Le novateur et méconnu atelier chantier d’insertion - Objectif Soins & Management n° 252 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 252 du 01/01/2017

 

Ressources humaines

Arnaud Gautier  

Un atelier chantier d’insertion a pour objectif d’assurer l’accueil, la formation et l’embauche de personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles. À travers la trajectoire professionnelle d’Élodie, voici un parcours mené en alternance qui la prépare au concours d’entrée en Institut de formation d’aide-soignant (Ifas).

C’est par un partenariat entre l’hôpital Bichat – Claude-Bernard (AP-HP) et une association d’accompagnement contre l’exclusion que l’aventure commence. Cet échange a permis l’ouverture d’un atelier chantier d’insertion en 2014. L’association intervient dans l’accompagnement de publics fragilisés vers l’insertion sociale et professionnelle. L’objectif du dispositif pédagogique présenté dans cet article est d’accompagner une personne dans un processus d’insertion professionnelle. Il permet de proposer à une stagiaire une formation théorique auprès de l’association et une immersion professionnelle à mi-temps dans un service de soins.

LA MISE EN PLACE

C’est dans ce contexte que l’équipe pluridisciplinaire du service de psychiatrie-addictologie de l’hôpital Bichat – Claude-Bernard accueille en stage Élodie. Il s’agit pour l’équipe soignante d’une situation unique. Le stage proposé dure un an et n’est donc pas comparable aux stages de cinq à dix semaines effectués habituellement par les étudiants infirmiers et les élèves aides-soignants. Nous nous interrogeons donc sur la complexité et la difficulté à mettre en œuvre un projet pédagogique sans avoir l’expérience de ce type d’action.

L’intégration

Malgré son statut de stagiaire, nous veillons à intégrer Élodie à part entière au sein de l’équipe soignante. En effet, elle peut s’investir sur des prises en charge globales, auprès de patients rencontrés à la fois en consultation, en hôpital de jour ou en hospitalisation complète. « J’étais impatiente et très curieuse de découvrir la mise en pratique du métier d’aide-soignant après les cours théoriques que nous avons eus à l’association », indique Élodie.

La posture de l’apprenant

Cette situation fait désormais écho aux propos de Jean Jouquan(1) et de Philippe Bail(2) : « L’adulte apprenant est fondamentalement une personne impliquée dans un processus de construction sociale et professionnelle, qui devient le moteur essentiel de ses apprentissages. »(3) D’ailleurs, nous considérons rétrospectivement que la richesse de l’accompagnement d’Élodie réside dans l’implication et dans la collaboration de tous les acteurs pour donner du sens à la démarche pédagogique. Les principaux acteurs sont le tuteur de stage, le maître de stage, la médiatrice en insertion professionnelle et Élodie, que nous considérons désormais comme l’acteur clé de ce dispositif.

L’ALTERNANCE ET LA COMPÉTENCE

L’alternance est le fondement de ce dispositif pédagogique. Élodie est en stage trois jours par semaine dans le service de psychiatrie-addictologie de l’hôpital Bichat – Claude-Bernard et bénéficie d’un apprentissage théorique de deux jours par semaine à l’association.

Que veut dire alternance ?

La loi du 12 juillet 1980(4) définit l’alternance comme « des formations qui associent, selon une progression méthodique et une pédagogie particulière, des enseignements généraux et méthodologiques (…) et des connaissances et savoir-faire acquis par l’exercice d’une activité sur les lieux de travail ». Néanmoins, pour que l’alternance soit intégrative, le travail de coordination nous semble dorénavant fondamental. Il permet que les deux sphères d’apprentissage s’adaptent à Élodie et s’enrichissent mutuellement dans le but qu’elle construise sa compétence.

