Savoir dire non - Objectif Soins & Management n° 0288 du 31/08/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0288 du 31/08/2022

 

ÉCRITS PROFESSIONNELS

Delphine DEMAISON   Pauline QUÉRÉ  

Coach, co-fondatrice de CATALYSE, cabinet de coaching spécialisé dans le secteur de la santéCoach, co-fondatrice de CATALYSE, cabinet de coaching spécialisé dans le secteur de la santé

« Savoir dire non » est probablement une des thématiques qui revient le plus souvent dans les accompagnements individuels des professionnels du secteur de la santé, que ce soit pour s'adresser à sa hiérarchie, à ses équipes, à ses patients, à un collègue, et même à ses proches. Savoir dire non, quand c’est nécessaire, est une étape indispensable à l’affirmation de soi et à la prise en main de son équilibre personnel et professionnel.

CE QUI NOUS EMPÊCHE DE DIRE NON

Le besoin d’appartenance

La difficulté à dire non peut s’expliquer de plusieurs manières :

- la peur du regard des autres et de leur jugement ;

- la crainte du conflit qui pourrait en découler ;

- la peur du rejet, évoquée comme une des « blessures de l’âme » ;

- le besoin intarissable d’être reconnu, d’être aimé.

Toutes ces raisons sont principalement en lien avec notre « besoin d’appartenance » ou d’intégration sociale. Dans la mouvance de la psychologie humaniste de Carl Rogers, le psychologue américain H. A. Maslow a évoqué l'appartenance comme un besoin fondamental lié à la nature humaine. Dans ses travaux qui datent de 1950, il a identifié cinq grandes catégories de besoins fondamentaux. Cette classification hiérarchisée a ensuite été popularisée par une représentation sous la forme d'une pyramide (figure 1).

Le besoin d’appartenance est au cœur même de cette pyramide. Il s'articule autour du besoin d'affection, d'amour et de socialisation. Nous ressentons le besoin d'aimer et d'être aimé, mais aussi le besoin d'intégrer un groupe, une communauté, ou encore de développer notre cercle d'amis et de relations.

Cette appartenance à un groupe ou à une communauté nous procure les moyens d’obtenir de l’affection et de l’amour, et nous permet de nous exprimer, d’être écouté et soutenu, d’avoir une place et un rôle à jouer, de structurer notre identité et in fine de recevoir la preuve de notre propre existence.

En disant toujours « oui », nous pensons que nous nous intégrerons mieux au groupe et que nous ne risquerons pas de nous mettre en marge en froissant ceux qui nous formulent une demande.

Des ou croyances limitantes

La difficulté à dire non trouve également sa source dans nos croyances limitantes. L’analyse transactionnelle, dont Éric Berne a posé les bases, a mis en évidence 5 messages particuliers qui guident inconsciemment nos comportements, dont nos façons de communiquer et de manager. Dans les années 70, le psychologue Taibi Kahler, issu également de l’analyse transactionnelle, a développé le concept de « driver ». Les drivers sont ces messages répétitifs que nous avons intégrés à notre insu depuis notre enfance. Ils orientent nos actes et notre prise de décision autant sur le plan personnel que professionnel. Ils se présentaient, pendant notre enfance, sous la forme de fortes recommandations ou d’injonctions plus ou moins explicites que nous entendions fréquemment de la part de nos éducateurs (parents, professeurs…). Ils conditionnaient alors la façon dont nous devons nous comporter pour obtenir leur appréciation, leur amour ou leur reconnaissance. Même s’ils nous ont été transmis avec la meilleure intention du monde, ils nous ont façonnés et peuvent nous avoir enfermés aujourd’hui dans un mode comportemental contraignant. Quels que soient notre culture, notre âge ou notre origine, chacun d’entre nous manifeste des comportements qui relèvent de ces cinq drivers. La plupart d’entre nous manifestons un ou deux drivers de préférence :

- « sois parfait » nous donne l’injonction de toujours rechercher la perfection. Notre monologue intérieur ressemble alors à : « Je n’ai de la valeur que si je fais les choses parfaitement » ;

- « fais des efforts » nous demande de travailler toujours plus pour réussir, car la réussite facile ne vaut rien. Notre monologue intérieur répète : « Je n'ai de valeur que si je fais des choses compliquées et difficiles » ;

- « sois fort » nous fait penser que, pour être apprécié, aimé et/ou reconnu, il est important d’ignorer nos faiblesses. Notre monologue intérieur ressemble à « Je n'ai de la valeur que si je mène les actions seul et qu'elles me coûtent » ;

- « dépêche-toi » nous donne l’injonction d’être toujours occupé pour avoir de la valeur. Selon notre monologue intérieur, « Je n'ai de la valeur que si je fais vite et que je me dépêche » ;

- « fais plaisir » nous demande de nous occuper des autres avant de nous occuper de nous. Notre monologue intérieur ressemble à « J'ai de la valeur si je fais plaisir à quelqu'un ».

