Le management au service de l'émergence de nouvelles compétences des équipes de gériatrie - Objectif Soins & Management n° 276 du 01/09/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 276 du 01/09/2020

 

Sur le terrain

Dossier

Stéphanie Foissac*   Marie Hélène Ruiz**   Delphine Reguer***  

En tant qu'équipe d'encadrement, nous avons souhaité écrire sur le contexte bien particulier et inédit de la crise sanitaire qui a mobilisé tous les soignants dans le monde et a nécessité une remise en cause de notre système structurel et organisationnel.

Les contraintes liées au confinement, nous ont amenées à rester au cœur des unités de soins, à supprimer toutes les instances et réunions institutionnelles afin de recentrer nos préoccupations managériales sur la qualité et la sécurité des soins : organisation des soins, accompagnement des équipes, pédagogie, veille et gestion documentaire, élaboration de protocoles (soins, organisation) institutionnels ou de service. Cette pandémie a permis l'émergence du leadership managérial au sein d'une équipe en cours de construction. Surpris, sidéré notre trio managérial a dû inventer de nouvelles organisations, rassurer les équipes malgré nos incertitudes, nos craintes. Le regard positif et la confiance en l'équipe ont permis de laisser s'exprimer toutes les compétences professionnelles et humaines des soignants ainsi que la créativité au plus près des besoins des patients. Les familles et les soignants, quant à eux, nous ont fait confiance nous positionnant ainsi dans un challenge : faire face ensemble à une situation inédite.

Des compétences et une motivation

Parmi les professions travaillant à l'USLD, celle d'aide-soignant est la plus représentée ; la moyenne d'âge de cette équipe est de 37 ans, l'ancienneté est de deux ans et demi, les femmes représentent 89 % des effectifs. On trouve chez beaucoup de ces soignants le choix d'investir le champ de la psychiatrie et de la gériatrie dans leur projet professionnel et ils apprécient particulièrement la diversité des profils pathologiques rencontrés à l'USLD.

Cette équipe, y compris celle d'encadrement présente des expériences et expertises dans chacun des deux domaines : gériatrique et psychiatrique. Cette double compétence est une richesse et une plus-value en termes d'attractivité. En effet, l'intégration des Jardins Des Silos au Centre Hospitalier G. Marchant permet aux professionnels d'avoir un parcours de formation et de professionnalisation dans les deux domaines ce qui leur permet de développer les compétences attendues dans chaque spécialité.

Une envie de comprendre

C'est dans une visée de recherche compréhensive (comprendre ce qui se passe) que nous avons souhaité réaliser cet article. C'est pourquoi, il nous semble pertinent d'utiliser l'approche qualitative de la recherche. Cette méthode s'inscrit dans une approche compréhensive, interprétative et vise la compréhension d'un phénomène plus que son explication.

L'avis des soignants

Nous avons recueilli la perception des soignants et des aidants : pour les aidants nous avons réalisé 2 entretiens téléphoniques et pour les soignants, nous avons utilisé une boîte à idées. Cette boîte de recueil a été laissée durant 15 jours au niveau des vestiaires, à côté des masques, et invitait les professionnels à témoigner sur leur vécu durant cette période. 16/74 agents ont répondu, soit un taux de réponse de soit 21 %. L'anonymat a été garanti ainsi que l'usage réservé à la rédaction de l'article.

Ce taux de réponse nous a paru faible : est-ce lié au moment, à la fatigue, à la difficulté de passer à l'écrit ? Par ailleurs nous avons eu beaucoup de commentaires oraux. Par exemple, au cœur de la crise, certains soignants nous confiaient « être prêt à affronter le pire », « craindre que ce soit eux qui contaminent les patients », « être responsable des patients ».

