Impact du GHT sur les pratiques managériales - Objectif Soins & Management n° 262 du 01/04/2018 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins_Hors série n° 262 du 01/04/2018

 

MANAGEMENT DES SOINS

Management des soins

Cécile Kanitzer  

Le groupement hospitalier de territoire (GHT) est au cœur et à l’argument de la majorité des débats actuels. En quoi le GHT modifie-t-il les organisations, fonctionnements et pratiques des professionnels de santé ? Notre système de santé se caractérise pour des changements continus. Le rythme donné par les réformes hospitalières, lois, règlements cadence les adaptations internes, externes et aujourd’hui territoriales.

La période du « planisme hospitalier »(1), marquée par la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991, dite loi Évin, a précédé une régionalisation, accomplie au travers de l’ordonnance n° 96-346 du 24 avril 1996, dite ordonnance Juppé. La mise en œuvre du « plan hôpital 2007 » et les suivants ont modifié la gouvernance hospitalière en recentrant le pôle d’activité médicale comme une entité hospitalière de production des soins. Renforcé par la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009, dite loi hôpital patients santé territoire (HPST), le rôle des pôles se voit aujourd’hui réinterrogé à travers la loi de modernisation de notre système de santé (LMSS) n° 2016-41 du 26 janvier 2016. En effet, au cœur de cette nouvelle réforme, c’est la notion de parcours de soins territorial qui est questionnée : « La place du pôle évolue vers une perspective dynamique et décloisonnée où le management des activités de soins doit amener les professionnels à repenser leurs pratiques, remettant ainsi en question les modes de fonctionnement et de management. »(2)

CONCRETEMENT, QUELS SONT LES IMPACTS MANAGERIAUX ?

Les cadres de santé sont-ils par le GHT obligés de faire évoluer leurs pratiques managériales ?

Nous avons identifié quatre raisons pouvant avoir une incidence directe sur les pratiques managériales des cadres de santé.

Le projet de soins partagés (PSP)

Le PSP peut paraître « loin » des projets de soins des services cliniques, médico-techniques ou de rééducation. Il n’en demeure pas moins que les orientations stratégiques paramédicales du territoire déclinent les orientations du projet médical partagé (PMP), d’une part, mais reposent également sur les orientations spécifiques de chaque établissement. Les PSP ont été élaborés notamment à partir des projets de soins portés par toutes les commissions des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT) du GHT. Et les projets de service sont des déclinaisons du projet de soins. Aussi, notre raisonnement est le suivant : la mise en œuvre du PSP, dès lors qu’il engage au moins une orientation d’un projet de soins d’établissement déclinée en projet de service, peut impacter une pratique managériale de proximité.

Le décloisonnement de l’offre de soins

Le territoire est la nouvelle carte de l’organisation de l’offre de soins. Déjà aguerris au management d’équipes mobiles, de structures ambulatoires ou partagées, les cadres de santé peuvent aujourd’hui être en responsabilité d’une offre de soins décloisonnée, « hors les murs », « multicentrique ». Le terme même de décloisonnement est devenu le leitmotiv des expressions prospectives managériales et organisationnelles. Cela étant, même si le décloisonnement est d’actualité, il n’est pas à lui seul toute la charge d’impact sur les pratiques managériales de proximité.

La création de pôles ou services interétablissements

Un cadre de santé peut être amené à manager des professionnels affectés à des services ou pôles structurés sur plusieurs établissements du GHT. Cela nécessite d’avoir une pratique managériale à distance. Les cadres de santé de psychiatrie ont l’expérience de ces modes de fonctionnement depuis une cinquantaine d’années. Jamais il n’a été envisagé des formations spécifiques pour l’adaptation des pratiques managériales à ces contextes. Cela s’explique en partie par le fait que si une organisation peut être affectée à plusieurs établissements, voire plusieurs sites, elle n’impacte pas systématiquement les modes managériaux. En revanche, la pratique managériale peut s’opérer dans ce cas à partir d’outils dématérialisés, comme la visioconférence, par exemple.

Le développement de compétences transversales

C’est aller vers l’idée que des compétences paramédicales, spécialisées ou non, pourraient être mises à disposition des établissements du GHT. En outre, de nouvelles compétences dites plus transversales comme la coordination des soins spécifiques de certaines filières peuvent être organisées de façon transversale. Les cadres de santé doivent réellement trouver leur place dans ce nouveau maillage et repenser leur pratique managériale pour assurer une gestion et un accompagnement efficient des professionnels en exercice transversaux.

PRATIQUES MANAGERIALES DE PROXIMITE : VERS LA DEMARCHE-PROJET

Il nous apparaît clairement un point clé entre ces quatre sources d’impacts sur les pratiques managériales : la démarche-projet. Notre analyse nous porte à affirmer qu’il convient aujourd’hui de restaurer la démarche-projet dans les pratiques managériales de proximité, mais très certainement également au niveau des managements intermédiaires et stratégiques. L’engagement d’un service dans la mise en œuvre du PSP requiert une démarche-projet. De la même manière les nouvelles caractéristiques de l’offre de soins, portées pour certains aspects par des compétences transversales, nécessitent une approche rationnelle et structurée telle que le permet une démarche-projet.

