Étudiants, tuteurs, formateurs : quelles responsabilités ? - Objectif Soins & Management n° 243 du 01/02/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 243 du 01/02/2016

 

Droit

Gilles Devers  

Pour chaque acte de soins pratiqué auprès des patients, les professionnels du soin engagent leur responsabilité juridique, et cet engagement est la base de la relation. Mais qu’en est-il pour les étudiants en stage, pour ceux qui exercent la fonction de tuteur et pour les formateurs ? Alors que les soins, qui doivent toujours répondre à un haut niveau de qualité, sont pratiqués dans le cadre d’une formation, comment répond le droit ?

Étudiants, tuteurs et formateurs souhaiteraient une réponse simple… mais la réponse passe par une grille de lecture nécessairement complexe. Voici les bases de raisonnement.

TROIS RÉGIMES DE RESPONSABILITÉ

La réponse ne sera pas simple parce qu’il faudra toujours distinguer en fonction des trois régimes de responsabilité, qui sont fort différents. Dire « l’étudiant est responsable » relève de choix de formation, de management, mais ce n’est pas une qualification juridique. Comme chaque fois qu’il est question de responsabilité, il faut donc décliner la question : s’agit-il de responsabilité civile, pénale ou disciplinaire, et comment la loi répond-elle ?

Le civil

Les règles de la responsabilité civile déterminent comment une personne, si c’est un professionnel libéral ou un établissement, pour les hôpitaux et cliniques, assume les conséquences de ses fautes par le versement d’une indemnisation aux patients devenus victimes. L’objet du procès civil est la réparation, et celle-ci pèse sur les structures au sein desquelles les soins sont pratiqués, ces structures étant assurées pour ce risque. L’idée est que, si les soins ont causé un dommage, il doit exister un système pas trop complexe pour que les victimes puissent être indemnisées.

Le pénal

En rupture d’analyse, vient le procès pénal. La partie poursuivante est le procureur de la République qui représente les intérêts généraux de la société, et les personnes concernées sont celles qui ont commis des infractions au Code pénal. En matière de soins, les infractions sont d’avoir causé involontairement des blessures ou le décès. Ici, toute personne qui a commis une faute ayant causé un dommage est susceptible d’être concernée par des poursuites. La procédure pénale est complexe et lourde, et les victimes choisissent plutôt la voie civile, mais le risque pénal est général.

Le disciplinaire

Vient ensuite le disciplinaire, qui se joue de manière interne au groupe. Le critère est celui de la faute professionnelle, à apprécier selon le cadre d’exercice. La victime est absente du disciplinaire, et la décision est prise par l’employeur sur un strict plan de carrière, en fonction d’une gamme de sanctions : avertissement, blâme, suspension d’exercer ou radiation. La procédure est relativement simple, et ce contentieux un peu sous-estimé est en réalité le plus utilisé.

LA STRUCTURE JURIDIQUE DE L’INSTITUT DE FORMATION

À cette complexité des trois régimes de responsabilité, s’ajoute une autre, liée à la structure de l’institut de formation. Il est rare que les instituts disposent d’une personnalité juridique indépendante. Le plus souvent, c’est un service d’un centre hospitalier, et en responsabilité civile, c’est donc celui-ci qui répond devant les juridictions administratives : tribunal administratif, cour administrative d’appel, Conseil d’État. Mais l’institut peut dépendre d’une structure privée, et sa responsabilité est alors appréciée par les juridictions judiciaires : tribunal de grande instance, cour d’appel, Cour de cassation… Tout le problème est que la pratique de ces tribunaux n’est pas exactement la même.

Bref, passé un certain stade, il faudra toujours passer par des avis spécialisés car, à partir de ce schéma de base, se créent des problématiques particulièrement subtiles.

ALORS, QUELLES RESPONSABILITÉS ?

