Quel avenir pour l'Homéopathie ? - Objectif Soins & Management n° 269 du 01/06/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 269 du 01/06/2019

 

Actualités

Propos recueillis par Laëtitia Di Stefano  

Controverse

Sur la sellette depuis plus d'un an, après une tribune « anti » médecines non-conventionnelles signée par 124 soignants en mars 2018, l'homéopathie fait (encore) parler d'elle. Alors que la Haute Autorité de Santé s'est provisoirement prononcée en faveur du déremboursement des granules controversées, le professeur Jean Sibilia, président de la conférence des doyens de médecines, prend de la hauteur sur un sujet qui divise soignants et patients.

Que pensez-vous de la question du déremboursement des granules homéopathiques ?

Ma position est celle d'un universitaire : toute molécule qui n'a pas prouvé son efficacité ne peut pas être remboursée. C'est le cas des médicaments traditionnels, ce n'est pas spécifique à l'homéopathie. A présent, je tiens à souligner que l'EBM (Evidence Based Medicine ou médecine fondée sur les preuves) ne conditionne pas l'intérêt d'un médicament. Au contraire, nombre de choses non prouvées dans le monde de la science soulèvent questions et controverses, et nous font réfléchir...

Ce déremboursement probable des granules homéopathiques est lié à un contexte médico-économique. Je doute que la HAS prouve leur action biologique, mais ce n'est peut-être pas la vraie question. Les patients continueront à les utiliser. Dans la société d'aujourd'hui, les individus vont vers des choses qui influencent leur comportement. L'homéopathie, comme la méditation ou d'autres pratiques, répondent à ce besoin personnel de bien-être. Un récent sondage ODOXA* sur les médecines alternatives et complémentaires montre cela, et le seul fait que l'homéopathie existe nous donne une responsabilité en tant que formateur universitaire. Je précise cela car il y a en ce moment une confusion entre différentes questions : celle du déremboursement et de l'enseignement de l'homéopathie.

Qu'en est-il de la question de l'enseignement de l'homéopathie à l'université ?

Le rôle de l'université est de construire les enseignements. Notre objectif est de supprimer celui de l'homéopathie, qui n'est pas un métier en soi, sous sa forme actuelle, et d'imaginer une autre approche, sous forme de modules complémentaires facultatifs. Je souhaite néanmoins que l'homéopathie reste dans les mains des médecins, seuls capables de faire une analyse diagnostique préalable. La démarche médicale arrive avant le traitement. Nous plaidons pour cela : le médecin doit être formé aux différents outils afin de faire les bons choix. Laisser cette pratique à des non-médecins, comme c'est le cas en Allemagne avec les Heil pratiker est bien plus dangereux !

Je pense aussi que nous devons faire preuve d'humilité dans ce domaine. Les médecines ayurvédiques et chinoises existent depuis des millénaires, et rien n'a été scientifiquement prouvé... Qu'est ce qui est juste et faux ? Nos outils sont-ils vraiment universels ? La médecine occidentale est fondée sur l'EBM pour une pratique pertinente, on ne remet pas cela en cause, mais que faire des situations non EBM ? Comment gérer l'incertitude ? Que dire aux étudiants sur des situations qui n'ont pas de réponse écrite dans un livre ?

Le citoyen français appelle de ses vœux l'homéopathie. Balayer cela d'un revers de la main ne serait pas sage, car le déremboursement n'arrêtera pas l'utilisation des granules. Notre responsabilité d'enseignants est de considérer que le malade a toujours raison. Ainsi, s'il a une appétence pour une pratique qui s'avère un placebo, même liée à une croyance ou une aspiration au bien-être, il nous incombe de traiter le sujet.

Comment les professionnels paramédicaux au contact de patients qui prennent des traitements homéopathiques peuvent-ils se positionner ?

L'homéopathie ne doit pas être utilisée s'il existe une alternative thérapeutique démontrée, ou dans une situation « grave ». Mais tout n'est pas blanc ou noir, l'effet placebo est un effet ! Je fais de la recherche sur les maladies auto-immunes en rhumatologie, et il s'avère que l'effet placebo est efficace à hauteur de 25-30 %.

Des expériences ont été réalisées sur les effets secondaires liées aux chimiothérapies par exemple, où une thérapeutique complémentaire peut atténuer les vomissements, entre autres. Jusque-là, on considérait cela comme une sorte de supercherie. Le médecin influencerait le malade pour qu'il aille bien. Or la proposition thérapeutique (écoute empathique...) induisant une confiance réciproque engendre également des conséquences au niveau biologique, ce qui est positif, et différent de l'effet nocebo. Je trouve dommageable, philosophiquement et humainement, le combat pénal et quasi physique entre les pro et anti homéopathie. Ce n'est pas ma vision de la société ni a fortiori du soin, qui n'est pas le champ d'action de ce genre de comportement.

Qu'en est-il des autres médecines non conventionnelles ?

Je souhaite qu'un encadrement éthique et déontologique fasse que les médecins soient suffisamment bien formés pour utiliser l'homéopathie comme d'autres médecines complémentaires de façon juste. Un observatoire des médecines alternatives existe au sein des universités de Nantes et Strasbourg afin d'analyser l'intérêt de l'enseignement sous plusieurs angles. Notre objectif est de sécuriser la formation tout en demeurant juste. Le fondement de l'étude est de se questionner : cela ne cautionne pas une pratique ésotérique, mais sortir l'homéopathie du champ de la médecine sous prétexte du risque d'instrumentalisation par certains est ridicule. On peut faire une bombe atomique avec l'énergie nucléaire, ce n'est pas une raison pour ne pas l'étudier...

* Homéopathie & médecines alternatives et complémentaires : les patients et les médecins sont à front renversé. Disponible sur : https://bit.ly/2LCLj76