La délicate prise en charge des victimes d’attentats - Objectif Soins & Management n° 246 du 01/05/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 246 du 01/05/2016

 

Promotion de la santé

Dr Philippe Vasseur  

Les attentats du 13 novembre 2015 ont frappé les corps comme les esprits. L’utilisation d’armes de guerre, simultanément sur plusieurs sites, est inédite en France. Les lésions observées chez les victimes d’attentats sont multiples. Des lésions physiques et/ou psychiques qui varient selon le type de traumatisme.

L’utilisation d’explosifs et de fusils d’assaut, de type Kalachnikov (AK-47…), armes très destructrices, entraînent des blessures physiques très graves et de profonds traumatismes psychiques. Les Kalachnikov tirent des balles de 7,62 mm à grand pouvoir de pénétration à l’origine d’importanteslésions. Le grand nombre de coups à répétitions (600 coups par minute), la vélocité des balles (2 000 km par heure), leur fragmentation et l’espace confiné dans lequel ces actes se sont produits expliquent la gravité des blessures. Les charges explosives ont été associées à des boulons pour augmenter le nombre des victimes.

PRISE EN CHARGE DES VICTIMES SUR SITE

Plan blanc

Les plans blancs sont réunis depuis 2014 au sein du dispositif Orsan, organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles. Celui-ci est arrêté par le directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) après avis des préfets de département, des comités départementaux de l’aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires (Codamups-TS) concernés et de l’ARS.

Qui déclenche le plan blanc ?

Le plan blanc peut être déclenchépar le directeur ou le responsable de l’établissement de santé. L’ARS veille à la cohérence des plans blancs d’établissement. L’AP-HP a mis en alerte ses hôpitaux pour faire face à l’accueil massif des victimes, au niveau de ses services d’urgences et d’hospitalisation (personnel et matériel). Le personnel s’est d’ailleurs souvent rendu sur place sans même attendre d’être réquisitionné.

Prise en charge

La prise en charge des victimes sur le terrain repose essentiellement sur le triage des blessées et l’évacuation rapide des blessés les plus graves par le amu et les pompiers. Il faut identifier les victimes qui présentent des signes fonctionnels de détresse vitale, avec des signes d’insuffisance cardio-respiratoire et des lésions graves d’emblée : amputations, traumatismes pénétrants par balle ou criblage, brûlures graves, et celles dont on suppose qu’elles présentent un risque évolutif.

Il faut stabiliser ces urgences sur place avant de les transférer :

• en cas de choc hémorragique, il faut essayer de stopper l’hémorragie (pose d’un garrot efficace) et faire un remplissage vasculaire après mise en place d’une voie d’abord ;

• en cas d’insuffisance respiratoire, il faut drainer un éventuel épanchement, oxygéner, intuber et ventiler ;

• urgences non absolues : les blessés qui ne sont pas en urgence absolue sont évacués plus tard vers les hôpitaux.

Les lésions physiques observées

Le traumatisme par explosion

L’explosion entraîne une onde de choc, de chaleur et de projection de corps étranger à l’origine des différents types de lésions rencontrées. L’explosion génère une augmentation brutale de la pression ambiante (l’onde de choc) à l’origine de lésions de blast(1). On distingue quatre types de blast.

Le blast primaire

Le blast pénètre dans les organes creux et pleins.

• Pour les organes creux : le poumon est particulièrement exposé, avec la présence de sang dans les alvéoles et des fuites d’air à l’origine de pneumothorax et de pneumomédiastin… L’intestin également, avec des hématomes de paroi et des perforations… L’oreille représente aussi une forte exposition, avec le risque d’hémotympan et de perforation tympanique…

• Pour les organes pleins : le cerveau est très exposé, avec des hématomes sous-duraux, extraduraux, des hémorragies intracérébrales, des lésions axonales diffuses… Le cœur aussi, avec hémopéricarde et tamponnade… Sans oublier le foie et la rate, qui subissent plus rarement des perforations. Ou encore l’œil, avec des luxations du cristallin… et le squelette, avec les amputations métaphyso-diaphysaires…

Le blast secondaire

Il désigne les lésions par projectiles, plaies pénétrantes par criblage de boulons. La pénétration s’effectue dans tous les tissus mous, dans les organes avec risque infectieux et hémorragique, amputation, brûlure, etc. Ces lésions sont très fréquemment multiples.

Le blast tertiaire

La victime est projetée par le souffle de l’explosion. Plus la victime est proche de la bombe et plus elle est exposée. Ce sont les traumatismes fermés.

