Pratique hospitalière Jurisprudence de mars et avril 2021 - Objectif Soins & Management n° 281 du 01/06/2021 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 281 du 01/06/2021

 

Droit

Gilles Devers  

Dans le cadre de décisions de jurisprudence, cet article permet de découvrir l'analyse de situations relatives au respect des professionnels, et au refus de toute forme de violence à leur encontre ; au droit disciplinaire ; à la qualité de la surveillance et des soins.

1/ Respect des professionnels

Des faits de violences et de harcèlement sexuel commis sur des infirmières par l'époux d'une personne agrée pour l'accueil à domicile justifient le retrait de cet agrément, alors même que les faits ne concernent pas les personnes hébergées.

(CAA de Bordeaux, 20 avril 2021, no 19BX00108).

Faits

Une dame a été agréée par un département en 2007 en vue de l'accueil à son domicile de trois personnes âgées, agrément régulièrement renouvelé.

Le 23 septembre 2016, les infirmières ont déposé une plainte pénale pour des faits de violence et de harcèlement sexuel commis par l'époux de la personne agréée.

Par décision du 17 octobre 2016, le président du conseil départemental a retiré l'agrément, au regard des faits dénoncés par la plainte.

Le département doit apprécier la matérialité des faits dont il a connaissance, indépendamment de ce que sera l'issue des poursuites pénales.

Le procès-verbal de la plainte est particulièrement circonstancié sur les faits de violence commis le 23 septembre 2016 par la personne agréée et son époux à l'encontre de l'infirmière. Il est corroboré par un certificat médical établi le jour même des faits constatant l'état de stress de cette infirmière ainsi que des traces de coups au niveau de ses membres supérieurs et concluant que son état de santé justifiait une incapacité temporaire de travail d'une durée de huit jours.

Les faits de harcèlement sexuel commis par l'époux depuis le mois de juillet 2016 envers les deux infirmières et qui sont invoqués par la première infirmière lors de son dépôt de plainte sont également corroborés par le témoignage, également circonstancié, recueilli par les services du département auprès de la seconde infirmière.

Certes, les faits reprochés ne concernent pas les personnes âgées accueillies, mais ils permettent de considérer que la sécurité et le bien-être physique et moral de ces personnes ne sont pas garantis.

Par ailleurs l'ancienneté de l'agrément ne faisait pas obstacle à ce que le président du conseil départemental en prononce le retrait.

2/ Droit disciplinaire

Négligences et non-respect de l'organisation

Des négligences professionnelles et le non-respect de l'organisation du service constituent des fautes disciplinaires, pouvant être sanctionnées par une lourde suspension d'exercice.

(CAA de Nantes, 23 avril 2021, no 19NT04363)

Faits et procédure

Une infirmière a été recrutée en 2011 par un centre hospitalier, au sein duquel elle a exercé dans diverses affectations.

Le 3 février 2016, à la suite d'une procédure disciplinaire statutaire, le directeur du centre hospitalier a infligé la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions pendant un an.

Analyse

Les témoignages de collègues de l'infirmière peuvent être retenus à titre d'éléments d'information alors même qu'ils ont été recueillis dans le cadre de l'enquête administrative préalable et non pas de la procédure disciplinaire, dès lors qu'ils émanent de personnes qui ont travaillé avec l'infirmière dans ses différentes affectations. Cette infirmière a, de manière répétée, commis des négligences dans la préparation des médicaments destinés aux résidents de l'EHPAD, certaines étant susceptibles, selon le témoignage d'un médecin de cet établissement, d'avoir des conséquences graves pour la santé de ces derniers.

Il est également établi par les pièces du dossier, en particulier par des comptes rendus d'entretiens circonstanciés et par plusieurs témoignages de collègues de travail que l'infirmière avait l'habitude, lorsqu'elle était de service le week-end à l'EHPAD, et donc la seule infirmière présente, de quitter son poste avant l'arrivée de sa remplaçante, laissant ainsi à des aides-soignantes la responsabilité de prodiguer des soins relevant de la responsabilité d'une infirmière.

En 2014 et 2015 l'infirmière a, à plusieurs reprises, manqué à son devoir de surveillance et d'assistance des résidents et des patients qui lui étaient confiés, négligeant par exemple de se rendre au chevet d'une résidente souffrant de vomissements, oubliant de retirer à une patiente une sonde urinaire ou augmentant le débit d'une perfusion alors même que celle-ci n'était plus en place et se déversait dans le lit du résident.