Les idées principales issues de ce recueil sont :

On note dans les côtés positifs une consolidation de l'équipe (entraide, solidarité, amitié) et une reconnaissance des capacités d'organisation (repas, effectifs...). Pour les aspects négatifs, la charge émotionnelle est importante et souvent citée dans des termes différents (pression, stress, complexité, isolement, peur, perte de liberté...) et bien sur la charge physique est mise en avant avec la réorganisation, les contraintes liées aux équipements de protection individuels.

L'avis des familles

Parallèlement, à cette enquête nous avons interviewé deux familles d'aidants par mail et téléphone et recueillis de manière plus informelle le témoignage d'autres familles. Ce qui est prévalant dans ces témoignages c'est la confiance qu'ils avaient en l'équipe « je la savais en bonnes mains, aux bons soins de toute l'équipe soignante... nous étions en pleine confiance... », la douleur de la séparation de leur proche « un sentiment d'une séparation brutale, inattendue et extrêmement douloureuse... » et la sensation d'enfermement, de solitude pour les familles et les patients « les patients ne sont pas assez en contact avec des éléments naturels..., avoir vécu un moment inédit, rempli de doutes, d'angoisse parfois, et d'énorme solitude et tristesse... ».

Nous nous sommes interrogées sur la pertinence d'interviewer les patients mais nous n'avons pas retenu cette option parce qu'ils nous ont semblés déjà très éprouvés par ce confinement.

Une recherche éthique

C'est grâce à un questionnement et à un management éthique que l'encadrement a pu accompagner l'équipe. En effet, les cadres de santé ont eu à mener des réflexions éthiques qui ont permis de s'adapter au contexte et de réinterroger les normes (de savoirs, d'organisation) afin de répondre aux besoins des sujets âgés, de leurs proches, des bénévoles, des associations et des professionnels. L'encadrement a accompagné les équipes pour trouver du sens dans leurs missions, à mener des questionnements et réflexions éthiques afin de procéder à des choix et dégager des priorités dans une visée éthique et humaniste, en référence au philosophe Paul Ricœur. L'éthique ce n'est pas la cerise sur le gâteau, c'est le gâteau ! d'après Denis Piveteau (1), conseiller d'état et président de la commission de la bientraitance.

Dès le début de la crise, nous avons perçu l'importance de piloter l'équipe au plus près de la réalité de terrain, nous avons donc travaillé sur des amplitudes horaires élargies, et nous avons appuyé toutes nos décisions en partant des besoins des équipes et des patients. La communication a été très soutenue, elles ont diffusé des informations journalières de mise en œuvre des préconisations institutionnelles et nationales sans être anxiogènes ou dramatiques. Notre rôle de médiateur prenait tout son sens. Rassurer et valoriser les équipes ont été leur préoccupation première, la confiance mutuelle a été facteur de réussite.

D'une organisation ritualisée à une adaptation permanente

Avant cette crise, et l'on pourrait dire autrefois tant le temps semble s'être arrêté..., nous avions une organisation ritualisée. Autrefois, l'USLD était rythmée par différents éléments qui constituaient nos habitudes, ponctuaient nos journées, constituaient une organisation maitrisée et nous rassuraient : les allées et venues des patients dans les services, les soins d'hygiène et de confort, les soins nutritionnels, les animations ou activités, les restaurants avec les patients, les promenades dans le parc, les activités aux Activités Thérapeutiques Médiatisées, la messe le samedi, les moments festifs comme des après-midi chanson, des gouters avec les familles... Et il y avait bien sûr la présence au quotidien des familles, des aidants, des bénévoles des Petits Frères des Pauvres, des aides à domicile, des aumôniers et tous les professionnels intervenants aux Jardins Des Silos comme le pédicure, le coiffeur...

Soudain, dès le 7 mars 2020, la pandémie COVID-19 a considérablement modifié toutes nos organisations : il a fallu repenser le soin et parfois le réinventer dans un huis clos. En effet, nous avons pu constater rapidement que l'équipe s'organisait, prenait des initiatives, parfois peu conventionnelles, mais adaptées à la situation singulière de chaque patient.

