Le délicat suivi des patients pendant le confinement - Objectif Soins & Management n° 275 du 01/06/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 275 du 01/06/2020

 

Actualités

Anne Lise Favier  

Psychiatrie

La question du suivi des patients chroniques pendant le confinement a été le sujet de nombreuses discussions, avec le risque de rupture que cela pouvait engendrer. Du côté des patients de psychiatrie suivis en ambulatoire, les établissements se sont organisés pour maintenir le contact.

Le confinement strict de la population mi-mars a pris tout le monde de court : seules les urgences ont continué à être prises en charge à l'hôpital et tous les rendez-vous de suivi déprogrammés. Si certaines équipes ont été réaffectées pour renforcer les services en tension hospitalière, du côté des services de psychiatrie, les équipes se sont organisées en vue d'assurer un suivi des patients habituellement reçus en ambulatoire. Pas question de prendre le risque d'une rupture, il a fallu se réinventer. Là où l'humain prend une place encore plus considérable dans le contexte du soin, des services de psychiatrie ont eu recours aux télé-consultations : « nous avons gardé les unités d'hospitalisation et organisé une permanence d'accueil pour la psychiatrie adulte et en pédopsychiatrie. Très vite, la nécessité d'un télé-suivi nous est apparue évidente pour nos patients, pour ne pas risquer de perdre le fil. Nous nous sommes mis en relation avec eux afin de voir qui était en mesure d'échanger à l'aide de cet outil. Pour les patients qui ne sont pas équipés informatiquement, nous avons tout de même maintenu un contact téléphonique », résume le Dr Amélie Robin, chef de service en pédopsychiatrie dans un établissement public de santé mentale des Hauts-de-France. A l'aide d'un logiciel sécurisé fourni par l'ARS, les consultations ont donc été menées avec le patient, à distance, mais en face à face visio avec son médecin ou thérapeute. Une condition qui a parfois mis mal à l'aise certains patients, qui ne disposaient pas de l'intimité nécessaire, à leur domicile, pour aborder certains points ou qui ne se sentaient pas très à l'aise avec ces technologies, comme en témoigne Sophie Lebois, infirmière spécialisée en psychologie comportementale et cognitive au centre psychothérapeutique de l'Orne : « nous assurons un suivi de patients qui souffrent de troubles anxieux de phobies, de TOC ou de troubles hypochondriaques. Se retrouver dans une situation où la famille n'est pas très loin, au domicile lorsqu'ils sont avec leur praticien les mettaient mal à l'aise et certains refusaient même la visio, prétextant ne pas être présentables ».

Réinventer la consultation

Une situation qui a malheureusement conduit les professionnels de la psychiatrie à ne pas réussir à renouer avec certains de leurs patients, pour les autres, il a fallu réinventer le soin à distance. Anne Robert, cadre de santé en service de psychiatrie à l'AP-HP explique : « nous travaillons habituellement autour de groupes de paroles et d'ateliers, avec des patients suivis en addictologie. Ce n'était évidemment plus possible, mais nous les avons passé en téléconsultation. Pour certains patients au risque suicidaire élevé pour lesquels nous sentions qu'un rendez-vous était nécessaire, nous avions maintenu cette possibilité. Pour d'autres, qui avaient l'habitude de travailler en art-thérapie, nous avons géré la frustration de ne plus pouvoir faire d'ateliers en présentiel et nous avons alors basculé sur des ateliers en visio ». Cette nouvelle façon de travailler, à la fois pour les soignants, plutôt habitués à recevoir leurs patients et pour les patients, a été riche en apprentissages : « nous avons été très surpris de voir ce que cela nous a apporté, de pouvoir garder un lien fort avec nos patients et de découvrir que cela pouvait apporter. Finalement, nous n'avons pas eu à déplorer de grosse décompensation et même chez les patients autistes, le télésuivi a plutôt bien fonctionné », assure le Dr Amélie Robin, qui explique que ce dispositif a même continué aux premiers jours du confinement. Pour autant, pour certains patients, la téléconsultation a ses limites une fois le confinement levé : « si tout s'est bien passé pendant le confinement, l'heure est venue, pour nos patients, de retrouver le chemin de la vraie vie, tempère Anne Robert. Nous travaillons aussi à les préparer à un retour à une vie la plus « normale » possible. Il y a une stratégie d'évitement qui conduit certains patients à ne plus vouloir sortir. Nous devons les guider pour ne pas sombrer dans le catastrophisme, prendre du recul. Ce n'est pas facile, d'autant que l'on perçoit aussi une inquiétude face au déconfinement chez des personnes qui ne sont pas suivies en psychiatrie. Alors, forcément, chez un patient qui présente des troubles ... ». Un avis que partage Sophie Lebois, qui accompagne habituellement certains patients en thérapie comportementale et cognitive pour lutter contre des troubles tels que l'agoraphobie : « tout l'enjeu du suivi de ces patients est de faire en sorte qu'ils soient capables, lors du déconfinement, d'appréhender de nouveau le monde extérieur, de ne pas perdre le bénéfice de leur thérapie. Il y a une certaine sécurité pour ces patients à être confinés. Certains vont même très bien, se sentent en sécurité à la maison. Le danger selon eux, c'est le monde extérieur ». A cela, il faut savoir préparer à une rupture, en douceur, bien sûr, à un accompagnement plutôt, avec une nouvelle exposition à la vie d'avant, ou presque : « notre rôle est de les faire revenir en consultation, de les rassurer, avec les gestes barrières, à aménager des plages de consultations plus longues, pour éviter qu'ils ne croisent d'autres patients, pour prendre le temps de les accompagner au lavage des mains, par exemple » assure l'infirmière. Le confinement aura alors permis une parenthèse dans le quotidien habituel de ces patients et une découverte pour les soignants de psychiatrie qui ont découvert de nouvelles façons de travailler : « cette crise sanitaire nous a montré que nous étions plein de ressources, se félicite Sophie Lebois. Il faut faire confiance aux soignants pour la prise en charge des patients, nous ne cessons jamais de nous remettre en question pour leur bien-être », conclut-elle.

Naissance d'une nouvelle piste thérapeutique

Quant aux patients psychiatriques qui étaient malades de la covid19, des unités spécifiquement dédiées ont été mises en place au sein des établissements de santé mentale. Avec une surprise : « nous nous sommes rendus compte que les lits ont finalement été peu occupés », note le Dr Amélie Robin. Une observation qui a été faites dans plusieurs hôpitaux psychiatriques français et qui a d'ailleurs conduit à l'émission d'une hypothèse thérapeutique : peut-être que certains neuroleptiques, administrés aux patients psychiatriques et notamment la chlorpromazine, pourrait être une piste pour combattre la SARS-Cov-2. Une hypothèse, bien sûr, mais une piste qui a été mise en lumière par le suivi des patients de psychiatrie pendant le confinement. Un essai clinique est d'ailleurs en cours à l'hôpital Sainte-Anne (AP-HP).