Réanimation : une préparation de stage pour les futurs étudiants - Objectif Soins & Management n° 258 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 258 du 01/09/2017

 

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

Les IFSI sont particulièrement attentifs aux parcours de stages des étudiants en soins infirmiers dans le cadre de l’alternance intégrative au sein des Instituts de formation en soins infirmiers. Mais la mise en stage des étudiants se révèle être un véritable casse-tête vis-à-vis de cette coresponsabilité ; le terrain est très conscient de sa part de responsabilité autour de la singularité dans l’encadrement de ces étudiants et cet engagement est constant.

Les demandes de stages des étudiants en soins infirmiers en réanimation sont croissantes au sein des Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Nonobstant, cela suscite de la crainte de la part des étudiants (représentations).

C’est la raison pour laquelle une cadre formatrice et deux infirmiers de réanimation ont bâti ensemble un projet dans le but d’affiner au mieux la préparation de stage. Un des objectifs poursuivi par cette équipe est de dédramatiser en amont cette immersion en secteur de réanimation ou de soins intensifs, que ce soit en secteur privé comme en secteur public.

Objectif Soins & Management : Comment l’idée de cette collaboration vous est-elle venue ?

Guillaume Decormeille : Il y a environ deux ans, Marie-Hélène Lopez, cadre formatrice à l’IFSI en Midi-Pyrénées, a pris contact avec moi pour que je lui apporte ma vision de terrain et de l’aide pour un travail dirigé sur les connaissances professionnelles incontournables sur la thématique des catécholamines (cadre de l’Unité d’enseignement 2.11 : pharmacologie et thérapeutiques du semestre 5). En débutant par un état des lieux des invariants pour un professionnel de terrain, nous en avons déduit une progression pédagogique logique pour les étudiants. Tout a été construit ensemble, de l’approche physiologique aux différentes méthodes d’enseignement, satisfaisant l’ensemble d’une équipe pédagogique responsable. Par la suite, dans la mesure où elle était responsable des stages de typologie “réanimation” et qu’elle avait des questions à me poser, l’idée d’une préparation des futurs étudiants nous est venue.

Marie-Hélène Lopez : J’ai demandé à Guillaume Decormeille ce qu’il enseignerait sur le terrain. Et je lui ai expliqué ma propre réflexion autour de cette démarche pédagogique dans le cadre de l’UE 2.11. Cela a été extrêmement productif et nous nous sommes très bien complétés. Ensuite, lorsque cette préparation de stage a vu le jour, il était la personne ressource idéale compte tenu de ses dix ans d’expérience. Cela dit, la préparation ne commence pas directement par l’intervention de Guillaume Decormeille. En amont, nous demandons d’abord à l’étudiant de faire la mesure des compétences à acquérir par rapport à son propre niveau et selon ses évolutions dans le parcours, puis de consulter le livret d’accueil du secteur d’activités (affectation stage) où il ira et de recueillir le maximum d’informations en termes d’organisation des lieux de stages (ressources pour faciliter l’immersion). Ainsi, il commence à se projeter et à bâtir des objectifs en lien avec son futur stage. Ensuite, arrive un autre temps de la préparation avec Guillaume et sa collègue. Ils font cheminer les étudiants dans l’esprit de leurs besoins spécifiques.

OS & M : Comment avez-vous constitué les étapes de cette préparation en termes de typologie stage ?

Marie-Hélène Lopez : J’ai commencé tout d’abord par recenser les textes réglementaires, la législation nécessaire pour le travail en réanimation ; compétences requises et prérequis dans les connaissances (liens avec les différentes UE). Par la suite, je me suis intéressée à des retours d’étudiants qui avaient vécu des situations parfois complexes. Nous avons donc décidé de nous baser sur des directives pratiques reconnues et prescrites. Puis il est certain que nous ne pouvons pas toujours insister en IFSI sur les aspects pratico-pratiques pour de multiples raisons ; de ce fait, le partenariat étroit IFSI-terrain peut permettre d’insister sur les aspects techniques invariables et incontournables avec des compétences actuelles.

