Ségur de la santé : Les 33 remèdes du Dr Véran - Objectif Soins & Management n° 276 du 01/09/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 276 du 01/09/2020

 

Actualités

Anne Lise Favier  

Social

Le ministre de la Santé a dévoilé le 21 juillet les conclusions du Ségur de la santé. Un bilan qui sonne la fin d'un peu plus d'un mois et demi de concertation. Retour sur le feuilleton de l'été.

« Nous irons vite, nous irons fort », telle était la promesse faite à la fin du mois de mai par Olivier Véran, ministre de la Santé pour répondre à la nécessité d'une réforme du monde de la santé voulue, au lendemain du déconfinement, par le Président de la République Emmanuel Macron. Le calendrier était serré et déjà on s'interrogeait sur la rapidité à vouloir réformer. Les conclusions devaient être rendues mi-juillet, cela laissait-il le temps à la discussion ? Le chantier, vaste et délicat, consistait à mener une « grande concertation avec les acteurs du système de santé » en tirant « collectivement les leçons de l'épreuve traversée avec la crise sanitaire pour ensuite bâtir les fondations d'un système de santé encore plus moderne, plus résilient, plus innovant, plus souple et plus à l'écoute des professionnels, des usagers et des territoires ». A la barre, Nicole Notat, ex-secrétaire générale de la CFDT, qui recevait la délicate mission d'animer ce Ségur. Sur la table, des négociations autour de la revalorisation des salaires et des carrières, mais aussi un assouplissement des 35 heures – une mesure qui divise – et un rééquilibrage de la gouvernance en faveur des médecins. Et bien sûr, plus de moyens pour l'hôpital avec moins de fermetures de lits, plus d'investissements et la fin voulue – par les professionnels de santé – de la tarification à l'activité (T2A) qui a profondément modifié le fonctionnement de l'hôpital depuis sa mise en œuvre en 2004.

En somme un « new deal pour la santé » comme l'appelait de ses vœux la Fédération hospitalière de France fin mai.

D'âpres discussions...

Très vite, les langues se délient et beaucoup pensent que ça ne sera qu'un énième plan de plus sans réelles mesures. Il faut dire que les primes Covid, le défilé hommage du 14 juillet ou l'idée d'une médaille commençaient sérieusement à en agacer plus d'un : « on veut des moyens, on veut de la considération, mais pas ponctuellement ou sous forme de décoration », scandait-on dans les rangs des soignants. Car ce Ségur, il faut le dire, concerne principalement le monde hospitalier, là où les dysfonctionnements, les manques et les difficultés se sont fait le plus sentir pendant la crise sanitaire : « ce que nous craignions tous est advenu : un cataclysme. L'épidémie de Covid s'est abattue sur la nation, plaçant l'hôpital public fragile, démuni, désossé, en première ligne », témoignait ainsi un collectif de soignants dans une tribune publiée dans le journal Libération le 25 mai, appelant de ses vœux un « programme de santé des jours heureux ».

Le 16 juin, plusieurs dizaines de milliers de blouses blanches défilent dans la rue du pays pour ne pas être oubliées. Pendant ce temps, les négociations se poursuivent et le 10 juillet, les syndicats brandissent quelques chiffres après d'âpres négociations. Un projet d'accord sur la revalorisation des salaires des agents hospitaliers, hors médecins, est annoncée : la CGT, FO, Unsa et la CFDT repartent dans leur besace avec une revalorisation de 183 euros net par mois en deux temps : 90 en septembre, le reste en janvier 2021 (1) : la déception est immense parmi les soignants – les syndicats visaient les 300 euros nets – même si elle correspond à une énorme enveloppe de 8,2 milliards d'euros qui doit également servir à financer la création de postes.

... qui aboutissement à un compromis salarial

C'est d'ailleurs le Premier ministre en personne, Jean Castex, ancien directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, qui distribue les crédits. Chez les soignants, on s'interroge. L'impression que ce Ségur, c'est l'éléphant qui accouche d'une souris : « toutes ces négociations pour une revalorisation qui n'atteint même pas les 200 euros et qui ne sera même pas immédiate ? », tacle Marlène, infirmière hospitalière en première ligne pendant la crise sanitaire. Même si l'enjeu de la rémunération était de loin la première revendication (d'après un sondage Ipsos, 84 % des professionnels de santé la citent), certains baissent les bras. L'accord consenti entre Jean Castex et Olivier Véran avec les syndicats prévoit au total une hausse minimum de salaire de 183 euros nets pour l'ensemble des personnels paramédicaux et non-médicaux (agents techniques et administratifs) dans les hôpitaux et Ehpad et promet une révision des grilles salariales pour certains métiers (aides-soignantes, infirmières, personnels de rééducation ou médico-technique) avec 35 euros nets supplémentaires. Il apporte aussi de nouveaux recrutements (non chiffrés), des majorations des heures supplémentaires, 450 millions d'euros pour la revalorisation des médecins, sans oublier les internes et étudiants en médecine qui bénéficient d'une enveloppe globale de 200 millions d'euros pour revaloriser leurs indemnités. A ce stade, les annonces du Gouvernement ne sont toujours que salariales mais tout de même reconnues par les syndicats comme une « reconnaissance du personnel après dix ans de blocage du point d'indice » se félicite alors l'Unsa santé tandis que Santé Sociaux salue une « enveloppe sans précédent ».

