Rôle de l’aumônier dans les réflexions éthiques en établissement de soins - Objectif Soins & Management n° 0289 du 30/09/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0289 du 30/09/2022

 

ÉTHIQUE

Costantino Fiore  

Formateur en droit de la santé, aumônier et membre du comité d’éthique des Hospices civils de Lyon

Les échanges d’un comité d’éthique en établissement de soins se nourrissent des apports pluridisciplinaires de différents professionnels. Dans ce cadre, il n’est pas rare que les aumôniers en fassent partie. Quelle est la contribution spécifique des aumôneries d’hôpitaux à la réflexion éthique en vue d’une prise en charge plus adaptée ?

« Madame X. refuse de prendre son traitement : elle dit qu’elle est croyante et que c’est Dieu qui va la guérir… ». Le refus de soin pour des raisons religieuses est un exemple parmi d’autres qui renvoie à un constat assez fréquent : la nécessité de porter un regard large sur le patient, qui prenne en compte ses convictions, ses croyances et sa spiritualité.

Ce regard suppose une ouverture – réciproque – à l’écoute et au dialogue, et il est souvent confronté à l’intensité du rythme des soins. Les instances de réflexion éthique deviennent alors des lieux privilégiés dans lesquels l’analyse clinique est accompagnée par la considération des éléments relationnels, culturels, et ceux liés aux convictions et valeurs, qui complètent notre regard sur la personne du patient.

Une recherche de sens

Un rappel de la notion de « besoin spirituel » du patient devient, à ce propos, opportun. Le mot « besoin » se réfère notamment aux 14 besoins fondamentaux de Virginia Henderson(1), mais il serait sans doute plus approprié d’utiliser les termes « attente spirituelle » ou « quête spirituelle ».  Il s’agit, en effet, de l’aspiration de chaque patient à trouver une explication et à donner un sens au temps de la maladie et de l’hospitalisation.

Cette recherche de sens se traduit, concrètement, dans des propos de la part du patient comme « Pourquoi moi ? Pourquoi à ce moment de ma vie ? Quel sens donner à mon existence maintenant ? Que vais-je devenir ? … ». Ce type de questionnement ne demande pas de réponse ponctuelle. D’ailleurs, existe-t-il des réponses « toutes faites » et prêtes à l’usage pour de telles interrogations ?

L’aspiration à la spiritualité et à la recherche de sens peuvent en revanche être écoutées et accompagnées. Dans certains cas, elles peuvent devenir le moteur d’une nouvelle manière d’affronter le temps de la maladie pour mieux en accepter les conséquences.

La quête de sens révélée par l’évènement traumatique de la maladie n’est donc pas de l’ordre d’un besoin que l’on pourrait assouvir grâce à l’intervention immédiate d’un « spécialiste », ou par le simple accomplissement d’un rite. C’est une dynamique qui touche en profondeur les convictions, les croyances, les valeurs, et qui va bien au-delà du temps de l’hospitalisation.

Si la dimension spirituelle est bien plus large que la composante religieuse, il n’en demeure pas moins que certains patients sont fortement demandeurs de rites. Le rattachement aux pratiques religieuses et traditionnelles de la famille est aussi un moyen de faire face à l’angoisse de l’hospitalisation (coping religieux)(2).

Par ailleurs, les équipes pluridisciplinaires s’intéressent de plus en plus aux « théories étiologiques » dans la perspective d’une approche interculturelle des soins. En effet, chaque patient, selon sa culture et ses traditions, peut identifier différemment les causes du mal, du malheur, de la maladie… dont les raisons sont recherchées parfois dans le monde des invisibles ou dans les relations sociales (« J’étais pris par les djinns », « Quelqu’un m’a jeté un sort », …).

L’aumônier au sein des réflexions éthiques 

L’aumônier d’hôpital se situe au croisement de cette double aspiration, spirituelle et religieuse. On peut en effet parler de double compétence de l’aumônier : l’une, spécifique à la tradition religieuse dans laquelle il s’enracine, et l’autre, relative au questionnement d’ordre spirituel, pour lequel il reçoit une formation à l’écoute et à la psychologie des personnes en souffrance.

