Jurisprudence mars et avril 2022 - Objectif Soins & Management n° 0287 du 07/07/2022 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0287 du 07/07/2022

 

Pratique hospitalière

DROIT

Gilles Devers  


*Avocat à la cour de Lyon
**L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt

Survenue d’un arrêt circulatoire au décours de l’intubation-ventilation d’un patient poly-intoxiqué, absence de diagnostic d’une luxation du cubitus, dossier médical incomplet, manœuvre inadaptée ou tardive lors d’un accouchement, chutes ou suicide d’un patient, faits de violence pour maîtriser un patient agité… Quelques éléments de réflexion et d’analyse en matière de pratique des soins et responsabilité.

1/ Arrêt circulatoire au décours de l'intubation-ventilation d'un patient poly-intoxiqué

Si la survenue d’un arrêt circulatoire au décours de l’intubation-ventilation à l’origine de séquelles graves ne résulte pas d’une faute médicale et ne permet pas non plus d’établir le lien de causalité, chez un patient poly-intoxiqué, aucune responsabilité ne peut être retenue. (CAA de Douai, 26 avril 2022, n° 21DA00720)

Faits

Le 25 octobre 2015, un homme alors âgé de vingt-cinq ans a été pris en charge à son domicile par le service d’aide médicale urgente, assisté des sapeurs-pompiers, en raison de son agitation extrême à la suite d’une intoxication médicamenteuse volontaire, survenue à dix-neuf heures trente, par l’absorption de baclofène et de paracétamol, associée à une prise d’alcool et de cannabis.

À son arrivée au service des urgences du centre hospitalier de Doullens jusqu’au lendemain matin, il lui a été administré à plusieurs reprises un neuroleptique, du Loxapac®, en raison de son agitation et de son agressivité importantes, et il a été procédé à une contention physique sur prescription médicale puis à un placement en salle de déchocage.

Aux alentours de sept heures quinze du matin, est apparue une détresse respiratoire, et le médecin-réanimateur, appelé en urgence, a décidé, à huit heures, une sédation complète avec intubation en raison d’une détresse respiratoire. Au décours de l’intubation-ventilation est survenue une asystolie sans arrêt respiratoire, suivie d’un arrêt cardiaque pendant deux à trois minutes.

Une fois les paramètres vitaux redevenus stables, le patient a été transféré dans un CHU où la prise en charge a été marquée par un arrêt progressif des sédations. En cours de la rééducation, a été posé le diagnostic d’anoxie cérébrale, ayant entraîné un syndrome tétrapyramidal déficitaire responsable d’une diminution très importante de l’autonomie motrice et de troubles mnésiques et intellectuels.

Le dommage subi consiste en une atteinte neurologique associant un syndrome tétrapyramidal déficitaire, responsable d’une diminution très importante de l’autonomie motrice, de troubles cognitifs intéressant l’ensemble des champs cognitifs avec diminution de l’efficience intellectuelle.

Procédure

Par jugement du 4 février 2021, le tribunal administratif d’Amiens a rejeté la demande de la famille, qui a interjeté appel.

Droit applicable

Les professionnels et les établissements de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute (CSP, art. L. 1142-1, I).

Expertise médicale

L’expertise médicale, confiée à deux spécialistes en neurologie et réanimation, a conclu à la survenue d’un arrêt circulatoire au décours de l’intubation-ventilation à l’origine d’une anoxie cérébrale responsable des troubles mnésiques et intellectuels dont est resté atteint le patient, indépendamment de tout manquement aux règles de l’art dans la prise en charge de ce patient dont l’état antérieur a joué un « rôle critique » dans la survenue du dommage.

Responsabilité du centre hospitalier

Analyse

Le dommage subi par le patient trouve son origine de façon très probable dans l’anoxie cérébrale imputable à l’arrêt circulatoire survenu au décours immédiat de l’intubation avec ventilation assistée, décidée douze heures après son admission pour troubles de conscience à type d’agitation et de somnolence, dans un contexte d’intoxication volontaire au paracétamol, baclofène, alcool et cannabis.

