Le projet médical partagé du GHT - Objectif Soins & Management n° 246 du 01/05/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 246 du 01/05/2016

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé introduit une nouvelle volonté de coopération entre les établissements de santé, et notamment publics, avec la création des groupements hospitaliers de territoire (GHT).

Tout établissement public de santé doit d’ici au 1er juillet 2016 appartenir à un groupement hospitalier de territoire, dont la liste sera arrêtée par le directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) à cette même date, sauf dérogation éventuelle accordée par celui-ci. Ces groupes publics ont vocation à renforcer l’action des hôpitaux publics et à garantir une qualité des soins à tous les niveaux du territoire de son ressort.

LE PROJET MÉDICAL PARTAGÉ

La clef de voûte du groupement hospitalier de territoire, c’est le projet médical partagé (PMP) sur lequel la convention constitutive du groupement doit être élaborée, au-delà de la mutualisation d’un certain nombre de fonctions support.

Pas de groupement hospitalier de territoire sans projet médical partagé !

Le décret n° 2016-524 du 27 avril 2016 relatif aux groupements hospitaliers de territoire, tant attendu et ayant fait l’objet de nombreuses discussions et concertations, publié au Journal officiel le 29 avril dernier, précise notamment cette notion de projet médical partagé. Mais n’arrive-t-il pas un peu tard quand on sait que les conventions constitutives des groupements hospitaliers de territoire doivent avoir été élaborées et soumises aux différentes instances des établissements publics de santé avant le 1er juillet 2016 ? Le projet médical partagé de la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016, un élément partie intégrante de la convention constitutive du groupement hospitalier de territoire dont il est même un préalable. Dans chaque groupement hospitalier de territoire, les établissements membres élaborent un projet médical partagé « garantissant une offre de proximité ainsi que l’accès à une offre de référence et de recours ». Ce projet médical partagé doit également contenir les modalités d’association du CHU, faisant par ailleurs l’objet d’une convention entre l’établissement support du groupement hospitalier de territoire et le CHU.

Fonctionnement

Le projet médical partagé fait partie des cinq grands domaines que doit définir la convention constitutive du groupement hospitalier de territoire, qui est transmise pour approbation au directeur général de l’ARS compétente afin de vérifier la conformité avec le projet régional de santé. Ce projet médical partagé doit lui être transmis avant même la conclusion de la convention constitutive du groupement. Pour mémoire, les quatre autres domaines sont les délégations éventuelles d’activité concernant les fonctions support, les transferts éventuels d’activités de soins ou d’équipements matériels lourds, l’organisation des activités et la répartition des emplois médicaux et pharmaceutiques résultant du projet médical partagé, ainsi que les modalités de constitution des équipes médicales communes et, le cas échéant, des pôles inter-établissements, les modalités d’organisation et de fonctionnement du groupement (désignation de l’établissement support, composition du comité stratégique, modalités d’articulation entre les commissions médicales d’établissement pour l’élaboration du projet médical partagé et le cas échéant la mise en place d’instances communes, le rôle du comité territorial des élus locaux).

→ L’établissement support du groupement hospitalier de territoire peut gérer pour le compte des établissements parties au groupement des équipes médicales communes, la mise en place de pôles inter-établissements tels que définis dans la convention constitutive du groupement ainsi que des activités administratives, logistiques, techniques et médico-techniques.

→ Les établissements parties au groupement hospitalier de territoire organisent en commun les activités d’imagerie diagnostique et interventionnelle, le cas échéant au sein d’un pôle inter-établissement. Ils organisent en commun, dans les mêmes conditions, les activités de biologie médicale.

→ Les centres hospitaliers universitaires coordonnent, au bénéfice des établissements parties aux groupements hospitaliers de territoire auxquels ils sont associés : « 1° Les missions d’enseignement de formation initiale des professionnels médicaux ; 2° Les missions de recherche ; 3° Les missions de gestion de la démographie médicale ; 4° Les missions de référence et de recours. »

→ La certification est même conjointe pour les établissements publics de santé parties à un même groupement.

