Construire un programme de formation à l’éducation thérapeutique du patient - Objectif Soins & Management n° 252 du 01/01/2017 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 252 du 01/01/2017

 

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Patrice Deconstanza  

Face au constat d’absence de formation des professionnels en éducation thérapeutique dans un établissement public de santé mentale, une formation des praticiens en ETP a été mise en place. Elle s’appuie d’une part sur une méthodologie de l’ingénierie de formation et de l’autre sur un programme dispensé par le Centre de ressources et de formation en éducation du patient(1) (Cerfep).

Dans les années 2000, l’évolution de la politique de santé mentale orientée vers une diminution des lits d’hospitalisation nous a amenés à développer des alternatives à l’hospitalisation pour les patients présentant des psychoses chroniques stabilisées dans la perspective du maintien de l’autonomie. Notre prise en charge s’est peu à peu modifiée et il est apparu nécessaire de mettre en place des outils adaptés.

C’est en 2000 donc que les premiers infirmiers à l’Établissement public de santé mentale de l’agglomération lilloise (EPSMAL) participent au séminaire de réhabilitation psychiatrique(2) organisé par le Dr Guy Deleu et commencent à se former aux modules de Liberman… Concrètement, il s’agissait de repérer les compétences acquises ou à acquérir de nos patients en termes d’autonomie.

GÉNÈSE DU PROJET

En 2007, la Haute Autorité de santé précise que l’éducation thérapeutique du patient (ETP) fait partie intégrante et de façon permanente de la prise en charge du patient. Un bilan de l’existant au sein de l’EPSMAL est réalisé. Chaque service fonctionne de façon indépendante et développe ses propres pratiques. Un groupe de travail se met en place à la demande de la coordonnatrice des soins. Il a pour but de développer de manière plus cohérente et coordonnée ces nouvelles pratiques. Deux colloques sont organisés. Les conclusions émises sont les suivantes : il est nécessaire de mettre en commun l’existant avec un projet thérapeutique global, de diffuser et de développer les programmes dans tous les services, de former les équipes et de réévaluer les méthodes.…

En 2010, le développement de l’ETP dans l’établissement marque le pas. La direction des soins et de la qualité s’inclut dans un groupe de travail pour répondre aux exigences du guide de certification(3) (critère 23a).

DÉVELOPPEMENT DE L’ETP

La formation initiale en ETP des professionnels de santé est limitée aux seules infirmières, et dans une moindre mesure aux masseurs-kinésithérapeutes. Ni les médecins, ni les pharmaciens n’abordent cette thématique au cours de leurs études, ce qui s’avère extrêmement préjudiciable au développement de l’ETP. Les professionnels de santé, ne connaissant ni les concepts de l’ETP, ni l’offre disponible, sont peu enclins à inciter les patients à s’inscrire dans cette démarche. Le rapport Jacquat prône une formation complémentaire de tous les professionnels, y compris en dehors de la sphère santé (psychologues, diététiciens…), désirant concevoir et/ou participer à l’animation des programmes d’ETP(4).

Un programme pour les agents

Un programme de formation pour les agents de l’EPSMAL est élaboré en collaboration avec la coordinatrice de l’unité transversale en éducation du patient (Utep) d’un centre hospitalier régional universitaire proche. Le programme de formation certifiante dispensé par le Cerfep constitue la référence en ce qui concerne les aspects suivants : développement des attitudes appropriées dans la relation avec le patient, utilisation d’un langage commun, place donnée à la pédagogie, mise en place de travaux intersessions et intégration de l’ETP dans sa pratique clinique(5).

Un contenu spécifique aux pathologies chroniques en psychiatrie sous la forme d’un apport sur les troubles cognitifs liés aux pathologies psychiatriques chroniques est ajouté. De même, l’entretien motivationnel est abordé.