La cause exacte de ce mécanisme d’arrêt circulatoire n’a pu être déterminée, mais les experts n’excluent pas que le patient ait été plus spécialement exposé à cette complication en raison du rôle des molécules qu’il avait absorbées volontairement et de son état antérieur. Or, la consommation régulière de cannabis à fortes doses est un facteur de risque reconnu de constitution de lésions neuronales, d’accident vasculaire cérébral ischémique et de lésions anoxo-ischémiques, tout comme la consommation de cocaïne, ce qui correspond aux antécédents non contestés du patient.

Les experts excluent clairement dans la survenue de cet accident cardiaque tout manquement aux règles de l’art de la part de l’équipe médicale, aussi bien dans la prise en charge médicamenteuse par Loxapac® de l’agitation et de l’intoxication présentées lors de l’admission, que de la détresse respiratoire par intubation-ventilation douze heures après son admission.

S’agissant de l’intubation, l’induction anesthésique par propofol, agent anesthésique intraveineux d’action rapide, n’était pas susceptible d’avoir entraîné un arrêt circulatoire et, aucune inhalation importante n’ayant été décrite, avant ou au moment de l’intubation, les micro-inhalations ne pouvaient être à l’origine d’un arrêt circulatoire juste après une intubation mais seulement d’une pneumopathie secondaire comme cela a été constaté.

Aussi, à supposer même que l’intubation ait connu des difficultés, aucune faute dans la réalisation de cette intubation n’est démontrée, et surtout aucune faute en lien avec l’arrêt cardio-respiratoire. La preuve d’une faute médicale n’est pas rapportée.

Réparation par l’Oniam

Un accident médical ouvre droit à la réparation par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) lorsqu’il est directement imputable à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’il a eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci, et présentent un caractère de gravité, fixé par 25 % d’incapacité (CSP, Art. L. 1142-1).

Les experts ont conclu que le dommage était la conséquence d’un « accident médical non fautif ».

D’abord, il n’appartient pas à un expert de se prononcer sur la qualification juridique des faits, et leur qualification est sans valeur.

Ensuite, l’expertise montre qu’aucun lien physiopathologique ne peut être retenu entre cet acte médical et l’anoxie cérébrale survenue.

Enfin, les molécules volontairement absorbées, et notamment le baclofène, qui peut être à l’origine d’une dépression respiratoire et cardiovasculaire, associées aux antécédents du patient, consistant en une addiction quotidienne importante au cannabis depuis sa majorité, un éthylisme chronique, une consommation de drogues dures et une obésité morbide, peuvent constituer une cause déterminante du dommage.

Dans ces conditions, malgré le bref délai entre l’intubation et l’arrêt circulatoire survenu, aucune imputabilité du dommage à un acte de soins ne peut être établie, et en l’absence de preuve du lien de causalité, le recours formé contre l’Oniam est rejeté.

2/ Absence de diagnostic et infection nosocomiale

L’absence de diagnostic d’une luxation du cubitus constitue une faute, obligeant intervention d’ostéosynthèse complexe, au cours de laquelle la patiente a contracté une infection nosocomiale, avec au total une responsabilité retenue au taux de 90 %. (CAA de Lyon, 19 avril 2022, n° 20LY02719)

Faute médicale

À la suite d’une chute, une femme a été prise en charge dans un centre hospitalier. La radiographie initiale du 13 juillet 2009 montrait qu’elle souffrait d’une lésion complexe de l’avant-bras droit, dite de Monteggia, associant une fracture de la partie centrale du cubitus à une luxation de la tête radiale. Toutefois, cette luxation n’a pas été décelée par le praticien qui a assuré la réduction orthopédique le même jour et la luxation n’a pas été réduite.

Selon l’expert, l’objectif principal dans ce type de lésion complexe est qu’il soit procédé à la réduction de la luxation de la tête radiale. En raison de l’absence de diagnostic d’une luxation de la tête radiale et de réduction de celle-ci, l’intervention du 13 juillet 2009 a été exécutée en méconnaissance des règles de l’art. Un tel manquement constitue une faute engageant la responsabilité.

