Rompre l’isolement des patients hospitalisés pendant la pandémie de Covid-19 - Objectif Soins & Management n° 0282 du 02/09/2021 | Espace Infirmier
 

OBJECTIF SOINS n° 0282 du 02/09/2021

 

Ressources humaines

DOSSIER

Julie Lemaire et Valentine Machiels  

La pandémie de Covid-19 a nécessité d’interdire les visites aux personnes hospitalisées, ce qui a accentué leur isolement social. À la clinique Saint-Jean de Bruxelles (Belgique), un « relais-famille » a été mis en place par les soignants pour que les patients restent en lien avec leurs proches. Cette initiative a permis de lutter contre l’isolement des personnes hospitalisées et a insufflé une nouvelle dynamique dans l’équipe.

La crise sanitaire liée au Covid-19, et les décisions qui s’en sont suivies, nous ont tous sensibilisés à la question de l’isolement social (le manque de contacts avec les autres), et au sentiment de solitude qui en découle. L’isolement social, qu’il soit réel ou perçu, est néfaste pour notre santé (1). En effet, il est lié à des risques de déclin physique et mental, de mortalité anticipée et de morbidité accrue. La solitude qui en découle est associée à des risques élevés d’anxiété, de dépression et de suicide (2,3). Il semblerait que le risque de décès dû à l’isolement et à la solitude soit similaire à celui qu’encourt une personne fumant 15 cigarettes par jour (2). Ces risques diffèrent mais sont constants quels que soient la tranche d’âge, le contexte social et culturel ou le genre (1)

La crise du Covid-19 nous a sensibilisés à ces questions et a mis en évidence la nécessité de considérer l’isolement social comme un facteur déterminant dans l’expérience du patient. La lutte contre l’isolement doit être une priorité.

Face à la pandémie de Covid-19, un plan d’urgence a été décrété en Belgique le 14 mars 2020. Les portes des hôpitaux se sont fermées, les visites n’ont plus été autorisées. Chacun a fait de son mieux face à cette situation extraordinaire qui a bouleversé complètement l’organisation habituelle. Le lien entre les patients hospitalisés et leur famille s’en est trouvé affaibli. Au sein de la Clinique Saint-Jean à Bruxelles, voyant la détresse des malades touchés par la solitude, plusieurs soignants ont pris l’initiative de contacter les proches avec leur propre téléphone. Lors de la deuxième vague, en octobre 2020, formaliser ces initiatives est devenu une priorité. Un appel a été lancé auprès des professionnels de la clinique et une équipe « relais-famille » a vu le jour.

Cet article a pour objectif de décrire la boîte à outils et les enseignements tirés de cette expérience visant à lutter contre l’isolement social et à favoriser une approche holistique du patient, afin d’améliorer sa perception de l’hospitalisation.

LE RELAIS-FAMILLE À LA CLINIQUE SAINT-JEAN

Le « relais-famille » est constitué d’une équipe d’une quinzaine de collaborateurs de la clinique, de toutes fonctions (psychologues, assistants sociaux, coach de langue, médiateur, paramédicaux, etc.), qui se mobilisent afin de se rendre régulièrement au chevet du patient pour l’aider à rester en lien avec sa famille. Parfois il s’agit de les aider à passer un appel vidéo ou, quand l’état du patient ne lui permet pas de s’exprimer, de donner de ses nouvelles à ses proches.

La mise sur pied de l’équipe relais-famille ne s’est pas faite en un jour et demande encore aujourd’hui une adaptation permanente.

La mission du relais-famille – aider le patient à rester en contact avec ses proches en utilisant les nouveaux moyens de communication – est systématiquement remise en question à chaque échange. En effet, les proches, interdits de visite, inquiets, sollicitent beaucoup la personne du relais-famille pour poser toutes leurs questions. Ils ont enfin un contact avec une personne qui prend le temps de les écouter et d’échanger avec eux, en dehors des temps purement médicaux. Cette difficulté, pour l’équipe relais-famille, est d’autant plus grande lorsque le patient est inconscient. La définition de la mission est donc primordiale d’une part pour garantir à la personne du relais famille, un cadre de travail et des limites claires, et d’autre part, pour que la famille sache ce qu’elle peut attendre de cette personne.

