Jean-Yves Dayt, « le modèle si décrié des maisons de retraite peut être un bon modèle » - Objectif Soins & Management n° 269 du 01/06/2019 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 269 du 01/06/2019

 

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Claire Pourprix  

Portrait

Directeur multisite des maisons de retraite Les Dames Blanches, à Yvetot, et L'Archipel, à Duclair, en Seine-Maritime, Jean-Yves Dayt défend avec conviction les vertus des hébergements pour personnes âgées. A condition de respecter rigoureusement trois principes : le consentement des personnes, la personnalisation de l'accompagnement et la mise en œuvre de projets de vie individualisés.

F ranc-comtois d'origine, Jean-Yves Dayt dirige depuis 15 ans les maisons de retraite des Dames Blanches et de L'Archipel (1), en Normandie, deux établissements de la Fondation Partage et vie. Si ses études universitaires en Administration Économique et Sociale (AES) ne le prédestinaient pas forcément à suivre cette voie, son expérience professionnelle et sa sensibilité personnelle à la protection des personnes fragiles en ont décidé autrement. « Après mes études, je suis devenu furtivement conseiller principal d'éducation dans un lycée agricole, confie-t-il. J'ai découvert dans ce milieu le problème d'alcoolisation des jeunes, ce qui m'a conduit à prendre la responsabilité d'un centre d'alcoologie sans hébergement, dans la Haute-Marne. » Une expérience enrichissante mais difficile, d'autant que l'accompagnement en milieu ouvert ne permet pas souvent de suivre dans le temps les projets engagés pour ce public. « Depuis l'âge de 17 ans, j'avais travaillé tous les étés, pendant mes études comme ASH dans une maison de retraite. Je connaissais donc bien ce milieu auquel je m'étais attaché et c'est ce qui m'a motivé à candidater à un poste d'adjoint de direction d'une maison de retraite à Paris. » Un premier pas dans une fonction de management en Ehpad, avant de prendre la direction multisite des Dames Blanches et de L'Archipel.

Partager des moments de vie

Pour Jean-Yves Dayt, la maison de retraite est une communauté de vie entre personnes âgées et professionnels : « On arrive à se connaître, à partager quelque chose. C'est un environnement qui permet de partager des moments de vie. » Avec le temps, il s'est forgé la conviction que « le modèle si décrié des maisons de retraite peut être un bon modèle. » De fait, il estime préférable de vivre en résidence plutôt qu'à domicile, les maisons de retraite bien pensées offrant des outils palliatifs à une certaine perte d'autonomie et donc la possibilité de « préserver la dignité » en permettant aux personnes de faire encore des choses par elles-mêmes. « Dans les établissements dont je m'occupe, les restaurants par exemple sont implantés par étage, à proximité des chambres, pour faciliter l'autonomie des personnes. De plus, nous tâchons de soutenir les capacités relationnelles des gens, leur besoin de culture, l'autonomie psychique. Nous nous appuyons sur la méthode Montessori, convaincus, comme les neurosciences le confirment, que même si les personnes ont des pertes, d'autres capacités peuvent se développer. »

Au sein des Dames Blanches et de l'Archipel, l'accueil et l'accompagnement des personnes âgées est basé sur trois principes. Tout d'abord leur consentement, chacun étant libre de choisir sa vie, un principe qui se révèle être aussi un soutien managérial. Ensuite, la personnalisation et l'individualisation de l'accompagnement, malgré l'environnement et les règles collectives qui s'appliquent à un Ehpad et qui constituent des contraintes organisationnelles avec lesquelles il faut composer. « Nos chambres individuelles ne sont meublées que d'un lit, le reste du mobilier appartient à la personne afin de limiter sa perte de repères. Cela a aussi une répercussion managériale : les membres de l'équipe ne rentrent pas dans la chambre numéro x ou y mais chez Mme X ou M Y. » Enfin, troisième principe : pour la mise en œuvre des projets de vie individualisés, comme le veut la loi, chaque salarié, sur la base du volontariat, dispose d'un temps dédié pour les mener à bien avec la personne : cela laisse le temps d'organiser des journées de bien-être, d'activités Montessori dédiées à une personne.

Maintenir le lien avec la cité

Jean-Yves Dayt met également un point d'honneur à ouvrir les Ehpad sur la cité, en s'appuyant sur de nombreux partenariats. Ainsi, une médiathèque installée au sein des Dames Blanches, gérée par l'intercommunalité, est ouverte au grand public, aux classes, accueille des conférences et des lectures... A L'Archipel, une Maison d'Assistantes Maternelles (MAM) pour les enfants de zéro à trois ans est implantée dans l'entrée de l'établissement. Elle accueille les enfants du personnel et ceux du voisinage et, s'il n'y a pas de mélange des populations, des activités communes sont souvent organisées pour créer des ponts entre les générations.

