Valérie Berger : Savoir lire un article scientifique - Objectif Soins & Management n° 242 du 01/01/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 242 du 01/01/2016

 

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

Valérie Berger est coordonnateur de la recherche paramédicale au CHU de Bordeaux (Gironde) depuis trois ans. Elle a remporté le Trophée cadres du dernier Salon Infirmier pour la mise en place d’ateliers de lecture pour les professionnels de santé. Lorsqu’on lui parle, son enthousiasme pour son métier affleure à chaque instant. Devenue cadre très jeune, elle s’est intéressée à de nombreux sujets. Mais, ce qui lui tient le plus à cœur, c’est d’aider les professionnels à élargir et organiser leur savoir.

Objectif Soins & Management : Quel était votre objectif lorsque vous avez créé des ateliers de lecture pour les professionnels de santé ?

Valérie Berger : Avec deux autres collègues (Catherine Augustyniak et Cécile Bordenave), elles aussi cadres supérieures de santé, notre idée était de permettre aux professionnels d’interroger leurs pratiques et d’aller chercher des éléments dans la littérature scientifique. Il nous tient particulièrement à cœur de démocratiser ce type de lecture et d’en montrer l’intérêt. Pour ma part, cela fait un certain temps que je travaille avec la faculté de sciences infirmières de Montréal (Canada). Ils sont très en avance sur nous. Nous avons donc décidé de monter un premier module d’atelier de lecture en parallèle avec l’hôpital Maisonneuve d’excellence de Montréal en visioconférence afin de bénéficier de leurs connaissances. En France, la recherche infirmière a pris son envol depuis 2009 alors que, chez eux, c’était déjà à l’ordre du jour dans les années 1980.

OS&M : Comment cela a-t-il démarré ?

Valérie Berger : Après accord de principe des Canadiens, nous avons commencé par modéliser tout le process et nous en avons demandé une validation DPC (développement professionnel continu) en 2014, ce qui a été accepté. Nous avons, en parallèle, proposé le module aux Canadiens en lien avec une charte de fonctionnement. La grille de lecture des textes était celle du professeur Salmi (2012), mais nous l’avons simplifiée avec son accord. Nous avons donc pu organiser, dans l’année, sept ateliers de lecture de 90?minutes par binômes cadre/soignant des deux côtés de l’Atlantique en 2013. À l’époque, il y avait six binômes, mais cette année, nous passerons à neuf, tant la demande est forte.

OS&M : Après cette première année, vous avez mis entre parenthèses votre collaboration avec le Canada. Pourquoi ?

Valérie Berger : Nos homologues canadiens ont eu des difficultés à libérer du temps pour leurs infirmières de base. Nous nous sommes trouvés face à des infirmiers experts, beaucoup plus axés sur le transfert des connaissances alors que nous en sommes encore aux prérequis consistant à apprendre à mener une lecture critique d’un texte. Cependant, nous avons convenu avec eux de continuer à collaborer en mettant en place un séminaire de diffusion de nos savoirs respectifs qui aura lieu une ou deux fois par an. Cela dit, des projets d’ateliers en visioconférence sont bien avancés avec d’autres établissements français, dont un à la Réunion.

OS&M : C’est une lourde organisation…

Valérie Berger : Nous sommes donc trois pour le CHU de Bordeaux à nous en occuper. La première séance est entièrement dirigée par nous. Nous donnons quelques bases (intérêt de la lecture critique d’articles scientifiques, structuration d’un article de recherche, présentation de la grille de lecture, etc.). Puis nous demandons aux participants de nous proposer un article à travailler lors d’une séance. Ainsi, pour chaque séance, un article est choisi à l’avance. Dès la deuxième séance, nous proposons aux participants de nous présenter un article en binôme lors de chaque rencontre. Pour cela, quelques jours avant, nous organisons, avec le binôme concerné, une séance préparatoire. L’objectif est de les rendre acteurs très vite. Le 4 janvier, date de mon retour de vacances, un binôme sera entièrement responsable de l’animation de la dernière séance de l’année 2015 (la date de décembre a dû être reportée). Pour cette nouvelle année, nous avons un peu modifié le contenu de la première séance. Nous allons ajouter quelques bases statistiques pour adoucir la perception de ces données chiffrées, qui peuvent être parfois effrayantes.

OS&M : Qu’est-ce qu’une grille de lecture ?