De même, l'infirmière a, de manière répétée et consciente, méconnu l'organisation des soins en vigueur au sein de l'EHPAD en écoutant par exemple de la musique à plein volume pendant qu'elle préparait les piluliers hebdomadaires, ce qui peut expliquer les nombreuses erreurs commises à cette occasion, ou en étant inattentive lors des transmissions d'informations par ses collègues au moment des relèves.

Les modalités d'organisation en vigueur au sein de l'EHPAD, même critiquables, ne sauraient expliquer ces manquements, s'agissant en particulier de la préparation des piluliers hebdomadaires.

Ainsi, les fautes sont établies, et la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pendant un an n'est pas disproportionnée.

Maltraitance de patients

Une série d'actes de maltraitance commis sur des patients, par des gestes brutaux et des comportements inadaptés est une faute disciplinaire qui peut justifier la révocation, alors même que l'agent n'a jamais été sanctionné pendant sa longue carrière.

(CAA de Bordeaux, 27 avril 2021, no 19BX01208)

Faits

Un aide-soignant, agent public depuis 1992, a fait l'objet d'une sanction disciplinaire de révocation par une décision du 10 octobre 2016, pour défaut de soins et actes de maltraitance.

L'absence de preuve d'un coup

Le 15 avril 2016, un infirmier a signalé à la cadre de santé un hématome sur le visage d'un patient grabataire, âgé de 93 ans et souffrant de troubles cognitifs, à la suite des soins de « nursing » dispensés par cet aide-soignant dans la matinée. La cadre de santé a constaté un hématome sur la mandibule gauche ainsi que sur la pommette droite et une coupure franche entre l'index et le majeur de la main gauche. Le médecin coordinateur du service a également constaté ces blessures, lors de la visite qu'il a effectuée le jour même.

Il ressort du certificat médical ainsi que du témoignage d'un aide-soignant que le patient concerné, s'il était calme en général, était opposant aux soins et pouvait se montrer agressif de telle sorte que plusieurs aides-soignants rencontraient des difficultés pour réaliser les soins quotidiens.

L'aide-soignant a expliqué avoir entrepris de raser le patient, mais s'être rapidement trouvé confronté à son agacement puis à son agressivité, le patient ayant essayé de porter des coups sur sa main qui tenait le rasoir. Il indique que son visage a pu heurter sa main avant qu'il ne la retire compte tenu du danger que présentait la lame de rasoir à proximité du visage de ce patient agité, mais qu'il n'a à aucun moment porté un quelconque coup. Il souligne également que, lors des faits, l'un de ses collègues était présent dans la chambre et réalisait simultanément des soins sur un autre patient, qu'il n'est à aucun moment intervenu afin de faire cesser un comportement qu'il aurait estimé inapproprié, ni n'a corroboré les gestes de maltraitance qui lui sont reprochés.

Dans ces conditions, compte tenu de la résistance aux soins connue du patient concerné et de l'absence de témoignage du collègue présent dans la chambre venant corroborer la description des faits exposée par le centre hospitalier, il n'est pas établi que l'aide-soignant aurait porté un coup au visage de ce patient lors de sa prise en charge le 15 avril 2016.

La preuve d'un mauvais traitement

En revanche, il y a lieu de tenir pour établi et fautif le geste inapproprié de l'aide-soignant lors de cette prise en charge qui a consisté à maintenir les mains de ce patient agité dans le but de terminer, contre son gré, les soins entrepris dès lors qu'il ressort du rapport circonstancié de la cadre de santé, du 17 mai 2016, que l'aide-soignant a confirmé ce geste.

De plus, le centre hospitalier reproche à l'aide-soignant de n'avoir pas procédé, au matin du 18 avril 2016, aux soins de sonde vésicale d'un patient de sorte qu'une aide-soignante a constaté, plus tard dans la journée, que l'intéressé se trouvait dans un état d'hygiène intime déplorable. Interrogé sur ce point, le patient concerné a indiqué que l'aide-soignant n'avait, le matin même, pas procédé aux soins de sonde vésicale. Si l'aide-soignant maintient au contraire avoir réalisé ces soins et indique que ce patient souffre de troubles cognitifs rendant ses propos incohérents, une aide-soignante ainsi que la cadre de santé du service ont constaté que l'état d'hygiène de ce patient était tel qu'il ne pouvait avoir reçu ces soins le matin même. En outre, un tel comportement est crédibilisé par les témoignages de plusieurs de ses collègues faisant état de ce qu'il ne lui est pas inhabituel d'omettre volontairement de pratiquer des soins de toilette. Dans ces conditions, la matérialité de ces faits est établie.

