Un levier pour une meilleure reconnaissance ? - Objectif Soins & Management n° 273 du 01/02/2020 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 273 du 01/02/2020

 

Ressources humaines

Dossier

Anne Lise Favier  

La recherche infirmière se développe sous l'impulsion de programmes spécifiques pour traiter de thématiques variées s'inscrivant pleinement dans l'exercice de la profession. En effet, son développement s'intègre dans le processus d'une reconnaissance professionnelle du métier dans toute l'étendue de ses compétences.

La recherche infirmière couvre un vaste champ d'investigations que la profession s'est peu à peu appropriée. Selon le Conseil international des infirmières (CII) qui l'a définie en 1998, la recherche en soins infirmiers comprend « l'étude de tous les aspects, activités et phénomènes relatifs à la santé et pouvant être intéressants, d'une manière ou d'une autre, pour les infirmières ». Une définition relativement vaste qui donne l'étendue de ce que peut revêtir cette recherche paramédicale. Et c'est aussi « une formidable opportunité pour l'infirmière de s'inscrire dans une démarche de recherche dès la formation initiale avec des données probantes, une vraie démarche intellectuelle et la production de savoir scientifique », s'enthousiasme Nathalie Renou, cadre de santé formateur à l'IFSI du Mans. Si la notion est vaste et existe dans de nombreux pays, elle trouve, en France, une pleine intégration dans le champ des sciences humaines : une spécificité qui s'explique notamment par le parcours du métier d'infirmière, qui puise son terreau dans des sources à la fois sociale, politique, économique et technologique.

Naissance puis renaissance

Historiquement, on peut dater les prémices de la recherche infirmière avec les travaux de Florence Nightingale, une infirmière britannique de l'ère victorienne (au XIXe siècle) qui utilisa ses compétences statistiques pour les mettre au profit de la santé publique : elle permit notamment d'améliorer la qualité des soins dans son pays et dans les colonies indiennes ; exemple de compassion, elle fut une figure de proue dans la profession infirmière moderne (1). Plus proche de notre époque, la recherche infirmière renaît quelque peu de ses cendres et se développe ensuite dans les années 1950 aux Etats-Unis, sous l'impulsion de la revue Nursing Research, puis essaime progressivement en Europe, sous la houlette de l'OMS d'abord, puis de l'Union européenne. Elle arrive en France au milieu des années 1960 avec la naissance de l'École internationale d'enseignement infirmier supérieur (qui était située à Lyon, elle n'existe plus aujourd'hui, NDLR) et qui vise notamment à impulser une culture de la recherche dans les strates paramédicales. Ce n'est qu'en 2004 que le terme de recherche conjointement au métier d'infirmière est évoqué au sein du Code de santé publique (article R4311-15, alinéa 8) : « selon le secteur d'activité où il exerce, y compris dans le cadre des réseaux de soins et en fonction des besoins de santé identifiés, l'infirmier ou l'infirmière propose des actions, les organise ou y participe dans les domaines suivants [...] recherche dans le domaine des soins infirmiers et participation à des actions de recherches multidisciplinaires ».

Ouverture

Avec la réforme des études infirmières et l'intégration d'un dispositif LMD, la recherche infirmière s'ouvre davantage et trouve un appui avec les programmes de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) lancés par la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) auprès des établissements de santé (voir encadré). Ces derniers ont pour objet le développement d'un potentiel de recherche dans le domaine des soins paramédicaux et la promotion de l'excellence des activités de recherche dans un domaine spécifique selon une instruction DHOS. « Ces programmes sont de plus en plus nombreux et constituent une vraie reconnaissance de la profession et des compétences infirmières », se félicite Nathalie Renou. Aux professionnelles de s'approprier le dispositif, mais de l'avis de cette cadre de santé, « une vraie dynamique s'est mise en place. On le voit auprès des étudiants qui s'inscrivent et qui s'éclatent réellement avec leurs sujets d'études. On assiste à un changement de paradigme pour la profession... ». Il faut dire que « l'universitarisation » des études infirmières, qui mène au master voire au doctorat a largement ouvert le champ des possibles. Les portes d'entrée vers le monde de la recherche sont désormais grandes ouvertes avec une multitude de thématiques à explorer (2) : promotion de la santé, santé publique, prévention, éducation, grand âge, soins palliatifs, anesthésie sont autant d'exemples de thèmes de recherche investigués par les infirmiers aspirants chercheurs. « C'est aussi une façon d'améliorer nos pratiques, de mener une démarche qualité dans les soins », estime Nathalie Renou.

