Retour aux sources de la médecine sur l'Ile de Kos - Objectif Soins & Management n° 278 du 01/12/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 278 du 01/12/2020

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

J'aurai pu parler du Ségur de la santé et de la mise en œuvre de l'ensemble des mesures actées en juillet dernier après la saison 1 de lutte contre la COVID 19 ; j'aurai pu vous décrire la saison 2 et le rôle de l'ARS dans cette gestion de l'épidémie (au moment où j'écris ces lignes la situation semble s'améliorer avec une légère « décrue » du nombre de malades hospitalisés) ; je pourrai aussi vous faire l'article sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, la reprise de la dette des hôpitaux, le successeur du COPERMO.

Mais finalement non ; nous y reviendrons dans les prochains numéros, promis. Après vous avoir fait vivre de l'intérieur mon expérience de la gestion de la crise de la covid 19, j'avais envie de vous faire partager un retour aux sources de la médecine, dont j'avais besoin après avoir affronté la saison 1 et à l'aube de la saison 2 de cette épidémie. Le hasard (encore que) m'a conduit sur l'ile grecque de Kos, située dans le Dodécanèse, à quelques encablures de la Turquie. Or il se trouve que Kos c'est là où est né Hippocrate qui a fondé la médecine, bases sur lesquelles notre système de santé repose encore aujourd'hui finalement. Retour donc au 4e siècle avant Jésus Christ dans le berceau grec de la médecine moderne et scientifique.

Hippocrate, le premier professeur et doyen d'une faculté (école) de médecine

Né à Kos en 377 avant JC, Hippocrate, fils de médecin et médecin lui-même, va fonder la première école de médecine scientifique, non plus basée sur la religion et les rites, mais sur l'observance et la thérapie.

Ainsi le corpus d'Hippocrate compte 60 chapitres où sont consignés ses travaux et ceux de son école (ses étudiants).

Les fondements de la médecine scientifique reposent sur :

• L'observance et la recherche de la bonne santé, qui est un équilibre entre les facteurs externes, environnementaux, comportementaux et humains, et les fluides internes,

• La description de la maladie et de ses symptômes, qui n'est donc plus un phénomène divin, mais un phénomène naturel qui peut et doit s'expliquer.

C'est ainsi que le serment d'Hippocrate demande aux physiciens de jurer sur le dieu Asclépios (dieu de la médecine) de respecter ses professeurs et d'enseigner soi-même, ne pas heurter ses patients, de maintenir la confidentialité patient-médecin, de faire appel à une expertise pour les travaux chirurgicaux, etc.

Autant de valeurs sur lesquelles s'engagent encore aujourd'hui les médecins en France en prêtant serment.

Pour soigner il est utile de connaître les plantes et leurs capacités de traitement de telle ou telle maladie ; Hippocrate n'en répertorie pas moins de 250 capables de lutter contre les différentes affections du corps humain.

Finalement nous avons là les bases de nos facultés de médecine telles qu'elles existent et fonctionnent aujourd'hui. Déjà à cette époque les étudiants paient une taxe pour leur formation ; ils vouent un profond respect à leur professeur en instaurant une relation quasi familiale entre élève et maître ; l'enseignement est à la fois théorique et pratique, sur le site de l'hôpital (l'Asclepieion).

L'Asclépiéion, l'ancêtre des centres hospitaliers universitaires

Dérivé du dieu grec de la médecine, Asclepios, l'asclepieion est à l'origine un sanctuaire qui lui est consacré mais qui in fine va devenir le précurseur de l'hôpital. Car nous y trouvons tout ce qui fait un hôpital universitaire de nos jours.

À commencer par sa localisation stratégique : implanté sur l'Ile Kos, cet hôpital de renommée internationale est facilement accessible et localisé à un carrefour. Ensuite son emplacement sur l'Ile, en hauteur, en fait un lieu agréable pour le bien être des malades, mais également des soignants.

Cet hôpital marque une étape importante dans l'approche scientifique de la médecine : s'occuper des infirmes (on retrouve ici d'emblée la dimension sociale de l'hôpital) et prendre soin des malades constitue une révolution. C'est ce qui fait passer l'édifice d'un sanctuaire où la maladie d'origine divine est traitée par des rituels, à un hôpital où cette fois-ci la maladie est traitée par des remèdes. Les malades deviennent des patients qui ont accès à des traitements rationnels prodigués par des docteurs et non plus des autorités religieuses.

Au nombre de 300 dans le monde grec, ces sanctuaires/hôpitaux sont de véritables centres médicaux qui regroupent en un même lieu un hôpital, une école de médecine, un sanatorium, etc. Kos est de loin le plus important, sorte de maison mère pour les autres : le CHU des asclepieion grecs. Ils sont financés sur des fonds privés.

Erigé sur trois étages, dans un cadre agréable pour l'importance du bien-être du patient, à la fois physique, psychologique et spirituel, l'asclepeion de Kos a vraiment tout d'un hôpital.

Le premier étage comprend les magasins, les salles de consultations et les salles de soins, ainsi que les thermes et les bains. En d'autres termes une vaste salle de consultations externes et de médecine ambulatoire comme on les construit aujourd'hui, avec quelques agréments (boutiques) pour les malades et l'ensemble des corps de métiers (magasins) pour faire fonctionner l'hôpital. D'emblée les soins de suite et de réadaptation sont intégrés avec les bains et les thermes, mais également le sport qui a une place prépondérante. L'eau est d'une importance capitale, aussi bien en termes d'hygiène que de traitement curatif.

