« L'écriture est à la portée de tous ! » - Objectif Soins & Management n° 279 du 01/02/2021 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 279 du 01/02/2021

 

Ressources Humaines

Dossier

Florence Servan-Schreiber  

Journaliste, auteure, conférencière, Florence Servan-Schreiber est spécialisée dans la psychologie positive. Elle est notamment l'auteure du best-seller « 3 kifs par jour et autres rituels recommandés par la science du bonheur » (1) et de « Power Patate, vous avez des super pouvoirs ! ». En 2020, elle a lancé « l'atelier d'écriture pour s'épanouir et kiffer », sous un format 100 % digital, et publié « Bloum ! Écrire pour s'épanouir et kiffer ». Florence Servan-Schreiber nous évoque sa rencontre avec l'écriture plaisir et partage sa vision d'une écriture accessible par tous, libératrice et épanouissante.

Qu'est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à l'écriture récréative ?

Après avoir publié quelques livres dans le domaine de la psychologie notamment, j'ai réalisé que je n'avais toujours pas commis de roman. Cela m'a interrogée : je ne pense pas être plus bête qu'une autre, alors pourquoi ne pas me lancer ? Mais cela s'est révélé impossible : je calais devant l'ampleur de la tâche, c'était très frustrant. Habituée à consacrer une journée par semaine à l'écriture, j'ai alors décidé de mettre à profit ce temps pour étudier de plus près ce qui se dit sur cette pratique de l'écriture, pour comprendre comment débloquer cette situation. C'est ainsi que j'ai découvert une manne de recherches autour de l'impact de l'écriture sur notre état psychique, physiologique et notre santé mentale. L'écriture peut en effet être utile (se faire du bien en tenant un journal intime par exemple), thérapeutique (60 % des patients de l'hôpital Saint-Anne participent ainsi à des ateliers d'écriture thérapeutique, elle fait partie de l'arsenal des soins psychiatriques car elle permet de contourner des blocages psychiques, de se relier aux autres dans des ateliers communs et d'éviter que son esprit tourne en boucle), et enfin récréative. C'est cette dernière écriture, sans intention de soin, qui m'apporte le plus de plaisir et que je développe dans mes ouvrages et ateliers d'écriture : son objectif n'est pas d'être publié, mais uniquement récréatif. Elle consiste à répondre à une consigne pour le plaisir d'arriver au bout, comme un jeu, sans enjeu. Il existe des ateliers pour tout – publier son premier roman, apprendre à écrire des dialogues, etc. – la promesse de ceux que je crée est d'éprouver toutes les techniques d'écriture que j'ai découvertes (thérapeutique, créative, personnelle) afin que chacun en retienne celle qui lui convient le mieux. L'écriture est à la portée de tous : contrairement au dessin ou à la poterie, qui requièrent une certaine expertise, nous avons tous appris à écrire à l'école et pouvons donc écrire. C'est une ressource illimitée !

En quoi est-il important d'écrire ? Qu'est-ce que cela apporte à la personne qui écrit ?

L'écriture est une forme de langage, et comme toute forme de langage elle vient puiser dans notre cervelle pour exprimer autrement ce que nous nous répétons inlassablement : le geste d'écrire ce qui nous passe par la main provoque une synthétisation, c'est-à-dire une interprétation de nos pensées pour les transformer en langage. Cela oblige à faire un pas de côté, c'est une forme de prise de recul. Cette création donne la sensation de produire quelque chose qui nous est étranger, alors que c'est le pur fruit de ce que nous nous racontons. Généralement, les gens qui écrivent ont une intention ou un désir précis. Pour se détacher de cela et s'ouvrir à tous les champs possibles, je propose dans mon dernier ouvrage, Bloum, 60 exercices d'écriture permettant de ne pas avoir décidé à l'avance ce qu'on veut en retirer. Par exemple, un exercice d'écriture expressive, une technique mise au point par James Pennebaker, consiste à raconter en détail le pire événement de votre vie, en 20 minutes. Cet exercice doit être réalisé trois jours de suite. Il s'avère qu'entre le premier et le dernier texte rédigé, on le décrit autrement, car cet exercice permet de prendre de la distance avec les émotions qui y sont liées. On trouve un sens, une raison, une progression à cet événement. L'écriture expressive ne se partage pas, elle est personnelle. Elle permet, dans le cas d'événements traumatiques, de trouver un cheminement, et finalement elle améliore l'état psychologique global de la personne.

Écrit-on pour soi ou pour les autres ?

Nous vivons dans un pays où l'écriture occupe une place importante dans le psychisme collectif : il y a plus de Français qui veulent écrire un livre que de Français qui lisent des livres ! Publier est un fantasme courant. Pourtant, la publication est presque un leurre, et il me semble qu'il est presque plus satisfaisant d'écrire un texte, de le lire à un groupe, que de publier sans savoir s'il sera lu. Le plaisir d'écrire est le plus important. La période de crise sanitaire que nous vivons est particulièrement propice à l'écriture : elle nous aide à traverser ce moment, c'est un média formidable qui permet, alors que nous sommes très dépendants des contraintes extérieures, d'aller puiser des ressources en nous-mêmes pour pouvoir continuer de nous épanouir. L'écriture, comme toute autre forme d'art, est une source de création, de fierté, de relation avec les autres.

Elle a l'avantage de pouvoir être réalisée quand on le veut, où on le veut, sur son temps libre. Pour des professionnels de santé qui vivent des situations éprouvantes ou de forte pression dans le cadre de leur travail, l'écriture s'avère très utile : elle permet de soulager, de vider, de faire de la place pour autre chose, quelle que soit la forme que prend cet écrit (journal, correspondance, etc.). Par exemple, l'hygiène de l'écriture pendant 10 minutes le matin est aussi bénéfique qu'une séance de méditation : elle aide le psychisme à encaisser.

Quels sont les freins les plus courants à l'écriture ? Comment les lever ?

Il existe bien des blocages : cela peut être la flemme et la procrastination, un traumatisme datant de nos jeunes années à l'école à cause d'une orthographe incertaine, la peur du hors-sujet, que le texte ne soit pas conforme à ce qu'en attendait un professeur, la peur de se montrer, l'écriture étant une façon de s'exposer, de ne pas être à la hauteur, d'être comparé à d'autres personnes... Les ateliers d'écriture sont très intéressants pour cela car ils facilitent la levée des freins : tous les participants sont logés à la même enseigne, il n'y a pas de compétition, on se donne du feed-back en parlant des choses qui nous ont touchés, dans lesquelles on se reconnaît. Il s'agit d'une observation généreuse, grâce à la connivence qui se crée entre les participants, d'une vision très solidaire de l'écriture qui permet de prendre du plaisir dans l'écriture, mais aussi de gagner confiance en soi.

Un autre blocage peut venir de la vision contraignante que l'on a de l'écriture : or lancer un texte peut suffire à se libérer la tête ! Nul ne nous oblige à être hyper régulier. Le rapport à l'écriture est quelque chose qui se découvre en essayant : c'est la règle de base.

(1) Les trois ouvrages cités sont publiés aux Éditions Marabout.