L’entretien annuel à la mode appréciative - Objectif Soins & Management n° 0289 du 30/09/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0289 du 30/09/2022

 

DOSSIER

Propos recueillis par Adrien Renaud

  

L’entretien annuel, qui voit défiler toute l’équipe dans le bureau du ou de la cadre, est trop souvent vécu comme un pensum… et ce, des deux côtés dudit bureau. La méthode appréciative constitue une démarche intéressante dans ce contexte. La preuve avec deux cadres montpelliérains, Isabelle Djabri et Guillaume Giangrasso.

Objectif Soins & Management. Comment en êtes-vous venus à la méthode appréciative ?

Isabelle Djabri. En ce qui me concerne, j’ai participé à un séminaire sur la qualité de vie au travail, et parmi de multiples thématiques proposées, qui allaient de « l’indigestion » de mails au droit à la déconnexion, il y avait une présentation sur l’appreciative inquiry. Je ne voyais pas ce que cela voulait dire, et j’y suis allée par curiosité. Ce qui m’a marquée, c’est le fait qu’alors que nous étions une cinquantaine de personnes dans la salle, nous avons tout de même réussi à nous parler, à nous raconter des histoires professionnelles. Il s’est vraiment passé quelque chose de spécial. Donc, quand par la suite on m’a proposé quatre jours de formation sur le sujet, je suis entrée dans la démarche.

Guillaume Giangrasso. Pour moi, c’est une démarche plus institutionnelle. Dans le cadre du projet de management participatif et d’intelligence collective I.Care de l’ANFH (Association pour la formation permanente du personnel hospitalier, ndlr), notre direction générale a marqué une forte volonté de développer l’appreciative inquiry à tous les niveaux. Nous avons donc eu accès à des séminaires, des formations, et c’est comme cela que nous sommes devenus praticiens.

OSM. Qu’est-ce qui change dans l’entretien annuel lorsqu’il est effectué selon la méthode appréciative ?

ID. L’entretien annuel est souvent vu comme une « torture » par les encadrants, et nous avions la volonté de modifier cela. Nous sommes donc partis sur un entretien narratif, où l’on aborde les choses à partir d’une situation professionnelle où l’agent s’est senti heureux, en pleine possession de ses capacités, utile…. Cela permet notamment à la discussion de s’engager sur « du vrai », « du vécu », et non sur de la projection. Lors de la phase de test, qui a eu lieu l’année dernière, j’avais juste demandé à huit membres de l’équipe de penser à une telle situation en amont de l’entretien.

GG. De mon côté, j’ai utilisé la même démarche partant d’une situation professionnelle précise, mais j’ai préféré ne pas annoncer la nouvelle méthode avant l’entretien. Par ailleurs, l’environnement de l’entretien est important : on essaie d’être moins formels, par exemple en s’installant autour d’une table ronde et non de part et d’autre d’un bureau… Cette méthode permet de réaliser ce qu’on appelle la « récolte », c’est-à-dire de parler des forces, des ressources, etc., tout en ne s’axant que sur le positif. On ne va pas se cacher que l’entretien est un exercice que les agents n’aiment pas trop, et nous non plus… Il est avant tout vu comme une obligation réglementaire. Mais là, on est sur un véritable échange.

OSM. Pouvez-vous donner quelques exemples concrets de ce que permet cette méthode lors de l’entretien annuel ?

GG. Je pense à un agent, que l’on appellera Patrick pour qu’il ne se reconnaisse pas, qui est hyper-compétent mais un peu bourru et qui ne parle pas beaucoup. Autant dire, en toute honnêteté, que ce n’est pas le genre de personne avec laquelle, en général, je me « régale » d’avance à l’idée d’avoir un entretien. Eh bien, avec l’appreciative inquiry, Patrick m’a surpris, il a révélé tout ce qu’il ne montrait pas : une humanité, un investissement, une propension à accompagner ses collègues de manière non officielle… Selon l’ancienne méthode, je n’aurais jamais pu aborder ces points-là, en particulier avec ce type de personne, qui n’aime pas se mettre en lumière.