Nous remarquons aisément comment ces messages contraignants, ces drivers, viennent « jouer » avec notre capacité à dire non. Ces messages inconscients peuvent comporter certains avantages, à condition d’en prendre conscience afin de pouvoir les activer à bon escient, comme des leviers de motivation (encadré 1).

Le manque d’estime et de confiance en soi

Le manque d’estime et de confiance en soi tient souvent un rôle particulier dans la difficulté que nous pouvons avoir à nous affirmer et à dire non. C’est un jugement de valeur porté sur soi qui procure un sentiment de honte ou de fierté. Il dépend de facteurs internes et externes et il est variable dans le temps. Selon Christophe André, l’estime de soi repose sur trois piliers, comme un arbre à trois racines :

- l’amour de soi, qui se nourrit affectivement depuis la petite enfance et qui désigne donc l’amour inconditionnel que l’on se porte ;

- l’image de soi, qui correspond au regard que nous portons sur nous-même. Elle est souvent liée aux regards portés sur nous par l’entourage et en premier lieu les parents. Elle peut donc être fondée ou totalement irrationnelle ;

- la confiance en soi, qui se construit en fonction des actes que nous réalisons, réussites ou échecs. Elle est également liée aux signes de reconnaissance que nous avons reçus ou recevons.

L’estime de soi n’est donc pas figée. Elle influence notre façon d’aborder nos relations et de répondre aux demandes que nous recevons.

POURQUOI DIRE NON 

Comme nous l’avons vu, nous avons tendance à dire oui pour aider les autres, pour être apprécié, pour faire ce qui nous semble le mieux, mais nous oublions souvent qu’en disant « oui » aux autres, nous nous disons « non » à nous-même et à nos priorités.

Dire non présente plusieurs avantages qui vont venir répondre aux permissions associées à certains de nos drivers et faire écho aux concepts précédents :

- poser des limites, nos propres limites et donc, se dire oui à soi, tenir compte de ses priorités, de ce qui est important pour soi ;

- garder le contrôle sur nos priorités, notre agenda, notre emploi du temps, notre rythme naturel de travail ;

- renforcer sa confiance en soi en réalisant des actes qui nous conviennent profondément (ou en refusant ceux qui ne nous conviennent pas), et donc augmenter l’estime de soi ;

- respecter l’autre en le traitant comme un égal, donc ni comme un être supérieur ayant l’ascendant, ni comme quelqu’un d’inférieur, incapable de faire seul ;

- baisser notre niveau de stress en nous préservant de ce qui n’est pas acceptable, pas tolérable ou tout simplement pas réalisable.

COMMENT DIRE NON

Dire non peut nous sembler impossible, surtout quand cela semble tellement plus facile de dire oui… Nous vous proposons quelques pistes pour tenter de dire non (tableau 1). Celles-ci sont à expérimenter de façon progressive et adaptée, afin d’identifier les façons de faire qui nous correspondent selon chaque situation.

Comme toujours, il est conseillé de commencer par de petits pas. Il est souvent plus facile de s’entraîner à dire non dans des situations à faible risque. Dans un premier temps, il ne faut pas hésiter à se rappeler pourquoi nous avons décidé de dire non, et tenir bon, car parfois les interlocuteurs sont tenaces !

L’ACCOMPAGNEMENT

Savoir dire non peut se travailler en formation, en thérapie ou en coaching professionnel. Quelles sont les différences ?

La frontière peut sembler floue entre le coaching et la thérapie. Pourtant, coach et thérapeute sont différents. Chacun répond à des besoins spécifiques et joue un rôle particulier auprès des personnes qu’il accompagne.

Patient ou client. La thérapie est une démarche engagée par une personne en état de souffrance ou difficulté psychologique. Le thérapeute est le soignant qui va l’aider à en sortir. Cette personne devient son patient. En coaching, le personne aidée est un client. En particulier en coaching professionnel, où le coach accompagne une personne vers l’atteinte d’objectifs qu’ils ont fixés ensemble en amont.