Dans cette perspective pluridisciplinaire, les aumôniers sont souvent sollicités pour intervenir dans les instances de réflexion éthique. Un aumônier de Saône-et-Loire présente ainsi le comité d’éthique auquel il participe : « C’est un groupe transversal et pluridisciplinaire mais aussi culturel et religieux… En séance plénière, le philosophe, la psychologue, le juriste, l’aumônier catholique et musulman sont invités dans un premier temps à exprimer clairement la morale, les règles et les lois qui peuvent éclairer la situation, puis dans un second temps à proposer une démarche réflexive aboutie et finalisée par une opinion. Cette base de références morales ainsi que les diverses opinions exprimées permettent de nourrir ensuite le débat, sorte de discussion générale qui conduit au final à un avis ou une orientation ».

Un membre d’un comité d’éthique en Haute-Garonne fournit la définition suivante : « Le Comité d’éthique est un lieu de bienveillance où chacun cherche à améliorer l’existant. Cette bienveillance est, tout d’abord, fondée sur l’écoute : écoute d’une situation médicale certes mais aussi dans son contexte personnel, familial, social, spirituel ».

Un accompagnement concret

La participation de l’aumônier au comité d’éthique peut concerner des sujets comme le tutoiement des patients, la contention, le refus de soins, la question de l’intimité des chambres, etc. Un aumônier synthétise ainsi sa contribution à la réflexion éthique au sein de son CHU : « En tant qu’aumônier, nous sommes largués sur les aspects médicaux, mais le regard extérieur que nous portons sans jugement est apprécié et, parfois, une question ouvre à un déplacement de la problématique et propose d’autres chemins ».

« Il n’y a pas de vérité absolue dans ce domaine : ce qui est bon dans un contexte donné ne l’est peut-être pas dans un autre… L’aumônier est invité à apporter une parole sage et pratique au vu de la situation donnée… Il doit ainsi savoir évoluer d’une éthique de conviction vers une éthique de situation » (aumônier participant au comité d’éthique en Saône-et-Loire).

Refus de soin

Un aumônier dans les Hautes-Pyrénées décrit dans les détails une situation de refus de soins pour des raisons religieuses : « En tant qu’aumônier, j’ai été personnellement sollicité par la cadre supérieure de santé pour assurer une intervention lors d’un comité d’éthique traitant de la question de l’arrêt éventuel de l’hydratation et de l’alimentation d’un patient en état pauci-relationnel, maintenant en fin de vie. La demande était claire : présenter la position de l’Église catholique sur ce sujet.

Ce patient, bien connu de l’aumônerie depuis des années, est catholique pratiquant, et sa famille fort désemparée devant tant de souffrance espérait encore une guérison totale. S’appuyant notamment sur les « secours de l’Église » et même des Églises, voire de nombreuses spiritualités de soins, elle se situe dans une position absolue de refus, revendiquant des arguments religieux : maintenir la vie, ne pas contrarier la volonté de Dieu qui veut la vie ».

Cette intervention a permis à l’équipe d’avoir une vision plus complète des convictions de la famille et d’adapter l’accompagnement. À la suite de son intervention, l’aumônier a pu être sollicité plusieurs fois par les équipes de soins qui le reconnaissaient désormais comme un véritable allié dans la prise en charge.

Fin de vie

Un cas de figure particulier se présente lorsque la réflexion éthique a lieu dans un établissement d’origine congréganiste (souvent d’inspiration chrétienne). Dans ce contexte, l’apport de l’aumônier renvoie aux valeurs originaires de l’institution. C’est le cas d’une fondation en Bretagne, où les aumôniers ont été sollicités à deux reprises par la directrice de l’Ehpad à l’occasion de la fin de vie de personnes dont la prise en charge était particulièrement éprouvante pour l’équipe soignante : « Il s’agissait d’abord de favoriser l’écoute des différents points de vue et de faire reconnaître les difficultés rencontrées avec les familles, et l’implication des soignants dans ces moments de fin de vie par l’institution ».