Infection nosocomiale

Cette faute a rendu nécessaire la réalisation, le 30 juillet 2009, d’une intervention d’ostéosynthèse complexe, au cours de laquelle la patiente a contracté une infection à staphylocoque et Enterobacter cloacae. La faute initiale est donc la cause directe des conséquences dommageables de cette infection.

Selon l’expertise, dans 90 % des cas, un traitement orthopédique réalisé conformément aux règles de l’art est suffisant pour réduire une fracture de Monteggia. Ainsi, le manquement commis par le praticien dans la réduction orthopédique de la lésion a entraîné une perte de chance de 90 % d’éviter l’intervention chirurgicale au cours de laquelle une mise sous tension du revêtement cutané a été à l’origine d’une nécrose, ayant permis la contamination provoquant ainsi l’infection.

3/ Insuffisance du dossier médical et défaut de surveillance

L’insuffisance du dossier médical ne suffit pas à établir l’existence d’une faute dans la prise en charge, mais le juge doit tenir compte de cette carence probatoire quand il apprécie l’existence des fautes reprochées, et spécialement un défaut de surveillance. (CAA de Bordeaux, 14 avril 2022, n° 20BX00250)

Faits

Un homme âgé de 65 ans et présentant des antécédents psychiatriques et cardiaques, a été transféré à deux reprises par les pompiers au service des urgences du centre hospitalier de Libourne, le 6 décembre 2015 vers 22 heures, pour une crise d’anxiété avec trouble du comportement et perte de mémoire, et le 9 décembre 2015 vers 20 heures, pour une céphalée brutale avec des épisodes de perte de connaissance brefs dans un contexte de confusion, de désorientation et de faiblesse musculaire.

La première hospitalisation a duré moins de trois heures, les examens réalisés n’ayant montré aucune anomalie.

Lors de la seconde, le patient, semi mutique et présentant un score de Glasgow de 14, a été placé en surveillance dans l’unité d'hospitalisation de courte durée (UHCD). Au cours de la journée du 10 décembre, il a présenté une agitation croissante culminant dans la nuit avec l’arrachement de la perfusion, une déambulation et la tenue de propos délirants, et à 0 heure 09 le 11 décembre, il a fait l’objet d’une contention et a reçu un traitement sédatif à base de benzodiazépines (Tranxene®) et de neuroleptique (Loxapac®). À 2 heures 50, un arrêt cardio-respiratoire est survenu après une bradycardie, et les soins dispensés durant dix minutes ont permis la reprise d’une activité cardiaque. Le patient a été transféré dans le service de réanimation, où il est décédé le 20 décembre 2015 des suites d’une souffrance cérébrale post-anoxique irrécupérable.

Expertise

Lors de l’expertise, n’était présent aucun médecin du centre hospitalier et le compte rendu d’hospitalisation était peu informatif, permettant seulement d’avancer des hypothèses. Selon les experts, l’emploi de benzodiazépines et d’un neuroleptique n’était pas critiquable dès lors qu’une crise d’agitation survenant sur un terrain psychiatrique préexistant correspond toujours à une situation grave et difficile à traiter. Mais ce traitement à fort potentiel de dépression respiratoire demandait une surveillance étroite, et en l’absence d’information sur l’évolution du patient après l’administration de ces produits sédatifs, « la surveillance n’a pas été ce qu’elle aurait dû être, ce qui a permis le développement d’une dépression respiratoire dont les conséquences auraient pu être prévenues si l’avis d’un réanimateur avait été demandé plus tôt ».

Le centre hospitalier a été requis de communiquer « l’entier dossier médical ».

Or, les documents fournis ne permettent pas de mettre en évidence la surveillance entre l’injection des sédatifs à 0 heure 09 le 11 décembre et le déclenchement de l’alarme à 2 heures 50. Aussi, les experts ont maintenu que si l’origine des troubles ayant motivé les hospitalisations ne pouvait être établie, l’issue fatale était liée à une surveillance inadaptée dans le service des urgences.

Droit applicable

L’incapacité d’un établissement de santé à communiquer aux experts judiciaires l’intégralité d’un dossier médical n’est pas, en tant que telle, de nature à établir l’existence de manquements fautifs dans la prise en charge du patient. Il appartient en revanche au juge de tenir compte de ce que le dossier médical est incomplet dans l’appréciation portée sur les éléments qui lui sont soumis pour apprécier l’existence des fautes reprochées à l’établissement dans la prise en charge du patient.

