Évaluation des compétences : de la notion de filière d'origine en tant que cadre - Objectif Soins & Management n° 261 du 01/02/2018 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 261 du 01/02/2018

 

Controverse

Christelle Férec*   Karim Mameri**  

« Être ou ne pas être, telle est la question. » Faut-il, en tant que cadre, être initialement formé à la filière à laquelle on est ensuite affecté, c'est-à-dire être issu de la filière infirmière quand on est cadre dans un service de soins ou de la filière manipulateur radio lorsque l'on est cadre dans un service de radiologie ? Ou au contraire cela n'a-t-il pas d'importance ? La question est posée dans un contexte où aucune étude officielle ne permet de connaître la répartition des cadres selon leur filière d'origine mais qui dans les faits voit une majorité de cadres issus de la filière infirmière. Alors effet statistique, importance stratégique ou sujet polémique ? Le point avec Christelle Férec, cadre de santé en biologie, et Karim Mameri, cadre de santé en pédiatrie.

Christelle Férec est manipulatrice en radiologie de formation et aujourd'hui cadre de santé en biologie à l'hôpital de la Croix-Rousse – Hospices civils de Lyon (69).

Comment devient-on cadre dans une filière qui n'est pas la sienne ? Comment réussit-on à se faire une place dans un univers nouveau ?

Christelle Férec

On n'y arrive pas par hasard. Même si mon parcours m'a fait découvrir différents services, c'est par curiosité et surtout par opportunité que j'ai choisi, en tant que manipulatrice radio, de devenir cadre puis d'intégrer un service de biologie. De la curiosité, il en faut, mais aussi de l'investissement et de la confiance de la part de l'institution et du responsable biologiste du service. La direction m'a demandé au départ, en plus d'un accompagnement de l'équipe dans un projet de restructuration, un engagement et une loyauté envers elle. Ce secteur ne m'était pas totalement inconnu. En imagerie, durant ma carrière, j'ai été habituée à travailler en lien avec les services de soins (radio au lit), au bloc opératoire mais également avec la biologie (par exemple, lors de la prise en charge des ponctions/biopsies sous scanner).

Le fait de venir d'une autre filière nécessite une phase d'observation et d'adaptation pendant laquelle il ne faut pas hésiter à prendre appui sur les personnes ressources du service : biologistes, techniciens et les collègues cadres.

Il faut également observer le travail, les techniciens, discuter avec eux... les comprendre et apprendre leur langage. Je n'irais pas jusqu'à dire que je suis devenue experte mais j'ai désormais une bonne connaissance du travail et de l'organisation.

Le fait d'être issue d'une autre filière n'est donc pas, selon vous, un obstacle ?

CF

Un obstacle, non ! Surtout quand c'est un choix, ça représente pour moi un atout. Nous avons tous, en tant que soignant, un socle commun dans le soin. Dans mon métier de manipulatrice radio, j'étais amenée à faire des injections, des prélèvements sanguins, des pansements, et j'avais un rapport direct au patient : certains thèmes sont transversaux à tous les services, l'hygiène par exemple.

Nous avons tous, en tant que soignant, un socle commun dans le soin.

Un cadre d'imagerie exerçant en médecine nucléaire et n'y ayant jamais travaillé ou un cadre infirmier exerçant en secteur de psychiatrie n'y ayant jamais travaillé se retrouvent dans la même difficulté.

En tant que cadre, il faut se demander ce que la direction attend de nous et ce que les agents recherchent. Je remarque qu'à un moment donné, les agents ne se rendent plus compte de mon métier d'origine. Ce n'est donc pas ça qui compte mais la manière dont j'exerce une fonction, celle de cadre au quotidien.

Vous posez la question de l'identité professionnelle : quelle place a-t-elle dans votre mission de cadre ?

CF

Être cadre de santé c'est une fonction, donc tout dépend de comment on investit la fonction. La mission d'un cadre de santé n'est pas la même que celle d'une infirmière ou d'une manipulatrice radio. Et même si je suis très attachée à ma formation d'origine, à mon métier d'origine, je pense qu'à un moment il faut faire le deuil de ce que l'on est : on devient quelqu'un d'autre, sans oublier, sans changer, on évolue. Pour moi, devenir cadre, c'est faire le deuil d'une pratique, d'une fonction pour une autre, mais pas d'une identité. Notre rôle change : nous n'avons plus le même rôle auprès du patient.

Parfois se pose également la question de la légitimité...

CF

Le fait d'être issu de la même filière permet probablement au départ une intégration plus simple mais la légitimité arrive parce qu'on nous fait confiance, par l'expérience, par les compétences que l'on emploie au quotidien. Ce que l'on attend de nous, cadres, c'est du management, de la stratégie, de mettre en place des directives en lien avec les biologistes, on ne travaille jamais seul... Devenir cadre, c'est s'investir dans une mission, et si une opportunité se présentait en secteur de soin, par exemple, je serais prête à retenter l'expérience !

Si on a la volonté de changement, on peut travailler dans une filière autre que celle pour laquelle on a été formé.

La légitimité ne tient pas à un métier d'origine, elle ne se décrète pas, elle s'acquiert par des « faits d'armes », elle se gagne auprès de la direction, des pairs, des biologistes et des techniciens.

Le fait d'encadrer des professionnels originaires d'un autre métier que le sien ne doit pas être un choix par dépit mais un choix personnel, résultant d'une opportunité professionnelle, avec le soutien de la direction et de ses pairs cadres.

Karim Mameri est infirmier, cadre de santé en pédiatrie au centre hospitalier intercommunal Elbeuf – Louviers – Val-de-Reuil (76). Ancien secrétaire général de l'Ordre national infirmier, il est farouchement attaché à la filière d'origine.