Le concepteur de ce programme s’est basé sur une formation de formateurs en ETP. Elle a eu lieu pendant treize jours en 2012. Elle a concerné un groupe d’une dizaine de soignants infirmiers et cadres de santé de la région Haut-de-France déjà praticiens en ETP. L’objectif est d’élaborer la maquette d’un programme qui sera validée par les formateurs. Celle-ci se base sur les conclusions des deux colloques en 2008-2009 qui prônent la nécessité d’harmoniser les pratiques de psychoéducation au sein de l’établissement. Sont intégrés des éléments qui ont été abordés lors d’un diplôme universitaire en éducation du patient(6). Il s’agit de nouvelles dimensions du soin utiles dans la prise en charge des maladies chroniques.

On y trouve les apports de la pédagogie des adultes, les dimensions sociales et anthropologiques de l’expérience de la maladie qui permettent d’envisager de nouvelles façons de mobiliser ses compétences. Les dimensions psychologiques, notamment avec les travaux de Anne Lacroix(7) sur la prise en considération des représentations, de la réalité psychique du patient et d’une réflexion sur l’utilisation des travaux de Porter et de Rogers(7) resituent un type de relation, de communication centrée sur les préoccupations du patient. La conception du programme destinée aux soignants de notre établissement va intégrer ce nouveau paradigme.

Une formation qui vise les “savoirs” expérentiels

Cette formation ne tend pas à la transmission de nouvelles connaissances théoriques, biomédicales. Elle privilégie les savoirs du “dedans”, plus proches de la connaissance, aux savoirs du “dehors”, plus proches de l’information(8). Elle reprend les principes de la formation proposée par l’Organisation mondiale de la santé(9) dès 1998. Ceux qui apprennent doivent progressivement devenir les architectes de leur propre éducation. Elle doit comporter une formation en équipe avec une coopération multiprofessionnelle, une approche dirigée vers la résolution de problèmes et une participation active du patient dans la gestion de sa maladie chronique. Elle est conçue pour leur enseigner les méthodes (pédagogiques, psychologiques, sociales) de l’éducation thérapeutique, en vue d’une application dans leur activité quotidienne. Elle doit aussi aborder les aspects biomédicaux des maladies et de leur traitement(9).

Acquérir des compétences

L’acquisition des compétences nécessaires pour dispenser l’éducation thérapeutique du patient requiert une formation d’une durée minimale de quarante heures d’enseignements théoriques et pratiques, pouvant être sanctionnée notamment par un certificat ou un diplôme. Le texte définit quatre compétences génériques : techniques, relationnelles et pédagogiques, socio-organisationnelles(10).

La conception des séquences pédagogiques va s’appuyer sur le choix du principe d’homologie entre la formation en ETP du soignant et l’éducation du patient. L’implication des stagiaires est recherchée. En effet, l’éducation du patient va se construire à partir des représentations du patient de sa maladie, de son propre vécu et de ses propres normes qu’il a construites au décours de sa maladie chronique. Elle va donc intégrer, renforcer le domaine du savoir expérientiel autour de l’accompagnement centré sur la prise en compte du sujet singulier.

LA POPULATION CIBLÉE POUR CETTE FORMATION

La pluri-professionnalité des groupes est nécessaire. Les différents métiers du soin sont concernés.

D’abord, le champ médical avec les psychiatres, les assistants généralistes, puis le champ paramédical (aides-soignants, infirmiers, cadres de santé), le champ social (éducateurs, assistants sociaux éducatifs, ainsi que les professions “transversales” comme les pharmaciens, les psychologues et les diététiciennes) afin de permettre le déploiement de l’ETP au décours de la formation pour chaque service de soins. Le nombre de participants par session est limité de douze à quinze personnes. La composition du groupe comprendra si possible au moins un médecin, un cadre de santé, deux infirmiers par secteur. Un psychologue et une diététicienne pourront joindre le groupe.

LES OBJECTIFS

Les compétences visées sont déclinées en objectifs pédagogiques, les contenus, les méthodes, les modalités d’évaluation. Cela permet d’établir le scénario pédagogique. À la suite de la formation, les soignants seront capables :

• d’évaluer les besoins éducatifs du patient grâce au diagnostic éducatif ;

• de construire un modèle de contrat d’éducation orienté sur les individus ;

• de sélectionner et appliquer une méthode d’apprentissage (incluant les problèmes de l’apprenant) ;

• d’utiliser une série de méthodes et d’outils d’éducation, d’évaluer périodiquement les progrès du patient.