Le blast quaternaire

Il provoque des brûlures corporelles de tous degrés. Plus la victime est proche de l’explosion et plus il y a de lésions. Près de l’épicentre, on retrouve des victimes amputées, brûlées, blastées, projetées, criblées et, pour les victimes les plus éloignées, des lésions criblées. L’effet blast est plus important en milieu fermé (comme au Bataclan) qu’en milieu ouvert (comme au Stade de France) où l’effet criblage est plus important, à condition de ne pas être près de l’épicentre.

Le traumatisme balistique

Les facteurs tissulaires, la densité et l’élasticité des tissus jouent un rôle important dans le type de blessures. L’os, qui est à haut transfert d’énergie, entraîne souvent des fracas complexes. Les organes à haute teneur en eau, tels les reins, le cœur et le cerveau, entraînent des lésions à type d’éclatement et de broiement. Le poumon, l’estomac, la vessie qui sont des organes à haute teneur en air résistent mieux aux balles en l’absence de fragmentation du projectile, ce qui n’est pas le cas des balles utilisées par les assaillants du 13 novembre 2015. La sophistication de ces armes pour tuer va provoquer :

• des lésions multiples chez une même victime, touchant à la fois le squelette et les organes ;

• des plaies multiples très délabrantes pouvant toucher des organes vitaux (cœur, poumon, cerveau) nécessitant des gestes de réanimation et des gestes chirurgicaux en extrême urgence ;

• des plaies superficielles, balles par ricochet ou en fin de course à pouvoir de pénétration réduite, qui traversent la peau, les muscles et les tendons sans atteindre de parties vitales.

L’extraction des balles, qui peut être dangereuse, n’est pas toujours obligatoire car, lorsque les balles sont bien tolérées par l’organisme, les infections sont rares.

Les plaies abdominales nécessitent toujours de la chirurgie. Les lésions thoraciques quant à elles ne nécessitent parfois qu’un simple drainage thoracique (pneumothorax).

Le traumatisme consécutif aux chutes en rapport avec la fuite des victimes

Le traumatisme est alors essentiellement musculo-squelettique : contusions, plaies, entorses, luxations, fractures…

Le traumatisme consécutif aux corps écrasés, empilés

Ce traumatisme peut entraîner des risques de suffocation, d’étouffement et des traumatismes musculo-squelettiques.

LES LÉSIONS PSYCHIQUES

Elles sont le plus souvent associées aux lésions physiques mais peuvent être indépendantes d’elles. Il s’agit le plus souvent d’un état de stress aigu, d’un état de stress post-traumatique, du syndrome de Lazare, de troubles de l’adaptation, de troubles dissociatifs, d’une modification durable de la personnalité.

État de stress aigu

L’état de stress aigu peut être défini ainsi : anxiété caractéristique, dissociative, accompagnée d’autres symptômes survenant dans le mois suivant l’exposition à un facteur de stress traumatique extrême. Lors du vécu de l’événement traumatique ou après l’événement, la victime doit présenter au moins trois des symptômes dissociatifs suivants pour que l’on puisse évoquer un diagnostic de stress aigu :

• un sentiment subjectif d’émoussement, de détachement ou d’absence de réponse émotionnelle ;

• une réduction de la conscience de son environnement ;

• une déréalisation ;

• une dépersonnalisation ;

• une amnésie dissociative.

D’autres symptômes tels que la reviviscence, l’évitement, l’hyperéveil et l’anxiété s’y associent.

Cet état de stress aigu a une durée maximale de quatre semaines ; après ce délai, on parle d’état de stress post-traumatique (ESPT).

État de stress post-traumatique

On parle d’ESPT après un mois de stress aigu. Ce syndrome, qui peut se déclencher plus tardivement, six mois après les faits, survient lorsqu’il y a « une confrontation inopinée avec le réel de la mort »(2).