De même, le 24 avril 2016, une aide-soignante a fait constater à une infirmière la présence d'excoriations sur les deux bras d'une patiente qui, interrogée, a indiqué que les manipulations brutales de l'aide-soignant la veille lors de sa toilette étaient à l'origine de ses blessures. Cette patiente a réitéré ses déclarations trois jours plus tard devant la cadre de santé, le médecin du service et une infirmière et elle a produit un témoignage écrit. Dans ces conditions, il est établi que la prise en charge de cette patiente a présenté un caractère brusque et fautif.

En dernier lieu, le centre hospitalier reproche à l'aide-soignant d'avoir, le 24 avril 2016, tenu un propos dégradant en présence d'un patient qui s'était souillé et de l'avoir manipulé brusquement et seul pour le mettre dans son lit. Cette version des faits est corroborée par le témoignage de l'infirmière qui accompagnait l'aide-soignant, et qui s'est dite particulièrement choquée de ses propos et de l'état du résident, en pleurs, qu'elle a mis longtemps à rassurer et à calmer. La réalité de ces faits est établie.

Dans ces conditions, eu égard à la nature de ces faits et alors même que l'aide-soignant n'avait précédemment fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire, la sanction de révocation prononcée à son encontre n'était pas disproportionnée.

3/ Qualité de la surveillance

Le suicide d'un patient, dans la chambre d'isolement et par pendaison, alors que le risque suicidaire était connu, n'engage pas la responsabilité dès que la surveillance était vigilante, un contrôle constant ne pouvant être exigé.

(CAA de LYON, 13 avril 2021, no 19LY02495)

Faits

Un homme âgé de 26 ans a été admis en hospitalisation complète sous contrainte dans un centre hospitalier spécialisé, où il était suivi régulièrement depuis 2008 en raison d'une schizophrénie de type paranoïde associée à des conduites addictives.

Le 27 juillet 2014, entre 11 h 30 et 13 h, il s'est suicidé par pendaison aux charnières de la porte de sa chambre d'isolement et au moyen de ses draps.

Analyse

Le patient était suivi depuis une dizaine d'années par le centre hospitalier spécialisé pour une schizophrénie de type paranoïde avec comorbité addictive. Sa prise en charge était rendue complexe du fait du déni complet de ses troubles, de ses fugues répétées, de son agitation voire de son agressivité à l'égard des soignants et des autres patients. Ses troubles délirants ont d'ailleurs donné lieu à son placement en chambre d'isolement à plusieurs reprises, à une surveillance rapprochée de son comportement et ont justifié son transfert à l'unité de soins intensifs en psychiatrie (USIP) de la Roche sur Foron à compter du 2 juillet 2014.

Le patient a toutefois été réintégré à compter du 10 juillet 2014 au centre hospitalier spécialisé, date à laquelle il a exprimé pour la première fois des pensées suicidaires.

Le 19 juillet 2014, il a fait une tentative de fugue, renouvelée le 24 juillet 2014, et notamment justifiées par son opposition à son nouveau transfert à l'USIP prévu le 29 juillet suivant.

Le 25 juillet 2014, son état d'angoisse s'est dégradé avec un chantage au suicide suivi d'une tentative d'autolyse par phlébotomie devant un infirmier.

Face à l'expression de ses idées suicidaires, une adaptation du traitement médicamenteux a été mise en place, qui a semblé donner de bons résultats. Entre le 19 juillet et le 24 juillet 2014, il n'a pas été défini de véritable plan thérapeutique, mais le patient a bénéficié de visites régulières de l'équipe médicale dans sa chambre d'isolement.

Le 27 juillet 2014, une surveillance a été effectuée toutes les deux à trois heures, soit à 0 h 34, à 5 h 34, à 9 h et à 11 h 30 avant que le jeune patient soit découvert pendu dans sa chambre lors d'une nouvelle ronde à 13 h.