Analyse

Avec son dossier incomplet, le centre hospitalier n’apporte pas de contestations sérieuses au défaut de surveillance adaptée entre l’injection du traitement médicamenteux à 0 heure 09 et le déclenchement de l’alarme à 2 heures 50.

Si ce dossier porte la mention « 02h50 bradycardie au scope suivie d’un ACR, aussitôt MEC (planche) + ventilation au masque », dont il peut être déduit que la bradycardie a été détectée à 2 heures 50 et que l’arrêt cardiaque a été pris en charge aussi rapidement qu’il aurait pu l’être dans un service de réanimation, le caractère incomplet du dossier ne permet pas d’établir que la bradycardie serait survenue brutalement au moment où elle a été constatée. Le centre hospitalier ne prouve pas que le patient aurait fait l’objet d’une surveillance adaptée à sa pathologie cardiaque et aux effets des sédatifs administrés, et n’aurait pas présenté d’anomalie du rythme cardiaque avant 2 heures 50. Aussi, sa responsabilité pour faute doit être retenue.

Selon les experts, une surveillance adaptée aurait probablement pu prévenir la survenue de l’hypoxie et ses conséquences. En l’absence de tout élément médical de nature à établir que la bradycardie aurait été aussi soudaine que l’arrêt cardio-respiratoire qui s’est ensuivi, la perte de chance doit être fixée à 80 %.

4/ Manœuvre inadaptée et responsabilité

Face à une dystocie des épaules, une manœuvre inadaptée de la sage-femme puis un geste juste, mais se trouvant tardif, de l’infirmière, engagent la responsabilité avec un taux de 50 % (CAA de Douai, 22 mars 2022, 21DA00994)

Faits

Le 10 avril 2012 à 9 heures 55, une femme a donné naissance à son fils, dans un établissement hospitalier. Elle avait été admise la veille, en salle de travail, à minuit, les efforts expulsifs ayant débuté sous la supervision de la sage-femme chargée de l’accouchement à 9 heures 45. À 9 heures 50, une dystocie des épaules a contraint la sage-femme à procéder à une flexion des cuisses couplée à une pression sus-pubienne, mais en l’absence de résultats et face à la persistance de la dystocie, la sage-femme a provoqué des mouvements de rotation et de traction de la tête de l’enfant, geste dénommé « rotation paradoxale » qui n’a pas permis de débloquer l’enfant. Il a alors été fait appel à un médecin qui a tenté une manœuvre dite « de Jacquemier » sans parvenir à évacuer le bébé en raison du volume des cuisses et du tablier abdominal de la mère. La même manœuvre, réalisée par une infirmière, a permis, à 9 heures 55, de débloquer les épaules de l’enfant qui est né avec une paralysie obstétricale du plexus brachial droit.

Faute

L’extraction de l’enfant à naître a été réalisée à 9 heures 55 grâce à une manœuvre dite « de Jacquemier », consistant à dégager le bras postérieur de l’enfant, d’abord tentée par l’obstétricien seul, puis réussie avec l’aide d’une infirmière, qui a permis la naissance d’un enfant exempt d’anoxie cérébrale. Le partogramme renseigné par la sage-femme comporte également, après le relevé de l’échec d’une manœuvre de Mac Roberts, l’indication « essai rotation paradoxale ». Or, selon les experts, un tel geste, susceptible en cas de dystocie des épaules de provoquer des dilacérations voire un arrachement des racines du plexus brachial, était formellement contrindiqué, étant très dangereux pour le fœtus. Sa réalisation revêtait le caractère d’une faute.

Lien de causalité

Des lésions du plexus brachial étaient très probablement constituées avant même l’identification d’une dystocie des épaules, en raison du phénomène d’étirement du plexus brachial par propulsion fœtale entravée lors des efforts d’expulsion, principale cause des paralysies obstétricales du plexus brachial, et elles ont vraisemblablement été aggravées par la réalisation fautive d’une rotation paradoxale de la tête fœtale.