Responsabilité disciplinaire

Sanction par l’autorité hiérarchique

On peut commencer par la responsabilité disciplinaire car c’est le régime le plus simple : la faute professionnelle est analysée et sanctionnée par l’autorité hiérarchique. Cela concerne le tuteur ou le formateur qui commettrait des fautes professionnelles, notamment dans l’encadrement, le suivi ou la transmission d’informations, et la sanction ira de l’avertissement au licenciement, en fonction de l’appréciation de la gravité de la faute. Mais cela concerne aussi l’étudiant, et la compétence relève alors du directeur de l’institut, même si la faute était commise en stage. Cela peut concerner un acte d’indiscipline, mais aussi des négligences dans la réalisation des actes de soins confiés. Là encore, existe toute une gamme de sanctions, de l’avertissement à l’exclusion de l’institut. La procédure est assez simple, mais elle doit être conduite de manière professionnelle, c’est-à-dire dans le respect strict des textes.

Deux difficultés

Dans ce contentieux, on voit apparaître deux types de difficultés.

• La première est celle de la qualité de la preuve, car on ne peut pas condamner sur des soupçons ou des impressions. Il faut que les pièces du dossier, sans entrer dans le formalisme d’une procédure judiciaire, établissent les griefs de manière suffisamment précise et circonstanciée pour que l’étudiant concerné puisse se défendre en connaissance de cause. Il faut enclencher le caractère contradictoire de la procédure le plus tôt possible, alors qu’il serait insincère de stocker les preuves pour constituer un dossier, et accabler l’étudiant.

• La seconde est de faire la part entre le disciplinaire, c’est-à-dire le travers de comportement qui appelle une sanction, et l’incompétence, laquelle doit trouver une réponse sur le terrain pédagogique. Le critère est ici celui de la faute : le comportement traduit-il une attitude fautive que l’on peut démontrer à partir de griefs, ou relève-t-il d’un niveau insuffisant, que l’on cherchera à compenser par un appui pédagogique, sauf à constater l’impossibilité d’aller plus loin dans la formation ?

Responsabilité pénale

Responsabilité individuelle

La base d’analyse est l’article 121-1 du Code pénal : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. » Le Code pénal va donc s’intéresser à la responsabilité personnelle de chacun, et chacun devra répondre de ses faits et actes : l’étudiant dans la pratique des soins, le tuteur comme encadrant, et le formateur qui supervise. Une même situation peut laisser apparaître une, deux ou trois fautes, et donc une, deux ou trois responsabilités pénales. Mais, sur le plan pénal, la faute de l’un ne contamine pas nécessairement la responsabilité d’un autre. La faute technique dans la réalisation du soin engage la responsabilité pénale de l’étudiant. Elle peut être la faute unique, seule responsable du dommage, ou dans d’autres hypothèses se trouver liée à une faute d’encadrement, dont répondra alors le tuteur ou le formateur.

Partir du dommage

Pour bien comprendre, il ne faut pas partir des fautes, mais du dommage. C’est donc l’hypothèse où un patient ne subit pas simplement les séquelles de la maladie, mais aussi celles liées à un acte humain, pratiqué à l’occasion des soins. En matière de santé, c’est le terrain de la faute involontaire. Le professionnel n’a pas voulu causer le dommage, car il n’est pas animé par l’intention de nuire. En revanche, il a commis une faute par imprudence, négligence, maladresse ou inattention, et cette faute a lésé le patient ou, parfois, a causé son décès. La démarche juridique consiste donc, à partir du dommage, à chercher dans quelle mesure des fautes humaines ont contribué à sa réalisation. Et ici, par application de l’article 121-1, toute personne étant intervenue peut être concernée, et devra en répondre. Sa faute ne sera pas analysée dans l’absolu, mais de manière très contextualisée, en fonction de ce qui était attendu au regard des devoirs de prudence, d’attention et d’adresse. Tout manquement peut être retenu dès lors qu’il atteint un seuil minimal de gravité. Sinon, il s’agit d’une erreur, laquelle n’engage pas la responsabilité. L’erreur est l’acte prudent, diligent et attentif, qui se révèle inapproprié, mais qui ne traduit pas de manquement professionnel.

