Audrey Dufeu-Schubert : « l'âge n'est pas synonyme de vulnérabilité ! » - Objectif Soins & Management n° 281 du 01/06/2021 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 281 du 01/06/2021

 

Actualités

Claire Pourprix  

Politique

Le 9 mars dernier, Audrey Dufeu-Schubert, députée de Loire-Atlantique LREM et vice-présidente de la commission des Affaires sociales à l'Assemblée nationale, a déposé une proposition de loi visant à « réussir la transition démographique pour lutter contre l'âgisme ». Elle nous en explique l'ambition.

Qu'est-ce qui vous a motivée à vous intéresser à la question de l'âgisme ?

Je me suis intéressée à la question de l'âgisme dès le début de mon mandat de députée. Cela m'a conduite à réaliser un rapport sur ce thème à la demande du Premier ministre Édouard Philippe. Ce rapport, intitulé « Réussir la transition démographique et lutter contre l'âgisme », a été rendu en décembre 2019, soit quelques semaines avant l'apparition de la première vague de Covid en France, et ses propositions et constats se sont révélés au cœur de l'actualité. Cela m'a poussée à élaborer une proposition de loi qui en émane directement. Je l'ai rendue publique car j'ai été très choquée par les propos discriminants tenus à l'encontre des personnes âgées lors du déploiement de la stratégie vaccinale visant à protéger les plus vulnérables. Ce déferlement de paroles désinhibées sur certains plateaux télé – parfois tenus par des soignants dont de grands médecins ! –, a souligné la nécessité de réaffirmer les droits des personnes âgées dans cette période.

De nombreuses « personnes âgées » se sont en effet senties stigmatisées par les propos tenus depuis le début de la pandémie sur leur supposée fragilité...

La stratégie vaccinale a en effet été orientée sur des critères d'âge uniquement, comme si le fait de dépasser 75 ans signifie être fragile ou vulnérable. Or des personnes peuvent ne pas se sentir concernées car l'âge n'est pas un facteur de vulnérabilité en soit. Une pathologie chronique, la présence de comorbidités doivent en revanche être considérées comme des facteurs de vulnérabilité. J'ai œuvré de manière très active auprès du gouvernement pour faire passer des notes et des alertes sur le risque de stigmatiser et d'enfermer des gens. Depuis, les messages ont d'ailleurs changé : dans les conférences de presse suivantes, on n'a plus seulement évoqué l'âge des personnes, mais parlé de personnes vulnérables, avec des comorbidités.

Les enseignements de la crise sanitaire servent-ils votre cause ?

La crise de la Covid, comme celle de la canicule en 2003, va remettre au cœur des priorités la nécessité de changer l'accompagnement du vieillissement en France. Cette crise a ouvert les yeux de nombreuses personnes. Je travaille depuis 2017 sur ce sujet de l'âgisme et je n'aurais pas pensé possible par exemple que l'on crée la 5e branche autonomie, qui est née au lendemain de la première vague. La nécessité de renforcer les moyens, de trouver de nouvelles sources financières sera au cœur des débats de l'élection présidentielle de 2022.

Pourquoi une loi est-elle nécessaire ? Que peut-elle changer sur notre rapport à l'âge ?

Il s'agit d'une loi très transversale, qui vise trois objectifs : renforcer les droits des personnes âgées ; préparer la société à la transition démographique ; reconnaître le rôle des citoyens âgés dans la société et valoriser leur représentation à la télévision. L'enjeu est de savoir ce que l'on met en œuvre pour ne pas stigmatiser par l'âge. Vieillir n'est pas une maladie et ne relève pas uniquement de la question de l'accompagnement médico-social. C'est pourquoi cette loi fait des propositions plus larges, en associant les communes pour l'organisation de funérailles républicaines, propose des mesures pour développer le bénévolat et lutter contre l'isolement social, mobilise l'Education nationale pour introduire la notion de transition démographique et de longévité dans les programmes scolaires dès le primaire, ou encore le monde de l'audiovisuel et du cinéma afin de promouvoir une représentation réaliste de la longévité... Pour résumer, l'enjeu est de casser les stéréotypes sur l'âge ancrés dans nos sociétés.

Qu'en attendez-vous ?

La lutte contre l'âgisme doit être collective et co-portée par tous. Cette lutte sociétale ne peut se faire que si les personnes concernées s'emparent du sujet. D'autres initiatives voient le jour : Claire Hédon, la Défenseure des droits, a rendu public un rapport intéressant sur « Les droits fondamentaux des personnes âgées accueillies en Ehpad ». Les associations, les soignants sont aussi mobilisés : c'est un sujet qui doit être partagé par tous. En tant que députée, j'ai naturellement actionné le levier de la loi. Ma proposition de loi a-t-elle une chance d'être votée ? J'ai bien conscience que le calendrier parlementaire est très chargé. Mais même si elle ne passe pas à l'Assemblée, elle aura eu le mérite de faire parler du sujet. L'enjeu politique est de lever des tabous : plus on dénoncera les discriminations, plus on les combattra.