Dès lors, il n’est pas certain que ces lésions du plexus brachial ne seraient pas advenues en l’absence du geste fautif, mais pour autant il n’est pas davantage établi avec certitude que les lésions étaient déjà irréversiblement acquises dans leur totalité quand a été pratiquée cette manœuvre. Aussi, la responsabilité du centre hospitalier doit être engagée à raison de la perte de chance d’éviter tout ou partie des séquelles dont il est resté atteint.

Eu égard à la probabilité qu’avaient les lésions du plexus brachial de se constituer, même sans manœuvre fautive, compte tenu notamment de l’importante prise de poids de la parturiente pendant la grossesse, qui a multiplié le risque de macrosomie du fœtus, et du diabète gestationnel dont elle était atteinte, il y a lieu d’évaluer l’ampleur de cette perte de chance à 50 %.

5/ Chutes malgré une surveilance adaptée

Une série de chutes chez un patient âgé, avec des conséquences sérieuses, ne suffit pas à engager la responsabilité dès lors que les mesures de prévention et la surveillance étaient adaptées (CAA de Nancy, 29 mars 2022, n° 20NC00302)

Faits

Un homme alors âgé de 85 ans, a été pris en charge au sein du service de médecine polyvalente d’un CHU à compter du 7 mai 2013 pour une altération de son état général. Dès son arrivée au CHU, il a été installé dans un lit à barrières en raison des risques de chute qu’il présentait.

Dans la nuit du 9 au 10 mai, en dépit de cette mesure de protection, le patient a chuté une première fois, après être passé au-dessus des barrières de protection. Le service a, en conséquence, pris de nouvelles mesures de protection et le patient a ainsi été placé dans un lit bas avec barrières.

Dans la nuit du 14 au 15 mai, le patient s’est, en dépit des préconisations des soignants, levé seul et est à nouveau passé au-dessus des barrières. Il a chuté après avoir glissé et s’est ainsi causé une fracture de l’omoplate droite et une fracture comminutive affectant le grand trochanter et la zone basi-cervicale du membre inférieur droit.

Il a été opéré une première fois par la pose d’un clou gamma diaphysaire dans le fémur droit avec verrouillage distal pour ostéosynthèse de la fracture.

Dans la nuit du 17 au 18 juin, le patient a à nouveau chuté et il a été retrouvé, le 18 juin, assis au sol. Le lendemain, 19 juin, il s’est vu diagnostiquer une fracture du fémur droit.

Au final, une prothèse de hanche avec cerclage et plaque vissée a été mise en place le 25 septembre 2013.

Analyse

Il n’était pas acceptable d’imposer des contentions au patient pour l’empêcher de se lever dans la nuit, de sorte que la mise en place de mesures plus contraignantes n’était pas possible.

Les mesures protectrices mises en place au sein du service ont, à la suite de ce deuxième accident et du transfert temporaire au sein d’un autre service, été maintenues.

S’agissant de la troisième chute, il n’a pas été établi une déclaration relative à cet évènement, et cette chute n’a pas été reportée au dossier médical du patient. Il s’agit là de fautes administratives, mais qui ne permettent pas de conclure à une faute de surveillance ou d’organisation de l’établissement, qui avait mis en œuvre les mesures de prévention adaptées pour prévenir une chute.

Au total, le CHU de Reims a commis une faute en n’établissant pas une déclaration de chute à la suite de l’accident survenu dans la nuit du 17 au 18 juin 2013, mais cette faute est cependant sans lien avec la survenance de cette chute ni avec le déplacement du clou gamma.

6/ Suicide d'un patient dans le service sans engagement de responsabilité

Le suicide d’un patient par pendaison dans le service n’engage pas la responsabilité dès lors qu’il ne laisse apparaître aucune faute ni dans la prise en charge médicale, ni dans l’organisation des soins. (CAA de Lyon, 17 mars 2022, n° 20LY02430)

Faits

Un homme né en 1975, marié et père de deux enfants, a tenté de mettre fin à ses jours à son domicile le 13 février 2016. Il a été admis aux urgences du centre hospitalier où il a réitéré une tentative de suicide le 14 février 2016. Il a été ensuite transféré dans une clinique psychiatrique à compter du 1er mars 2016.