OS & M : Ce type de partenariat entre les établissements et les IFSI est-il courant ?

Guillaume Decormeille : Je ne sais pas pour les autres IFSI, mais, grâce au soutien de l’ensemble de notre direction, nous en avons fait une des priorités. Nous essayons donc de renforcer ce lien. Madame Lopez est même venue dans notre unité pour dispenser des enseignements cliniques aux étudiants en stage. Puis elle a passé une journée d’observation afin de renforcer encore sa légitimité auprès des étudiants. L’idée est de mettre en place une co-construction, la vision du terrain mêlée à la vision de formation pour le bénéfice des étudiants afin de faciliter et dédramatiser leur venue dans ce type d’unité spécifique qu’est le secteur de réanimation et de soins intensifs, dans le but d’essayer de faire évoluer leurs représentations.

OS & M : Concrètement, comment cette préparation de stage s’organise-t-elle ?

Guillaume Decormeille : Nous sommes deux infirmiers de l’unité de réanimation. Ma collègue est plus jeune et a moins d’années d’expérience que moi, ce qui permet aux participants de se reconnaître plus facilement dans son parcours et d’avoir une vision partagée plus proche de leur ressenti. Nous sommes complémentaires dans l’approche, dans le discours et dans les messages clés à leur donner. De plus, elle a une bonne expérience de la formation, ce qui est un élément positif supplémentaire. Il ne s’agit pas du tout d’un cours théorique. Nous sommes là pour dire vers quoi on tend en réanimation à ce jour. Dans la mesure où l’on constate des disparités, parfois importantes, entre les unités où les étudiants sont susceptibles d’aller en stage, nous n’abordons pas seulement notre manière de faire, mais aussi ce qui peut être fait ailleurs, des notions générales reproductibles.

OS & M : Qu’abordez-vous donc ?

Guillaume Decormeille : Lors d’un tour de table des lieux de stages, les étudiants nous exposent leurs appréhensions que nous reprendrons par la suite. Puis nous abordons le cadre législatif ainsi que les dix compétences spécifiques du référentiel infirmier du 31?juillet 2009. Cela leur donne des pistes de réflexion. Par exemple, dans le domaine de la pharmacologie, nous leur indiquons les médicaments prévalents utilisables le plus souvent, les familles pharmacologiques et donc les efficacités et leurs principaux effets secondaires. Cela ne sert à rien de les connaître tous, mais il est préférable de comprendre les molécules susceptibles d’être utilisées. Puis nous réfléchissons en groupe sur la position de l’étudiant à différentes étapes de son stage, qui durera parfois dix à douze semaines. Qu’attend-on de lui au début, au milieu et à l’approche de la fin du stage ? Une progression et les acquisitions de certaines compétences. Nous tenons absolument à ce qu’ils trouvent leur juste place au sein de l’équipe pluriprofessionnelle de réanimation. Par exemple, en cas d’arrêt cardiaque, un étudiant nouvellement arrivé sera probablement mis en retrait. Il faut qu’il comprenne que ce n’est pas contre lui. Je leur explique que c’est nécessaire, dans un premier temps, car l’équipe doit déjà gérer son propre stress et agir vite. Le fait d’être en retrait ne doit pas être considéré comme un manque d’intégration car c’est aussi un moment idéal pour observer les différentes interactions et la communication entre tous les intervenants. C’est extrêmement formateur et aussi intéressant que d’être dans l’action. On leur fait toucher du doigt qu’avoir une vision globale, au final, permet de savoir tout ce qui se passe et d’éviter l’effet “tunnel” avec la distorsion temporelle. En revanche, il leur est conseillé de débriefer la situation avec l’infirmier tuteur de stage. Au fil de son intégration en stage, sa posture et sa place évolueront. Puis, pendant cette préparation de stage lors d’un atelier pratique, en seconde partie de la préparation, les futurs étudiants sont invités à manipuler du matériel spécifique qu’ils rencontreront, comme des sondes d’intubation, des voies centrales, des cathéters artériels, du matériel de ventilation, des canules de trachéotomie. Le fait de pouvoir toucher à nu le matériel, si je puis dire, apprivoise et dédramatise. En dernier lieu, nous avons monté une vidéo illustrant l’univers de la réanimation, de jour comme de nuit, de la phase de déchocage à la chambre de réanimation, en appuyant sur la considération de la réanimation comme un lieu de vie et la place de la famille.