ID. Je pense de mon côté à une personne qui a souhaité revenir sur un épisode particulièrement triste : le décès d’un petit garçon de neuf ans sur la table d’opération. La personne en question se demandait d’ailleurs si c’était la « bonne » situation pour ce type d’entretien, et je lui ai bien sûr dit qu’il n’y avait pas de « bonne » ou de « mauvaise » situation. Cela a été très intéressant, car derrière la souffrance, l’entretien a permis de faire émerger les valeurs de partage, de soutien, de collaboration que l’équipe avait mises en avant lors de cet épisode. Le décès de ce petit était toujours aussi horrible, il y avait toujours cet immense sentiment de tristesse, mais la personne avait pu verbaliser combien l’équipe avait été experte, comment elle s’était appuyée sur ses compétences dans cette situation d’urgence… Au bout d’une heure et demie d’entretien, elle m’a confié que cela lui avait fait du bien et qu’elle se sentait moins mal.

OSM. Comment cet entretien narratif s’articule-t-il avec les impératifs plus classiques de l’exercice : évaluation, définition des objectifs, etc. ?

GG. La partie narrative concerne la récolte, qui est très riche, et centrée sur les agents. Ensuite, il y a un travail qui nous appartient et qui consiste à renseigner les différentes cases de l’entretien dans notre logiciel… C’est donc un peu l’envers du décor, cela nous prend du temps, mais nous finissons bien par y arriver ! Et en ce qui me concerne, j’estime que ce temps supplémentaire n’est rien en comparaison de ce que j’ai obtenu. Mais il est vrai qu’on est obligés de faire un « mix » des deux méthodes. D’ailleurs, certains collègues font les choses en deux temps séparés.

ID. De mon côté, je pré-remplis tout ce que je peux dans le cadre de l’auto-évaluation. Je fais en sorte que la partie sur les compétences métier, etc., ne prenne pas trop de temps, et je le formalise après l’entretien : on y revient par la suite au besoin avec l’agent. Mais l’important est de se donner le plus de temps possible pour l’échange. Il faut toutefois reconnaître que dans l’ensemble, la méthode appréciative prend effectivement un peu plus de temps.

OSM. Quels sont les retours que vous avez eus sur l’introduction de cette nouvelle méthode ?

GG. Pour ma part, comme je n’avais volontairement pas préparé les agents à l’exercice, certains d’entre eux ont ouvert de grands yeux quand je leur ai demandé de me raconter une histoire, et le point de départ a parfois pu être un peu compliqué. Nous avons demandé un retour aux agents lors de cette phase de test, et sur 39 agents, 100 % m’ont dit que la nouvelle méthode avait facilité les échanges. Ils ont presque tous été étonnés de pouvoir verbaliser l’objectif pour l’année à venir, et de le poser eux-mêmes.

ID. De mon côté, je dois reconnaître qu’on a moins abordé la question des formations lors de ces entretiens. Peut-être que c’est moi qui n’ai pas suffisamment creusé de ce côté-là. En tout cas, j’ai dû aborder ce point par la suite. En revanche, je note que certains professionnels qui ne parlent pas beaucoup, qui ont en général des difficultés à se faire des compliments à eux-mêmes, se sont ouverts grâce à cette méthode. Pour nous, c’est très précieux, car cela nous permet d’accéder à la « majorité silencieuse », ceux qui ne s’exposent pas quand ils sont en groupe, et que l’on risque donc de perdre.

OSM. Quelles améliorations avez-vous introduites après cette première phase de test ?

ID. Nous avons repris le guide, et nous l’avons raccourci (encadré). Et je dois dire que pour moi qui suis déjà dans la deuxième année, je suis un peu frustrée dans le cadre de la récolte des éléments. Il y a moins d’effet de surprise, on a parfois un peu les mêmes éléments que lors de l’exercice précédent, et je me pose donc la question de ce que l’on pourrait aller chercher dans les compétences ou les missions de l’agent. Mais d’un autre côté, beaucoup sont allés questionner leur corps de métier, ils sont allés chercher du côté du tutorat, de leurs missions péri-opératoires… On voit qu’ils se sont saisis de l’outil, qu’ils ont compris à quoi il servait.

GG. Il est vrai que même si je ne suis pas très en avance et que je n’ai à ce jour pas encore réalisé beaucoup d’entretiens lors de cette deuxième session, je remarque qu’avec les agents ayant déjà pratiqué l’exercice, on passe probablement moins de temps sur la situation qu’ils racontent, et qui permettait l’année dernière d’ouvrir vraiment beaucoup de possibilités. Les agents ont tendance à réorienter l’entretien sur eux-mêmes, et non sur ce qui se passe dans le groupe.