La clinique

Le syndrome d’ESPT se caractérise par un syndrome d’intrusion et de répétition, de conduite d’évitement, d’hypervigilance avec ses manifestations d’hyperactivité neurovégétative, d’anxiété et de dépression. Le syndrome de répétition est fait de reviviscences, la victime revivant la scène traumatique (flashback) sans pouvoir contrôler l’intrusion de ces images. Ces scènes sont spontanées ou déclenchées par des événements (nouveaux attentats, visualisation d’images dans les médias…). Les cauchemars sont très souvent évoqués. L’hypervigilance se manifeste par des réactions corporelles avec sursaut au moindre bruit. La victime paraît être sur le qui-vive en permanence, aux aguets. Les conduites d’évitement sont habituelles : la victime évite les lieux en rapport avec la scène traumatique, ne prend plus le métro, ne va plus dans les grands magasins, ne regarde plus la télévision, n’écoute plus la radio évoquant des scènes de violence… Sur le plan neurovégétatif, on note l’apparition d’irritabilité, de colère (on ne peut rien lui dire), de troubles du sommeil, de troubles de l’attention et de la concentration. Les phénomènes anxieux sont classiques avec des crises d’anxiété et un état de panique, une dépression avec de l’auto-dévalorisation, de l’anhédonie (incapacité à ressentir des émotions positives), de l’aboulie (inhibition de l’activité physique et intellectuelle)… L’ESPT existe chez l’enfant avec la même symptomatologie : terreurs nocturnes et cauchemars, reviviscences…

Le traitement

il est à la fois pharmacologique et psychothérapique.

• Les bêtabloquants (dont le Propanolol est le chef de file) peuvent aider à combattre l’anxiété, en particulier les manifestations neuro-végétatives ; il faut éviter les benzodiazépines qui ont une action délétère sur la mémoire.

• Les antidépresseurs de type ISRS (Inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine) telles que la Paroxétine qui a l’AMM dans cette indication ; la Sertraline qui n’a pas l’AMM en France est utilisée aux États-Unis.

• Les psychothérapies. On utilise essentiellement des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et des techniques de “désensibilisation” (diminuer la réponse émotionnelle) et de reprogrammation comme l’Eye Movement Desensitization and Reprocessing (EMDR) et équivalents. L’EMDR est une technique validée par la Haute Autorité de santé pour traiter l’ESPT. Il s’agit de se concentrer sur l’événement traumatique avec tous les stimuli sensoriels perçus (son, odeur) puis, grâce à des stimulations bilatérales alternées par des mouvements oculaires, des stimulations tactiles…, le souvenir de l’événement traumatique sera perçu de façon positive.

• La relaxation (sophrologie, hypnose, méditation) peut constituer un appoint thérapeutique.

Le syndrome de Lazare(3)

Lazare, dans l’Évangile, ressuscite, mais le monde a changé. Le “rescapé” qui a survécu éprouve fréquemment un sentiment de honte et de culpabilité. Pourquoi est-il encore en vie ? Pourquoi lui et pas les autres ? À ces questions, qui n’appellent pas de réponses, le blessé essaie de répondre. D’où des préoccupations morbides où la mort prend une place importante, une labilité psychique qui va entrainer des difficultés à “réintégrer sa propre vie”. Ces victimes ont beaucoup de difficultés à reprendre le cours de leur vie ; pour la plupart d’entre eux, il y a “un avant et un après”.

Les troubles de l’adaptation

• L’anxiété : trouble obsessionnel compulsif (TOC), phobies : sociale, agoraphobie, claustrophobie…

• La dépression : perte de l’élan vital, auto-dévalorisation, anhédonie, tentative de suicide…

Des troubles dissociatifs

Ils sont de fréquence plus rare : l’amnésie dissociative, la fugue dissociative, les troubles dissociatifs de l’identité, les troubles de dépersonnalisation, les troubles dissociatifs non spécifiés.

Une modification durable de la personnalité

Cette lésion psychique apparaît en cas de stress extrême, que l’on peut retrouver après des actes de torture, par exemple. La durée de modification de la personnalité doit être supérieure à deux ans pour que l’on puisse parler de ce type de trouble. Un ESPT peut le précéder.

L’INDEMNISATION

• L’indemnisation des victimes d’attentats ou de leurs ayants droits est traitée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions (loi du 9 septembre 1986). C’est le procureur de la République qui saisit le Fonds. Le Fonds contacte directement les familles. Mais des personnes non recensées comme telles peuvent s’adresser directement au Fonds de Garantie. Cette saisine doit être faite dans un délai maximal de dix ans après la date des attentats. Le Fonds indemnise tous les préjudices subis, physiques et psychiques, et éventuellement matériels : le droit français exige la réparation intégrale du préjudice. Le plus difficile est d’évaluer la perte de l’être cher. Que vaut une vie ? Ce “coût” diffère selon le pays. Aux États-Unis, l’estimation de ce coût est très élevée pour la perte d’un enfant (environ 1 million d’euros), alors qu’il est dérisoire en Allemagne. En France, le préjudice moral est estimé à environ 25 000 euros. Chaque cas étant évalué de façon spécifique. Une perte de chance de survie avec le préjudice d’angoisse de mort imminente peut aussi s’associer au préjudice moral de la famille de la victime. Le médecin-conseil du Fonds de garantie est chargé d’établir un rapport médical évaluant tous les préjudices subis par la victime.