OS & M : La réanimation, ce n’est pas seulement un ensemble d’actes techniques…

Guillaume Decormeille : En effet. Il est absolument essentiel que l’étudiant comprenne que le contact avec les patients est aussi important que les soins techniques afin d’aider ceux-ci à mieux vivre leur passage en réanimation. Privilégier la communication avec le patient, expliquer ce qu’on est en train de lui faire, pour le rassurer, diminue son stress et prévient le “delirium de réanimation” induit par certains médicaments et les sources d’inconfort. Nous leur apprenons également à limiter toutes sources inutiles d’inconfort comme une lumière la nuit – il est important de privilégier le noir pour favoriser le rythme nycthéméral –, ou des alarmes mal réglées qui sonnent au moindre mouvement par exemple. Bien les installer, prévenir la soif et la faim, prendre soin de leur confort et utiliser des termes adéquats lorsqu’on agit est très important également. Il faut favoriser l’hypno-communication. On ne dit pas « je vais vous aspirer » mais « je vais vous retirer l’excès de sécrétion dans les poumons pour que vous respiriez mieux ». Cela n’a l’air de rien mais cela change tout. Pour la pose d’une perfusion, on abandonne définitivement le contreproductif « attention, je vais piquer » pour lui préférer « je vais vous poser une perfusion pour telle ou telle raison ». Nous insistons aussi sur la gestion de la famille dans les soins. Mais nous abordons également des domaines plus techniques comme quelques bases de surveillance des différents modes de ventilation, qui est du rôle infirmier, le rappel des normes de gazométrie, la constitution d’un plateau d’intubation, etc.

OS & M : Jusqu’ici, cette préparation est destinée aux étudiants de 3e année qui réalisent un stage en réanimation. Pensez-vous l’étendre ?

Guillaume Decormeille : Oui. Devant la raréfaction des lieux de stage, il serait judicieux de l’étendre aux étudiants de 2e année mais sous une forme un peu différente, leurs connaissances n’étant pas encore les mêmes. Et ils ne seront autorisés à accéder à la préparation puis aux stages que selon des normes très strictes comprenant leurs résultats et leurs motivations. Un groupe de réflexion est constitué avec les directeurs des IFSI et les cadres des différentes unités privées et publiques ainsi que les infirmiers concernés par l’encadrement et l’accueil des étudiants. J’ai pour ma part écrit un plan éventuel de formation de trois heures à trois jours de formation selon le temps que l’IFSI pourra nous accorder, avec l’idée que des professionnels de terrain des autres unités concernées pouvaient renforcer cette préparation. Dans le but de faire de cette formation un socle de préparation commun aux différents IFSI et terrains de stages. On peut même envisager une journée de simulation en santé au sein du laboratoire de l’Institut toulousain de simulation en santé (ItSims). Pour favoriser l’analyse de pratique réflexive, l’idéal, pour les étudiants de 2e?année, serait un retour en IFSI après les quatre premières semaines de stage afin de débriefer leur expérience et réfléchir ensemble sur leur vécu dans les différentes unités. « Comment faites-vous tel soin ? Pourquoi les différents services ne le font-ils pas de la même manière ? » Il s’agirait d’une véritable analyse de pratique, faire le lien entre la pratique, la recherche bibliographique et les recommandations. L’analyse de la pratique réflexive en groupe serait un élément majeur dans leur progression. Par ce bais, de retour à l’IFSI, en mêlant professionnel de terrain et cadre formateur, cela permettrait un renforcement dans le maillage entre ces deux unités distinctes.

