RPS et prévention primaire - Objectif Soins & Management n° 274 du 01/04/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 274 du 01/04/2020

 

Management des Soins

Dossier

Pascale Thibault  

Depuis quelques années, le constat est partout présent : les professionnels de santé présentent des signes d'épuisement professionnel. Prioritairement associées aux conditions de travail, c'est-à-dire à des facteurs extrinsèques, l'analyse des causes et les solutions apportées à la détérioration de l'état de santé des soignants en omettent le plus souvent les facteurs intrinsèques. Pourtant, sans cette prise en considération, il est difficile de faire évoluer la situation vers une qualité de vie satisfaisante pour ces professionnels qui jouent un rôle essentiel au sein de la vie de la cité, comme en atteste la crise sanitaire que nous traversons. Des moyens de prévention primaire méritent d'être développés systématiquement lors des formations initiales.

Risques Psychosociaux et Qualité de vie

Selon les textes législatifs en vigueur, l'appellation risques psychosociaux (1, 2) recouvre le stress, les violences internes (harcèlement moral, sexuel), les violences externes (exercées par des personnes extérieures à l'entreprise à l'encontre des salariés). Lors de l'élaboration de ces textes, les partenaires sociaux ont reconnu le caractère plurifactoriel des RPS et de leurs facteurs de risques (3) : les exigences du travail et son organisation, le management et les relations au travail, la prise en compte des valeurs et des attentes des salariés, les changements du travail. Les professions de santé sont concernées par l'ensemble de ces facteurs.

L'épuisement des professionnels de santé : un état des lieux à préciser

Ces dernières années de nombreuses enquêtes, études, états des lieux (4, 5, 6, 7, 8) ont été réalisés auprès des professionnels de santé de toutes fonctions, pour évaluer leur relation avec le travail. Tous ces travaux le confirment : ces professionnels sont fatigués, épuisés, stressés, envisagent pour certains de quitter la profession, parfois dès la formation initiale. Plus de la moitié serait en burn-out.

S'il est indéniable que les soignants traversent une crise sans précédent dans leur histoire (non pas celle du Covid-19), mais celle liée à la quête de sens, à la fatigue, au stress, les résultats de ces différents travaux sont à analyser avec la distance et la rigueur scientifique habituelle dans ce contexte de travail.

En effet, ces résultats, s'ils permettent d'alerter sur des réalités et des éléments indéniables, nécessitent d'être précisés par des études complémentaires, menées avec une méthodologie identique pour toutes les populations concernées, faute de quoi il restera difficile d'identifier l'ensemble des causes, de proposer des mesures correctrices adaptées et d'en mesurer les effets. Il serait très certainement intéressant d'établir des cohortes de suivis de soignants depuis leur formation initiale et au cours de leur exercice professionnel, afin d'affiner et préciser les résultats déjà diffusés, comme cela a pu être proposé pour la population générale (9).

Facteurs extrinsèques, facteurs intrinsèques

Comme pour l'ensemble des secteurs d'activité, l'épuisement, le stress au travail relèvent de facteurs extrinsèques (conditions de travail, rythmes, spécificités, etc.) et de facteurs intrinsèques. Ces derniers concernent la manière dont chaque professionnel vit son exercice professionnel.

Le plus souvent, ce sont les facteurs extrinsèques qui sont mis en avant pour expliquer la situation difficile des soignants : politiques de santé inappropriées, relations difficiles avec les patients, augmentation de la charge de travail, rythmes de travail exigeants, augmentation de la charge de travail administratif, etc. Si tous ces facteurs ont une incidence réelle sur la QVT des soignants, il faut pour que des améliorations aient un impact positif que les facteurs de risques individuels soient également pris en compte.

Les pouvoirs publics (10) reconnaissent d'ailleurs l'intrication des facteurs de risques extrinsèques et intrinsèques : l'existence de facteurs individuels comme organisationnels, le caractère subjectif de chaque risque, relevant à la fois de la perception, la sensibilité et la personnalité de chacun.

Dans son rapport sur la qualité de vie au travail, la Haute Autorité de santé (11) reprend cette notion, lorsqu'elle rappelle que l'individu n'est pas passif dans son environnement de travail, mais que l'identification des risques psychosociaux implique également de préparer le professionnel à agir dans son contexte de travail :

« Si l'on retient seulement la notion d'exposition, on laisse penser que les opérateurs sont passifs dans un environnement à risque. Les risques psychosociaux notamment, abondamment étudiés depuis plusieurs années, permettent certes de rendre compte d'une réalité au travail mais ne permettent pas pour autant d'outiller les acteurs de l'entreprise pour prévenir ces risques et pour travailler dans de meilleures conditions. » Ignorer la singularité de l'individu dans sa relation au travail ne permettrait donc pas d'améliorer significativement sa situation.