On trouve également sur ce premier étage l'école de médecine, sa bibliothèque, les enseignements.

Le deuxième étage est consacré entièrement aux rites religieux, avec un temple dédié à Apollon, l'autre à Asclépios, sachant qu'à l'époque, les médecins, pourtant scientifiques, sont aussi les messagers des Dieux.

A noter toutefois que dans nos hôpitaux modernes, les rites religieux occupent encore une place importante.

Enfin le troisième étage, le plus élevé avec la meilleure vue sur l'environnement (la mer en l'occurrence), regroupe les chambres de repos et de convalescence pour les malades.

L'hôpital moderne est donc né à Kos ; on y trouve toutes les grandes fonctions d'un hôpital d'aujourd'hui : les soins, la formation, la convalescence. Avec une organisation autonome et l'ensemble des corps de métiers. Avec le souci d'une accessibilité au plus grand nombre et un financement reposant sur la charité privée, sachant cependant que les soins ne sont pas gratuits : les malades doivent payer une taxe de consultations s'ils veulent être soignés dans le sanctuaire.

Les traitements reposent avant tout sur des remèdes simples et des conseils sur l'hygiène de vie : faire de l'exercice (sport), adopter un régime alimentaire sain et équilibré et pratiquer des cures thermales (bains et frictions). Ainsi sont nés à l'hôpital l'éducation à la santé, la promotion de la santé et la prévention.

Mais qui sont les professionnels de santé de ces asclepiéions ?

Les médecins grecs, les mêmes qu'aujourd'hui ?

Derrière le terme de médecin, on y met le praticien, le professeur, mais également tout individu qui s'intéresse à la médecine (on voit là poindre l'ancêtre de la santé publique ou de l'économie de la santé, selon l'appétence et le point de vue adopté). Pour autant il n'existe pas réellement de contrôle du titre (les ARS n'existent pas encore) et finalement les soins sont prodigués en public, sans colloque singulier entre le malade et son médecin ; c'est en quelque sorte la garantie du bon exercice du praticien, à travers la transparence et la confiance. Si la formation, on l'a vu, se fait par apprentissage à l'école de médecine, être médecin c'est avant tout une affaire de famille. On naît fils de médecin et on devient soi-même médecin, et père de médecin.

Les médecins sont avant tout des généralistes, même si des spécialistes vont faire progressivement leur apparition, et notamment les chirurgiens.

Beaucoup de médecins sont « publics », financés par la cité elle-même et pour lesquels on met à disposition un local pour leurs consultations (on retrouve là les ancêtres de nos centres de santé municipaux).

A noter que les médecins ne sont pas les seuls professionnels de santé à l'époque. D'autres professions tout aussi importantes existent :

• Le pharmacien qui est celui qui va préparer les médicaments prescrits par les médecins, mais également produire des propres traitements ;

• Les sages-femmes ;

• Les « pédotribes » qui sont les ancêtres à la fois des professeurs de sport, des diététiciens, des masseurs et des kinésithérapeutes.

Comme nous l'avons déjà signalé, les médecins exercent dans le cadre du corpus hippocratique qui repose sur trois grands principes :

• L'observation et le raisonnement :

Les « épidémiques » consistent à observer le malade et ses symptômes, à suivre quotidiennement son évolution, à adapter en conséquence son traitement ;

• Un cadre théorique :

C'est sur la base de connaissances cliniques et théoriques que sont administrés les traitements de la maladie.

Même la santé mentale est déjà présente avec la théorie des humeurs et des traitements basés sur des danses et des chants, en observant les réactions (ou l'absence) du malade ;

• Une déontologie :

C'est le fameux serment d'Hippocrate sur lequel tous les médecins s'engagent, et notamment à soigner tous les malades quelles que soient leurs conditions.

Conclusion

On voit à travers ce retour dans le passé que les fondamentaux de la médecine grecque du 4e siècle avant J.-C. sont encore ceux sur lesquels reposent notre système de santé français et l'exercice de la médecine en France. Certes les conditions de vie ont évolué, certes les progrès dans les traitements sont là, mais finalement l'art d'exercer la médecine est toujours le même. Et l'expérience de la crise épidémique nous l'a encore montré : soigner tous les malades quelles que soient leurs origines et conditions (pourtant la crise de la COVID est révélatrice des grandes inégalités de santé), observer chaque jour pour apprendre à connaître la maladie et adapter les traitements en conséquence (on ne soigne plus aujourd'hui les malades atteints du virus comme on les soignait en mars/avril), la nécessité d'avoir de grands espaces respectueux de l'hygiène pour accueillir et prendre en charge les malades. Autant de préoccupations déjà bien présentes dans les asclépieions : le prendre soin pour le bien-être du patient. Alors bien sûr les modalités de financement étaient différentes, les techniques plus rudimentaires mais en phase avec leur époque. Et finalement ce qui compte, c'est bien de tout faire pour soigner les malades, en fonction de l'état de nos connaissances médicales. Car la maladie n'est pas une fatalité, on peut la soigner, ou en tous les cas accompagner au mieux le malade.

Et c'est bien l'objectif premier de notre système de santé : soigner. Et l'économie de la santé insiste là-dessus, à la grande différence de la gestion de la santé : c'est le bénéfice coût-qualité qui compte, pas l'un et/ou l'autre. La santé est avant tout un bien public.