L’expérience européenne - Objectif Soins & Management n° 242 du 01/01/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 242 du 01/01/2016

 

Management des soins

Sandra Mignot  

La Fédération européenne des hôpitaux et des soins de santé (Hope) met en œuvre un programme d’échange entre cadres hospitaliers. L’objectif est de favoriser l’interconnaissance des différents modèles sanitaires et d’améliorer la santé des Européens. S’il reste difficile de comparer des systèmes aussi variés, les rencontres entre professionnels permettent néanmoins de se réunir autour d’enjeux communs et de découvrir les solutions élaborées par nos voisins.

En 2012, le programme d’échange Hope s’est intéressé au vieillissement démographique. Une tendance de fond qui impacte non seulement le soin à dispenser, mais aussi la disponibilité des agents de santé. Car, s’il y a de plus en plus de personnes âgées nécessitant des soins sur le long terme, il y aura aussi de moins en moins d’actifs pour fournir ces soins. Entre 2010 et 2020, le secteur santé européen aura créé plus d’un million de nouveaux emplois, mais nécessitera également 7 millions de nouveaux professionnels pour remplacer les départs en retraite, selon Caroline Hager (Commission européenne, direction générale santé et consommateurs). Le problème chez les soignants se fera sentir plus tard que chez les médecins, car l’âge moyen des infirmières (entre 41 et 45 ans, calculé dans 17 pays européens dont la France), demeure inférieur à celui des médecins (55 ans). Néanmoins, dans certains pays (comme l’Allemagne), le nombre de départs en retraite a déjà dépassé celui des jeunes diplômés. La compétition entre les différents types et secteurs d’employeurs, voire entre pays recruteurs, se fait déjà sentir. Et ces difficultés ne seront pas résolues grâces à l’immigration. Quant au relèvement de l’âge de la retraite, il n’offre qu’une éclaircie ponctuelle.

Pour remédier au problème, différentes options sont en cours de réflexion dans les pays européens. Globalement, une modification du regard sur les personnes âgées vers une plus grande valorisation pourrait permettre de vieillir mieux, sur le plan de la santé comme de l’intégration sociale, voire professionnelle. « Les personnes de plus de 60 ans doivent être considérées comme des personnes ressources dans la société comme dans le milieu de travail », résumaient ainsi les participants du programme Hope en 2012.

QUAND LE SOIGNANT VIEILLIT

Dans certains pays, on développe des mesures permettant de fidéliser les travailleurs le plus longtemps possible. Des établissements en Belgique ont ainsi mis en place des congés supplémentaires, accordés à 45, 55 et 65 ans pour les soignants. Des activités sportives et de bien-être, des conseils sur la santé et le bien-vieillir sont également spécifiquement prodigués. Les programmes en faveur de la santé sont également développés en Allemagne où les établissements travaillaient jusqu’à présent à fidéliser leur main d’œuvre lorsque celle-ci est en âge de faire ou d’éduquer ses enfants. Manquant cruellement de politique familiale, le pays est en effet champion dans l’art de faire sortir les jeunes mères du marché du travail.

Une autre piste consiste à travailler sur la formation permanente, permettant de maintenir les compétences et les adapter tout au long de la vie professionnelle aux évolutions technologiques. Ainsi, en Autriche, le projet Productive Ageing se fonde sur le principe que la productivité n’est pas liée à l’âge, mais à l’organisation et à la gestion de l’environnement de travail. Il œuvre donc à améliorer la capacité de travail et à maintenir les challenges professionnels à tous les stades d’une carrière, ainsi qu’à encourager le dialogue entre les générations avec les différents acteurs du système de soins.

Aux Pays-Bas, le dispositif Personal Life Phase Budget a été mis en en place en 2010 par un accord collectif hospitalier. Il permet à chaque agent de recevoir annuellement une sorte de crédit d’heures de repos qu’il pourra capitaliser puis utiliser à des moments de la vie qui lui conviennent. L’idée étant que les agents puissent décider de travailler moins à certaines périodes de leur vie. Le projet permet même de prévoir qu’une part du salaire soit épargnée afin de financer ces périodes de moindre activité. En Suisse, un programme cherche à favoriser l’adaptation des horaires pour les plus âgés (suppression des horaires de nuit par exemple), une attention plus soutenue à l’état de santé et aux retours de congés maladie (une mise à jour de la formation ou un changement de poste de travail doivent pouvoir être étudiés), le développement du transfert de connaissances via des programmes de tutorat, partage de poste, l’élaboration de plans de carrière après 50 ans, etc.

En 2013, le programme Hope s’est intéressé à un autre enjeu pour les systèmes de santé en Europe : l’amélioration de la sécurité du patient. Les échanges ont été extrêmement riches, malgré les différences de fonds dans le fonctionnement des systèmes de santé et l’impulsion du changement. Ainsi, dans plusieurs pays, des organisations spécifiques ont été constituées pour soutenir le gouvernement central dans le développement d’une action concrète de gestion et de contrôle de la qualité au niveau local ou plus simplement dans le développement d’une culture de la qualité. Ailleurs, ces institutions jouent un rôle concret dans la promotion du déploiement d’outils tels que les enquêtes de satisfaction, les check-lists préopératoires ou le système de réclamations.

L’ACCRