Jurisprudence en juillet 2021 - Objectif Soins & Management n° 0283 du 14/10/2021 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0283 du 14/10/2021

 

DROIT/PRATIQUE HOSPITALIÈRE

DROIT

Gilles Devers   Avocat à la cour de Lyon  

Les situations évoquées par les cas présentés ici concernent le statut de la fonction publique, la surveillance et la responsabilité professionnelles, la qualité des actes médicaux et la responsabilité.

STATUT DE LA FONCTION PUBLIQUE

1/ AUTORITÉ LÉGITIME ET HARCÈLEMENT MORAL

Le harcèlement moral, qui se distingue de l’exercice de l’autorité légitime, est une faute disciplinaire que l’administration doit sanctionner, sous réserve de justifier des preuves pertinentes (CAA de Nancy, le 6 juillet 2021, no 19NC01253).

- FAITS

Une cadre de santé titulaire de la fonction publique hospitalière exerçait ses fonctions au sein du service de réhabilitation d’un centre hospitalier. Elle a été mise en cause pour un autoritarisme devenant du harcèlement moral, et s’est vu notifier une procédure disciplinaire.

Le conseil de discipline s’est prononcé à l’unanimité contre une sanction disciplinaire après avoir relevé des incohérences et contradictions dans les éléments qui lui avaient été présentés.

Le 21 février 2018, le directeur du centre hospitalier a prononcé la sanction d’exclusion temporaire des fonctions pour une durée de deux ans, au motif que le comportement de cette cadre vis-à-vis d’un certain nombre des agents placés sous son autorité relevait de la qualification de harcèlement moral.

Pour estimer que les faits reprochés à la cadre de santé étaient constitutifs de harcèlement moral, le directeur s’est fondé sur les entretiens réalisés par sa direction lors de l’enquête disciplinaire entre le 9 et le 23 novembre 2016 avec trente subordonnés ou anciens subordonnés de l’intéressée et avec son ancienne supérieure, sur des témoignages écrits de cinq de ces subordonnés et d’un médecin chef de pôle, ainsi que sur le signalement effectué par une organisation syndicale le 27 septembre 2016.

- DROIT APPLICABLE

Selon l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Le fait pour un fonctionnaire de faire subir des agissements répétés de cette nature aux personnes placées sous son autorité constitue une faute de nature à justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire.

- ANALYSE

Il ressort du dossier que six infirmières et une aide-soignante se plaignent d’avoir subi de la part de cette cadre de santé des agissements humiliants ou vexatoires. Toutefois, les différents faits relatés dans ces plaintes sont catégoriquement réfutés par l’intéressée et ils ne sont corroborés par aucune autre pièce du dossier, notamment par les autres témoignages produits, alors même que certains de ces faits se seraient déroulés en public. S’il est vrai que quelques-uns des agents entendus indiquent ne pas être surpris par ces accusations, ces opinions ne suffisent pas à les étayer et, d’ailleurs, d’autres agents, plus nombreux, expriment un sentiment contraire.

Il ressort de la grande majorité de ces témoignages que la cadre de santé, décrite comme possédant un fort caractère et comme étant particulièrement exigeante et rigoureuse, voire rigide, pratique des méthodes d’encadrement parfois inappropriées ou discutables dans la forme. Cela dit, ces traits de comportement ne sauraient, par eux-mêmes, suffire à caractériser des agissements de harcèlement moral à l’égard de ses subordonnés.

Enfin, alors que les agissements reprochés remontent, pour certains, à 2011, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’ils auraient fait l’objet de plaintes avant l’engagement de la procédure disciplinaire, ni que le service de santé au travail ou le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en auraient été alertés. Le comportement de cette cadre de santé n’a pas non plus été signalé lors de l’enquête sur les risques psychosociaux réalisée en 2014.

Dans un courrier adressé à la direction de l’établissement le 27 septembre 2016, un délégué syndical indique avoir attiré, depuis de nombreux mois, l’attention sur les méthodes de management employées à l’unité de réhabilitation et il semble insinuer que la cadre de santé pourrait avoir une part de responsabilité dans le suicide d’un infirmier survenu en novembre 2014. Toutefois, le contenu de ce courrier apparaît douteux compte tenu du contraste singulier entre, d’une part, la gravité des faits dénoncés et la connaissance que ce syndicat déclare en avoir eue de longue date et, d’autre part, le comportement de ses représentants jusqu’alors. Ainsi, lors de la réunion du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail du 28 novembre 2014, où le suicide de l’agent et ses possibles causes ont été évoqués, aucun des membres présents, notamment pas les deux représentants de ce syndicat, n’a mentionné les méthodes d’encadrement de la cadre de santé. En outre, alors que les deux représentants du syndicat au comité ont, en avril 2015, mené une enquête auprès des différents services du centre hospitalier, ils ont ignoré ce service-là.