→ Enfin, la loi précise que ce n’est qu’après avoir reçu les projets médicaux partagés des établissements souhaitant se regrouper au sein d’un groupement hospitalier de territoire que les directeurs généraux des ARS arrêtent le 1er juillet 2016, dans le respect du schéma régional de santé, la liste de ces groupements dans la ou les régions concernées et des établissements publics de santé susceptibles de les composer. La publication de cette liste entraîne la création du comité territorial des élus locaux de chaque groupement hospitalier de territoire. Il est composé des représentants des élus des collectivités territoriales aux conseils de surveillance des établissements parties au groupement. Le projet médical partagé est donc le socle de base du groupement hospitalier de territoire. Pas de groupement hospitalier de territoire sans projet médical partagé, ce dernier étant même plus important que la convention constitutive du groupement hospitalier de territoire puisque c’est lui que l’ARS in fine approuve sur le fond, la convention n’étant que l’outil juridique support. Mais alors comment concilier cette exigence sur le projet médical partagé, que chacun s’accorde à reconnaître, et le délai intenable de deux mois d’ici le 1er juillet 2016 pour avoir tous les projets médicaux partagés de tous les futurs groupements hospitaliers de territoire ? Réponse dans le décret du 26 avril dernier qui vient au secours du projet médical partagé.

UN PMP DÉFINI PAR LE DÉCRET DU 27 AVRIL ET UN CALENDRIER DESSERRÉ : IL ÉTAIT TEMPS !

Le décret rappelle que la convention constitutive du groupement hospitalier de territoire, conclue pour une durée de dix ans (à l’exception du projet médical partagé, cinq ans au maximum), comprend deux volets : celui relatif au projet médical partagé ; celui relatif aux modalités d’organisation et de fonctionnement du groupement hospitalier de territoire.

Projet médical partagé, que précise le décret ?

Ce projet médical partagé, qui définit la stratégie médicale du groupement hospitalier de territoire, comprend :

→ les objectifs médicaux ;

→ les objectifs d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins ;

→ l’organisation par filière d’une offre de soins graduée ; autrement la répartition des activités entre les différents sites du groupement hospitalier de territoire ;

→ les principes d’organisation au sein de chaque filière des activités déclinées par établissement, réalisées éventuellement par télémédecine : permanence et continuité des soins, consultations externes et avancées, activités d’hospitalisation (ambulatoires et complètes), plateaux techniques, urgences et soins non programmés, réponses aux situations sanitaires exceptionnelles, hospitalisations à domicile, prises en charge médico-sociales ;

→ les projets de biologie médicale, d’imagerie médicale, y compris interventionnelle, et de pharmacie ;

→ les conditions de mise en œuvre de l’association du centre hospitalier et universitaire ;

→ le cas échéant par voie d’avenant à la convention constitutive, la répartition des emplois des professions médicales et pharmaceutiques découlant de l’organisation des activités ;

→ les principes d’organisation territoriale des équipes médicales communes ;

→ les modalités de suivi de sa mise en œuvre et de son évaluation.

Le décret précise que les équipes médicales concernées par chaque filière que le projet médical partagé mentionne participent à la rédaction de celui-ci, qui est soumis pour avis au collège ou à la commission médicale de groupement, qui est informé chaque année par son président du bilan de sa mise en œuvre. La mise en œuvre du projet médical partagé s’appuie, le cas échéant, sur les communautés psychiatriques de territoire afin d’associer les établissements publics de santé autorisés en psychiatrie qui ne sont pas parties au groupement. Sachant que les projets médicaux des établissements parties au groupement hospitalier de territoire doivent être conformes au projet médical partagé du groupement hospitalier de territoire. Le projet médical partagé s’accompagne d’un projet de soins partagé s’inscrivant dans une stratégie globale de prise en charge. Les équipes soignantes concernées par chaque filière participent à sa rédaction.