« Le projet est une construction collective, qui se poursuit dans un processus permanent d’organisation souple et se consolide grâce à l’appui d’actions ou programmes complémentaires. »(3) Pourquoi nous relevons cette définition ? Parce que nous estimons qu’elle mobilise des concepts essentiels aux fonctions managériales des filières soignantes :

• les projets managériaux et institutionnels portés par les paramédicaux nécessitent une approche collective. Ils doivent être élaborés, promus, mis en œuvre et évalués par des groupes professionnels, interdisciplinaires. Dans la continuité du management participatif, mais également parce que fortement ancré dans la culture soignante, l’exercice en équipe est au cœur des métiers infirmiers, de rééducation et médico-techniques. La démarche-projet est intégrée dans les compétences paramédicales mais il est opportun de la consolider ;

• les fonctionnements et organisations qui suivent un mode processus sont garants de performance ;

• des plans d’actions offrent la possibilité de transparence et d’intégration de panels plus large de professionnels de santé.

Nous soutenons le schéma simplifié suivant(4) :

Lors d’une démarche-projet, les cadres de santé peuvent mobiliser trois compétences « socles » :

• identifier des nouveaux problèmes issus de l’adaptation au GHT, procéder à des repérages de variables ou d’invariants, faire des diagnostics, chercher des causes ;

• expliciter le fonctionnement du contexte du GHT et la politique générale des soins, expliciter aussi les différentes positions et opinions, procéder à des analyses ;

• créer, inventer, chercher des solutions pour répondre aux besoins des patients ou résidents.

Nous pourrions formuler la préconisation suivante : les pratiques managériales s’adapteront d’autant mieux aux évolutions de l’organisation de notre système de santé qu’elles développeront la démarche-projet. Mais il faudra également :

• se former en interdisciplinarité : tous les professionnels de santé travaillent plus ou moins en interdisciplinarité, mais ils sont tous formés de manière cloisonnée en ce qui concerne les apprentissages théoriques. Seuls les stages offrent la possibilité d’expériences collaboratives. À la différence de la formation initiale, la formation continue permet des socles de compétences communes, appréhendées ensemble. Se former ensemble facilite l’exercice professionnel, le « travailler ensemble » ;

• penser des dynamiques de territoire : le GHT engage à penser l’organisation et les fonctionnements territoriaux ;

• innover en étant force de proposition.

MANAGEMENT DE PROXIMITE : DES EVOLUTIONS NECESSAIRES

Les compétences requises pour le management de proximité vont peut-être peu changer. Des évolutions sont nécessaires mais pour davantage réinvestir des compétences socles, comme nous l’avons exposé en ce qui concerne la démarche-projet, mais également le management participatif. D’autant que ce dernier est inscrit à présent dans les fondamentaux des démarches de qualité de vie au travail.

Nous avons cité également l’ouverture aux formations transversales et interdisciplinaires. En ce qui concerne les cadres de santé, c’est véritablement des connaissances théoriques communes aux médecins qui sont nécessaires aux managements de proximité.

Enfin, la rationalisation des fonctionnements individuels et collectifs est un enjeu essentiel. Le GHT a donné une nouvelle dimension possible aux exercices soignants qui doivent respecter des équilibres entre les professionnels, les équipes, les institutions, les partenaires.

Les managers de santé ne seront plus uniquement les cadres de santé. Il y a plus de managers que de managers désignés. Tout professionnel en charge d’une coordination, de gestion en proximité d’activités de soins est amené à être, même partiellement, dans des pratiques managériales.

Pour tous ces professionnels qui assurent l’encadrement des soignants et des activités de soins, les outils de gestion et d’organisation du travail doivent être performants. Certains de ces outils seront adaptés par la structuration du GHT.

La pratique managériale au sein du GHT deviendra peut-être une compétence collective et empirique. Il faudra apprendre à manager dans les GHT en mobilisant des méthodes éprouvées.

ET POUR LES CADRES SUPERIEURS DE SANTE ?

Nous estimons qu’il sera plus que jamais essentiel de s’appuyer sur les cadres de santé, sur leurs activités pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’elles devraient être. Les cadres supérieurs doivent créer de l’assurance et de la satisfaction pour permettre aux cadres de santé d’exercer sereinement.

Les actions doivent être pensées pour tous les niveaux de responsabilité, dans le contexte de démarches-projets.

Les cadres supérieurs doivent également pouvoir développer les analyses de pratiques et postures professionnelles. Il faut comprendre pour manager et donner du sens.

EN GUISE DE CONCLUSION

Nous estimons que le GHT aura peu d’impacts directs sur les pratiques managériales de proximité. Pour autant, c’est l’approche managériale de tous les niveaux hiérarchiques des filières paramédicales qui évoluera. Les cadres de santé vont se professionnaliser dans le GHT, ils vont construire collectivement les nouveaux repères de leurs métiers en :

• mobilisant leurs ressources internes ou celles du GHT ;

• s’appuyant sur des process collectifs, des normes professionnelles fixées par un collectif de travail ;

• développant des espaces de débats, expressions, échanges, analyses de pratiques.

NOTES

(1) Cité par Cathy Leroy dans « Le directeur des soins et le GHT : une ressource entre enjeux identitaires, stratégiques et politiques », mémoire EHESP, 2017.

(2) Op. cit.

(3) Jean-Marie Peretti, Ressources humaines, 16e éd., Paris, Éditions Vuibert, 2017.

(4) La démarche-projet, enseignement de Cécile Kanitzer, master 2 « Équipe de santé et qualité de vie au travail », IAE, 37100 Tours, 2017.