Une recherche pratique et utile

Si les thématiques sont variées, elles s'imbriquent culturellement en France dans le champ des sciences humaines et sociales : ainsi, la sécurité des soins, en lien avec la qualité de ces derniers, est une thématique récurrente, tout comme les sujets en lien avec l'éthique qui trouvent un écho important dans la communauté infirmière. Et c'est dans la pratique quotidienne du soin que les infirmières puisent leurs sources d'inspiration : pansement, injection, douleur, collecte sont autant de thématiques ou problématiques concrètes auxquelles les infirmières sont confrontées dans leur pratique, pour améliorer la qualité des soins, le confort du patient et la réussite des protocoles de soins. Elles aboutissent logiquement à un questionnement sur les pratiques et à un travail de recherche spécifique. Il ne faut pas les envisager comme un travail trop intellectualisé, distant du soin, mais bien comme un complément, un approfondissement de la pratique. L'objectif de la recherche infirmière est – selon la définition du CII – de « développer des connaissances sur les soins et leurs applications pratiques, que ce soit pour les personnes malades ou en bonne santé. Elle vise également à comprendre les mécanismes fondamentaux qui affectent les capacités des individus ou famille à maintenir ou améliorer les fonctions optimums et minimiser les effets négatifs de la maladie » ; de la même manière, elle permet de « mettre au clair les résultats des interventions des infirmières afin d'assurer la qualité et la rentabilité des soins ». Enfin, la recherche infirmière est de « conduire et collaborer à des recherches cliniques, à la promotion de la santé, au développement et la gestion des services de la santé, à l'amélioration des politiques de santé et enfin à l'enseignement ». En un mot, elle sert la théorie, mais aussi et surtout la pratique, dans toutes les strates du soin. Elle mobilise des connaissances qui viennent de disciplines variées (biologie, physiologie mais aussi sociologie et psychologie) en intriquant la théorie et la pratique dans un va-et-vient permanent, car l'un et l'autre se développent au contact de l'autre. En cela, elle diffère du savoir clinique et de la recherche médicale, car elle se nourrit et grandit à la fois de connaissances scientifiques mais aussi pratiques et sociétales.

En 2015, le Secrétariat international des infirmières et infirmiers de l'espace francophone (Sidiief) s'interrogeait sur la recherche infirmière en France et citait Didier Lecordier, rédacteur en chef de la revue Recherche en soins infirmiers (3) qui expliquait : « il est habituel de prescrire un décubitus dorsal prolongé et une hyperhydratation après une ponction lombaire. Cela demande du temps infirmier, ce qui est problématique. La revue de la littérature en master d'une collègue portait sur cet acte technique. Elle s'est aperçue qu'il n'y avait aucun résultat probant qui justifiait ces préconisations et que les incidents avaient une fréquence très variable, dépendant sans doute des acteurs insuffisamment étudiés. Cela a permis d'entamer un travail de réflexion dans son service sur la nécessité et l'aménagement éventuel de ces précautions très chronophages pour le personnel soignant ».

Outils et cohésion

Ce temps consacré à la recherche infirmière, en lien avec les pratiques quotidiennes, permet de s'interroger sur des pratiques routinières et de remettre en questionnement certaines d'entre elles, pour les améliorer, toujours dans l'optique d'une amélioration constante de la qualité du soin. Qui plus est, lorsqu'elles sont réalisées au sein d'un service hospitalier, elles peuvent également aider les équipes à se fédérer, à acquérir une certaine cohésion, le personnel se réunissant autour d'une thématique commune pour que l'infirmier-chercheur puisse mener sa recherche dans les meilleures conditions qui soient. Pour ce faire, l'infirmière qui mène un travail de recherche peut puiser dans des outils identifiés comme la bibliographie en lien avec le domaine de recherche et les travaux déjà publiés : « les étudiants sont d'ailleurs amenés de plus en plus tôt à travailler de cette manière, à coconstruire le cheminement scientifique nécessaire à cette démarche de recherche », explique Nathalie Renou. Une appétence qui les conduit ensuite à approfondir certaines questions.