Objectifs pédagogiques (cf. tableau ci-dessous)

Le dispositif pédagogique consiste en trois séquences de deux jours. Chacune de ces séquences est séparée par un mois au cours duquel est demandé un travail intersession “d’intégration” du concept clé de chaque séquence. Une demi-journée est consacrée à la mise en situation des compétences.

La construction du scénario pédagogique s’appuie sur le principe de l’homologie. Il permet au soignant de comprendre comment mettre le patient en situation d’apprentissage en s’appuyant notamment sur le fait d’avoir lui-même été acteur, d’avoir reçu une formation qui prend en considération ses propres représentations de la maladie chronique.

Principes pédagogiques (cf. tableau de la page ci-contre)

Phases d’implantation

• Première session : généralités sur l’ETP et le bilan éducatif partagé. Identifier les besoins du patient, notamment d’apprentissage, y compris des attentes non verbalisées ; communiquer et développer des relations avec le patient afin de le soutenir dans l’expression de ses besoins de santé.

• Deuxième session : concevoir des actions thérapeutiques ; acquérir et développer une posture éducative, notamment pour négocier des objectifs éducatifs partagés avec le patient ; utiliser les outils pédagogiques adaptés et gérer l’information et des documents nécessaires au suivi de la maladie.

• Troisième session : réaliser une évaluation des compétences acquises, ainsi que du déroulement du programme.

Phases d’évaluation

L’évaluation de la formation se réalise à trois niveaux.

Au niveau des professionnels de santé

• À court terme : degré de motivation des apprenants en cours de formation. Les critères définis vont permettre d’observer si les objectifs sont atteints. En fin de formation, une fiche d’évaluation “à chaud” sera transmise au commanditaire, c’est-à-dire à la direction des ressources humaines et de la direction des soins, commanditaires de la formation.

• À moyen terme : mise en place de l’ETP au sein de l’établissement.

Auprès des patients

Après mise en place du programme : amélioration de la santé (indicateurs biomédicaux et des indicateurs éducatifs), de l’adhésion au traitement, meilleure connaissance de la maladie ; amélioration de l’autonomie et de la qualité de vie.

Au niveau institutionnel

Valorisation de l’image de l’institution au niveau des patients, avec notamment l’amélioration des comportements et des modes de vie grâce à la mise en œuvre d’une démarche qualité de l’ETP et à la présence au sein de l’établissement d’un groupe de professionnels autorisés à mettre en œuvre des programmes d’ETP.

CRITÈRES D’ÉVALUATION (cf. tableau de la page suivante)

La mise en place de ce nouveau programme qui a débouché sur une nouvelle pratique de soin dans l’établissement ne s’est pas déroulée sans l’apparition de phénomènes de résistances.

Nous avions rapidement constaté que certains services ne semblaient pas intéressés, avec comme arguments « cela va conduire à formater les patients », « on ne peut pas avoir des groupes de patients “homogènes” », « cela va prendre du temps à l’infirmière ». Dans d’autres services, les mouvements de personnels ont eu pour conséquence le départ de certains soignants très motivés. La présence ou non d’au moins un cadre de santé, d’un médecin, de deux infirmiers formés est déterminante pour le développement d’un programme dans le secteur. Afin de connaître l’impact de cette pratique sur les soignants éducateurs, une étudiante en ingénierie de la santé a été mandatée. Un questionnaire a été proposé à toutes les personnes formées et des entretiens ciblés ont complété cette étude.

Le constat est que « 90 % des professionnels interrogés disent que la formation à l’ETP a créé un sentiment d’appartenance à un groupe porteur de nouvelles pratiques, et plus de trois quarts des répondants constatent un changement dans leurs pratiques professionnelles, y compris hors de l’éducation thérapeutique. Une infirmière raconte par exemple :” Dans notre façon de pratiquer, de travailler, on s’est remis en question, notre travail est beaucoup plus riche et beaucoup plus plaisant. On ne va plus se bagarrer et s’imposer. On n’est pas des experts, on fait selon les besoins et les attentes du patient, on trouve d’autres solutions.” »(11)

Néanmoins, il apparaît qu’un travail autour de l’amélioration de la communication à destination des collègues non formés et du corps médical soit indispensable pour assurer la pérennité de cette démarche dans le temps.