Désignation d’experts judiciaires

L’étudiant est en contact direct avec le patient, et s’il commet une faute dans la pratique des soins qui lui sont confiés et qu’il a acceptés de faire, il engagera sa responsabilité pénale personnelle. Il est clair que l’étudiant est le premier exposé lorsqu’il pratique des actes. S’il y a un dommage, c’est sa faute qui sera d’abord recherchée, car il est le premier dans la chaîne des causalités. Comment qualifier cette faute, alors qu’il s’agit d’un étudiant et non d’un professionnel diplômé ? Pour le juge, la seule méthode est de construire un raisonnement à partir de la référence générale du Code pénal sur la faute d’imprudence. Le juge prendra beaucoup de temps pour comprendre la situation, se faire expliquer le comportement, contextualiser… Il se fera aider par les experts et, sur ce plan, il faut souligner l’importance qu’il y a à faire désigner des experts judiciaires ayant une compétence dans la profession concernée, et qui ne se sont donc pas forcément des experts médicaux.

Problème d’encadrement ?

On cherchera ensuite s’il y a un problème d’encadrement. Au pénal, le tuteur ou le formateur ne peut pas être reconnu responsable du fait de la faute commise par l’étudiant, car l’article 121-1 pose le principe de la responsabilité individuelle. En revanche, la responsabilité pénale du tuteur réapparaît si son encadrement s’avère fautif, notamment s’il a laissé l’étudiant pratiquer un acte sans avoir vérifié que celui-ci en avait bien la pratique, ou s’il s’est satisfait du niveau de connaissances supposé lié au suivi des études sans les vérifications adéquates au regard des actes à pratiquer dans le service. L’un des points litigieux est de savoir jusqu’où le tuteur peut gérer l’indépendance de l’étudiant. On ne dispose pas de texte sur ce plan, mais il n’existe aucun argument juridique pour dire que l’étudiant ne pourrait jamais exercer un acte en étant seul avec le patient. Bien sûr, cela doit s’inscrire dans un cadre progressif et évalué, mais il est indispensable que l’étudiant se trouve en situation professionnelle et apprenne à gérer cette solitude… avant de se retrouver diplômé, avec soudain la charge complète d’un service. Tout ceci doit se faire avec réflexion, mesure et sens du dialogue, sans exposer le patient à des risques. Et, bien sûr, le patient doit toujours être informé que c’est un étudiant qui intervient, et donner son accord.

Problème de formation

Pour le formateur, l’hypothèse de la faute pénale est plus difficile à imaginer, mais elle n’est pas impossible, pour des pratiques négligentes dans la formation, des informations tronquées sur les prérequis dans le choix du stage ou des problèmes de comportement connus – par exemple le stress ou des crises de panique – et masqués à l’équipe du stage. Pour que la responsabilité pénale soit connue, il faudrait toutefois que soient prouvées les carences graves, car il faudrait établir la certitude du lien de causalité entre la faute et le dommage causé au patient.

Étudiant, tuteur et formateur dans le viseur

Ainsi, l’étudiant, le tuteur et le formateur sont tous susceptibles de commettre des fautes par imprudence ou maladresse, ayant un lien de causalité certain avec le dommage causé aux patients, et de se retrouver ainsi confrontés à la responsabilité pénale.

Les cas sont rares… car les fautes ayant laissé des séquelles sont peu fréquentes. De plus, le procès pénal est lourd et, pour la victime le choix de la procédure civile apparaît souvent le plus rationnel. On observe aussi que les victimes hésitent souvent à déposer une plainte pénale contre les soignants pour un manquement isolé, surtout si le comportement général était correct. De fait, on estime qu’à ce jour, le pénal devient marginal – toujours présent mais marginal – avec seulement 3 à 4 % – la grande masse étant la procédure civile.

Responsabilité civile

C’est sans doute la moins spectaculaire, car la charge ne pèse pas directement sur la personne concernée. Si la responsabilité civile est personnelle pour le professionnel libéral, qui est assuré pour ce risque, en ce qui concerne l’exercice comme salarié ou agent de la fonction publique, s’applique le régime de la responsabilité du fait d’autrui : la personne qui supporte le procès n’est pas l’auteur des faits, mais la structure, qui est assurée.