Dans ces conditions, en l’absence de tout autre élément permettant d’établir que la cadre de santé se serait livrée aux agissements de harcèlement moral qui lui sont reprochés ou même qu’elle aurait excédé les limites de l’exercice normal de son pouvoir hiérarchique, les faits ne sont pas de nature à justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire.

2/ ACCIDENT DE TRAJET

Une imprudence ne suffit pas à disqualifier en faute détachable un accident de trajet (CAA de Douai, 20 juillet 2021, no 20DA00922).

- FAITS

Le 14 juillet 2017, aux alentours de 7 heures du matin, alors qu’un infirmier en soins généraux s’apprêtait à pénétrer en scooter dans l’enceinte de l’hôpital pour y prendre son poste, la barrière automatique du poste d’entrée s’est rabattue sur sa tête, lui causant la fracture d’une dent et des douleurs cervicales.

Le 18 juillet suivant, l’agent a déclaré cet accident auprès de son administration, et a été placé en arrêt de travail pendant un mois. Par une décision du 11 décembre 2017, le directeur a refusé de reconnaître l’imputabilité au service de cet accident au motif de l’imprudence de l’intéressé lors du franchissement de la barrière.

- DROIT APPLICABLE

Est réputé constituer un accident de trajet tout accident dont est victime un agent public qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son travail et sa résidence et pendant la durée normale pour l’effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l’accident du service.

- ANALYSE

L’accident est survenu alors que l’intéressé se présentait en scooter à l’entrée du parking de l’hôpital, à 6h58, pour prendre son service prévu à 6h45. Ce retard de treize minutes n’est pas en lui-même de nature à détacher l’accident du service.

La vidéosurveillance a révélé que l’agent a franchi la barrière qui est retombée sur son casque alors que celle-ci avait entamé sa redescente, que le gyrophare d’avertissement avait commencé à clignoter pour signaler ce mouvement aux usagers et que l’intéressé n’a pas respecté la procédure d’accès au site prévoyant que les employés doivent utiliser un badge pour relever la barrière ou solliciter l’intervention du gardien à cet effet. Ces circonstances révèlent une imprudence manifeste de la part de l’intéressé, quand bien même il soutient qu’il s’attendait à ce que la présence de son scooter entraînerait le relevage de la barrière de manière automatique.

Toutefois, il apparaît que des problèmes de détection des véhicules à deux roues et des piétons par cette barrière automatique avaient déjà été constatés.

Dès lors, cette imprudence fautive de l’agent ne revêt pas un degré de gravité tel que cet événement doive être regardé comme détachable du service, et l’imputabilité de l’accident au service de l’accident doit être retenue.

3/ FAUTE DISCIPLINAIRE

Toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire (CAA de Lyon, 13 juillet 2021, no 19LY01987).

- DROIT APPLICABLE

Selon l’article 29 de la loi du 13 juillet 1983, toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire.

- ANALYSE

En octobre 2014, une agente a accaparé des bijoux de fantaisie, à savoir une paire de boucles d’oreilles et une bague, donnés gracieusement par une société pour constituer un lot à gagner au loto organisé pour les résidents, alors qu’elle les avait déclarés comme ayant été égarés. Bien que l’agente ait remplacé le lot en cause par un autre, elle n’a pas rendu lesdites pièces, après qu’elle a finalement déclaré les avoir retrouvées. Ces faits constituent un manquement au devoir de probité des agents publics de nature à justifier le blâme qui lui a été infligé.

Surveillance ET RESPONSABILITÉ

4/ CHUTE EN PHASE POSTOPÉRATOIRE

La survenance d’une chute dans le cadre d’une surveillance postopératoire en ambulatoire ne révèle pas l’existence d’une faute dès lors que le traitement prodigué n’est pas en cause et que la surveillance a été normalement attentive (CAA de Nantes, 3 juillet 2021, no 20NT01489).

- FAITS

Une dame née en 1946 a été hospitalisée le 5 mars 2012 dans un CHU afin d’y subir une ponction itérative de kyste de l’ovaire sous anesthésie générale dans le cadre d’une chirurgie ambulatoire. En raison de la survenue de malaises postopératoires au cours de l’après-midi et dans la soirée, la patiente n’a pu regagner son domicile le jour même et est restée hospitalisée.