En 2016, dans le rapport de l'Académie de médecine concernant le Burn out (12), les auteurs rappellent que « La prévention du burn-out professionnel doit être conçue par le management de l'entreprise au plus haut niveau », reconnaissant ainsi la responsabilité des manageurs. Ils précisent néanmoins : « Elle ne doit pas pour autant méconnaitre les facteurs de risques inhérents au sujet lui-même (neuroticisme, surinvestissement, antécédents psychopathologiques) ».

Aline Mauranges (13), investie depuis de nombreuses années dans la prévention du stress des professionnels de santé précise :

« ... retenons que nous ne sommes égaux ni face à la violence, ni face au stress. La personnalité, l'histoire de chacun, l'éducation nous construisent. Certains à la sensibilité exacerbée seront plus que d'autres vulnérables aux attaques et aux scènes de violence ».

 

Ainsi, s'intéresser à l'individu et à ses capacités à agir dans son environnement de travail, en tenant compte des spécificités de l'exercice contribue à la prévention des RPS et à l'amélioration de la QVT.

Des études mettent en évidence que l'épuisement professionnel, la démotivation, ne touchent pas tous les individus de la même façon. L'association d'un fort engagement professionnel, du perfectionnisme, et d'un besoin de reconnaissance fait souvent le lit du burnout. A l'inverse, des facteurs individuels comme l'adaptabilité, la hardiesse (14), l'autonomie, l'accès à des ressources externes et internes favorisent la capacité à se distancier des difficultés du métier.

Il ne s'agit pas ici de stigmatiser les individus, ni de les rendre responsables de leur capacité à faire face aux vicissitudes du métier de soignant, mais bien au contraire d'aider chacun à mieux connaitre son fonctionnement et à respecter ses besoins pour acquérir les outils nécessaires. Il s'agit d'accompagner la nécessité de « bien se connaître pour aider l'autre » notion maintenant largement admise, pour évoluer vers « mieux se connaître pour prendre soin de soi afin de rester performant pour aider l'autre ».

Cela a déjà été formalisé pour d'autres corps de métiers : militaires, pilotes de ligne, aiguilleurs du ciel, pompiers, etc. en tenant compte des risques spécifiques à chaque exercice. (Voir encadré.)

Une acquisition systématique dès la formation initiale

Les métiers du soin ont comme particularités de confronter les professionnels à la souffrance, la mort, la violence, l'agressivité. Ils exigent aussi des capacités de concentration, d'endurance, de résistance, d'adaptabilité, de forte gestion de l'incertitude. Nous savons que de multiples situations vécues dès les stages sont sources de stress, de difficultés, parce qu'elles confrontent l'individu à ces réalités.

Pour cela, il est nécessaire d'apporter de façon systématique, dès la formation initiale, au moment où l'identité professionnelle se construit, des outils de prévention simples à intégrer, mobilisables en situation de travail. Ces outils sont alors assimilés dans la pratique quotidienne, de façon progressive, les professionnels les mobilisent ensuite quand ils en ont besoin.

Ces moyens de prévention sont nombreux. Certains sont déjà connus des soignants car ils les utilisent pour les patients, comme c'est le cas pour la respiration, la détente par exemple. Souvent issus de méthodes thérapeutiques (relaxations, méditation, sophrologie), ils doivent ici être développés dans une démarche pédagogique à visée préventive. Les moyens d'y parvenir sont multiples. Outre ceux déjà cités, on peut évoquer le yoga, le Qi Gong, la visualisation, etc.

L'élaboration de ces programmes a vocation à permettre aux participants d'apprendre à se détendre, mais aussi à mobiliser le niveau d'énergie nécessaire dans les différentes situations. Il est intéressant de proposer des exercices provenant de plusieurs méthodes afin que chacun puisse trouver ce qui lui est nécessaire.

Edith Perreaut-Pierre utilise cette métaphore pour permettre de comprendre l'intérêt d'introduire des techniques préventives : « quand nous utilisons notre réservoir d'essence avec une conduite sportive en accélérant et freinant, nous consommons beaucoup d'essence, apprendre la conduite économique permet de faire plus de kilomètres ».

Une implication des cadres de santé

Aujourd'hui, et plus encore dans la situation actuelle, constater que les professionnels de santé vivent des situations difficiles, et en traiter les conséquences ne suffit plus. Il est nécessaire de doter les soignants de moyens de se préserver pour durer dans leur exercice professionnel en bonne santé.