Valérie Berger : Il s’agit d’un ensemble de questions auxquelles il faut répondre. À la fois pour bien comprendre un article et pour avoir une lecture critique scientifique. Un exemple de question : “Le titre correspond-il bien au contenu de l’article ?” C’est un élément essentiel, dans la mesure où, lorsqu’on fait une recherche sur un thème, si le titre n’est pas en correspondance avec le corps du texte, on n’a aucune chance de le trouver dans sa recherche bibliographique. C’est une question de référencement. Autre thème : “La méthodologie permet-elle de répondre correctement à la question de recherche ?” Rien de tout cela n’est anodin. Notre grille de lecture simplifiée fera d’ailleurs très prochainement l’objet d’un article. Elle pourra être utilisée par tous ceux qui le souhaitent et ce sera libre de droits.

OS&M : Qu’en est-il de l’application sur le terrain ?

Valérie Berger : Il n’est pas question de rester dans le cérébral ! Chaque séance se termine par une question : “Le contenu de cet article vous apporte-t-il des éléments utilisables dans votre pratique ?” Ou bien : “Cela vous engage-t-il à un questionnement ?” Il n’est pas question de travailler sur les théories sans s’approprier la réalité des soins au quotidien.

OS&M : Comment les gens arrivent-ils à cette formation et qu’en font-ils ?

Valérie Berger : Je l’ai déjà dit, elle est acceptée dans le cadre du DPC. Les inscriptions sont sur la base du volontariat. Cela passe par la direction des soins. Les binômes sont constitués de personnes qui travaillent habituellement ensemble. Un cadre et un soignant. Parfois, c’est le cadre qui nous le propose. Parfois, c’est le soignant. Mais ils se sont toujours mis d’accord. Il est important que le binôme travaille de concert car ce sont des gens qui peuvent diffuser ce qu’ils ont appris. D’ailleurs, dès la première année, un des binômes de réanimation a créé un club de lecture dans son service à la suite de la formation. Ils organisent sept séances par an, comme nous, et cela fonctionne depuis 2015. Un thème, par exemple : “Les soins de bouche en réanimation”. L’objectif est de faire le tour des publications sur le thème afin d’en tirer des pratiques exemplaires.

OS&M : Parlons un peu de votre parcours…

Valérie Berger : Je ne sais pas vraiment pourquoi je suis devenue infirmière. J’avais une tante sage-femme et le domaine de la santé m’intéressait… Je garde d’excellents souvenirs de l’école d’infirmière à Bordeaux. Mon premier poste en médecine interne et tropicale m’a également beaucoup plu. C’est le service dans lequel j’ai passé mon diplôme d’État. Être embauchée immédiatement était une chance et un bonheur. J’y suis restée quatre ans puis j’ai postulée au concours de l’école des cadres. À l’origine, je voulais devenir puéricultrice, mais la vie en a décidé autrement, et j’adore chaque étape de mon parcours ! Tout ce que j’ai fait en formation m’a enthousiasmée ! Pareil pour la pratique. À l’époque, l’école des cadres pouvait se faire en deux ans, en alternance. Comme j’étais jeune, cela correspondait bien à mon parcours et à mes attentes. Sur le terrain, je faisais fonction de cadre dans différents services, ce qui m’a permis de mûrir et de prendre également un peu de distance. Du coup, en arrivant à la fin de ma formation de cadre de santé, je me sentais prête.

OS&M : Très jeune cadre en rhumatologie à la sortie de l’école…

Valérie Berger : Avoir une équipe, mettre en place des projets, c’est le fil conducteur de toute ma carrière. Je m’en rends compte maintenant. Là, j’ai eu l’occasion de travailler avec des associations de patients dans le domaine de la polyarthrite rhumatoïde par exemple et de me lancer dans la recherche. Nous avions une vraie dynamique d’équipe. Le seul frein, au tout début de mon exercice de cadre, était mon jeune âge. J’étais la plus jeune de l’équipe que je devais manager. Mais mon malaise n’a pas duré. J’ai compris que je devais montrer beaucoup de compétences et savoir écouter. Au bout de six mois, je me sentais à l’aise dans mon rôle. J’ai fait un gros travail sur moi pour que cela fonctionne.

OS&M : Quatre ans après, c’est votre rythme, on vous a proposé un poste transversal…

Valérie Berger : Exactement ! C’était une opportunité : la formation de l’ensemble des cadres du CHU à l’utilisation d’un nouveau logiciel de gestion des ressources humaines. Non seulement j’avais le sentiment d’avoir fait le tour de ce que je pouvais apporter à mon service précédent mais, en plus, j’avais un deal avec mon DRH : continuer mes études. Du coup, en plus de mon poste, je me suis engagée dans une maîtrise de recherche clinique à Paris XII (Créteil, Val-de-Marne). Cette formation ne devait durer initialement qu’une année, mais j’ai embrayé sur une autre formation : “Ingénieur maître de recherche clinique”. Six mois supplémentaires.

