Véronique Fournier - Objectif Soins & Management n° 0287 du 07/07/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0287 du 07/07/2022

 

interview

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Propos recueillis par Adrien Renaud

  

Véronique Fournier a publié en mars dernier Qui est vieux ici ?, un ouvrage réclamant un changement de regard sur la vieillesse. Changement qui implique, notamment, une véritable révolution du côté des soignants.

Fin 2021, vous avez co-créé le Conseil national autoproclamé de la vieillesse (Cnav), dont votre livre est en quelque sorte le manifeste. Pourquoi la vieillesse a-t-elle besoin de s’autoproclamer ?

Parce qu’il nous semble que les gens qui sont aux affaires et qui élaborent aujourd’hui la politique de la vieillesse sont des personnes qui n’ont pas vécu la vieillesse : ils n’ont pas un regard informé, et cela nous paraît manifeste dans beaucoup de politiques publiques. Prenons l’exemple de la politique de la ville, où ce qui prévaut est le tout-vélo ou le tout-tramway. Les gens âgés nous disent que traverser une rue devient pour eux épouvantable, ils ne sont pas en sécurité. Il faut donc absolument que quand des décisions d’organisation de la vie en société sont prises, la parole des personnes vieilles soit entendue.

On assiste aujourd’hui à un réveil de cette parole, auquel le Cnav et votre livre participent. À quoi cela est-il dû ?

J’ai 68 ans, et je pense que je fais partie de la première génération de personnes qui ont des parents qui vivent très vieux et qui recourent massivement aux Ehpads. Cela fait des années qu’on se dit que cela ne se passe pas bien pour eux, et qu’il faudrait que cela se passe mieux pour nous. C’est pour cela, je pense, qu’on a de plus en plus de personnes qui acceptent de se dire vieux, ce qui était moins le cas auparavant.

Qu’attendent ces vieux auto-proclamés, que vous appelez les « nouveaux vieux », de la part des soignants ?

Ils ne veulent pas être des objets de soins. Ils veulent avoir recours à la médecine, parce qu’il le faut, mais ils ne veulent pas que cela soit la préoccupation essentielle de leur vie. C’est notamment pour cela que nous plaidons pour que les lieux de vie et les lieux de soins soient distincts. L’une des raisons de la crise actuelle des Ehpad, par exemple, c’est qu’au nom du soin, la vie disparaît. On préserve les vieux du risque, on utilise la contention, on leur sert du mixé, du gélifié, on leur interdit de voir des gens pour cause de Covid… On peut se demander quel est l’intérêt de la vie dans ces conditions…

Justement, quelles modifications attendez-vous dans le secteur des Ehpad ?

Nous ne voulons pas faire de l’Ehpad-bashing, car c’est trop facile. Nous voulons regarder précisément quelles sont les personnes qui ont vraiment besoin d’un Ehpad, et voir ce qu’on peut faire pour que cela se passe autrement. Les gens qui ont d’importants troubles cognitifs mais qui sont encore bien physiquement, par exemple, se voient à l’heure actuelle proposer pour toute solution les étages fermés des Ehpads. Or, ce sont souvent des personnes pour qui déambuler, être au contact de l’extérieur, est la seule chose qui peut adoucir la vie quotidienne. Il faut pour ces gens-là d’autres solutions, des espaces plus grands et sécurisés.

Mais ce profil ne correspond qu’à une partie du public actuel des Ehpad…

Effectivement. Il y a aussi des gens qui sont très "cassés" sur le plan physique, qui ont grandes insuffisances d’organes, qui ont besoin d’un accompagnement important sur le plan sanitaire, et qui sont, justement, ceux pour qui on a transformé les Ehpad en lieux de soins. Ceux-là doivent au contraire retrouver une séparation entre le lieu de vie et le lieu de soin. On ne peut pas vivre des mois et des mois comme à l’hôpital, en étant transformé en malade à vie ! Pour eux, nous voudrions de petites unités, au sein de la ville, et dans lesquelles les acteurs du système sanitaire se déplaceraient.

Les « nouveaux vieux » ont-ils des attentes vis-à-vis du secteur hospitalier ?

Quand j’étais jeune médecin, on nous a taxé d’âgisme quand on estimait qu’il n’était pas toujours nécessaire de proposer les traitements les plus agressifs aux vieux : il y a eu une levée de boucliers, les gens ont estimé que les vieux avaient, comme les autres, droit aux traitements maximalistes. On a donc développé, par exemple en oncologie, des évaluations gériatriques pour vérifier que les personnes sont à même de supporter ces traitements. On est aujourd’hui capables de proposer des traitements identiques que l'on ait 60 ans ou 90 ans, mais ce dont on ne se rend pas compte, c’est que ce n’est pas forcément le choix du patient.

Faudrait-il modifier notre manière de voir les soins ?

Ce que les vieux disent, c’est qu’ils veulent que la médecine leur permette de marcher, de voir, d’entendre, de manger. C’est ce qui leur permet de rester dans la continuité d’eux-mêmes. La médecine qui n’aurait comme finalité que de les aider à survivre, cela ne les intéresse pas forcément. Or, aujourd’hui, la médecine est capable de faire un PET-scan pour vérifier la présence de métastases, mais elle peut bien peu de choses pour aider à voir, à marcher ou à entendre…

En ce début de quinquennat, période particulièrement propice à la formulation de vœux, quels sont vos souhaits ?

Nous demandons la création d’un Conseil national consultatif des personnes vieilles : une instance placée auprès du Premier ministre, qui travaillerait un peu à la manière du Conseil national consultatif des personnes handicapées. Tous les ministères devraient le rencontrer une fois par an, et intégrer ses avis dans leurs politiques… On arriverait de la sorte à faire entendre notre voix bien mieux qu’avec un éventuel Secrétariat d’État aux personnes vieilles, qui serait de toute façon toujours le parent pauvre des ministères.

Le manifeste d’une génération

« Quelle lubie m’a prise ? » C’est par cette question que Véronique Fournier ouvre Qui est vieux ici ?, le livre qu’elle a publié avec « quelques autres vieux » aux éditions rue de Seine en mars dernier. Arrivée à l’âge de la retraite, cette cardiologue et médecin de santé publique qui a notamment dirigé le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie aurait pu se retirer du débat public et cultiver son jardin. Mais « en tant que jeune vieille », écrit-elle, il lui a semblé « impératif de prendre part à l’indispensable adaptation – à imaginer – de la société », à la « nouvelle donne » que constitue « l’allongement massif de la longévité ». Car pour elle, cet allongement s’accompagne d’une double tendance : d’une part, les personnes concernées ont du mal à s’accepter comme vieilles, et d’autre part, la société a tendance à « invisibiliser les vieux ». D’où la nécessité, selon elle, de porter la parole des vieux. C’est ce qu'elle et plusieurs de ses complices ont fait en créant le Cnav, mais aussi en écrivant ce livre. Car cet ouvrage est le fruit d’un travail collectif. En plus d’y exposer les multiples façons dont la voix de sa génération devrait être entendue, Véronique Fournier y publie en effet une vingtaine de lettres de personnalités évoquant, en quelques paragraphes, ce qu’être vieux signifie pour eux. On trouve, parmi les contributeurs, des noms aussi prestigieux que ceux de Laure Adler, Michel Wieviorka, ou encore Didier Sicard… Une belle manière de montrer les mille et une manières d’aborder cet âge de la vie, et de tenter d’en tirer le meilleur.