Conflit au bloc opératoire - Objectif Soins & Management n° HS_2020 du 01/03/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° HS_2020 du 01/03/2020

 

Sur le terrain

Dossier

Alain Carrie  

Le bloc opératoire constitue un lieu qui n'échappe pas aux tensions interpersonnelles et aux échanges parfois vifs. Lorsque le conflit dégénère, la gestion d'un conflit par la voie disciplinaire contribue à un risque de détérioration importante du climat de travail avec son lot d'arrêts maladie et d'altération de la qualité des soins. Cet article a vocation à expliquer comment malgré une situation très détériorée, la médiation professionnelle peut aboutir à la résolution du conflit et au retour de la sérénité pour les professionnels comme les patients.

LE CONTEXTE

Un bloc opératoire comme il en existe des milliers : six salles interventionnelles, une SSPI, une unité de stérilisation. La chirurgie y est diversifiée et mobilise une large palette de compétences plus ou moins spécialisées. Les urgences, notamment obstétricales, y sont régulières et la liste d'astreinte n'est pas toujours facile à compléter.

La vie quotidienne d'un bloc opératoire suscite fréquemment des tensions, des « coups de gueule », mais dans le cas particulier, il s'agit d'un autre niveau de conflictualité. Les échanges verbaux se sont faits de plus en plus mordants au fil des semaines, remettant en question les comportements et les compétences. Dans un contexte de confusion entre le professionnel et le personnel, de vieilles histoires sont exhumées, réveillant les rancœurs. Témoins de cette guérilla entre la cadre de bloc et une infirmière en particulier, leurs collègues, ainsi que les chirurgiens, tentent maladroitement de pacifier le climat relationnel en s'érigeant en juge de paix. Ils prononcent leurs sentences, d'un côté les torts, de l'autre le bon droit. Les uns et les autres apportent leur soutien en fonction de leur analyse et de leurs sentiments affectifs. Pour couronner ce contexte de plus en plus explosif, le harcèlement moral est convoqué. Cette fois, l'employeur ne va pas pouvoir continuer à se soustraire, il va devoir assumer ses responsabilités et trancher !

À partir d'échanges verbaux, tendus de temps en temps, épisodes fréquents dans l'environnement des blocs opératoires, une escalade conflictuelle s'est progressivement construite pour aboutir à une impasse situationnelle dont la seule issue semble l'application du droit du travail.

Cette situation semble inextricable pour la directrice de l'établissement. Confrontée pour la première fois de sa jeune carrière à l'impossibilité de rétablir le dialogue au sein de son équipe, elle se sent sous pression. Après une longue réflexion en comité de direction, une décision disciplinaire en application du code du travail semble de plus en plus inévitable afin de faire respecter le pouvoir hiérarchique.

UNE PROPOSITION DE MEDIATION

C'est en l'état de ce conflit que je suis sollicité pour imaginer une sortie de crise.

Compte tenu de l'implication de l'ensemble des parties prenantes du bloc opératoire et de la confusion sur les motifs qui semble se dégager du contexte qui m'est décrit, ma préconisation spontanée est d'écarter la voie disciplinaire comme celle du recours à un expert technique.

La surenchère et la confusion semblent tellement fortes que la voie de la médiation professionnelle me semble une évidence. Elle seule en effet traite par un processus méthodique la composante émotionnelle omniprésente dans l'escalade conflictuelle. Bien qu'elle ait cette vertu, ce n'est pas une solution radicale comme peut apparaître l'application du bon droit, en l'occurrence celui du code du travail.

Bien qu'attentive à mon raisonnement et à mes recommandations, la directrice est dubitative, elle n'imagine pas que l'on puisse rétablir les conditions d'une discussion fructueuse ! Elle accepte néanmoins de différer la mise en œuvre de l'entretien préalable à une sanction disciplinaire et me confie la mission d'organiser une médiation (1).

J'ai réussi à convaincre de la pertinence de rechercher une voie alternative à la résolution du conflit, me voici au pied du mur ! Je n'ai en effet jamais eu à appliquer le processus de la médiation professionnelle à un collectif professionnel, je vais devoir adapter dans un temps contraint la méthode à laquelle j'ai été formé avant de parvenir au cœur du conflit. Pour cela, j'ai représenté celui-ci comme une pyramide inversée. J'ai pris pour hypothèse que la dialogique conflictuelle entre la cadre de bloc et l'infirmière était le noyau auquel il fallait appliquer intégralement le processus structuré de la médiation professionnelle et que le rétablissement d'une qualité relationnelle satisfaisante entre elles viderait de sa substance le climat délétère au sein de l'équipe. Ce niveau a donc constitué la base de la pyramide.