CONCLUSION

Construire ce programme de formation a nécessité de s’adapter au cahier des charges défini par l’Agence régionale de santé. Deux spécificités ont été introduites pour l’adapter à un public exerçant en santé mentale : d’une part, un apport sur l’aspect motivationnel et, de l’autre, sur les troubles cognitifs liés aux pathologies psychiatriques chroniques. Le pari de l’éducation thérapeutique est de développer un nouveau savoir-faire grâce à l’apport de la pédagogie de l’apprentissage des adultes.

Il va contribuer à ce que les séances s’adaptent aux besoins du patient à partir des objectifs clairement identifiés. Le langage commun acquis lors de la formation a pour finalité d’harmoniser les pratiques en ce domaine quel que soit le professionnel. Enfin, l’éducation du patient ne doit pas avoir d’autres objectifs que les compétences visées et acceptées par le patient. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle contribuera à aider le patient à gérer au mieux sa vie avec sa maladie. Aujourd’hui, plus de soixante personnes sont formées dans l’établissement. La mise en pratique de l’ETP est assez variable selon les secteurs en fonction des prescriptions médicales, du nombre de soignants formés et de l’implication du référent ETP. Même si l’on constate une amélioration dans la relation entre professionnels formés qui pratiquent régulièrement, un travail de communication institutionnel et une amélioration des outils de traçabilité sont encore à réaliser.

NOTES

(1) Le Centre de ressources et de formation à l’éducation du patient (Cerfep) est une structure mise en place au sein de la Carsat Nord Picardie, spécialisée en éducation thérapeutique du patient, en art-thérapie et gérontologie.

(2) www.espace-socrate.com.

(3) Haute Autorité de santé. Manuel de certification des établissements de santé, V2010, juin 2009, à consulter via le lien raccourci bit.ly/2j4iu0k.

(4) Rapport au Premier ministre. “Éducation thérapeutique du patient : propositions pour une mise en œuvre rapide et pérenne”, rédigé par Denis Jacquat, juin 2010 à consulter via le lien raccourci bit.ly/2hQdtY8.

(5) Formation de niveau I (42 heures) en éducation thérapeutique du patient : “Concevoir un programme éducatif adapté au contexte de vie du patient”, Cerfep, 2013.

(6) Centre de ressources et de formation à l’éducation du patient.

(7) Anne Lacroix. “Quels fondements théoriques pour l’éducation thérapeutique ?” Santé publique, 2007, volume 19, n° 4, pp.271-281.

(8) Christophe Niewiadomski. “Place des savoirs théoriques, expérientiels et existentiels dans la formation des professionnels de santé”. Perspective soignante n° 14-15, septembre-décembre 2002.

(9) Organisation mondiale de la santé. “Programmes de formation continue pour professionnels de soins dans le domaine de la prévention des maladies chroniques”, à consulter via le lien raccourci bit.ly/2hQ9TgR.

(10) HAS-INPES, 2007 ; décret n° 2013-449 du 31 mai 2013 et arrêté du 31 mai 2013, arrêté du 14 janvier 2015 modifiant l’arrêté du 2 août 2010 relatif aux compétences requises pour dispenser ou coordonner l’éducation thérapeutique.

(11) Manon Laroze, étudiante master faculté d’ingénierie et management de la santé, mémoire master. “Impact de l’ETP sur les pratiques soignantes”, 2016.

POUR EN SAVOIR PLUS

• Arrêté du 31 mai 2013 modifiant l’arrêté du 2 août 2010 relatif aux compétences requises pour dispenser l’éducation thérapeutique du patient • Décret n° 2013-449 du 31 mai 2013 relatif aux compétences requises pour dispenser ou coordonner l’éducation thérapeutique du patient • Arrêté du 14 janvier 2015 modifiant l’arrêté du 2 août 2010 relatif aux compétences requises pour dispenser ou coordonner l’éducation thérapeutique.