Ressources humaines. La participation au relais-famille se fait sur la base du volontariat :  chacun doit se sentir à l’aise pour aller à la rencontre d’un patient et de sa famille. La personne doit faire preuve de capacité d’écoute, de patience, d’empathie et de bienveillance. Pour autant, il ne faut pas que des psychologues dans l’équipe : au contraire, c’est la multidisciplinarité qui fait la richesse du groupe et aide chaque membre à mener à bien sa mission. Il est important de constituer une équipe assez nombreuse pour permettre à chacun de continuer son activité principale, de prendre des temps de pause et de répartir la charge de travail de façon équilibrée.

Temps de travail. Quand une personne souhaite faire partie du relais-famille, elle doit avoir une discussion avec son responsable pour déterminer le temps qu’elle peut octroyer à cette nouvelle activité et quand la planifier. Ce choix doit être validé au niveau institutionnel, pour pouvoir poser de nouvelles priorités et accepter que d’autres activités soient mises en attente ou retardées. Il faut que la personne volontaire puisse conjuguer ses deux missions avec un aménagement de son temps de travail, sous peine d’être confrontée rapidement à l’épuisement.

Ressources matérielles. Nous avons fait le choix d’équiper chaque unité de soin de smartphones et de tablettes. Il est primordial de disposer d’une équipe informatique qui soutienne le projet et qui soit réactive. La tâche est déjà assez ardue, il faut que la technique soit « à la hauteur » ! Nous avons proposé aux familles d’utiliser Skype mais la plupart préfèrent WhatsApp. L’utilisation de la tablette est souvent plus pratique parce que plus confortable en termes de préhension et de visibilité.  

Coordination de projet. Il est indispensable de disposer d’une personne qui coordonne l’équipe et qui facilite le travail de chacun en réglant les aspects organisationnels et pratiques. Elle a aussi pour rôle rassembler l’équipe et de favoriser les échanges. Dans notre clinique, cette coordination est assurée par l’un des chefs de projet de l’équipe « expérience patient ».

Système de communication. Nous avons rapidement été confrontés à la question du partage des échanges que nous avions avec les patients et leurs familles. La transmission des informations est utile pour assurer la continuité, que ce soit avec les autres membres de l’équipe relais-famille, ou avec le personnel soignant et le corps médical. La personne qui est en lien avec la famille laisse donc quelques notes dans un onglet créé à cet effet dans le dossier médical du patient. Ainsi, l’information est à la disposition de tous ceux qui prennent soin de lui.

Cette situation est l’occasion pour notre institution de raviver le débat sur les informations devant faire partie du dossier médical. Si nous souhaitons mettre en œuvre une approche holistique du patient, ne devons-nous par y inclure des informations qui prennent en compte d’autres aspects que la maladie  ? 

AU-DELÀ DE LA PRÉVENTION DE L’ISOLEMENT

Cette initiative de relais-famille a insufflé au sein de la Clinique Saint-Jean un vent nouveau, dont la portée a dépassé la lutte contre l’isolement du patient. Trois nouvelles dynamiques semblent se dégager après les premiers mois d’existence de l’équipe.

Comme décrit plus haut, l’équipe relais-famille est composée de professionnels volontaires venant de services variés. Par cette initiative, ils ont tous appris à mieux connaître les unités de soin dans lesquelles ils se rendent pour les appels vidéo.  Ils ont fait de nouvelles rencontres et ont découvert des métiers parfois peu connus ou mal compris. Ces nouveaux échanges, liant des personnes qui n’ont pas toujours l’habitude de collaborer étroitement, leur donnent la satisfaction de travailler ensemble à la lutte contre le covid, d’aider le patient, mais également d’alléger la charge de travail du personnel soignant. Les membres de l’équipe relais-famille se sentent acteurs d’une clinique dans sa transversalité ; un espace de soin dans lequel les services coexistent plutôt que d’être voisins. 

Aider les patients à communiquer avec leur entourage, c’est avant tout s’assurer de leur bien-être social et mental. Se rendant compte de l’impact positif de cette initiative sur le moral des patients, l’équipe relais-famille est d’autant plus consciente de l’importance d’une prise en charge plus holistique de ce dernier, et des opportunités de rendre son séjour plus humain. 