OS&M : On parle de constipation…

Valérie Berger : J’ai travaillé sur la constipation des personnes hospitalisées. Ma question : pourquoi les patients ne mentionnent-ils pas ce problème à l’hôpital ? C’est un sujet qui va me suivre longtemps. Jusqu’à me rendre compte que le tabou sur la question atteint autant les patients que les soignants. Lors de mon DEA en éthique médicale à l’université Paris V, j’ai continué ma réflexion mais observée d’un point de vue soignant. Il s’agissait de comprendre la difficulté de prendre en charge ce sujet. J’ai donc créé un questionnaire soignant, destiné à diverses professions de santé. C’est là que le tabou a été mis en évidence. Et étant donné que la constipation n’est pas considérée comme une priorité, elle est difficilement prise en compte, malgré les conséquences néfastes qu’elle peut avoir pour le patient. Ce n’est pas considéré comme une priorité. En 2010, j’ai obtenu un financement de la Direction générale de l’offre de soins dans le cadre du PHRI (Progamme hospitalier de recherche Infirmière) pour la création et la validation d’une échelle d’évaluation du risque de constipation du patient hospitalisé.

OS&M : Suivre votre rythme n’est pas si facile. Si j’ai bien compris, vous avez intégré un service de biologie de la reproduction ?

Valérie Berger : Oui. À 50 % du temps, tout en gardant mon poste de formation des cadres sur le logiciel de ressources humaines le reste du temps. Ce qui a été merveilleux, c’était que cela m’a permis de connaître tout le monde au sein du CHU ! Et en biologie de la reproduction, j’ai pu mobiliser mes connaissances sur des réflexions éthiques. Deux ans après, j’ai présenté le concours de cadre supérieure, en 2005, ce qui m’a permis d’obtenir un poste au sein du pôle médico-technique me donnant accès à des secteurs extrêmement variés comme l’imagerie médicale, la biologie, l’odontologie… Travailler avec des manipulateurs radio, des techniciens de laboratoire, des pharmaciens, des préparateurs en pharmacie, des dentistes des assistantes dentaires… C’est une vraie richesse ! Encore à mi-temps avec, cette fois, une mission d’évaluation des pratiques professionnelles au sein d’un de nos établissements, l’hôpital Saint-André à Bordeaux.

OS&M : Comment évalue-t-on des pratiques professionnelles ?

Valérie Berger : On se pose une question, on part à la recherche de toutes les recommandations sur le sujet puis on mesure l’écart avec les pratiques professionnelles au sein d’un service ou d’un établissement. Cela donne lieu à la mise en place d’actions correctrices, qui seront elles-mêmes évaluées par la suite. Nous avons travaillé, par exemple, sur la prévention des hémolyses lors des prélèvements ou sur le transport des patients par les brancardiers. Des sujets qui touchent tous les services. La question de la traçabilité de la douleur aussi.

OS&M : Et vous partez vers de nouvelles aventures…

Valérie Berger : On m’a proposé un poste de cadre supérieure de santé au sein du pôle médecine, urgences, réanimation à Saint-André. J’adore la médecine ! Cela m’a permis de revisiter tout le parcours patient dans ce domaine. J’y suis restée deux ans jusqu’à ce qu’un nouveau poste se présente dans le pôle chirurgie ophtalmo, ORL, maxillo-faciale, plastique et grands brûlés dans un tout nouveau bâtiment. Des spécialités qui n’avaient pas l’habitude de cohabiter. J’ai sauté sur l’occasion. La cadre supérieure qui me précédait partait à la retraite mais elle avait très bien organisé le projet. J’ai pris sa suite avec grand plaisir et j’ai pu lancer des tas de nouveaux projets. Parmi ceux-ci, la création d’une association, Les farfadets créatifs, qui a pour objet de venir en aide aux patients les plus démunis afin de trouver des subsides pour leur apporter des objets de première nécessité, des tickets de bus, un abonnements à la télévision… Cette association existe encore et fonctionne à merveille. Tous les soignants en sont membres et participent à la création d’objets vendus lors d’un marché de Noël pour obtenir de l’argent.

OS&M : Quatre ans après…

Valérie Berger : Mon coordinateur des soins me propose de développer la recherche infirmière et paramédicale au sein du CHU. C’est tentant et j’accepte, d’autant plus que j’ai repris des études : un doctorat pour lequel Chantal Eymard accepte d’être ma directrice de thèse. Il s’agissait de travailler sur un modèle de transfert des savoirs, et notamment comment implanter dans la pratique infirmière une nouvelle échelle d’évaluation du risque de constipation du patient hospitalisé. D’ailleurs, je prépare une publication pour cette année. Depuis 2012, je suis donc détachée pour m’occuper de développer la recherche infirmière et paramédicale sur l’ensemble du CHU de Bordeaux.