Selon le tuteur d’Élodie, ce dispositif est considéré « gagnant-gagnant ». En effet, la médiatrice en insertion professionnelle nous paraît à présent incontournable pour assurer le lien entre les professionnels, Élodie et l’équipe pédagogique de l’association. Ainsi, nous considérons que son rôle consiste à relier les deux pôles d’activité en échangeant et en questionnant les différents acteurs pour donner du sens à l’apprentissage. La médiatrice a un rôle particulier, qu’elle définit ainsi : « À leur arrivée, les stagiaires ne connaissent pas le fonctionnement d’un service de soins. Je suis là pour les accompagner dans cette découverte professionnelle avant qu’elles s’engagent dans la formation à l’Ifas. »

Des rencontres régulières

D’ailleurs, ce stage est rythmé par six rencontres qui se font obligatoirement en présence de tous les acteurs cités. Ces temps permettent à Élodie de questionner les apports théoriques et d’apprécier des écarts avec le contexte professionnel. Les rencontres sont thématisées et deviennent progressivement plus spécifiques au métier d’aide-soignant. Chacune des rencontres est orientée par un objectif intermédiaire qui se rapporte surtout à la dimension praxéologique en situation de travail réel. D’ailleurs, pour Richard Wittorski(5), la compétence est « toujours compétence d’un individu ou d’un collectif en situation »(6). La dernière rencontre est intitulée “bilan des compétences”. Ainsi, au fur et à mesure du stage, nous observons qu’Élodie fait de plus en plus de liens entre ses savoirs pratiques et ses savoirs théoriques. En nous remémorant ces rencontres, nous remarquons que le rôle du tuteur de stage est considérable car il est l’interlocuteur privilégié pour accompagner l’apprentissage d’Élodie. Le tuteur de stage est un aide-soignant. Il apporte son expérience professionnelle et permet à sa stagiaire de mieux saisir le fonctionnement du service de soins. De plus, il a pour rôle de conseiller Élodie durant toute la durée du stage à travers un accompagnement pédagogique qui s’articule autour d’entretiens réguliers. L’objectif est de la guider dans l’auto-évaluation pour qu’elle identifie ses points forts et ses axes d’amélioration.

LE RÔLE DU CADRE DE SANTÉ

Pour le maître de stage, les échanges et temps d’évaluation « sont un enrichissement mutuel, à la fois pour Élodie, son tuteur et l’ensemble des professionnels de santé ». En conséquence, nous pensons qu’il est surtout un référent qui guide Élodie dans le processus de construction de sa compétence à travers le parcours singulier de celle-ci en favorisant sa réflexion. Pour illustrer ce propos, nous citons Philippe Perrenoud(7) qui souligne que « la dimension réflexive est au cœur de toutes les compétences professionnelles, elle est constitutive de leur fonctionnement et de leur développement »(8). Nous comprenons alors que la dimension réflexive et l’immersion professionnelle s’étayent l’une et l’autre afin qu’Élodie développe sa compétence dans le but qu’elle se sente en capacité de se présenter au concours d’aide-soignant. En tant que cadre de santé, nous assurons la fonction de maître de stage. De ce fait, nous veillons au bon déroulement et à l’organisation du stage.

LE MODÈLE SOCIO-CONSTRUCTIF

Ainsi, après concertation avec tous les acteurs au début du stage et à la fin de chaque rencontre, nous définissons les différentes activités d’Élodie. Après réflexion et suite aux échanges avec les différents acteurs, nous comprenons que la posture de cadre pédagogue ne se limite pas à l’organisation du dispositif. Selon nous, le dispositif que nous avons décrit illustre le modèle socio-constructiviste de l’apprentissage. Pour définir le socio-constructivisme, nous nous référons à Jean Jouquan(1) et Philippe Bail(2) : « La perspective socio-constructiviste postule (…) que les étudiants construisent graduellement leurs connaissances à partir de ce qu’ils savent déjà et que les contextes d’enseignement et d’apprentissage, au sein desquels les interactions sociales jouent un rôle essentiel, conditionnent la transférabilité des connaissances. »(3) Élodie semble apprendre à travers ses propres représentations qui se situent au cœur du processus. Par l’intermédiaire de cette immersion, son apprentissage se réalise dans un cadre social fondé sur la collaboration des différents acteurs. C’est à travers les échanges avec tous les acteurs qu’Élodie comprend le sens et l’objectif de son apprentissage nécessaires au processus de professionnalisation de celle-ci. De ce fait, nous comprenons mieux que les nouvelles connaissances d’Élodie sont en lien avec le contexte hospitalier et proviennent à la fois de ce qu’elle comprend du métier d’aide-soignant mais surtout des interactions avec les professionnels de santé. Ici, le cadre de santé pédagogue est comme un médiateur de savoirs qui facilite et articule les compétences de tous les acteurs à travers sa capacité réflexive. En effet, pouvons-nous former des professionnels de santé réflexifs si nous ne sommes pas nous-mêmes des cadres de santé réflexifs ?

