Pratique avancéeAux urgences, la panacée ? - Objectif Soins & Management n° 279 du 01/02/2021 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 279 du 01/02/2021

 

Controverse

Anne Lise Favier  

Alors que les infirmières en pratique avancée (IPA) exercent déjà dans quatre champs spécifiques de la santé, elles pourraient aussi rejoindre les services d'urgences. Une petite révolution qui soulève des crispations et qui tarde à voir le jour.

Juin 2019, Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, charge Thomas Mesnier, médecin urgentiste et député de Charente et le Pr Pierre Carli, président du Conseil national de l'urgence hospitalière, de conduire une réflexion sur la refonte des urgences dans un contexte de tension. Début septembre 2019, Agnès Buzyn annonce des premières mesures pour les urgences et notamment la création d'une formation IPA Urgences dès la rentrée de 2020 : ces IPA pourront, selon la ministre de la Santé « directement prendre en charge les patients », diagnostiquer à l'aide d'un algorithme, réaliser des actes techniques en autonomie (sutures) et prescrire de l'imagerie. Une annonce qui arrive peu de temps avant la remise du rapport Carli/Mesnier qui recommande (recommandation no 7 du rapport) la création d'une IPA Urgences sous ces termes : « la fonction d'Infirmier d'accueil et d'orientation aux urgences pourrait être renforcée et remplie par des IPA d'urgences, compétents pour trier, déterminer un parcours de soins et effectuer des soins courants, tout en conservant une supervision médicale indispensable ». Selon le rapport, le contexte de pénurie médicale implique de reconnaître les capacités paramédicales en faisant évoluer le décret de compétences infirmier. Il précise d'ailleurs les missions selon lesquelles l'IPA pourrait exercer aux urgences : les infirmières en pratique avancée « pourraient être formées pour assurer en première ligne et sous une supervision médicale l'orientation des patients et la coordination avec les médecins traitants, la pose d'un premier diagnostic infirmier sur la base d'arbres de décision, en fonction de situations préalablement définies avec l'équipe médicale, la prescription des actes d'imagerie ou de biologie, la réalisation d'actes techniques en autonomie (sutures, pour le moment seuls les IBODE sont autorisées à les faire, NDLR) et la prise en charge complète d'une filière de soins après décision médicale ».

Une évolution nécessaire selon certains

Une évolution et des propositions qui vont dans le bon sens pour le Pr Bruno Riou, doyen de la faculté de médecine de Sorbonne Université (qui accueille des formations IPA) et qui a dirigé le service d'accueil des urgences de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière jusqu'en 2019 : « Ces propositions semblent logiques quand on constate le rôle croissant des métiers intermédiaires de la santé dans les autres pays, entre infirmiers et médecins. Et puis elles ont le mérite de pouvoir être mises en place à relativement court terme quand il faut plus de dix ans pour former un médecin », s'explique-t-il dans un édito des annales françaises de médecine d'urgence. Il rappelle que l'ensemble des dispositifs réglementaires qui permettent à un infirmier de réaliser des soins qui ne relèvent pas de son décret de compétence, sous la responsabilité d'un médecin, et dans le cadre d'un protocole de coopération entre professionnels de santé dûment autorisé existent depuis de nombreuses années (1). L'IPA serait une émancipation de ce protocole de coopération, mais « il convient de donner quelques limites à ceux qui considèrent que les IPA en médecine d'urgences sont une panacée ». Il faut déjà considérer le temps de formation de ces IPA (deux ans à partir de la rentrée prévue en septembre 2021) et voir comment seraient répartis ces nouveaux infirmiers. Pour le Pr Riou, « les IPA qu'il convient de former, pour réellement désengorger les urgences hospitalières, concernent prioritairement d'autres domaines, notamment la médecine de premier recours, la protection maternelle et infantile et la gériatrie ».