« Nous n'aimons pas que les personnes âgées soient en situation de consommer un spectacle, une activité. Nous souhaitons qu'elles participent à la hauteur de leurs capacités », souligne Jean-Yves Dayt. Ainsi, en janvier dernier, a eu lieu la représentation d'un mapping vidéo (fresque lumineuse) sur la voute de l'ancienne chapelle des Dames Blanches, à Yvetot, afin de retracer son histoire. Un spectacle créé par les résidents de l'Ehpad pendant un an, accompagnés par un collectif d'artistes, en partenariat avec les écoles, la médiathèque... Deux autres épisodes sont programmés en 2020 et 2021 (voir OSM 267 rubrique chronique).

Les projets ne sont pas uniquement culturels. Par exemple, à Duclair, l'équipe a créé avec l'aide d'un partenaire local une action de récupération de piles et de bouchons à domicile. Cela allie une dimension écologique à une dimension solidaire et conviviale, le but des visites étant de détecter et de remédier à des situations d'isolement des personnes âgées à domicile. Dans cette petite ville toujours, un projet d'accompagnement en amont et en aval de l'entretien avec le médecin à l'hôpital est développé pour les malades de Parkinson afin de les aider à évoquer les symptômes dont ils souffrent. Ce projet s'appuie sur un dispositif de télémédecine en zone rurale pour leur éviter le transport jusqu'au CHU de Rouen.

Plus qu'une méthode, une philosophie

Depuis 3 ans, tous les salariés des deux Ehpad sont formés à la méthode Montessori dans l'objectif de s'intéresser aux capacités restantes de la personne plutôt qu'à celles qu'elle a perdu. Afin de s'assurer que le quotidien ne l'emporte pas sur la mise en place d'actions allant dans ce sens, la psychologue rencontre les salariés tous les deux mois : cela permet de lister les actions qui ont été lancées, celles qui ne l'ont pas été et pourquoi, et de voir comment faire pour y remédier.

Parallèlement, la gestion des ressources humaines a été restructurée. « Quatre piliers nous gouvernent, explique le directeur : organisation, sécurisation, création et compréhension de la finalité du travail. Au départ, nous faisions des réunions par métier. Désormais, les personnels travaillent ensemble par thème, sur la base du volontariat : la nutrition et les soins ; le bien-être, le lien social et la philosophie Montessori ; la qualité hôtelière et l'environnement. Cette organisation est propice à la créativité, et les collaborateurs impliqués peuvent suivre dans le temps ce qui est mis en œuvre. On se rend compte que quand les initiatives viennent des pairs, sur la base du co-développement, il est plus facile de diffuser les informations. »

Fidèle à un management le plus « sécure possible », bâti sur les relations de confiance et d'engagement réciproque, Jean-Yves Dayt a identifié des champs à explorer plus intensément, telle que la question de l'identité professionnelle. « A quel moment est-ce que je me dis que mon travail est de qualité ? Que j'ai atteint sa finalité ? Quel plaisir je retire de mon travail ? L'écart entre l'idéal des pratiques que les collaborateurs ont à l'esprit et ce qu'ils concrétisent au quotidien peut être source de stress. Cela est laissé à l'interprétation individuelle et peut générer des insatisfactions, d'autant que les effectifs sont souvent tendus. Dans le champ médico-social, on remet l'ouvrage chaque jour : il est donc essentiel qu'en plus de la reconnaissance managériale, chacun parvienne à faire une démarche personnelle pour que cette reconnaissance vienne également de lui-même. »

Une reconnaissance d'autant plus essentielle que le traitement médiatique réservé aux Ehpad est souvent blessant pour les personnels. « Les médias laissent entendre qu'il y a une automatisation de la négligence, déplore Jean-Yves Dayt. Or, au quotidien, ce sont des gens humains, qui ont le don de soi plus que d'autres, et ont à cœur que les personnes âgées soient bien accompagnées, dignement. » Et, pour nous en convaincre, il nous invite à regarder et partager les vidéos publiées par la Fehap sur YouTube, qui prennent le contre-pied des actualités qui ternissent la profession.

(1) Les Dames Banches emploie 45 équivalents temps plein et accueille 78 résidents, dont 2 chambres d'hébergement temporaire et une unité protégée de 12 personnes.

L'Archipel emploie 51 équivalents temps plein et accueille 83 résidents, dont 2 unités protégées de 12 personnes et 4 hébergements temporaires, ainsi que 6 personnes en accueil de jour.