Le 6 mars 2012, à 0h10, elle a fait une chute de son lit, qui a provoqué une tétraplégie complète sensitivo-motrice de niveau C5.

- DROIT APPLICABLE

Selon le I de l’article L. 1142-1 CSP, les professionnels de santé et tout établissement de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.

- ANALYSE

<0x00A0> Effets secondaires du traitement

Afin d’atténuer les douleurs ressenties peu après le réveil de l’anesthésie et compte tenu des allergies à divers produits médicamenteux que présentait la patiente, il lui a été administré un analgésique à base de nalbuphine. Ce produit est susceptible d’entraîner des effets indésirables tels que nausées ou vomissements, ce qui a été le cas en l’espèce.

Toutefois, il résulte du rapport d’expertise que, compte tenu de la durée de vie de ce produit et de la posologie mise en œuvre, le traitement en cause avait cessé de produire effet au moment où la chute est survenue. Par suite, à supposer même que la patiente ait présenté une intolérance à ce produit, non connue auparavant, la prescription de cet analgésique était légitime, et l’administration de ce médicament ne peut être regardée comme présentant un lien de causalité direct et certain avec la chute de la patiente.

<0x00A0> Qualité de la surveillance

Les malaises dont a été victime la patiente à 14h45 et 15h45 ont été correctement pris en charge par l’équipe, laquelle a décidé de garder la patiente sous surveillance alors même que l’intervention chirurgicale ayant justifié son hospitalisation était à l’origine pratiquée en ambulatoire.

Par ailleurs, la patiente a été examinée par le médecin anesthésiste et par le gynécologue, et un bilan complet, comprenant en particulier une échographie abdominale et un électrocardiogramme, a été effectué.

Les mentions portées sur le cahier de suivi infirmier permettent de constater qu’entre 12h10 et 22h54, les constantes de l’intéressée ont été relevées à 6 reprises, les deux derniers relevés l’ayant été à 20h36 et 22h54.

En outre, lorsque le médecin a consulté la patiente vers 17 heures, il n’a pas été noté d’état d’agitation, de troubles psychomoteurs ou de conscience nécessitant une surveillance de tous les instants ou la pose de barrières de lit.

Enfin, il n’est pas établi que l’intéressée aurait, après le malaise qu’elle a indiqué à son mari à 21h15, appelé le personnel soignant et que celui-ci aurait négligé de lui porter assistance, ni qu’elle aurait appelé quelqu’un avant sa chute, dont les causes ne sont pas déterminées.

S’il est certain que l’état de la patiente nécessitait une surveillance renforcée en raison de son affaiblissement, la chute ne peut être imputée à un défaut de surveillance du service hospitalier.

<0x00A0> Tenue du dossier

La patiente relève que les mentions figurant au dossier médical, outre qu’elles ne sont pas exhaustives, ne permettent pas de vérifier les consignes données au personnel soignant et les passages effectués pour la surveillance. Toutefois il résulte de la fiche de suivi infirmier qu’une surveillance régulière a été réalisée depuis son entrée dans le service hospitalier.

De telle sorte, aucune faute dans l’organisation et le fonctionnement du service hospitalier de nature à engager la responsabilité n’a été commise.

5/ FOUILLE D’UN PATIENT HOSPITALISÉ SOUS CONTRAINTE

La prise en charge d’un patient sous contrainte, à elle seule, n’impose pas une fouille, acte auquel il ne peut être recouru qu’en fonction de données spécifiques (CAA de Lyon, 6 juillet 2021, no 19LY02974).

- FAITS

Un homme né en 1954 a été admis dans un centre hospitalier spécialisé le 12 juin 2014 en raison de troubles psychiatriques, sous le régime d’une hospitalisation sous contrainte.

Le 15 juillet 2014, vers 1h30, il a été victime d’un incendie provoqué par sa propre cigarette mal éteinte, qui lui a occasionné de graves brûlures.

- DROIT APPLICABLE

La responsabilité de l’hôpital pour défaut de surveillance d’un malade psychiatrique ne peut être recherchée que sur le fondement d’une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service public hospitalier.

Selon l’article L. 3211-3 CSP, lorsqu’une personne atteinte de troubles mentaux fait l’objet de soins psychiatriques en application des dispositions sous contrainte ou est transportée en vue de ces soins, les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis.

