiation, de coaching et de formation, avec un calendrier de priorités. « Pour ne pas que cela soit vécu comme une contrainte, on veille à faire de ces changements un nouveau projet d'équipe, en s'appuyant sur ce qui fonctionne déjà dans le service, pour ne pas partir sur de mauvaises bases, poursuit Jean-Marc Segui. Nous mettons en place des sessions de co-développement : c'est une méthode de restitution de problématique qui se sert de l'intelligence d'un groupe pour aider les personnes à trouver les solutions, avec écoute, bienveillance, questionnement ». La clé est la cohésion et la coopération d'équipe : à cet égard, plusieurs méthodes peuvent être utilisées comme celle dite de « l'élément humain » du Pr Schutz [voir encadré 5] quipermet de bien appréhender les affinités de chacun, d'apprendre à se connaître, pour mieux se comprendre, ou encore celle de la « Process Communication » permettant à une équipe de connaître les modes de communication et les signes de stress de ses collègues de travail.

Sortie de crise

Le travail s'arrête quand les équipes ou les collaborateurs sont autonomes dans leurs relations interpersonnelles et ont réussi à mettre en place une démarche viable et cohérente, faisant en sorte que cela ne se renouvèle pas. Mais tout ne se fait pas en un jour, tous les 3 à 6 mois des points d'étape sont proposés pour assurer un suivi des mesures mises en place : « cela oblige les équipes à réussir, ils ont une obligation de résultats en quelque sorte. Il faut au moins ça pour éviter de reverser dans les habitudes, la routine, retourner à de mauvaises pratiques » assure le consultant. D'autant que pendant les premiers mois d'une telle remise à plat, il peut y avoir des réorganisations internes qui fragilisent une nouvelle mise en place. Il convient de rester vigilant », conclut Jean-Marc Segui.

Une croyance limitante

Une croyance limitante est une croyance qui agit comme un blocage mental, qui peut aller jusqu'à empêcher d'agir. C'est aussi le fait de croire comme établis certains postulats, dans le domaine de la santé, le statut « intouchable » du médecin, apporteur d'affaires, etc.

Autorité ou autoritarisme ?

Avoir de l'autorité, ce n'est pas être autoritaire. L'autoritarisme est une façon de s'imposer, par la violence (physique ou verbale, psychologique), à la différence de l'autorité qui se construit progressivement, en mettant l'accent sur la bienveillance et un dialogue incessant. Ce que l'on appelle dans le langage populaire, une main de fer dans un gant de velours. Un glissement sémantique qui prend tout son sens quand on sait qu'aujourd'hui, dans toutes les sphères de la société, et particulièrement en ressources humaines, l'autorité n'est plus considérée comme une qualité pour un manager, d'après une enquête parue dans le journal les Echos du 8 janvier 2020.

Trois niveaux de prévention

– la prévention primaire, c'est celle qui élimine ou réduit les risques avant l'apparition de possibles conséquences néfastes sur la santé. Dans ce cas, il y a une évaluation, un audit des risques et des facteurs de risques psychosociaux, une analyse des situations de tension au travail et enfin une mise en place d'action de correction.

– la prévention secondaire arrive en situation de tension et vise à réduire la gravité d'un mal déjà présent ou qui va apparaître inéluctablement dans le but d'en réduire les conséquences. Dans ce cas, il s'agit de mettre en place un accompagnement dans les périodes de changement, une sensibilisation-formation aux problématiques risques psychosociaux et une analyse des pratiques professionnelles.

– la prévention tertiaire est mise en place lorsqu'il s'agit de réparer les dommages et les individus face à une situation de crise qui s'est installée. On intervient alors sur les situations post-traumatiques, avec des consultations « souffrance et travail » et une permanence avec un psychologue sur le site.

La loi face au harcèlement

L'article L.1152-4 du Code du Travail indique que tout employeur doit prendre « toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral ». L'article L1153-5 précise, quant à lui, les dispositions concernant le harcèlement sexuel, en lien avec le Code Pénal qui prévoit des sanctions (pouvant aller jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende en cas de circonstances aggravantes). Depuis janvier 2019, la loi (article L2314-1 du Code du travail) a obligé la création d'un référent harcèlement sexuel qui a pour objectif d'orienter, d'informer et d'accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes.

L'élément humain de William Schutz

Utilisée en premier lieu dans les entreprises, cette méthode repose sur la conviction que le niveau d'ouverture, d'humanité et de confiance entre les individus conditionne autant le bien-être mental et physique des salariés que la productivité de l'entreprise.La méthode est détaillée dans un ouvrage : L'élément humain : productivité, estime de soi et résultats.