Valoriser par le partage

Pour valoriser ces travaux, « il faut autoriser ces chercheurs à publier, pas forcément dans des revues avec des processus complexes de validation, mais dans un esprit de diffusion large, comme peuvent le faire les revues professionnelles, les congrès ou les trophées du Cefiec, qui mettent en exergue des initiatives particulières », appelle de ses vœux Nathalie Renou. « La construction d'une science infirmière paraît tributaire du développement de la profession infirmière. Autrement dit, une science repose sur un savoir, des méthodes, un système de valeurs, mais aussi sur des activités et des stratégies d'un groupe professionnel pour élaborer et consolider ces savoirs et méthodes, des réseaux de chercheurs reconnaissants les résultats », détaille Ljiljana Jovic, directrice des soins, conseillère technique régionale en soins et docteur en sociologie (dans la revue Soins, mars 2006). Les infirmières doivent donc persister à défendre leur point de vue, leur légitimité, pour asseoir leur position professionnelle et lever certains freins : selon Lorraine Smith (4), les blocages sont à chercher du côté d'un manque de reconnaissance de la profession par les pouvoirs publics. Une assertion qui pose aujourd'hui, plus que jamais, question, les infirmières étant notamment en France, parmi les plus mal payées des pays de l'OCDE, celles-ci pointant directement un manque de reconnaissance des autorités pour la profession.

Revaloriser le métier d'infirmière constituera-t-il un levier suffisant ou la recherche accompagnera-t-elle de facto la nécessaire évolution du métier ? La dynamique est en marche !

Quid du financement

Depuis la mise en place du PHRIP, la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) finance un certain nombre de projets pour l'année. Signe d'une bonne santé de la recherche infirmière et paramédicale, le nombre de projets financés augmente chaque année : pour 2019, 34 projets ont été financés, contre une dizaine au début de la mise en place du système. Pour les projets non pris en charge, il existe des possibilités de financements privés mais aussi des bourses doctorales.

Lien avec l'IPA

Créée par la Loi de modernisation du système de santé, la filière Infirmière de pratiques avancées (IPA) est un levier pour les sciences infirmières. « Complémentaires des infirmières cliniciennes qui ont déjà développé une expérience sur le terrain », selon Nathalie Renou, les IPA peuvent accéder à un grade master indique le ministère de la Santé : cette ouverture pourrait préfigurer à l'éventualité d'un doctorat en sciences infirmières et donc à une véritable ouverture de la recherche en sciences infirmières.

2020, année charnière ?

L'Organisation mondiale de la santé a déclaré 2020 comme l'année internationale du personnel infirmier et des sages-femmes. Initiative soutenue par le Conseil international des infirmières (CII) et la campagne Nursing Now, ce mouvement appelle les gouvernements à faire de 2020 une année charnière pour la santé et pour la reconnaissance de la contribution des infirmières. Les deux organismes souhaitent ainsi attirer l'attention sur les risques liés aux pénuries de personnel infirmier, appuyant aussi sur leur importance dans le monde. Cette année 2020 sera l'occasion de célébrer le bicentenaire de la naissance de Florence Nightingale, pionnière dans l'incarnation de l'infirmière moderne ; 2020 marquera aussi la publication du premier rapport sur l'état des soins infirmiers dans le monde.

2020, l'année de l'avènement infirmier ? Les organisations internationales souhaitent en tout cas s'en saisir pour faire du bruit et demander aux instances gouvernementales d'augmenter leurs budgets de santé « afin non seulement de renforcer les effectifs, mais aussi de faire en sorte que les infirmières et les sages-femmes disposent des ressources et du soutien nécessaires pour répondre aux besoins en matière de soins de santé », selon Lord Nigel Crisp, coprésident de la campagne Nursing Now. Un coup de pouce pour la recherche infirmière en France ?

• Plus d'infos : https://www.2020yearofthenurse.org/

(1) La Dame à la lampe : Une vie de Florence Nightingale, Gilbert Sinoué (Folio).

(2) L'ensemble des thèmes abordés dans les PHRIP sont consultables sur le site du ministère : https://tinyurl.com/themesPHRIP

(3) Une publication de l'Association de recherche en soins infirmiers (ARSI).

(4) Nursing Research in Europe: a progress report, Journal of research in nursing, mai 2007.