- ANALYSE

<0x00A0> La surveillance

La famille soutient que les troubles psychiatriques dont était atteint leur proche au moment des faits justifiaient une surveillance renforcée de la part de l’hôpital. Elle fait valoir qu’il avait déjà été admis au centre hospitalier le 12 octobre 2012, alors qu’il menaçait des gens dans la rue avec une machette, comportement lié à une forte alcoolisation. Toutefois, ces faits sont anciens et isolés et ne peuvent attester de la dangerosité du patient lors de son séjour de juin/juillet 2014 fondé sur « la recrudescence de troubles psychotiques schizophréniques principalement dans le registre négatif avec une certaine désorganisation temporelle ».

Lors de deux séjours de 2013, le patient n’avait pas fait l’objet d’une surveillance accrue et bénéficiait d’une relative liberté de mouvement malgré son régime d’hospitalisation sous contrainte. Il était simplement mentionné dans le dossier que, en raison d’une crise d’épilepsie, « l’état clinique demeure préoccupant, nécessitant un réajustement thérapeutique et une surveillance étroite ».

La famille fait valoir que suite à une agression sur une patiente survenue le 3 juillet 2014, leur proche a été placé en chambre d’isolement avec contention complète. Toutefois, l’incident est resté isolé et le dossier médical décrit l’intéressé comme calme et respectant les soins prodigués. Un certificat mensuel du 10 juillet 2014 souligne : « les choses se sont légèrement améliorées en particulier avec l’essai de Xeroquel ».

Enfin, si l’intéressé était désorienté le jour de l’accident, les troubles psychiatriques ne justifiaient pas la mise en place de mesures de surveillance particulière, et le patient n’avait donc pas à être placé en chambre d’isolement thérapeutique. La circonstance que ce malade ait été admis sous un régime d’hospitalisation sous contrainte n’instituait pas une obligation de surveillance rapprochée.

<0x00A0> L’absence de fouille

La famille reproche à l’hôpital d’avoir laissé le patient en possession d’un briquet et de cigarettes.

Le centre hospitalier procède, lors de l’admission des patients en régime d’hospitalisation sous contrainte, à un inventaire systématique de leurs effets personnels et à la confiscation de tout objet dangereux, et l’interdiction de fumer dans les locaux de l’hôpital est rappelée à maintes reprises. Le patient a reconnu devant l’expert qu’il savait très bien qu’il était interdit de fumer dans la chambre et qu’il y a donc fumé à l’insu du personnel. Aussi, le comportement du patient ne justifiait nullement de le soumettre à une fouille corporelle afin de lui retirer son briquet.

Le centre hospitalier a mis en place les mesures de surveillance adaptées et n’a donc commis aucun manquement de nature à engager sa responsabilité du fait de l’incendie survenu le 15 juillet 2014.

Qualité des actes médicaux et responsabilité

6/ DÉFAUT D’INFORMATION DANS LE CONTEXTE DE L’URGENCE

Une information insuffisante du patient est une faute, mais cette faute n’engage pas la responsabilité lorsque dans un contexte d’urgence l’intervention chirurgicale s’imposait (CAA de Bordeaux, 13 juillet 2021, no 19BX02007).

- FAITS

Un homme a été victime d’un malaise le 3 janvier 2016 à la suite duquel il a été conduit par le SMUR vers un centre hospitalier. Une coronarographie a été réalisée en urgence, suivie d’une angioplastie de la circonflexe moyenne, de la coronaire droite proximale et de la coronaire droite distale avec implantation de trois stents actifs.

Reprochant au centre hospitalier l’implantation de ce matériel sans son accord, le patient demande l’indemnisation pour cette faute.

- DROIT APPLICABLE

Aux termes de l’article 16-3 du code civil :

« Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »

Aux termes de l’article L 1111-4 CSP :

« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé.

« Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Il peut faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable.

« Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »

Aux termes de l’article R. 4127-36 CSP :

« Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas.

« Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences.

« Hors les cas d’urgence ou d’impossibilité de consentir, la réalisation d’une intervention à laquelle le patient n’a pas consenti oblige l’établissement responsable à réparer tant le préjudice moral subi de ce fait par l’intéressé que, le cas échéant, toute autre conséquence dommageable de l’intervention. »

- ANALYSE

Le consentement du patient n’a pas été recueilli par les médecins du centre hospitalier avant l’implantation de trois stents actifs au cours de l’intervention réalisée le 3 janvier 2016, ce qui constitue une faute.