Pourquoi ou comment. Le désir de changement est au cœur de la demande, mais les démarches diffèrent. La thérapie recherche dans le passé, dans l’histoire de vie du patient, l’origine, le “pourquoi” de ses difficultés. Le coaching explore le “comment”. Il puise dans les ressources de son client les moyens pour lui permettre de passer d’un état présent à une situation nouvelle.

Le temps. Une personne en thérapie ne sait pas pendant combien de temps elle consultera son thérapeute. Le coaching est circonscrit dans le temps et fait l’objet d’un contrat entre les parties (coach, personne coachée et parfois son établissement). Ce document formalise les relations entre les acteurs, les objectifs, le nombre d’entretiens, la durée du coaching, les étapes, les résultats visibles. Le coaching est un accompagnement qui permet au client de trouver ses propres solutions dans un cadre contractuel, déontologique et éthique. Le coach vise l’autonomie du coaché et ne lui dit pas comment faire, c’est là une grande différence avec le conseil dit « consulting ». Le consultant est, lui, une personne spécialisée à qui on s’adresse pour avoir un avis dans un domaine précis. Il va donc donner à son client des indications, le diriger dans sa conduite et dans ses actes.

Thérapie et coaching se rejoignent sur des valeurs fondamentales : le climat de confiance, l’écoute active et sans jugement, l’ouverture d’esprit, la conscience de la responsabilité vis-à-vis de la personne accompagnée. Il arrive parfois au coach de proposer à son coaché d’aller explorer certains sujets en thérapie avec un professionnel adapté. C’est souvent très complémentaire.

La formation, quant à elle, consiste à enseigner les connaissances et les compétences nécessaires à l’exercice d’une activité. Le formateur, par différents styles d’animation, dit « comment faire ». Certaines interventions, en général réalisées par des coachs, sont dites « formation-action » et proposent des mises en situation et des liens permanents avec le quotidien du stagiaire apprenant.

Tous ces accompagnements peuvent s’avérer complémentaires pour vous aider à dire « oui » ou « non » de façon éclairée et sereine.

Encadré 1.

Les antidotes aux croyances limitantes

À l’âge adulte, si les croyances limitantes deviennent des messages automatiques, elles risquent de nous influencer à notre insu et de nous faire agir de manière un peu « robotisée ». Elles régissent parfois notre comportement au mépris de ce qui est bon pour nous.

Il est donc important de se donner à soi-même les permissions suivantes, adaptées à chacun :

- « Sois comme tu es » : tu as le droit à l’erreur et tu peux demander de l’aide ;

- « Respecte-toi » : tu as le droit de prendre un chemin simple et de ne pas toujours tout recommencer ;

- « Exprime tes besoins » : tu as le droit de ne pas subir et de trouver du plaisir dans ce que tu fais ;

- « Prends ton temps » : tu as le droit de prendre en compte ton propre rythme et de te relaxer ;

- « Fais-toi plaisir » : tu as le droit de penser à toi et de définir tes limites.

Bibliographie

- Christophe André et François Lelord. L’estime de soi. S’aimer pour mieux vivre avec les autres. Odile Jacob, 2008.

- Carl Rogers. Le développement de la personne. Inter Editions, 2018.

- Louise Bourbeau. Les 5 blessures qui empêchent d’être soi-même. Pocket, 2021.

- Meryem Le Saget. Le Manager intuitif. Dunod, 1993.

- Eugène T. Gendlin. Focusing. Au centre de soi. Éditions de l'Homme, 2006.

- Christophe André. Imparfaits, libres et heureux. Pratiques de l’estime de soi. Poche Odile Jacob, 2009.

- Dale Carnegie. Comment se faire des amis et influencer les autres. Éditions Alexandre Stanké, 2013.

- Abraham Maslow. Devenir le meilleur de soi-même. Eyrolles, 2013.

- Viktor E. Frankl. Découvrir un Sens à sa vie grâce à la logothérapie. Éditions de l'Homme, 2021.

- Claude Steiner. Des scénarios et des hommes. Analyse transactionnelle des scénarios de vie. Desclée De Brouwer, 2010.

- Éric Berne. Que dîtes-vous après avoir dit bonjour ? Tchou, 2013.

- Claude Steiner. Le Pouvoir du cœur. Inter Éditions, 2010.

- Éric Berne. Des jeux et des hommes. Éditions Stock, 1984.

- Taibi Kahler. Le grand livre de la Process Thérapie. Eyrolles, 2010.