Selon l'expert, même si aucun programme spécifique à la crise suicidaire n'a été formalisé, un tel rythme de surveillance, ainsi que la pose d'entraves lors des périodes d'agitation, correspondent aux bonnes pratiques professionnelles à l'égard des patients hospitalisés en milieu fermé qui recommandent une visite toutes les deux heures dans le cas général. Or, le patient présentait une attitude calme et coopérante la veille et le matin de son passage à l'acte qui pouvait être attribuée à l'efficacité de son nouveau traitement. Aucune urgence suicidaire ne justifiait que des mesures de surveillance plus strictes soient mises en œuvre par l'équipe hospitalière. Il suit de là qu'aucune faute dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité n'a été commise.

4/ Qualité des soins

Perfusion et extravasation

Une perfusion par voie veineuse périphérique est un acte de soin courant, et une extravasation révèle une faute infirmière, qui engage la responsabilité.

(CAA de Nantes, 12 mars 2021, no 19NT02755)

Faits

Une patiente, âgée de 64 ans, s'est vue implanter le 8 juin 2011 un dispositif veineux en vue d'un traitement par chimiothérapie après la découverte d'une lésion métastatique du foie.

Au cours de la première séance de chimiothérapie, mise en œuvre le même jour à la polyclinique de Pontivy, une extravasation au niveau axillaire droit s'est produite qui a conduit au retrait du dispositif implantable. En raison d'une détérioration de son état général, la patiente a été hospitalisée le 30 août 2011. Une hypokaliémie a été diagnostiquée, qui a été traitée par perfusion de potassium par voie veineuse périphérique.

Au cours de la perfusion, une nouvelle extravasation s'est produite, responsable d'une nécrose du poignet droit.

Des interventions ont été réalisées le 8 septembre et le 13 octobre 2011 pour exciser la zone nécrosée mais la patiente conserve une limitation fonctionnelle de la main droite.

La faute technique

Selon l'article L. 1142-1 du CSP, les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Selon la jurisprudence, la circonstance qu'un acte de soin courant a entraîné une incapacité permanente sans lien avec la pathologie initiale révèle en principe une faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier.

La nécrose de la main droite présentée par la patiente, qui est à l'origine de son handicap, a été provoquée par l'extravasation du potassium qui lui a été administré par voie veineuse périphérique pour traiter l'hypokaliémie dont elle souffrait. Cette perfusion constitue un acte de soin courant. Les troubles qui en résultent, qui sont sans lien avec la pathologie pour laquelle elle était soignée, révèlent donc une faute dans l'organisation et le fonctionnement du centre hospitalier de nature à engager la responsabilité.

En revanche, le choix de perfuser la patiente par voie veineuse périphérique plutôt que par voie veineuse centrale n'est pas fautif, alors même qu'il entraînait un risque plus élevé d'extravasation.

L'information

Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Toutefois, cette information ne porte pas sur les conséquences éventuelles des actes de soin courant, tels qu'une perfusion, mais seulement sur celles des traitements administrés au cours de ces actes.

La patiente n'est donc pas fondée à rechercher la responsabilité du centre hospitalier pour méconnaissance de son obligation d'information.

Qualité des soins en phase palliative

La qualité des soins s'apprécie en fonction de critères spécifiques quand ils sont prodigués dans un cadre palliatif.

(CAA de Bordeaux, 23 mars 2021, no 19BX00888)

Faits

Une dame âgée de 84 ans a été hospitalisée dans un centre hospitalier du 4 au 12 janvier 2011 pour une détresse respiratoire en rapport avec une pneumopathie et un épanchement pleural gauche. Deux nouveaux épisodes de détresse respiratoire ont conduit à sa réadmission dans cet établissement le 15 janvier de 11 h 54 à 21 h 22, puis le 16 janvier à partir de 12 h 14.

La patiente est décédée à l'hôpital dans la soirée du 16 janvier 2011.

Analyse

La patiente était atteinte d'une maladie d'Alzheimer évoluant depuis 1997, pathologie dont l'expert précise que la progression provoque une dégradation générale de l'état de santé et un affaiblissement du système immunitaire.

La patiente, grabataire et alimentée par une sonde gastrique, se trouvait dans un état d'insuffisance respiratoire sévère à la suite de la pneumopathie à bactérie multi-résistante pour laquelle elle avait été hospitalisée du 4 au 12 janvier 2011, les radiographies faisant apparaître un épanchement de sang (hémothorax) occupant plus de la moitié du poumon gauche.