La faute du tuteur ayant causé un dommage à un patient engage la responsabilité civile de l’établissement qui l’emploie, et celle du formateur, la responsabilité de la structure dont dépend l’institut de formation. Si c’est le même établissement de santé qui regroupe le lieu du stage et l’institut de formation, il sera le seul à répondre vis-à-vis des victimes. Sur la base de ces principes, peuvent être examinées quelques situations particulières.

L’étudiant en stage dans un service n’est ni salarié, ni agent de la fonction publique. En revanche, il exerce avec l’accord de l’employeur, et en fonction des consignes qu’il reçoit de l’équipe du stage. Il pratique les actes qui lui sont confiés, sous la surveillance et le contrôle de l’équipe, à qui il rend compte de son travail. Aussi, il intervient à la demande de l’employeur dans un service organisé. De telle sorte, il n’engagera pas sa responsabilité civile personnelle, mais celle de la structure dans laquelle est organisé le stage.

Si le stage a lieu dans un établissement public, sa responsabilité éventuelle sera examinée sous le régime du collaborateur occasionnel du service public, qui est un classique du droit de la responsabilité. Lorsqu’un service public requiert l’intervention d’une personne pour accomplir ses missions, cette personne devient collaborateur occasionnel et sa faute éventuelle engage la responsabilité de l’établissement. Ce régime peut jouer pour le formateur qui, à l’occasion d’une épreuve de formation pratiquée dans le service, se trouverait amené ponctuellement à intervenir auprès du patient.

Si le stage a lieu dans un établissement privé ou en libéral, l’analyse se fait à partir d’une notion proche, prévue par le Code civil, qui est celle des relations existant entre un “commettant” et un “préposé”. La faute involontaire du préposé engage celle du commettant, qui doit être assuré pour cela.

C’est donc un régime protecteur pour l’étudiant, le tuteur et le formateur… Il en résulte en effet que si chacun doit répondre de ses fautes sur le plan disciplinaire et sur le plan pénal – les uns comme acteurs, les autres comme organisateurs –, le contentieux le plus fréquent, et qui ouvre vers le paiement des indemnisations, relèvera toujours de la structure et de son assureur.

Il n’existe pas de droit sans limite, et cette limite est celle de la faute dite “détachable” : dans ce cas, c’est l’agent qui a commis cette faute qui doit assumer la responsabilité civile et non payer les dommages. Mais la jurisprudence a considérablement limité le champ de la faute détachable : on considère notamment que la personne qui a commis une faute grave, voire d’une gravité exceptionnelle, mais qui a agi dans le cadre des missions qui lui ont été confiées et sans que soit prouvée son intention de nuire, bénéficie toujours de la protection de l’employeur. Bien sûr, celui-ci pourra engager une procédure disciplinaire, et, si les faits sont graves, le procureur ouvrira une enquête pénale. Mais il doit être clair que celui qui est placé en situation professionnelle dans le cadre d’un service organisé n’engage pas sa responsabilité financière personnelle. La faute détachable ne réapparaît que pour l’acte étranger à la fonction confiée.

QUELQUES MOTS SUR L’ASSURANCE

Pour l’assurance, la principale question est celle de la responsabilité civile, c’est-à-dire du paiement des indemnisations. De ce point de vue, la réponse est certaine : à partir du moment où les actes ont lieu dans le cadre du service organisé par l’établissement, c’est la responsabilité civile de celui-ci qui est engagée, et tout est pris en charge par son assurance de responsabilité. La situation est la même pour un stage en libéral, mais il est nécessaire que l’infirmier qui accueille les stagiaires informe préalablement son assureur.

Pour le disciplinaire et le pénal, il n’y a aucun système d’assurance : la personne condamnée assume seule la charge. Si la responsabilité pénale d’un étudiant ou d’un tuteur est reconnue, il y aura nécessairement des suites civiles en indemnisation du dommage causé, mais attention : même après une condamnation pénale – pour une faute involontaire –, l’indemnisation reste à la charge de l’assureur de l’établissement.

Un étudiant, un tuteur ou un formateur peut souhaiter souscrire une assurance “défense recours”, qui pourra prendre en charge, en tout ou partie, des frais de défense dans le cas d’une procédure pénale. Pourquoi pas ? À ceci près que cela concerne tout professionnel, et pas spécifiquement ceux de la santé.