Toutefois, la pose de ces stents était urgemment requise par l’état de santé puisque le patient présentait un infarctus du myocarde avec oblitération d’une artère coronaire entraînant une hypoxie des tissus puis potentiellement leur nécrose, et impliquait des troubles du rythme cardiaque d’une extrême gravité.

Au vu de la persistance de douleurs thoraciques au moment de la prise en charge, de l’existence d’un syndrome coronaire aigu avec sus-décalage persistant du segment ST, de la complication du tableau clinique par un miroir à l’électrocardiogramme et de la présence de lésions tritronculaires, il était indispensable d’intervenir immédiatement pour poser les stents en cause afin de permettre une désoblitération artérielle la plus précoce possible et ainsi limiter la zone du myocarde en souffrance et prévenir les troubles potentiellement mortels du rythme cardiaque.

Dans ces conditions, l’urgence commandait la réalisation de l’intervention contestée, de sorte que la responsabilité médicale ne saurait être engagée.

7/ FAUTE D’UN NEUROCHIRURGIEN

Une imprudence du neurochirurgien, qui n’a pas utilisé les outils disponibles pour suivre le trajet d’implantation d’une vis, constitue une faute qui engage la responsabilité (CAA de Marseille, 8 juillet 2021, no 20MA00017).

- FAITS

Un homme qui souffrait d’une scoliose thoraco-lombaire de 85 degrés devenue invalidante, avec essoufflement et gêne à la marche, a subi le 4 juin 2015 au sein d’un CHU une intervention chirurgicale d’arthrodèse rachidienne avec réduction, dont l’indication, à visée respiratoire, était justifiée.

Les suites immédiates de l’intervention ont été marquées par un déficit moteur des membres inférieurs. Le 5 juin 2015, la réalisation d’un scanner a mis en évidence une vis mal positionnée à l’étage T5, transfixiant le canal rachidien et comprimant la moelle épinière.  

Une reprise chirurgicale a été effectuée le jour même pour retrait de la vis. Néanmoins, le patient conserve une paraplégie haute thoracique avec des troubles urinaires et sphinctériens.

- DROIT APPLICABLE

Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d’un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l’établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d’éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue.

<0x00A0> Prudence dans l’acte

Selon les conclusions des différents experts, une erreur de visée pédiculaire au niveau thoracique ne revêt pas, par elle-même, un caractère fautif eu égard à son caractère extrêmement complexe, en particulier lorsque, comme en l’espèce, le patient souffre d’une scoliose à l’origine d’une importante déformation du rachis thoracique.

Eu égard en particulier aux antécédents d’épilepsie du patient, l’absence d’enregistrement des potentiels évoqués somesthésiques (PES) au cours de l’intervention n’a pas revêtu de caractère fautif et le retard de prise en charge postopératoire du patient malgré les signes cliniques qu’il a présentés dès la fin de l’intervention ne peut être reproché au service public hospitalier dès lors qu’un état transitoire de sidération médullaire peut exister après une telle intervention et alors, en tout état de cause, que le scanner du 5 juin 2015 a montré une lésion médullaire irréversible.

Par ailleurs, si l’utilisation d’une technique de contrôle par imagerie peropératoire tridimensionnelle aurait permis de limiter fortement le risque d’erreur de visée, cette technique, d’apparition récente, n’était pas disponible à la date de l’intervention.

<0x00A0> Négligence dans le contrôle

En revanche, lors de l’intervention du 4 juin 2015, qui présentait un grand risque d’erreur de visée, en particulier au niveau thoracique haut du fait de la forte angulation du rachis, le chirurgien n’a pas eu recours au contrôle par imagerie bidimensionnelle de face en dehors de la vérification préalable des niveaux.

Eu égard notamment à l’importance de l’erreur de trajet, de l’ordre de 4 millimètres, qui a conduit à placer la vis TH 5 en position transfixiante intracanalaire, le recours à cette technique de contrôle en peropératoire aurait permis, sinon de prévenir, à tout le moins de limiter le risque de mauvais positionnement de cette vis.

En s’abstenant de recourir à une technique de contrôle susceptible de limiter le risque qui s’est réalisé, le chirurgien n’a pas pris toutes les précautions qui s’imposaient, même en l’absence de recommandations définissant les conditions techniques de mise en place d’une vis pédiculaire et a, ainsi, commis une faute de nature à engager la responsabilité.