Depuis la parution du décret portant sur la création d'un diplôme de cadre, des questionnements sont apparus sur l'identité et la spécificité des cadres de santé : comment vous positionnez-vous ?

Karim Mameri

Depuis la parution du décret de 1995, il ne s'est pas passé grand-chose. En 2009, nous avons eu le rapport de Chantal de Singly sur les missions des cadres hospitaliers (1)... Les réformes engagées dans le monde hospitalier ont fait que la fonction de cadre de santé s'est détachée de son origine soignante pour s'orienter vers une fonction plus axée sur l'encadrement. Ce dernier, avec la formation font partie des compétences infirmières, si l'on s'en tient au décret de compétence de la profession d'infirmier. Cela scelle une certaine légitimité. Mais il ne faut pas se limiter à ces compétences : nous sommes dans un métier du soin, du « prendre soin », avec le patient au centre de toute notre attention – c'est d'autant plus vrai dans le service où je travaille, en pédiatrie – et c'est avant toute chose vers lui que l'on doit se tourner. Avec notre identité professionnelle propre, en tant que cadre, mais pas seulement...

En tant que cadre de santé en pédiatrie, infirmier de formation, comment vous définissez-vous ?

KM

Je suis infirmier cadre de santé, c'est d'ailleurs comme cela que je me présente, ce qui est plus parlant, notamment auprès des patients. Un cadre de santé, c'est comme un grade, ni plus ni moins. Pendant ma formation, on m'a dit plusieurs fois de faire le deuil de mon métier d'infirmier, de ma fonction, car j'allais désormais faire fonction d'encadrement. Quel sens cela a-t-il ? Sur le terrain, nous faisons de l'encadrement, de l'animation d'équipe – je n'aime pas le terme de management ; je me vois comme un chef d'orchestre, qui permet de veiller à la bonne réalisation des soins. Mais je suis infirmier cadre de santé. La notion de filière est d'ailleurs inscrite sur le diplôme que le cadre obtient à la fin de sa formation.

La notion de filière est d'ailleurs inscrite sur le diplôme que le cadre obtient à la fin de sa formation.

Comment envisagez-vous la fonction de cadre ? Faut-il être issu de la filière à laquelle on est ensuite affecté ?

KM

Je ne conteste pas le fait de ne pas être de la filière. Néanmoins, je pense qu'il faut avoir développé une certaine expertise dans un domaine pour pouvoir faire fonction d'encadrement. On ne demandera pas à un plombier d'encadrer des électriciens... Les soignants souhaitent que l'on donne du sens à leur travail : je pense qu'un kinésithérapeute qui s'occuperait d'une équipe de pédiatrie n'aurait pas cette expertise, même s'il pourrait la trouver auprès des personnes ressources et la développer au cours du temps. On reste avant tout légitimé par nos actes, pas par un titre. Et qui peut mieux mener sa mission qu'un cadre issu de la filière dans laquelle il est ensuite affecté ? Il faut veiller à ne pas diluer l'identité professionnelle. Un exemple ? En pédiatrie, les auxiliaires de puériculture sont identifiées comme des aides-soignantes sur leur fiche de paye, alors qu'elles n'ont pas reçu la même formation ; il faut veiller à ne pas mélanger les genres. Qui plus est, je suis attaché à la filière d'origine car je reste convaincu qu'entre personnels issus de la même filière, nous sommes plus à même de cerner les difficultés propres à notre service : il ne s'agit pas seulement d'appréhender des problèmes de planning et de participer à des groupes de travail mais de comprendre toutes les spécificités d'un service. Il me semble donc important – pour comprendre les infirmières du service – de parler le même langage, de faire état de la même pratique, par notre expérience soignante commune.

Vous touchez du doigt la question de l'identité des soignants...

KM

En tant que cadre, on voudrait que l'on ne nous définisse plus que par cette notion d'encadrement. Quelle que soit notre filière d'origine, nous sommes avant tout issus de la filière paramédicale, avec des valeurs qui nous sont propres et qui placent le patient au centre de notre pratique. Notre qualification en tant que cadre de santé est légitimée par un diplôme mais ce sont bien nos compétences dans la pratique qui nous positionnent au regard des équipes que nous encadrons. Et nous avons des compétences propres en tant qu'infirmier : même si nous ne sommes plus à proprement parler au lit du patient, ces compétences nous permettent d'avoir une approche holistique du patient, dans sa globalité, et de faire en sorte que les soignants prennent soin dans les meilleures conditions de qualité et sécurité.

Que dit la loi ?

C'est le décret no 95-926 du 18 août 1995 qui porte création d'un diplôme de cadre de santé. Les portes des instituts de formation s'ouvrent alors pour 13 professions paramédicales (audioprothésiste, diététicien, ergothérapeute, infirmier, manipulateur d'électroradiologie médicale, masseur-kinésithérapeute, opticien-lunettier, orthophoniste, orthoptiste, pédicure-podologue, préparateur en pharmacie, psychomotricien et technicien de laboratoire d'analyses de biologie médicale). Un seul et même diplôme est alors délivré avec mention du métier d'origine. Depuis le décret no 2001-1375 du 31 décembre 2001, trois filières sont distinguées : infirmière, médico-technique et de rééducation. D'autres précisions sont apportées : le décret no 2006-74 du 24 janvier 2006 ajoute des obligations de filière d'origine en réanimation pédiatrique tandis que le décret no 2006-577 fait état de la nécessité d'un encadrement de l'équipe non médicale de la structure d'urgence par un cadre de santé de la filière infirmière.

1 Rapport de la mission cadres hospitaliers présenté par Chantal de Singly : https://lc.cx/g892