Le 15 mars suivant, il a fait une nouvelle tentative de suicide par pendaison et a été transféré dans le coma dans un CHU où il est décédé le 18 mars 2016.

La veuve reproche à l’hôpital une faute dans le diagnostic et dans le traitement des troubles psychiatriques qui affectaient son mari.

Expertise

Le patient, ne présentant aucun antécédent psychiatrique, a souffert d’un trouble délirant inaugural de mécanisme interprétatif et de thématique persécutoire avec dimension dépressive. Après ses tentatives de suicide les 13 et 14 février 2016, son état de santé mentale s’est rapidement amélioré avec la disparition des éléments délirants à thème de persécutions, liés aux récents attentats du 13 novembre 2015, de son syndrome dépressif et surtout de ses idées suicidaires jusqu’au passage à l’acte le 15 mars 2016.

Analyse de la prise en charge

Les éléments du dossier médical et soignant mettent en évidence des décisions d’hospitalisation et des soins adaptés à la pathologie du patient, lequel a vu son état s’améliorer rapidement avant une brutale rechute. Les troubles du sommeil ont été correctement pris en charge par une modification de son traitement psychotrope. Lors des tournées effectuées la nuit précédant sa tentative de suicide, il a été constaté que la victime dormait normalement.

Le patient a été maintenu en hospitalisation sous contrainte pendant toute la durée de son séjour hospitalier et fait l’objet d’une surveillance constante afin notamment d’éviter un nouveau passage à l’acte. Les entretiens avec les psychiatres se sont espacés au fil du temps, mais sont restés réguliers.

Aucune faute médicale à l’origine de la tentative de suicide ne peut être reprochée à l’équipe hospitalière.

Analyse de l’organisation des soins

L’état mental de la victime ne justifiait nullement qu’un inventaire de ses effets personnels soit effectué, ni que le foulard lui ayant servi à se pendre lui soit retiré. L’équipe n’a pu produire aucun protocole de surveillance rapprochée pour les patients sous régime d’hospitalisation sous contrainte, mais cela n’est pas de nature à remettre en cause la réalité de la surveillance dont le patient faisait l’objet.

L’état mental apparent ne proscrivait pas que les portes de la chambre ou de la salle de bains, au demeurant partagées avec un autre patient, ne puissent pas être fermées à clé, et l’équipe soignante a pu défoncer la porte pour tenter de sauver la victime.

Une surveillance régulière a été effectuée la nuit du 14 au 15 mars 2016 et le patient a eu un dernier contact avec l’équipe soignante vers 8 heures 30.

Après que la victime se soit enfermée dans la salle de bains afin de se pendre avec son foulard, une alerte rapide par son voisin de chambre a permis une intervention de l’équipe soignante vers 8 heures 45. L’équipe soignante a prodigué les premiers secours.

De telle sorte, la preuve d’une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service n’est pas rapportée.

7/ Suicide d'une patiente et défaut de vigilance

Le fait qu’une patiente, âgée de 15 ans, hospitalisée en psychiatrie, ait pu se rendre seule dans le parc où elle a été agressée sexuellement ne résulte pas d’une faute, et la prise en charge ultérieure du risque suicidaire a été attentive. En revanche, le fait que la jeune fille soit restée, malgré ce risque, en possession de sa ceinture, est fautif. (CAA de Nantes, 25 mars 2022, n° 21NT01802)

Faits

Une jeune fille, née en 1999, a été prise en charge, le 15 juillet 2014, par un CHU au sein d’un service spécialisé en psychiatrie. Le 6 décembre 2014, après avoir bénéficié d’une sortie dans le parc de l’établissement de santé, elle a déclaré avoir subi une agression sexuelle, pour laquelle elle a porté plainte. Le 8 décembre 2014, à 19h05, elle a été retrouvée dans sa chambre, en arrêt cardio-respiratoire après une tentative de pendaison. Elle est décédée des suites de son geste le 12 décembre 2014.