OS & M : Depuis combien de temps avez-vous mis en place ces préparations et comment évaluez-vous leurs effets ?

Guillaume Decormeille : Cela fait un an et demi. Nous avons créé un questionnaire, renseigné en amont de la préparation de stage, et un autre, à renseigner à la fin du stage. Cela nous permet de savoir quels étudiants étaient en appréhension avant et comment cela a évolué. Il s’agit aussi d’évaluer la pertinence en continu de notre intervention ; en tant que professionnels de terrain, nous avons pu leur apporter de l’aide pour aborder une telle unité. Nous répondons aussi à de nombreuses questions ouvertes. S’ajoutent actuellement des données chiffrées qui sont en cours d’analyse et donneront lieu à une publication scientifique très prochainement. Nous analyserons l’ensemble des verbatim recensés afin de détecter les mots qui reviennent le plus souvent. C’est un gros travail, mais il est nécessaire pour évaluer les effets de notre action conjointe. Si nous parvenons à démontrer que l’étudiant est rassuré, cette préparation sera poursuivie et peut-être étendue. Cela engendrera une meilleure qualité au travail pour les professionnels de terrain et les étudiants. Pour l’instant, il semblerait que 98 % des étudiants aient fait remonter des avis très favorables.

Marie-Hélène Lopez : Il faut à tout prix que les étudiants sortent de leur stage avec le sentiment d’une efficacité personnelle. Passer à côté de son stage est décourageant, même si cela peut toujours arriver. L’idée est de faire évoluer leurs représentations à géométrie variable selon les personnes ; leur créer une boîte à outils et toujours professionnaliser en étant au plus près de la réalité de terrain. Pourquoi pas redonner l’espoir d’une fidélisation et un impact sur le recrutement possible à venir.

OS & M : Mais, après, il y a les tuteurs de stage, certains étudiants s’en plaignent…

Marie-Hélène Lopez : Il y a encore des choses à faire évoluer entre les établissements et les instituts de formation. Nous y travaillons. Une vraie passerelle entre l’IFSI et l’établissement serait bénéfique afin que les professionnels puissent passer de temps en temps de l’un à l’autre s’ils le souhaitent. Je viens d’être sélectionnée pour former des tuteurs de stage. Du coup, je pourrai les questionner en direct à propos de notre expérience.

OS & M : Les étudiants partent-ils avec des outils physiques qui les aideront au quotidien ?

Guillaume Decormeille : Nous aimerions avoir davantage de temps pour cette préparation, mais cela n’est pas possible pour l’instant. Pour les aider à la suite de cette préparation, nous avons créé une aide cognitive à garder dans leurs poches afin de pouvoir la consulter à tout moment. Celle-ci reprend des éléments très généralistes comme le réglage des alarmes, les médicaments le plus souvent utilisés ainsi que les médicaments d’urgence, les règles de dilution, une partie hémodynamique, les voies centrales avec les risques à la pose et au retrait, les différentes sources d’inconfort avec des pistes de réflexions, etc.

Marie-Hélène Lopez : L’alternance intégrative doit laisser la place au terrain, faire le lien dans un partage collaboratif et non juxtaposé. Décloisonner, professionnaliser, redonner du sens à notre travail de formateurs : tel est l’enjeu principal.

Marie-Hélène Lopez

Cadre de santé formatrice au Pôle régional d’enseignement et de formation des métiers de la santé (PREFMS) de Toulouse (Haute-Garonne

Guillaume Decormeille

infirmier en réanimation polyvalente au CHU de Toulouse-Rangueil (Haute-Garonne