Les cadres formateurs sont directement concernés par cette démarche et nombre d'entre eux ont déjà pris des initiatives en ce sens. Les cadres manageurs sont les relais de l'intégration de cette démarche tant auprès des étudiants qu'auprès des professionnels.

Des initiatives se sont développées au sein des services, sous l'impulsion de certains responsables, déjà convaincus. Leur systématisation reste un enjeu majeur pour l'amélioration de la qualité de vie au travail de l'ensemble des professionnels de santé.

Les Techniques d'Optimisation du Potentiel (TOP)

Pour Edith Perreaut-Pierre, à l'initiative de leur formalisation, les TOP sont « Une méthode de préparation mentale qui s'inscrit dans une approche globale de la personne et constitue la composante psycho-cognitive indispensable à la mise en condition professionnelle et opérationnelle, individuelle et collective ».

Il s'agit d'un ensemble de procédés et de stratégies mentales pour améliorer son adaptation aux exigences de la situation rencontrée.

« L'objectif est de gérer sa charge de travail (mentale voire physique) pour atteindre ses objectifs et pour assurer une performance durable, respectueuse de la santé et du bien-être. »

Les TOP apportent des outils de gestion de la fatigue, du stress, du maintien de la motivation. Elles ont fait la preuve de leur efficacité dans des champs professionnels variés (militaires, aviation civile, pompiers, santé (professionnels et patients...).

Ce sont des outils destinés à se dynamiser en vue de faire face à une situation ou une activité, réguler son énergie en fonction de la durée des actions, récupérer plus vite en tenant compte des besoins physiologiques et des contraintes de l'environnement.

Evaluées scientifiquement, les TOP ont montré des effets bénéfiques sur le stress perçu, la stabilité émotionnelle, la connaissance de soi, l'humeur, le sommeil, la prise de décision, la cohésion, les performances physiques et cognitives.

 

Techniques d'Optimisation du Potentiel – Perreaut-Pierre E. – InterEditions 2e édition – 2016

(1) Accord national interprofessionnel du 2 juillet 2008 relatif au stress au travail – disponible sur http://www.journalofficiel.gouv.fr/publications/bocc/pdf/2009/0002/CCO_20090002_0002_0020.pdf.

(2) Accord du 26 mai 2011 relatif au stress professionnel et aux risques psychosociaux – disponible sur http://www.journal-officiel.gouv.fr/publications/bocc/pdf/2011/0032/boc_20110032_0000_0034.pdf.

(3) Ministère du Travail : http://travail-emploi.gouv.fr/sante-au-travail/prevention-des-risques/risques-psychosociaux/de-quoi-parle-t-„on/article/les-rps-c-est-quoi – mise à jour 18/11/2015.

(4) Votre bien-être : l'enquête – Fédération Nationale des Etudiants en Soins Infirmiers – 2017 – disponible sur : http://fnesi.org/23-fevrier-2017-votre-bien-etre-lenquete/ (vérifié le 9/4/2020).

(5) Dépression, épuisement professionnel, mal-être : quelle réalité au sein de notre profession ? Enquête menée par l'Ordre National Infirmier – 2018 disponible sur https://www.ordre-infirmiers.fr/assets/files/000/publications/Mal_etre_synthese_enquete_avril%202018.pdf (vérifié le 9 avril 2020).

(6) Truchot D – Le burnout des cadres hospitaliers : la première étude nationale – Objectif Soin & Management no 262 avril/mai 2018.

(7) Truchot D – Epuisement professionnel des cadres formateurs : 1re enquête nationale – Objectif Soin & Management – no 268 avril/mai 2019.

(8) Un médecin sur deux en burn-out, révèle une méta-analyse incluant 15 000 praticiens – Martos S. 2019 – paru dans le Lequotidiendumedecin.fr.

(9) Enquête réalisée par la Fondation Pierre Deniker en collaboration avec le CESE/Ipsos/Cnam – 2018.

(10) http://travail-emploi.gouv.fr/sante-au-travail/prevention-des-risques/risques-psychosociaux/de-quoi-parle-t-on/article/les-rps-c-est-quoi.

(11) Rapport Qualité de vie au travail et qualité des soins : revue de la littérature, HAS - janvier 2016.

(12) Olié JP., Légeron P. (rapporteurs), Le Burn out, Rapport de l'académie de médecine – Groupe de travail des Commissions V (Psychiatrie et santé mentale) – 2016.

(13) Mauranges A. Stress, souffrance et violence en milieu hospitalier, manuel à l'usage des soignants – Editions MNH 2014.

(14) Hardiesse : une caractéristique de la personnalité protectrice du stress – P. Delmas – EM-Consulte – 2011 https://www.em-consulte.com/article/663235/hardiesse-une-caracteristique-de-la-personnalite-p