Droit applicable

Une personne hospitalisée avec son consentement pour des troubles mentaux relève du régime de l’hospitalisation libre et dispose des mêmes droits liés à l’exercice des libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux malades hospitalisés pour une autre cause. Toutefois, la circonstance qu’un patient relève du régime de l’hospitalisation libre ne fait pas obstacle à l’engagement de la responsabilité de l’établissement si, au regard de l’état de santé du patient et notamment de ses antécédents de tentatives de suicide, les mesures de surveillances dont il disposait dans le cadre du régime d’hospitalisation libre de l’intéressé étaient inadéquates (CSP, Art. L. 3211-2).

Analyse

La jeune patiente, qui était hospitalisée dans une unité pour troubles du comportement alimentaire depuis juillet 2014, a bénéficié le 6 décembre 2014 d’une autorisation médicale de sortie libre. Au retour de cette sortie, elle a signalé qu’elle avait été victime d’une agression sexuelle dans le parc du centre hospitalier. Le lendemain, elle a porté plainte contre son agresseur. L’enquête pénale engagée n’ayant pu permettre d’identifier la personne à l’origine de ces faits, cette plainte a été classée sans suite par le procureur de la République.

La jeune fille avait effectué deux tentatives de suicide en juin 2014, mais son état de santé, le 6 décembre 2014, n’était pas inquiétant. Son comportement ne présentait pas de symptômes particuliers de nature à rendre nécessaire une surveillance plus étroite de la patiente que celle dont elle bénéficiait. Elle avait d’ailleurs, les jours précédents, bénéficié d’autorisations de sortie dans le parc avec des membres de sa famille sans que ces sorties ne suscitent de difficultés particulières. Ni les antécédents, ni le comportement de l’intéressée, en particulier les jours et heures ayant précédé la sortie, n’étaient de nature à laisser suspecter une situation l’exposant à un risque particulier nécessitant des mesures de surveillance plus importantes que celles qui ont été mises en place, telles que la prohibition de toute sortie hors du bâtiment dans lequel elle était hospitalisée.

Dans ces conditions, le fait que la jeune fille a pu être autorisée médicalement à sortir seule, pendant une durée d’un quart d’heure, à l’extérieur des bâtiments hospitaliers sans être accompagnée ne constitue pas, en l’espèce, une faute de nature à engager la responsabilité.

Toutefois, alors même qu’une fouille de la chambre a été effectuée, la victime s’est pendue avec une ceinture. Immédiatement après l’agression, le CHU a pris des mesures propres à améliorer la sécurisation des bâtiments et le lendemain, l’équipe a assisté la victime, dont l’état de vulnérabilité particulière avait été relevé par le personnel soignant puisqu’elle avait fait part d’idées suicidaires, dans sa démarche de dépôt de plainte.

Lors de la journée du 8 décembre 2014, elle avait fait l’objet d’une surveillance infirmière rapprochée, le dernier entretien ayant eu lieu à 18h45. Dans ces conditions, bien que le centre hospitalier ait porté une attention particulière à la victime après les faits en cause, notamment en s’inquiétant sans délai du retard de 5 mn de l’intéressée au dîner de 19h, compte tenu du contexte très particulier dans lequel se trouvait la patiente à la suite de l’agression dont elle a fait part, le fait que le jeune fille ait pu rester seule avec une ceinture dont l’usage pouvait être détourné constitue une faute de surveillance ou de vigilance, et l’établissement doit être déclaré responsable du décès de la jeune fille.

8/ Violence envers un patient agité

Des faits de violence, lors de la maîtrise d’un patient agité, constituent une faute disciplinaire, alors même que ce type de situation est difficile à gérer. (CAA de Nancy, 28 avril 2022, 21NC01069)

Faits

Dans la soirée, un agent de sécurité et l’un de ses collègues ont été appelés dans une unité de soins en psychiatrie pour demeurer en appui à l’extérieur d’une chambre pendant que le personnel soignant prenait en charge un patient sous contention, placé en chambre d’isolement et sujet à délire avec comportements sthéniques et phases d’agressivité et d’agitation.

Libéré de sa contention au bras droit, ce patient délirait et insultait les infirmières sans toutefois que ces dernières, selon leurs propres déclarations, ne se soient senties particulièrement menacées.