Le Ségur en chiffres

19 milliards d'euros : le montant de l'investissement dans le système de santé pour améliorer la prise en charge des patients et le quotidien des soignants

8,2 milliards : l'enveloppe totale pour revaloriser les métiers de l'hôpital et des Ehpad

15 000 : le nombre de recrutements prévus

4 000 lits : le nombre de lits qui seront financés à l'ouverture ou la réouverture.

50 millions d'euros : le montant du fonds d'intervention régional débloqué dès l'hiver 2020-21 pour l'ouverture des lits.

5 heures supplémentaires (HS) bonifiées : un forfait d'HS pourra être contractualisé pour permettre aux agents qui le souhaitent d'ajuster leur temps de travail jusqu'à 40 heures. Ces heures supplémentaires seront rémunérées et bonifiées de 50 %.

Plus de soignants formés et recrutés

Le 21 juillet, Nicole Notat présente à Olivier Véran le résultat des négociations, les conclusions du Ségur. Comme un clin d'œil à son passé de médecin neurologue, Olivier Véran annonce alors « 33 mesures pour l'hôpital », les mesures tant attendues de ce Ségur de la Santé. Outre l'énorme enveloppe destinée à revaloriser les professionnels de santé et à renforcer l'attractivité de l'hôpital public, Oliver Véran annonce la possibilité – pour les établissements de santé – de négocier et aménager à leur niveau le temps de travail, en relevant par exemple le plafond des heures supplémentaires. Il souhaite également mettre fin au mercenariat de l'intérim médical dénoncé par certains chefs d'établissements qui n'ont d'autres choix que de recruter à la journée des anesthésistes pour 2 500 euros nets : ces pratiques seront désormais bloquées voire dénoncées devant le tribunal administratif. Le paquet sera également mis sur le nombre de paramédicaux formés avec notamment un objectif de doublement des entrées en formation d'aides-soignants d'ici 2025 et l'extension des capacités des IFSI avec 2 000 places supplémentaires dès cette année et une poursuite dans les 5 ans à venir. Le ministre de la Santé a également dévoilé une accélération du déploiement des infirmiers en pratique avancée (IPA), tout en élargissant leur périmètre d'action : le nombre de places en formation passera de 3 000 en 2022 à 5000 en 2024. A la clé, le suivi de certains patients chroniques pourrait leur être délégué. Enfin, pour pallier certains manques en terme de professionnels de santé et simplifier certaines prises en charge, une réflexion va être menée pour création d'une profession médicale intermédiaire entre le médecin et l'infirmière.

Mesures économiques

Souhaitée par 73 % des soignants sondés, une évolution du modèle de financement de l'hôpital est engagée : outre 19 milliards d'euros finançant la reprise de la dette, la transformation et la rénovation des établissements de santé, Olivier Véran promet de redonner le pouvoir aux territoires en matière d'investissement. Fini le Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers (Copermo), place au Conseil national de l'investissement en santé qui donne plus de poids au local. Quant à la T2A qui revient régulièrement dans les sujets d'achoppement des hospitaliers, elle sera réduite pour diversifier et simplifier les modes de financement de l'hôpital : des expérimentations pourraient être menées pour établir un modèle mixte de financement mêlant besoin de santé des populations et part à l'activité. Le prochain PLFSS 2021, prévu à l'automne, devrait intégrer cette mutation. L'ONDAM sera, quant à lui, rénové pour s'adapter aux nouveaux besoins. Pour garantir un haut niveau de sécurité des soins sans engorger inutilement les lits, les propositions du Ségur remettent au goût du jour une idée de 2015, celle des hôtels hospitaliers, des structures non médicalisées qui hébergent les personnes ne nécessitant pas d'être hospitalisées mais à proximité de l'hôpital. Une expérimentation sera menée pour définir ce modèle économique.