OSM. La méthode va-t-elle être étendue à d’autres services au sein de votre établissement ?

GG. Pour l’instant, l’expérimentation a été faite par six cadres, et nous avons cette année demandé à ce que davantage de praticiens de l’appreciative inquiry s’impliquent dans cet entretien, afin d’obtenir un test plus conséquent. Nous voudrions déjà l’ouvrir aux 33 cadres qui forment notre « lab appréciatif » (encadré) pour que le test soit multi-métier et plus large. Notre chance, c’est que ce sujet est vraiment porté par notre DRH.

ID. Nous voudrions que la méthode s’étende, mais nous sommes conscients qu’il n’est pas facile de se l’approprier. Et les managers sont déjà très sollicités : nous savons donc que c’est progressivement, quand nos collègues découvriront à quel point la méthode est riche, que nous pourrons « faire tache d’huile ».

GG. Tout à fait : les gens discutent entre eux, et j’ai même été interpellé par un collègue cadre qui avait entendu parler de ce qui s’était passé dans mon service cette année. Il a voulu en savoir plus : il m’a dit que c’était bien la première fois qu’on lui disait qu’un entretien annuel avait eu un effet formidable !

OSM. Pensez-vous que la méthode appréciative puisse être l’une des solutions à la crise que connaît l’hôpital actuellement ?

GG. Nous ne sommes pas des bisounours, et nous savons bien que ce n’est pas comme cela que nous allons embaucher des milliers d’agents à l’hôpital. Mais nous sommes tout de même passés d’un exercice qui embêtait tout le monde à quelque chose qui était attendu, et ce n’est pas si mal.

ID. Je ne peux pas dire qu’en termes d’attractivité, l’entretien appréciatif ait radicalement changé la donne pour mon service. Mais peut-être que c’est parce que nous avons déjà la chance d’avoir une équipe où la bienveillance et l’attention à l’autre sont très présentes. Il n’empêche que les échanges que nous pouvons avoir via la méthode appréciative renforcent cette convivialité, et ça, ça peut être attractif.

Qui sont-ils ?

Infirmière depuis 2001, Isabelle Djabri a effectué toute sa carrière au CHU de Montpellier, d’abord comme IDE au bloc, puis comme Ibode. Elle est cadre en bloc opératoire depuis bientôt neuf ans. Après avoir été manipulateur radio à partir de 2002, Guillaume Giangrasso est quant à lui devenu cadre en imagerie médicale au CHU de Montpellier en 2011. Tous deux ont été formés à la méthode appréciative en 2019, et font partie du « lab appréciatif », un collectif de 33 praticiens de cette méthode au sein de l’établissement.

Suivez le guide !

Ouverte et adaptable, la méthode appréciative pour l’entretien annuel a toutefois recours à des outils structurés. Voici le guide d’entretien utilisé par Isabelle Djabri et Guillaume Giangrasso au CHU de Montpellier, tel qu’il existe après avoir été adapté à la suite de la phase de test.

L’entretien professionnel : orientation et intention

« Au vu de la modification de l’outil d’évaluation sur le CHU de Montpellier, je vous propose de réaliser votre entretien professionnel avec la méthode appréciative. Celle-ci permet une approche qui valorise et apprécie l’existant. Elle est utilisée comme :

- facilitateur de la démarche d’évaluation,

- catalyseur de la collecte de données.

La méthode appréciative lors de l’entretien permettra de :

- favoriser l’appropriation de l’entretien par l’agent évalué ;

- faciliter les échanges, la fixation d’objectifs ;

- objectiver la manière de servir ;

- obtenir un levier de reconnaissance de savoir-être.»

Guide d’entretien

Racontez, décrivez une situation professionnelle au choix :

- qui illustre vraiment ce que vous aimez dans votre travail ;

- ou un moment où vous avez ressenti une grande utilité, où vous avez le sentiment d’avoir fait du bon travail.

Quelles sont les ressources, forces et qualités que vous avez mobilisées ?

Quels sont les facteurs importants pour la réalisation d’une journée idéale et quelle a été votre implication dans la réalisation de cette journée ?

Pouvez-vous me donner un souhait ou projet pour l’année qui vient : pour vous, pour l’équipe, pour votre service et pour les patients ?