Alors qu’il n’y avait pas été sollicité, l’agent est entré dans la chambre et a surenchéri aux propos délirants et aux insultes que proférait le patient. À la suite d’une insulte du patient, il s’est précipité sur lui et lui a porté des coups sur le haut du corps, ce qui a nécessité l’intervention verbale et physique des soignants présents et de son collègue pour l’écarter du patient. À cet instant, une troisième infirmière, arrivée dans la chambre alertée par les cris, a déclenché un appel d’urgence dont le cadre de santé d’astreinte a été informé par le standard.

L’agent était entre temps sorti de la chambre mais alors que son collègue tentait de raccrocher la contention du patient, ce dernier lui a craché au visage. L’agent est alors entré une seconde fois dans la chambre et a saisi le patient au cou pour le plaquer sur le lit. Les soignants sont à nouveau intervenus pour protéger le patient et les deux agents de sécurité ont quitté la chambre.

Procédure

Au terme d’une procédure disciplinaire, l’agent a été sanctionné d’un an d’exclusion temporaire au motif de violences sur un patient sous contention. Il affirme ne pas avoir commis de faute, et estime qu’en toute hypothèse la sanction est excessive.

Droit applicable

Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire (Statut 1983, Art. 29). Il appartient au juge de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

Analyse du comportement

Ce déroulement des faits ressort des témoignages du personnel soignant et est confirmé par le cadre de santé d’astreinte, arrivé sur les lieux peu après l’incident, qui a constaté le fort impact psychologique de l’incident sur l’équipe soignante. Par ailleurs, la cadre de santé responsable de l’unité qui s’est également déplacée sur les lieux après l’incident, a fait rédiger une déclaration d’événement indésirable au titre de faits de violence physique sur patient. En outre, les constatations opérées par l’interne de garde le soir même et par le médecin du service le lendemain, corroborent la réalité des blessures infligées au patient.

Cette version des faits est remise en cause par le collègue de l’agent, mais celui-ci reconnaît, tant dans le rapport d’enquête que devant le conseil de discipline, que l’intervention de son collègue était trop brutale et inadaptée. D’ailleurs, il s’est lui-même interposé, avec les soignants, entre son collègue et le patient.

Dans ces conditions, et malgré certaines incertitudes relevées dans les différents témoignages sur le déroulement exact de l’incident, il ressort de pièces du dossier que les faits reprochés, à savoir l’agression d’un patient dans le cadre d’une intervention auprès de lui, doivent être regardés comme suffisamment établis. Ces faits fautifs sont de nature à justifier l’application d’une sanction disciplinaire.

Sanction

L’agent soutient que si son intervention sur le patient pouvait éventuellement être qualifiée de « musclée », la sanction infligée est disproportionnée.

Toutefois, en tant qu’agent de sécurité, il pouvait intervenir en renfort, à la demande du personnel soignant, pour maîtriser les patients agités ou pour assurer une présence préventive et dissuasive. Or, il est entré dans la chambre du patient et a agi de sa propre initiative, sans que la situation l’exige, et de manière violente. En effet, tant le personnel soignant que son collègue ont dû intervenir physiquement pour le séparer du patient, et le rapport médical établi le jour même relève plusieurs lésions sur le corps de ce dernier. Dans ces conditions, les faits reprochés ne sauraient être simplement qualifiés d’intervention « musclée ».

Par ailleurs, si l’agent soutient qu’il n’est pas suffisamment formé pour intervenir auprès des patients violents, que les conditions d’intervention ne sont pas toujours clairement définies et qu’il a alerté sa hiérarchie sur ses difficultés, il n’en demeure pas moins qu’affecté depuis 2005 au sein du service sécurité des biens et des personnes, il exerçait, comme ses collègues, cette mission régulièrement à la demande des soignants et était donc expérimenté. Ainsi, eu égard à la nature et la gravité des faits reprochés, le directeur du centre hospitalier n’a pas, malgré la manière de servir antérieure de l’intéressé, adopté une sanction disproportionnée en prononçant la sanction de l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée d’un an.