Alors que l'état infectieux s'était amélioré, la patiente avait été réadmise les 15 et 16 janvier pour une détresse respiratoire aiguë liée essentiellement à l'atteinte du poumon gauche. Sa famille avait été informée à plusieurs reprises de l'acharnement thérapeutique qu'aurait constitué une réanimation agressive en cas d'aggravation. La famille part du postulat erroné que l'état de santé de la patiente aurait relevé de soins curatifs et non palliatifs.

La circonstance que les soins dispensés, qui avaient un caractère palliatif, ont été sans effet sur l'insuffisance respiratoire sévère ayant entraîné le décès, n'est pas de nature à mettre en cause la compétence du personnel soignant.

Selon l'expert, la scopolamine est indiquée dans la plupart des protocoles de dyspnée en soins palliatifs car elle présente l'intérêt d'éviter les sécrétions et de limiter la gêne liée à l'encombrement bronchique, ce qui permet de diminuer les aspirations traumatiques pour le malade. La morphine, longtemps déconseillée, est admise depuis plusieurs années dans les situations de dyspnée en fin de vie et constituerait même, selon une publication, le seul traitement ayant montré son efficacité.

L'expert a précisé, s'agissant de l'infirmière diplômée ayant pratiqué le 16 janvier une aspiration des mucosités relevant de sa compétence, que la présence de sang sur la canule s'expliquait par le caractère traumatique de ce geste, lequel n'a « rien ramené » en l'absence de mucosités, dans une situation vraisemblable de râle agonique chez une personne en détresse respiratoire avec un poumon gauche inefficace et un poumon droit encombré. Il résulte des mentions portées sur la fiche d'hospitalisation que la ventilation non invasive de confort pratiquée le 15 janvier a été tentée à nouveau le lendemain à la demande insistante de la famille, puis arrêtée en raison d'une aggravation rapide de l'état respiratoire avec désaturation à 50 % et remplacée par une oxygénothérapie, ce qui n'est pas davantage de nature à caractériser une faute.

Décision d'aponévrotomie de décharge

La décision d'une intervention chirurgicale lourde sur une jambe fragilisée est considérée comme discutable mais non fautive, alors que le refus de réaliser une aponévrotomie de décharge, qui constituait le seul geste susceptible de soulager une grave compression veineuse, est une faute.

(CAA de Paris, 29 avril 2021, no 21PA00424)

Faits

Une patiente âgée de 19 ans a été victime le 27 février 2002 d'un accident sur la voie publique, qui a notamment occasionné des fractures et d'importantes lésions des tissus mous de l'ensemble du membre inférieur gauche.

En juillet 2003, elle a consulté pour la première fois à l'hôpital Robert Debré à Paris. Elle y a subi, à compter de janvier 2004, plusieurs interventions chirurgicales sur sa jambe gauche, certaines marquées par des complications post-opératoires (infections et ulcérations).

Désirant redonner du galbe à son mollet gauche par une intervention, elle a consulté le 23 octobre 2012 à l'hôpital Robert Debré, puis y a été opérée le 28 janvier 2013, l'intervention consistant à effectuer une injection de graisse autologue (graisse abdominale) dans la cicatrice du membre inférieur gauche (lipofilling).

Le lendemain matin de l'intervention, devant le constat d'un pied très œdématié, d'une diminution de la chaleur locale, d'une cyanose jusqu'à la cheville et d'un pouls non perçu, une réintervention en urgence a été effectuée par une lipoaspiration et une manœuvre d'évacuation de la graisse par les anciens points d'évacuation qui ont été agrandis. Après une meilleure coloration cutanée, le pied est devenu violet ; un angioscanner a alors été réalisé et la patiente a été transférée à l'hôpital Avicenne pour une prise en charge en chirurgie vasculaire.

La réunion médicale qui a alors eu lieu a estimé qu'aucun geste de chirurgie vasculaire n'était possible et qu'aucune aponévrotomie de décharge (incision de décharge en face interne et externe sur toute la longueur de la jambe provoquant un important désengorgement veineux) n'était réalisable, la seule intervention envisageable semblant être une amputation de jambe, avec des difficultés au niveau du recouvrement postérieur de cette amputation eu égard aux multiples cicatrices et à l'absence du galbe de la face postérieure.