Une mesure controversée pour d'autres

Alors que les discussions se sont poursuivies cette année en coulisses avec le projet de loi visant à améliorer le système de santé, la naissance de l'IPA Urgences agite les discussions. L'Association des médecins urgentistes de France (AMUF) s'est déclarée « scandalisée » par le projet de loi, compensant, selon l'association urgentiste « les carences d'un système de santé exsangue à cause de la crise sanitaire » : « le gouvernement est en train de casser la profession de médecin avec la création du métier d'infirmier en pratique avancée. Cette évolution devait être réservée aux pratiques de suivi et de malade chronique, mais désormais les IPA vont pouvoir faire du diagnostic soin et traitement aux urgences, SMUR et au SAMU. Au lieu de s'attaquer aux causes du désamour de nos collègues pour les métiers de permanence de soins et pour l'hôpital public en repensant notamment les conclusions du Ségur, le gouvernement répond aux problèmes de sous-effectif médical chez les urgentistes avec la création d'une profession médicale intermédiaire » fustige l'AMUF dans un communiqué. Selon le Dr Patrick Pelloux, président de l'AMUF, « la création des IPA aux urgences est une américanisation de notre système de santé », estimant qu'il s'agit de pallier le manque de médecins par un nouveau corps de qualification intermédiaire. Contacté pour essayer d'en savoir plus sur son point de vue et son lien avec la profession intermédiaire, l'AMUF n'a pas donné suite à nos sollicitations.

Des IPA aux contours bien définis

Pour le Dr Youri Yordanov, urgentiste à l'AP-HP et participant au groupe de travail de la DGOS sur l'IPA, la position de l'AMUF est d'une « grande violence » qui ne rend pas compte de l'avis global de la profession. « A vrai dire, nous sommes dans une position inverse et surtout nous dénonçons la profonde méconnaissance que l'AMUF peut avoir du métier ; c'est en plus assez malhonnête de leur part dans la mesure où ces mêmes urgentistes ont participé aux discussions préliminaires sur le sujet. L'objectif de l'IPA Urgences est bien sûr de libérer du temps médical, mais aussi de donner de nouvelles perspectives aux soignants qui ont des compétences. Ces IPA Urgences auront la possibilité de travailler aux urgences mais aussi au SAMU, en SMUR et continueront de travailler avec une équipe ». Quant à la profession médicale intermédiaire (PMI) crainte par l'AMUF, le Dr Yordanov balaye d'un revers de la main : « à mon avis, cela ne remet pas en cause l'existence de l'IPA. On ne connaît encore rien de cette profession intermédiaire qui a refait surface lors du Ségur de la santé. Alors que dans le cas de l'IPA, on sait qu'il s'agit d'un professionnel de santé dont la formation initiale est clairement décrite ». De son côté, Julie Devictor, infirmière en pratique avancée (spécialisation hémato-oncologie) et présidente du Conseil national professionnel des infirmières en pratique avancée (CNP IPA), rappelle que l'IPA est avant tout complémentaire au médical, pas en remplacement et qu'elle se place toujours au service du patient : « ce qui fait débat, c'est de calquer la mention sur une spécialité médicale, mais je rappelle que l'on prône une approche globale, populationnelle qui permet d'intervenir quand le patient est malade, mais aussi en amont ». Quant à la polémique lancée par l'AMUF, « elle témoigne d'une méconnaissance absolue de l'IPA. Il n'y est fait aucune nuance entre l'infirmière, l'IPA, la PMI et le protocole de coopération, alors que nous avons une formation spécifique et des compétences différentes. Nous sommes en train de définir les contours (2) des missions que pourront être celles des IPA Urgences pour qu'elles commencent à être formées en septembre. C'est totalement faux de dire qu'il n'y aura plus de médecins aux urgences ».

IPA, profession intermédiaire, même combat ?