• La victime peut demander l’aide d’un médecin de son choix formé à la réparation juridique du dommage corporel. L’indemnisation ne sera proposée qu’après consolidation de l’état de santé du blessé. L’état de la victime est consolidé lorsque les séquelles des blessures ne sont plus susceptibles d’évoluer. Dans l’attente de cette consolidation, parfois très longue, des provisions peuvent être versées par le Fonds à la victime pour l’aider. La victime peut refuser l’indemnisation proposée si elle lui semble insuffisante et se tourner vers les tribunaux.

• La victime bénéficie également du statut de victime civile de guerre. Elle pourra percevoir une pension militaire d’invalidité et la gratuité des soins en rapport avec ses blessures. La demande doit être déposée auprès de la direction interdépartementale des anciens combattants. La victime acquiert également la qualité de ressortissant de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre lui permettant d’obtenir éventuellement une carte d’invalidité.

• Des assurances souscrites à titre individuel antérieurement à l’attentat peuvent aussi intervenir dans l’indemnisation : garantie des accidents de la vie, assurances spécifiques contre les attentats. Le Fonds réduit le montant de sa prestation en fonction des versements éventuels effectués par les autres organismes.

• Selon la circulaire du 14 mars 2016, les personnes victimes d’un acte terroriste bénéficient du tiers payant pendant une période dérogatoire d’un an, avec exonération du forfait journalier et du ticket modérateur. Cette période dérogatoire est ouverte pendant dix ans pour les consultations psychiatriques.

EN CONCLUSION

Le chemin des victimes est long pour parvenir à la réparation physique, psychique et indemnitaire. Une prise en charge médico-soignante, chirurgicale et psychologique adaptée et empathique permettra de limiter les conséquences de ces terribles blessures de guerre. Du point de vue des équipes médico-soignantes, la spécificité de ces prises en charge réside dans l’afflux de victimes présentant de multiples blessures et lésions. Les circonstances de survenue de ces attentats et les traumatismes des victimes dont la vie est brutalement bouleversée sont particulièrement anxiogènes pour les professionnels de santé. L’accompagnement de ces équipes ne doit pas être négligé.

(1) Le blast est par définition l’ensemble des lésions organiques provoquées par l’onde de choc d’une explosion.

(2) Briole, G., Lebigot, F., et al. (1994). Le Traumatisme psychique. Rencontre et devenir. Paris : Masson.

(3) P.Clervoy. Traumatisme psychique et destinée, le syndrome de Lazare, Albin Michel, 2007.

Attentats de novembre 2015 : lésions observées

→ Lésions légères à moyennes

Contusions, entorses de cheville, plaies superficielles, fractures fermées, en rapport avec la fuite des victimes, les chutes et les corps piétinés, congestions tympaniques, acouphènes, pertes auditives, brûlures superficielles, etc., en rapport avec le souffle, éclats métalliques cutanés, tendineux en rapport avec les projectiles en fin de course.

→ Lésions graves

Ces lésions malheureusement fréquentes sont en rapport avec les armes utilisées, multiples du fait du nombre de projectiles (balles ou boulons) reçus. Il s’agit de lésions osseuses avec fractures ouvertes tibiales (greffes osseuses), fractures d’épaule (pose de prothèse d’épaule), délabrements importants allant jusqu’à l’amputation, lésions vasculaires et nerveuses (paralysie faciale, nerf médian, tibial…), lésions thoraciques avec hémopéricarde, hémopneumothorax, hémoptysie (éclats retrouvés dans les ventricules, les poumons), rupture de coupole diaphragmatique, lésions abdominales avec dilacération de rate, plaie du foie, hémo et pneumopéritoine, lésions crânio-cérébrales avec plaies cérébelleuses… lésions de la face avec perte d’un œil, fracture ostéo-mastoïdienne, fracture mandibulaire, délabrement cutané.

→ Suivi / séquelles

Les armes de guerre utilisées provoquent des lésions multiples qui laisseront de nombreuses séquelles. Le suivi de ces lésions sera en règle générale très long avec des interventions chirurgicales itératives et nombreuses, des greffes osseuses et cutanées, et des parcours de rééducation longs et complexes. La récupération sera rarement totale et le chemin de la consolidation avec séquelles pourra prendre des années.