À L’ÉCHELLE DE L’HÔPITAL BICHÂT – CLAUDE-BERNARD

À ce jour, 65 % des stagiaires en insertion ont obtenu le concours et 80 % sont en emploi. L’investissement des professionnels de l’hôpital (équipe des ressources humaines, cadres de santé et aides-soignants) contribue fortement à la réussite de cette action. Chaque année, le partenariat se renforce : de nouveaux services ouvrent leurs portes au projet et des formations professionnelles sont mises en place (hygiène, échanges autour des pratiques pour les futures aides-soignantes). Quatorze services partenaires où les stagiaires bénéficient d’un tutorat. Il existe plusieurs possibilités en cas de non-admission au concours d’entrée en Ifas. Certains salariés de l’association, aujourd’hui diplômés, font désormais partie des équipes soignantes de l’hôpital.

NOTES

(1) Professeur de médecine.

(2) Professeur de médecine.

(3) Jouquan, Jean. Bail, Philippe. “À quoi s’engage-t-on en basculant du paradigme d’enseignement vers le paradigme d’apprentissage ? » Pédagogie médicale, août 2003, n° 3, pp. 163-175.

(4) Loi n° 80-526, relative aux formations professionnelles alternées organisées en concertation avec les milieux professionnels.

(5) Professeur des universités en formation des adultes.

(6) Wittorski, Richard. “Le développement des compétences individuelles, partagées et collectives”. Soins Cadres, février 2002, n° 41, pp. 38-42.

(7) Docteur en sociologie et anthropologie.

(8) Perrenoud, Philippe. Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant : professionnalisation et raison pédagogique. ESF, 2010, 5e édition. 219 pages.

Les trois principaux acteurs

→ La médiatrice en insertion professionnelle

Elle est salariée de l’association. Elle apporte son expérience professionnelle et assure le lien entre le personnel hospitalier, les stagiaires et l’association.

→ Le tuteur de stage

Le tuteur de stage est un aide-soignant du service de psychiatrie-addictologie. Il a pour principale mission de conseiller, de guider et d’accompagner le stagiaire durant toute la durée de stage. Il est la personne ressource qui s’assure que le stagiaire n’éprouve pas de difficultés particulières au sein du service.

→  Le maître de stage

C’est le cadre de santé qui assure la fonction de maître de stage. Il veille au bon déroulement du stage et à l’organisation de celui-ci. C’est lui qui définit les différentes missions de la stagiaire après concertation avec les différents acteurs en début de stage et à la fin de chaque évaluation. Il travaille aussi en étroite collaboration avec les responsables de l’association.

Les six évaluations d’Élodie

Élodie a eu six évaluations espacées de six semaines. Elles se sont passées sur le lieu de stage en présence de la médiatrice, du cadre de santé et du tuteur aide-soignant.

• Évaluation 1 : s’intégrer au sein d’une équipe professionnelle / organisation du travail

• Évaluation 2 : hygiène des locaux hospitaliers

• Évaluation 3 : transmission des informations / relation-communication

• Évaluation 4 : ergonomie / accompagnement d’une personne dans les activités de la vie quotidienne

• Évaluation 5 : l’état clinique d’une personne / les soins

• Évaluation 6 : bilan des compétences acquises en situation professionnelle