Donner du sens à la mise en œuvre des préconisations devenait parfois un véritable challenge qu'elles ont su relever.

Au-delà de l'engagement professionnel des soignants, nous avons observé un engagement personnel important. Le COVID-19 a créé un véritable chamboulement : gérer ses propres inquiétudes face à la maladie, ses organisations familiales pour pouvoir être au travail quitte à ne plus voir ses enfants, en bas âge pour certains.

Des sentiments paradoxaux ont fait jour : celui d'être en apesanteur, impuissant, une mise entre parenthèses de nos vies, d'attendre que quelque chose arrive, que le virus sévisse dans nos unités, le sentiment de ne rien pouvoir faire d'autre que notre métier de soignant, être déconnecté du reste du monde et dans la même temporalité, le sentiment d'utilité publique et sanitaire, une obligation d'être performant, proactif, traducteur des directives multiples (nationales, régionales, institutionnelles, disciplinaires...) une mise en lumière de l'importance de nos métiers.

Des conséquences inattendues

D'ailleurs, nous avons observé une diminution significative de l'absentéisme sur cette période. Pour objectiver notre observation, nous avons réalisé une étude comparative de l'absentéisme pour arrêt de maladie et accident de travail sur les périodes du 1/03 au 30/04/19 et du 1/03 et le 30/04/20 pour les aides-soignants, les infirmiers et les agents de service hospitaliers.

Nous pouvons noter que le nombre de jours d'arrêt maladie et d'accident de travail est plus faible en 2020 qu'en 2019, hormis pour les ASH. Pour ces dernières, le nombre de jours a augmenté, mais il concerne 50 % de personnes en moins.

Parallèlement à la diminution de l'absentéisme, nous avons noté une recrudescence du volontariat pour venir travailler sur des jours supplémentaires y compris sur des weekends. Certains ont exprimé une vie qui se polarisait autour du travail et de la maison uniquement.

Nous avons vu les professionnels adopter dès le départ une discipline certaine quant aux mesures barrière, mais surtout nous les avons vu re questionner leurs pratiques et les modifier afin de faire peser le moins possible l'impact du confinement sur les patients et leurs proches. Ces nouvelles modalités de prise en charge des patients pendant la pandémie les ont amenés à développer plus que d'habitude des soins individualisés en chambre, des visites plus régulières, des activités individuelles comme la lecture du journal, ou en petit groupe comme le cinéma ou le tennis... Parallèlement, le maintien des relations avec les familles et les aidants a été une préoccupation forte de l'équipe et la mise en place de contacts téléphoniques, puis par SKYPE ou par mail a pu être possible et a permis de maintenir un lien précieux.

Nous devons souligner que depuis le début du confinement la présence à distance de l'association des Petits Frères des Pauvres a été elle aussi très soutenante pour les patients.

Dans cette mouvance, l'encadrement a su tracer un chemin pragmatique pour accompagner l'équipe dans les prises en charge. La valorisation de l'équipe par le leadership managérial, a permis aussi de constater une certaine émancipation (2) de l'équipe.

Cette expérience a mis à jour la professionnalisation mature de nos agents et la mise en exergue de leur compétences individuelles et collectives. Nous avons vu émerger ces praticiens réflexifs et autonomes tels que les visent les formations initiales. Effectivement, devant cette nécessité de s'adapter, de créer, ils ont mis en place un raisonnement clinique et éthique qui leur a permis de questionner leurs pratiques en fonction de la singularité du patient et de la situation.

Grâce à l'appui des médecins de l'USLD, de la gouvernance du pôle, des différentes directions et réseaux existants nous avons pu accompagner les équipes et assumer ainsi nos missions dans les meilleures conditions.