Le vote de la loi Grand âge et autonomie a été reporté... est-ce de mauvais augure pour votre proposition de loi ?

Ma proposition de loi a l'avantage de ne coûter aucun centime d'euro alors que la loi Grand âge et autonomie nécessite de trouver un financement et de nouvelles ressource financières. Si cette loi arrivait à l'Assemblée, elle pourrait d'ailleurs reprendre des idées de ma proposition de loi.

En mars dernier, l'OMS a rendu un rapport consacré à l'âgisme, reconnu comme un enjeu mondial. Cela est utile à votre combat ?

Les défis sociétaux comme celui-ci ne se jouent pas seulement à l'échelle nationale. À partir de janvier 2022, la France va présider le Conseil européen : j'espère que la directive européenne de 2008 sur le sujet, qui n'avait pas pu aboutir en raison notamment du blocage de l'Allemagne, pourra être réactivée. L'Europe vieillit et l'âgisme a un impact sur la santé car il diminue l'espérance de vie : la perception de son propre vieillissement est importante !

Dans le monde du travail, comment accompagner les personnes vieillissantes ?

Le jeunisme existe dans toutes les corporations. Il est aujourd'hui démontré que le vieillissement amplifie les discriminations préexistantes, et que les femmes en sont plus victimes car on tolère moins leur vieillissement. Le taux d'employabilité diminue avec l'âge et il y a un vrai travail à faire sur la réforme du travail. La proposition de loi Santé au travail, adoptée à l'Assemblée nationale en février dernier, comporte un volet sur la deuxième partie de carrière. Or le fait de mettre des barrières d'âge véhicule l'idée qu'à un certain âge, on a fait la moitié de la carrière et que l'on passe de l'autre côté... Pourtant, la vie est longue au travail et nous avons des choses à apporter jusqu'à notre départ à la retraite ! Ce qui nourrit l'âgisme, c'est la course à la performance des jeunes actifs : si on entre à 30 ans dans le monde du travail et qu'à 45 ans on a fini, il faut être hyper productif pendant 15 ans, c'est-à-dire avoir un travail, un conjoint, des enfants, une maison et un chien ! Cela génère une compétition entre les gens, au détriment des plus vulnérables.

Quels critères prendre en compte si on doit
écarter celui 
de l'âge ?

Dans le monde du travail, il faut sortir des barrières d'âge et rendre le salarié acteur de son parcours. Une jeune maman peut être aussi fragile qu'une personne qui n'a plus d'enfant à la maison ! Chacun vieillit d'une manière qui lui est propre et l'enjeu est de parvenir à mettre en œuvre une politique collective capable de répondre aux besoins individuels.

Préambule au rapport de décembre 2020 « Réussir la transition démographique et lutter contre l'âgisme »

« Députée issue de la société civile, je me suis remémorée, tout au long de cette mission gouvernementale qui m'a été confiée par le Premier ministre, mon tout premier souvenir en tant que soignante lorsque j'avais 18 ans, avec une personne âgée. Elle s'appelait Madeleine, elle avait 86 ans et vivait sous tutelle en long séjour. Tous les matins, je l'accompagnais pour ses soins et tous les matins je m'inquiétais sur les raisons qui m'obligeaient à l'aider à se parfumer avec une eau de Cologne « éco-prix » alors qu'elle ne cessait de me parler de la grande maison de couture et parfumeur pour laquelle elle avait travaillé pendant plus de 30 ans... Nos institutions, nos organisations, nos politiques participent de manière souvent involontaire à gommer les particularités d'un grand nombre de nos concitoyens parce qu'ils vieillissent, parce qu'ils deviennent doucement invisibles. Notre société aurait tout intérêt, au contraire, à s'enrichir de leur vécu, de leur histoire de vie. Le vieillissement est universel et, pour les plus chanceux, nous concernera tous bientôt. Ne plus stigmatiser les personnes par leur âge, par ce qu'elles représentent, dans un monde basé sur l'instantané et la performance, doit être le liant pour une société apaisée. Il nous faut transformer notre société et modifier le regard porté sur les aînés pour non seulement réconcilier les générations, mais aussi assurer une sérénité pour chacun d'entre nous pour la réussite de la transition démographique qui a déjà commencé.  »