Mise en œuvre

Pour la mise en œuvre du projet médical partagé, la convention constitutive du groupement hospitalier de territoire prévoit la mise en place d’un collège médical ou d’une commission médicale de groupement, conformément à l’option retenue dans leur avis par la majorité des commissions médicales d’établissement des établissements parties au groupement. Par ailleurs, les établissements parties à un groupement hospitalier de territoire peuvent créer des pôles inter-établissements d’activité clinique ou médico-technique. Le chef de pôle inter-établissement est nommé parmi les praticiens exerçant dans l’un des établissements parties au groupement, par le directeur de l’établissement support sur proposition du président du collège médical ou de la commission médicale de groupement, ainsi que du directeur de l’unité de formation et de recherche de médecine. Il a autorité fonctionnelle sur les équipes médicales, soignantes, administratives et d’encadrement du pôle inter-établissement. Il organise le fonctionnement du pôle et l’affectation des ressources humaines en fonction des nécessités et des lieux de réalisation de l’activité et compte tenu des objectifs prévisionnels du pôle, de la déontologie de chaque praticien et des missions et responsabilités des services, des unités fonctionnelles, des départements ou des autres structures prévues par le projet de pôle.

Le projet médical partagé est élaboré en trois étapes :

→ pour le 1er juillet 2016, uniquement les objectifs médicaux ;

→ pour le 1er janvier 2017, les objectifs et l’organisation par filière ;

→ et pour le 1er juillet 2017, tous les éléments du projet médical partagé mentionnés précédemment.

CONCLUSION

Finalement, les établissements de santé publics futurs membres d’un groupement hospitalier de territoire disposent de plus d’un an pour élaborer conjointement leur projet médical partagé, ou plutôt les équipes médicales disposent de plus d’un an. Pour autant, ce n’est pas ce projet médical partagé qui définira le contour territorial des groupements hospitaliers de territoire, contrairement à la volonté inscrite dans la loi. C’est bien sur la base des coopérations existantes et des orientations de l’ARS que les groupements hospitaliers de territoire vont être constitués, le temps n’étant plus à la concertation et au diagnostic, mais bien au respect des échéances juridiques, le passage aux instances. La logique aurait voulu que les groupements hospitaliers de territoire ne soient arrêtés qu’en même temps que les projets médicaux partagés, c’est-à-dire au 1er juillet 2017 ; mais la date du 1er juillet 2016 est inscrite dans la loi, impossible d’y déroger.

Faire un projet médical partagé, cela ne se décrète pas ni ne se définit par la loi. La première étape consiste à mettre “autour de la table” des médecins qui souvent ne se connaissent pas. La seconde étape est le diagnostic territorial : la fameuse matrice force/ faiblesse/opportunités/menaces par rapport aux équipes médicales présentes, aux parts de marché, à l’accès aux soins… Cela nécessite plusieurs mois. Ce n’est qu’à partir de ce diagnostic partagé que les objectifs peuvent être envisagés, puis déclinés en plans d’actions et enfin mis en œuvre. Autrement dit, un projet médical partagé, c’est avant tout un diagnostic partagé, puis des objectifs communs et enfin une organisation conjointe. Et effectivement une année n’est pas de trop, si on compare aux établissements qui se sont déjà lancés dans cette démarche, préfigurant ainsi les futurs projets médicaux partagés des futurs groupements hospitaliers de territoire.

Finalement, le décret du 27 avril essaie de faire converger l’approche juridique des groupements hospitaliers de territoire, très rigide, avec l’approche opérationnelle des projets médicaux partagés, la vraie vie médicale des établissements publics de santé. Espérons que ce desserrement de la contrainte permettra d’éviter le fiasco des 46 ans passés de coopération hospitalière.