<0x00A0> Perte de chance

Cette faute a compromis les chances du patient d’échapper à l’aggravation de son état de santé. Compte tenu de la particulière exposition de la victime à la réalisation du risque, eu égard en particulier à la sévérité de sa scoliose, à la difficulté subséquente de la visée pédiculaire en cause et à la circonstance qu’un contrôle par imagerie bidimensionnelle peropératoire ne présente pas de caractère totalement fiable, le taux de la perte de chance d’éviter que le dommage soit advenu doit être fixé à 20 %.

8/ MAUVAISE MAÎTRISE D’UNE HÉMORRAGIE CHIRURGICALE ET DÉFAUT D’INFORMATION

La mauvaise maîtrise d’une hémorragie chirurgicale, même dans un contexte difficile, et un défaut d’information sur le choix de la technique opératoire constituent deux fautes qui engagent la responsabilité (CAA de Nancy, 8 juillet 2021, no 19NC00757).

- FAITS

Le 31 mai 2016, un homme alors âgé de 33 ans, atteint de la mucoviscidose, a subi une intervention chirurgicale en vue de l’exérèse d’un nodule présent dans la loge thymique détecté suite à un scanner.

Lors de l’intervention chirurgicale, au moment du sectionnement d’une veine destinée au thymus sur le tronc veineux innominé, est survenue une hémorragie majeure. Afin de contrôler le saignement, le chirurgien a décidé de procéder à une conversion en thoracotomie antéro-latérale. Pendant une durée de 60 minutes, le patient sera dans un état d’hypotension sévère et d’une hypercapnie entraînant un choc hypovolémique.

Dans l’impossibilité d’obtenir une hémostase, à l’aide d’un second chirurgien, il a été posé une circulation extracorporelle (CEC). Les examens médicaux réalisés le lendemain de l’opération ont révélé un état d’encéphalopathie post-anoxique. L’état de santé du patient s’est alors dégradé, conduisant l’équipe de soin à se réunir le 27 juin 2016 et à décider d’une limitation des soins en cas de survenance d’une nouvelle complication.

Le patient est décédé le 30 juin suivant des suites d’une insuffisance respiratoire aiguë.

- TECHNIQUE CHIRURGICALE

<0x00A0> Droit applicable

La responsabilité médicale est engagée en cas de faute.

<0x00A0> Analyse

Le décès n’a pas pour origine la mucoviscidose mais une anoxie cérébrale.

Les manœuvres peropératoires en rétractant le thymus vers le bas ont agrandi la plaie sur le tronc veineux innominé, et le choix inapproprié de la thoracotomie ainsi que la mise sous circulation extracorporelle ont retardé l’hémostase. Il était recommandé de privilégier une conversion en stéréotomie pour contrôler cette hémorragie majeure. Le centre hospitalier soutient que la masse thymale empêchait l’accès au tronc nécessitant la mise en place d’une CEC, mais cette difficulté n’est ni démontrée ni évoquée dans le compte rendu opératoire.

L’accident médical hémorragique aurait pu être maîtrisé par des décisions stratégiques différentes au fur et à mesure de la survenance des complications. Ainsi, la prise en charge défaillante et inadaptée de l’accident hémorragique doit être regardée comme étant la cause directe et certaine du décès.

Par suite, les fautes commises lors de la prise en charge sont directement à l’origine du décès et engagent la responsabilité du centre hospitalier.

- MANQUEMENT À L’OBLIGATION D’INFORMATION

<0x00A0> Droit applicable

Lorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n’est pas requise en cas d’urgence, d’impossibilité, de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation. Un manquement des médecins à leur obligation d’information engage la responsabilité de l’hôpital dans la mesure où il a privé le patient d’une chance de se soustraire au risque lié à l’intervention en refusant qu’elle soit pratiquée. C’est seulement dans le cas où l’intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d’aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l’existence d’une perte de chance.

<0x00A0> Analyse

Le patient a reçu des explications sur les différentes voies chirurgicales possibles pour réaliser l’exérèse, et il a signé un formulaire de consentement éclairé dans lequel il reconnaît notamment être informé des complications dont la gravité peut aller jusqu’au décès et que, au cours de l’intervention, une découverte ou un événement imprévus peuvent conduire à modifier l’intervention envisagée.

Toutefois, le centre hospitalier n’apporte pas la preuve qu’il aurait informé le patient de manière conforme des complications propres à chaque technique chirurgicale proposée pour procéder à l’exérèse, alors que cette information aurait dirigé son choix.

Par suite, le manquement dans l’obligation d’information doit être retenu.