Bond en avant

L'un des gros points de colère des soignants est l'organisation du travail : pour beaucoup de professionnels de santé, le manque d'ergonomie des outils, la lourdeur des procédures de décision, la rigidité du code des marchés publics ou encore le codage chronophage des actes ne leur permettent plus de consacrer pleinement leur temps au cœur de leur métier, la prise en charge du patient. Le Ségur de la Santé souhaite « réhabiliter le rôle et la place du service au sein de l'hôpital pour mettre fin aux excès de la loi HPST » : en clair, plus de marge de manœuvre et de responsabilités aux services et une organisation en interne gérée par l'établissement lui-même. Certaines procédures devraient être allégées, pour libérer du temps, notamment en simplifiant les processus administratifs et les procédures de certification qualité, particulièrement chronophages. La crise a révélé que les soignants savaient s'approprier très rapidement l'usage de nouvelles méthodes de travail, notamment en ce qui concerne la coopération ville-hôpital et le développement de la télémédecine. C'est d'ailleurs un souhait qu'ils formulent pour une meilleure offre de soins. A cet égard, les propositions du Ségur s'engagent sur un développement de la télésanté sur tous les territoires et un service d'accès aux soins s'appuyant sur une plateforme numérique en partenariat entre le SAMU et la ville pour faciliter l'accès aux soins non programmés.

Des mesures ciblées

Pour les personnes âgées, une prise en charge intégrée mêlant ville, hôpital et secteur médico-social va être mise en place afin de structurer les parcours d'admission directes non programmés des aînés et leur permettre une meilleure prise en charge. Pour les handicapés, un programme d'adaptation des conditions de soins devrait être lancé pour réduire les inégalités. La psychiatrie devrait, quant à elle, bénéficier d'une réforme du financement accompagnée de crédits supplémentaires dès 2021 et voir le renforcement de l'offre de soutien psychiatrique et psychologique. Le volet environnemental n'est pas oublié : si le C2DS a publié en début d'été de nouvelles propositions pour une stratégie de santé durable et responsable, le ministre de la santé assure que le problème sera pris à bras le corps, avec dès 2021 la réduction du coût de gestion des DASRI, l'évaluation des besoins en termes de rénovation énergétique et l'expérimentation de projets pilotes pour mettre fin au plastique à usage unique dans la restauration collective tout en réduisant le gaspillage alimentaire.

Réactions

La FHF salue des annonces prometteuses mais regrette que les questions relatives à l'unification de la gouvernance nationale ne figurent pas dans les mesures du Ségur ; de son côté la FHP se félicite des avancées du Ségur pour la revalorisation des professionnels de santé et appelle à poursuivre la simplification administrative engagée pendant la crise. La FEHAP accueille favorablement les mesures mais exprime un bémol : « Si les secteurs du handicap, du domicile et du social restent les grands oubliés du Ségur, ils devraient, a priori, être traités dans le cadre du futur projet de loi grand-âge et autonomie » que la fédération appelle de ses vœux. L'UNSA se dit satisfaite de la sortie progressive de la T2A et de la mise en place de dispositifs expérimentaux « ville et hôpital », mais regrette que l'Etat n'aille pas plus loin dans ses mesures pour l'accès aux soins. Quant à l'Ordre national infirmier, il estime que les conclusions du Ségur « constituent de nouvelles avancées vers une meilleure reconnaissance globale de la profession infirmière » mais que « d'autres évolutions sont encore nécessaires, notamment sur la prescription infirmière, la consultation, une meilleure reconnaissance des spécialités infirmières ». Enfin, l'Association française des directeurs de soins (AFDS) exprime son « désappointement  » car la profession ne semble pas associée aux dispositions du Ségur.

Un nouveau collectif, baptisé « santé en danger » qui fédère au moment de notre bouclage plus de 100 000 membres, rassemble les déçus du Ségur : sous l'impulsion d'un médecin anesthésiste-réanimateur d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). Il réclame une réouverture rapide des négociations et son élargissement aux professions non représentées et la prise en compte de toutes les revendications. Le ministre de la Santé assure que le temps est à l'action et à la préparation des textes, législatifs et réglementaires, pour faire entrer ce Ségur de la santé dans le concret. Les premiers arbitrages devraient arriver à l'automne.

(1) Cette revalorisation devait s'échelonner selon le calendrier suivant : 90 euros applicables dès le 1er septembre 2020 versés à titre rétroactif sur la paie de janvier 2021 puis 93 euros supplémentaires à partir du 1er mars 2021. Le 2 septembre, un avenant à l'accord initial indique que cette revalorisation sera accélérée avec une première tranche de 90 euros versée dès le mois de septembre 2020 (en octobre 2020 au plus tard avec effet rétroactif au 1er septembre) pour la fonction publique hospitalière au lieu de janvier 2021.