Dans la même institution, une des cadres de la Maison d’accueil spécialisé a souhaité que les aumôniers rencontrent l’équipe au sujet d’un patient atteint d’une maladie cérébrale dégénérative déjà avancée, et dont la prise en charge était difficile pour les personnels (encadré).

Culpabilité et sentiment de honte

Un dernier témoignage fait référence à une démarche de réconciliation avec soi-même et les autres. Dans ce cas spécifique, la réflexion éthique autour de la prise en charge s’est appuyée sur le regard croisé de l’aumônier et du psychologue. C’était le cas d’un patient « assailli par le remord d’avoir pratiqué des attouchements sexuels avec ses deux sœurs au moment de l’adolescence. Il fréquente assidument l’aumônerie. Ce patient éprouvait le besoin de raconter à plusieurs interlocuteurs ses souvenirs qui, sans être refoulés, ont été tus pendant de longues années. Il se sentait honteux et sale ».

Une démarche rituelle et sacramentelle a suivi. À partir de ce moment, le patient a montré des signes évidents d’apaisement. Il a remercié vivement la psychologue de l’avoir orienté vers l’aumônerie. De son côté, la psychologue, avouant son ignorance sur toute pratique rituelle, a constaté que l’objectif commun de l’équipe avait été atteint : elle avait en face d’elle un patient plus apaisé et collaboratif.

Conclusion

La réflexion éthique est une démarche symphonique : elle se nourrit d’apports interdisciplinaires auxquels chaque acteur participe selon les compétences qui lui sont propres. Pour orchestrer cette démarche, le rôle du cadre de santé peut se révéler décisif car il connaît la pluralité des intervenants et leur contribution spécifique à une prise en charge plus adaptée.

Par ailleurs, le cadre du service est l’interlocuteur principal de l’aumônier d’hôpital lorsque celui-ci doit articuler ses visites avec le rythme des soins ou adapter sa présence à l’état de santé du patient. Au cours de ces échanges peut effectivement mûrir l’idée d’intégrer l’aumônier à un groupe de réflexion éthique. Ou encore, et plus simplement, le cadre peut inviter l’aumônier à donner son avis sur les situations dans lesquelles les éléments spirituels, religieux et culturels sont entremêlés et demandent un regard « tiers ». C’est dans cette complémentarité de regards que les différents acteurs du soin retrouvent tout le sens d’une prise en charge du patient dans sa globalité.

Faciliter la parole et la recherche de solutions

« Cet homme s’automutilait en réclamant de mourir. Plusieurs membres de l’équipe vivaient très mal de devoir user de contentions pour protéger le résident de lui-même. À chaque fois il fallait user de la force. Les personnels se jugeaient maltraitants et se sentait écartelés entre leur devoir de protection et l’exigence de ne pas user de la contrainte. Nous nous sommes rendus tous les deux aux transmissions de la mi-journée. La réunion a largement dépassé le temps habituel. Les membres de l’équipe ont longuement exprimé leurs difficultés et leurs souffrances. Avec le cadre, nous avons invité chacun à voir ce qu’il était possible de mettre en œuvre. Notre rôle n’a pas été de conseiller telle ou telle solution, mais de faciliter la parole et la recherche de solution. Finalement, ce sont les soignants de proximité qui ont repéré les petites choses qui pouvaient apporter du plaisir et du bien-être à Monsieur X. pour tenter de l’apaiser. Dans les jours qui ont suivi, nous avons vu Monsieur X. assis paisiblement dans son fauteuil avec les autres résidents, sans surveillance particulière ».

  • Notes
  • 1. Henderson V. The Principles and Practice of Nursing, The Macmillan Company, 1947.
  • 2. Selon le psychologue Kenneth Pargament, le coping est une recherche de sens en période de stress. Lors de l’hospitalisation les pratiques religieuses et spirituelles peuvent aider le patient à « faire face » à l’angoisse de l’hospitalisation. Pargament K. The psychology of religion and coping: theory, research, practice, New York: Guilford, 1997, p. 90.