Au-dessus, j'ai considéré qu'il y avait un groupe de collègues particulièrement impliqué(e)s affectivement en faveur de l'une ou de l'autre des deux personnes à la base du conflit.

Enfin, j'ai défini comme un 3e niveau la totalité des parties prenantes du bloc opératoire.

MISE EN ŒUVRE DU PROCESSUS DE MEDIATION

A partir de cette modélisation, j'ai proposé :

1. une réunion de lancement pour le niveau 3, en présence de la directrice ;

2. des entretiens individuels courts pour le niveau 2 ;

3. le processus classique de la médiation professionnelle pour le niveau 1.

L'ensemble des professionnels travaillant au bloc opératoire a donc été invité à une réunion inaugurale au cours de laquelle j'ai poursuivi deux objectifs :

• susciter un consensus sur la situation de départ en nommant le conflit, en permettant à chacune et chacun de s'accorder sur la réalité quotidienne vécue, autrement dit passer d'une situation plus ou moins larvée à une situation reconnue au grand jour ;

• faire une pédagogie synthétique mais précise du mécanisme de l'escalade conflictuelle, l'idée étant là aussi d'aligner l'ensemble du groupe sur un niveau de compréhension partagée de l'enchaînement délétère des bonnes volontés manifestées avec sincérité.

La directrice, par sa présence, puis par son discours d'accord et d'engagement sur la méthode exposée, a apporté un soutien indispensable au lancement du processus.

J'ai conclu ce premier temps en proposant plusieurs créneaux de disponibilité dans les quatre semaines qui suivaient afin de recevoir en entretiens individuels les personnes qui le souhaitaient, l'autodétermination des personnes du niveau 2 étant assurée par un registre d'inscription en libre accès auprès de la responsable des ressources humaines de l'établissement.

J'ai en parallèle défini les rendez-vous d'initiation de la procédure classique de médiation professionnelle avec la cadre de bloc et l'infirmière.

Prenant en compte le contexte conflictuel collectif auquel il est confronté, le médiateur professionnel adapte préalablement au démarrage de son intervention le processus de la médiation tout en en respectant les fondamentaux (2).

LES RÉSULTATS DE CETTE DÉMARCHE

Le processus de cette médiation s'est déroulé sur près de deux mois entre la réunion de lancement et la réunion de remise en relation des personnes au cœur du conflit, essentiellement du fait de contraintes de disponibilité des personnes. Il a eu lieu il y a environ un an et donc c'est avec un recul significatif que son évaluation peut être conduite.

Premier résultat, alors qu'une menace d'arrêt de travail des personnels du bloc opératoire avait été formulée auprès de la direction, la crise a pu être évitée, ni l'activité, ni la sécurité des soins n'ont été compromis.

La prise de conscience des mécanismes de la construction conflictuelle et du pouvoir des mots a indiscutablement amélioré le climat relationnel au sein de l'équipe du bloc opératoire, même si bien évidemment quelques éclats de voix surviennent encore de temps en temps ! Un référentiel commun de qualité relationnelle est dorénavant partagé.

L'inimaginable discussion s'est substituée à la guérilla d'un camp contre l'autre et des solutions pour répondre aux problèmes de vie quotidienne ont émergé de cette confrontation des points de vue.

Le souvenir de l'imminence de décisions disciplinaires est loin, les conséquences irréversibles du conflit ont été évitées.

Après une réflexion apaisée par la mise à distance des émotions, l'une des protagonistes au cœur du conflit originel a pris la décision de s'engager dans de nouvelles responsabilités professionnelles.

EN CONCLUSION

Cet exemple démontre l'intérêt pour les managers de santé de penser à la médiation comme autre voie de traitement des conflits au sein des équipes, en substituant le paradigme de l'altérité à celui de l'adversité.

Pour aller plus loin

La médiation professionnelle dans le management hospitalier

Pratique de la qualité relationnelle à l'hôpital

Ouvrage collectif sous la direction d'Orianne Boyer

Éditions SAURAMPS MEDICAL

(1) Le cheminement vers le choix de la médiation professionnelle, l'inimaginable discussion : https://youtu.be/DUF_nzz74UA

(2) Les étapes de la médiation : https://youtu.be/gRCkDWax0VE