L'après crise

A ce jour, nous n'avons pas de patient ou de soignant infecté par ce COVID-19, les directives nationales pour un retour à la normale ont été mises en œuvre. Néanmoins des mesures de précaution demeurent et impactent toujours nos organisations, le travail des soignants, la dynamique d'équipe et donc notre management. Nous avons vu l'équipe se fatiguer, s'essouffler, des arrêts maladie et accidents de travail sont de nouveau en augmentation. Notre établissement a mis en place une semaine de bien-être avec des ateliers chant, de la cohérence cardiaque, de la sophrologie, de l'acupuncture...destinés aux professionnels. Cette semaine a été très appréciée, c'est un bel exemple de proposition à garder dans le cadre de la qualité de vie au travail.

Le retour des visites des proches et des bénévoles a redonné un nouveau souffle pour tous. La gériatrie est une discipline très difficile ; associée à la psychiatrie elle devient une discipline très difficile et complexe. Eu égard à cette complexité, le soignant en gériatrie se doit d'être poly compétent à l'image de la poly pathologie dont souffre la plupart de nos patients.

Pour autant, nous pouvons noter l'importance du sens que le cadre de santé doit apporter à la mission et à l'action de chaque professionnel. Celui-ci doit incarner la cohérence et garantir la cohésion de son équipe : ce leadership managérial doit être le socle sur lequel l'équipe peut s'adosser pour s'investir pleinement. L'éthique du management a été un vrai levier dans cette période où il a fallu manager avec clairvoyance, bienveillance et discernement sans savoir réellement où nous allions.

Conclusion

Cette période qui est encore difficile à définir a été propice à de nouvelles réflexions sur nos pratiques managériales. En effet, cette rupture forcée avec nos pratiques habituelles nous amène à nous interroger sur ce que nous souhaiterions voir pérenniser : de nouvelles organisations, la créativité des soignants, l'anticipation de nouvelles crises, le développement du travail en filières, les axes du projet de soin, la qualité de vie au travail.... Notre trio managérial a su gérer l'incertitude et l'inédit, s'adapter, prendre des décisions très rapidement, arbitrer, renoncer et faire des choix avec les équipes, pour les patients et leurs aidants et aujourd'hui...que souhaitons nous retenir, garder, changer, faire évoluer... ?

De nouvelles formes de travail ont vu le jour dans de nombreuses entreprises : télétravail, téléconsultation, télémédecine, système de mise en réserve de professionnels, outils de communication numérique adaptés au travail à distance... toutes ces innovations sont peut-être des opportunités pour améliorer l'attractivité de nos métiers de la santé et la qualité de vie au travail.

Présentation des Jardins des Silos

Les Jardins des Silos est une Unité de Soins Longue Durée dont l'une des caractéristiques réside dans son rattachement au Centre hospitalier Gérard Marchant, établissement public de santé mentale s'adressant à la population Haute Garonnaise. L'USLD est située dans une enceinte autonome mais ouverte sur le parc du site hospitalier.

L'USLD a été ouverte le 13 mars 2018, elle est composée :

• D'une Unité d'Hébergement Renforcé, FLORE de 14 lits pour des patients atteints de la maladie d'Alzheimer ou de maladie apparentée

• D'une unité de psycho-gériatrie, LILAS de 22 lits pour des patients ayant des pathologies psychiatriques ainsi qu'une dépendance ou des problèmes somatiques chroniques ou troubles démentiels associés.

• D'une unité USLD, CAPUCINE de 44 lits pour des patients affectés de pathologies chroniques sévères, organiques nécessitant un suivi médical au quotidien, des soins paramédicaux, techniques et relationnels. La majorité des patients pris en charge dans cette USLD ont des troubles psychiatriques associés.

(1) Denis Piveteau in Droit des personnes, éthique et système de santé : des liens si étroit Karine Lefeuvre Revue Hospitalière de France 592 janvier-février 2020 p. 36.

(2) Emancipation = vient du latin émancipare est composé de « manus » (main) et de « capère » (prendre, saisir, posséder) = se dégager d'une autorité, s'affranchir, développer son pouvoir de libre arbitre.