Les visites représentent bien plus qu’un simple contact en chambre avec un proche. Le visiteur accède à une expérience multisensorielle qui lui permet de comprendre l’environnement dans lequel ce dernier est hospitalisé. De plus, il peut observer par lui-même l’évolution physique de la personne hospitalisée. Cet afflux d’informations permet au visiteur d’être rassuré, de se sentir plus en confiance quant à la prise en charge de son proche.

La pandémie de Covid-19, en interdisant ces visites, supprime aussi l’information des proches, les plaçant dans une situation floue et anxiogène de perte de contrôle. Le relais-famille ne remplace pas l’expérience multisensorielle de l’entourage, mais elle permet de nouer un contact visuel avec le patient et avec un ou plusieurs visages de collaborateurs de la clinique. Ces visages permettent de personnaliser la clinique, ce qui favorise une relation de confiance entre celle-ci et l’entourage des patients.

Ces trois dynamiques démontrent que la pandémie a constitué un accélérateur de l’expérience patient, de la collaboration, dans un environnement morcelé, et de la connexion avec l’entourage des personnes hospitalisées.

BILAN ET PERSPECTIVES

Le relais-famille se définit de mieux en mieux et, ayant généré les dynamiques décrites ci-dessus, l’envie de faire perdurer cette initiative dans le temps est bien présente, malgré la crise sanitaire. Nous pouvons aujourd’hui en tirer les premiers enseignements suivants.

Dans un hôpital, chaque service est un microcosme, avec ses particularités de fonctionnement, d’équipe, de patientèle. Le relais-famille, ou ce qu’il en adviendra, doit s’adapter à ce système déjà existant. 

Plusieurs professionnels, au sein de la clinique, ont des fonctions qui n’incluent pas  la rencontre du patient, alors qu’ils le souhaiteraient. Le relais-famille leur a permis de s’épanouir davantage dans leur milieu professionnel. Il est primordial d’accompagner ces collaborateurs dans l’approche du patient pour qu’ils se sentent à l’aise. En effet, ces échanges peuvent s’accompagner d’une charge émotionnelle parfois lourde à porter pour ceux qui n’y sont pas habitués. Mixer les équipes, faire en sorte que les personnes se rencontrent, est une réelle richesse du projet et constitue un levier facilitateur pour les suivants. 

Une information adéquate, communiquée au bon moment et correctement, permet de rassurer le patient et ses proches. D’ailleurs, en cas d’interdiction des visites, un proche sans nouvelle a tendance à interpréter cela comme un mauvais signe. Il ne faut donc pas négliger le temps médical dédié aux explications pour un accompagnement de qualité auprès des patients et de leurs proches.

Nombreux sont les patients qui ont mis plus de temps à se rétablir tant ils étaient affectés par l’isolement social. Le bien-être global du patient est essentiel en complément de la prise en charge de sa maladie. Il faut prendre en compte la personne dans sa globalité et humaniser son séjour afin d’améliorer son expérience.

CONCLUSION

Nous le constatons, les visites sont très importantes pour le bien-être du patient. Cette initiative de relais-famille, aussi pertinente soit-elle, comprend des limites sur le long terme : il est difficile de faire perdurer une équipe de bénévoles qui ajoutent cette fonction à leurs tâches déjà existantes. Le besoin étant réel, nous pensons qu’il est justifié d’imaginer un rôle à part entière se consacrant au bien-être du patient dans sa globalité. L’anamnèse médicale pourrait s’étoffer d’une anamnèse holistique qui servirait de support de compréhension de la personne malade. Cela constitue une belle opportunité de réflexion à prolonger.

  • (1) Holt-Lunstad J, Smith TB, Baker M, Harris T, Stephenson D. Loneliness and Social Isolation as Risk Factors for Mortality: A Meta-Analytic Review. Perspect Psychol Sci. 2015;10(2):227-37.
  • (3) Hämmig O. Health risks associated with social isolation in general and in young, middle and old age. PLoS ONE. 2019;14(7):e0219663.