La patiente a été transférée en retour à l'hôpital Robert Debré le 30 janvier 2013, où une intervention afin de tenter de sauver le membre a été réalisée dans la soirée par une aponévrotomie de décharge.

Après une évolution satisfaisante, le pansement étant refait à plusieurs reprises au bloc opératoire sous anesthésie générale, il a toutefois été constaté le 23 mars que le talon était à nu au niveau de deux zones.

Lors de l'intervention consistant à refaire le pansement le 27 mars, il a été noté que ces deux zones au niveau du calcanéo-cuboïdien et du calcanéum restaient préoccupantes, ce qui a été confirmé le 2 et le 7 avril lorsque le pansement a été refait. Le 18 avril, il a été procédé à une greffe de peau. La perte de substance au niveau du calcaneum a été constatée le 2 mai 2013.

La patiente a quitté l'hôpital le 8 mai 2013 pour retourner à son domicile. Lors de la consultation du 12 novembre 2013, il a été constaté une destruction importante du calcanéum et une fistule dans la tibio-astragalienne avec une destruction complète articulaire, ce qui a conduit à ce qu'une amputation de jambe soit proposée, laquelle a été réalisée le 21 janvier 2014.

Les suites opératoires ont été marquées par un état anxio-dépressif nécessitant un suivi et un traitement psychotrope et des difficultés d'appareillage en raison d'un moignon défectueux avec une peau très fragile, nécessitant une opération du moignon le 16 novembre 2017 puis le 8 décembre 2017 en raison d'une infection locale ; la cicatrisation du moignon est complète depuis janvier 2018.

Défaut d'information

Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.

(CSP, art. L. 1111-2).

Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

Le 23 octobre 2012, lors de la consultation préalable à l'intervention chirurgicale souhaitée par la patiente, des explications lui ont été données sur l'intervention et ses risques. La patiente n'a pas été informée du risque d'amputation qui s'est malheureusement réalisé, mais un tel risque, terme ultime des complications post-opératoires, n'était pas alors décrit dans la littérature médicale et, n'étant pas connu, il ne pouvait a fortiori être indiqué à la patiente. Par suite, on ne peut retenir un manquement à l'obligation d'information.

La prise en charge

En application du I de l'article L. 1142-1 CSP, les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

L'indication opératoire

Le rapport d'expertise qualifie l'indication opératoire de l'intervention du 28 janvier 2013 de « très discutable », eu égard notamment à la circonstance que le membre inférieur gauche de la patiente, qui avait fait l'objet de nombreuses opérations, était affecté par d'importantes séquelles trophiques et par une fibrose cicatricielle cutanée et sous-cutanée dense, très peu extensible, et avait connu des difficultés majeures de cicatrisation après l'intervention de cross-leg des 24 juin et 26 juillet 2004 nécessitant plusieurs réinterventions de chirurgie plastique et de multiples épisodes infectieux dont, en mars 2012, une cellulite du pied. Toutefois, cette indication opératoire ne revêt pas les critères d'une faute, et elle n'engage pas, par elle-même, la responsabilité.

La qualité des soins pratiqués

L'intervention du 28 janvier 2013, réalisée sur un membre inférieur gauche déjà très fragilisé par le traumatisme initial survenu en 2002 et par les multiples interventions chirurgicales consécutives à cet accident et qui présentait ainsi un état de vulnérabilité augmentant très sensiblement les risques de complication de tout geste chirurgical, a provoqué une ischémie aiguë d'origine veineuse qui doit être regardée comme une affection iatrogène.

L'aponévrotomie de décharge, qui constituait le seul geste susceptible de soulager cette compression veineuse, n'a été réalisée que le 30 janvier 2013 dans la soirée à l'hôpital Robert Debré, après un aller-retour de la patiente à l'hôpital Avicenne de Bobigny où les médecins ont estimé qu'aucune aponévrotomie de décharge n'était réalisable.

Ce refus était une faute, et le retard mis au diagnostic de cette complication ischémique survenue en postopératoire ainsi que le retard thérapeutique à la réalisation de l'aponévrotomie de décharge ont eu pour conséquence une ischémie dépassée du membre inférieur gauche qui est la cause de toutes les complications ultérieures, liées à la nécrose tissulaire, notamment infectieuses. Il en résulte une responsabilité avec perte de chance de cinquante pour cent d'éviter l'amputation.

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