Quant à l'annonce de profession intermédiaire faite dans le Ségur, elle a surpris Julie Devictor : « on vient de mettre en place les IPA, on a du soutien, mais dans la pratique, l'accompagnement reste léger : on devait par exemple avoir un comité de suivi de la mise en place de l'IPA, mais ça n'a toujours pas été fait. On a fait remonter l'existence de freins mais toujours pas de solution, alors oui, l'annonce d'une profession intermédiaire nous a surpris ! On a l'impression que l'on va créer une nouvelle profession sur un champ d'intervention qui pourrait être celui des IPA, notamment par le niveau (bac+5), la prescription, etc. Il doit y avoir là un problème de sémantique », estime Julie Devictor, qui se demande si intermédiaire intègre la notion de médical et de responsabilité. « Il paraît donc prématuré d'annoncer la création d'une nouvelle profession alors que l'IPA est en train de se déployer ». Une demande qui semble avoir été entendue puisque unanimement, la profession infirmière et la profession médicale représentées par leurs ordres respectifs, semblent avoir enterré la question de la profession intermédiaire en recentrant les réflexions sur la pratique avancée : en effet, l'examen des travaux sur la PMI en Commission des Affaires sociales à l'Assemblée nationale s'est recentré sur « un état des lieux de l'exercice en pratique avancée et des protocoles de coopération ». Un rapport pourrait être demandé pour énoncer « des propositions permettant d'accélérer le déploiement de l'IPA, en particulier dans le double objectif d'un décloisonnement des professions de santé et d'un meilleur accès aux soins ». Si le calendrier suit son cours, les premières IPA Urgences pourraient commencer leur formation en septembre 2021. De quoi, peut-être réussir à atteindre les objectifs annoncés dans le Ségur (mesure 6 du premier pilier de revalorisation) qui ambitionne d'accélérer le déploiement des infirmiers de pratique avancée : « les pouvoirs publics souhaitent atteindre 3 000 IPA en 2022, puis 5 000 en 2024 ». Reste à voir comment son déploiement sera effectif au sein des services d'urgences et si cela fera taire le débat sur la profession intermédiaire qui a aussi invité à sa table tous les paramédicaux (3).

L'IPA, c'est quoi ?

Instituée en 2016 par la loi Santé de l'ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine, l'infirmière de pratique avancée est une infirmière de grade master : elle fait deux années d'études complémentaires dont une année de tronc commun comprenant sciences fondamentales, sciences humaines et sociales, ainsi que pratiques de soins et de recherche. La deuxième année est celle de la spécialisation. Actuellement, à l'issue de la première année de tronc commun, les futures IPA peuvent choisir parmi quatre mentions :

1 - pathologies chroniques stabilisées ; prévention et poly-pathologies courantes en soins primaires,

2 - oncologie et hémato-oncologie,

3 - maladie rénale chronique, dialyse, transplantation rénale,

4 - psychiatrie et santé mentale.

Le chantier de l'IPA Urgences – une cinquième mention - est sur les rails mais retardé par la crise sanitaire. Initialement prévue pour septembre 2020, la première rentrée universitaire des IPA Urgences devrait se faire en septembre 2021 avec une arrivée dans les services deux ans plus tard.

Une IPA comme un lien

Si les missions de l'IPA Urgences ne sont pas encore complètement connues, on peut aisément imaginer que les IPA pourront jouer un rôle important lors du parcours des patients aux urgences et notamment lors de leur sortie, en assurant par exemple le lien ville-hôpital ou en favorisant le parcours de ville des patients chroniques préalablement rencontrés aux urgences en phase aigue. La phase d'aval pourrait ainsi permettre un meilleur retour au domicile, ce qui impliquerait ensuite un moindre recours aux urgences. Un cercle vertueux pourrait alors se mettre en place.

(1) Protocole de coopération entre professionnels de santé – HAS – Guide méthodologique 2014 - https://www.has-sante.fr/jcms/c_1240280/fr/protocole-de-cooperation-entre-professionnels-de-sante

(2) au moment de notre bouclage, les discussions, confidentielles, étaient en train de se terminer autour du futur référentiel d'activités.

(3) audioprothésiste, diététicien, ergothérapeute, infirmier, manipulateur d'électroradiologie médicale, masseur-kinésithérapeute, orthésistes orthophoniste, orthoptiste, opticien-lunetier, pédicure-podologue, prothésiste, psychomotricien et technicien de laboratoire médical, d'après un communiqué publié le 9 novembre par l'Union interprofessionnelle des associations de rééducateurs et médico-techniques.