Trois questions à

Paule Bourret, cadre de santé sociologue IFCS du CHU de Montpellier (Hérault)

→ Objectif Soins & Management : Vous avez publié, il y a dix ans, Les Cadres de santé à l’hôpital. Un travail de lien invisible*. La fonction de cadre est-elle toujours invisible ?

Paule Bourret : Le travail de lien est encore plus indispensable et délicat qu’avant, au regard des notions de productivité et de normalisation qui dominent les structures. Le malaise à l’hôpital perdure et le silence des cadres est préoccupant. Penser que travailler consiste à l’application stricte des procédures, c’est faire semblant de croire que la performance peut s’atteindre sans une adaptation intelligente aux situations et aux malades.

→ OSM : Quelles évolutions notez-vous ?

Paule Bourret : On ne manage pas aujourd’hui comme on manageait il y a vingt ans.

Les organisations se sont complexifiées, et sont parfois “hors sol”. Les organisateurs imposent des protocoles dont certains sont déconnectés de la réalité du terrain. Dans les organigrammes matriciels, des cadres se trouvent en position transversale, dans des fonctions supports, tandis que d’autres gèrent des secteurs de proximité de plus en plus étendus. Cela relève d’une certaine logique, mais réaliser un travail de lien devient malaisé, d’autant plus si les outils de pilotage privilégient la productivité et les économies à très court terme. Comment faire ce travail d’articulation si l’on perd de vue les finalités des soins et si les options imposées semblent à moyen terme contre-productives, y compris au niveau économique 

→ OSM : Le regard de l’institution a-t-il changé ?

Paule Bourret : Beaucoup de directions ont conscience que le travail du cadre est essentiel et difficile et elles réfléchissent à la manière de les accompagner. C’est une avancée positive. Mais l’intention est-elle d’organiser le travail des cadres ou de repenser la politique managériale ? L’enjeu aujourd’hui est de définir la stratégie de conduite du changement. Si la politique est de réformer en prenant en compte le travail réel, cela suppose de donner des marges de manœuvre aux cadres de proximité, de les équiper pour établir les diagnostics de situation et pour agir, sans devoir systématiquement recourir au “central”. Les compétences sont une affaire de contexte. Faire du travail de lien, c’est relier des mondes, des hommes, des équipes, et pas seulement relayer des directives.

* Paru en 2006 aux Éditions Seli Arslan.

Témoignage

Sébastien Ripoche, cadre supérieur du département médecine d’urgence au CHU d’Angers (Maine-et-Loire)

« Le cadre supérieur a un rôle d’accompagnement managérial des cadres de santé, dans la pluralité de leurs parcours mais aussi des objectifs visés au sein des services pour lesquels ils exercent. Mon rôle est d’opérer cette conjonction afin de rendre favorable l’incarnation attendue de la fonction cadre. Le projet et la méthode sont deux éléments partagés et supports de cet accompagnement.

L’analyse des besoins en formation, des besoins in situ, en temps d’échanges et de mise en relief est essentielle. Dans des organisations où la complexité est réelle et dans un prisme de gestion souvent rapide, l’un des challenges du cadre de santé est de comprendre son environnement de travail. La finesse de cette compréhension lui permet de se positionner et de légitimer une action responsable. L’attitude managériale reste, encore trop souvent, positiviste. Sans tomber dans l’attentisme, la résolution systématisée et rapide des problèmes rencontrés ne doit pas prendre le pas sur l’analyse systémique des situations. Le bagage universitaire associé à la formation, l’expertise managériale et clinique développée sont des éléments essentiels à une nécessaire prise de recul, préalable à l’action.

La cartographie partagée qu’est le projet d’établissement, la ligne managériale lisible et assumée par sa hiérarchie, la boussole que le cadre de santé constitue autour de ses compétences et de ses savoirs sont autant d’outils indispensables à l’incontournable sens qu’il souhaite donner à son action. »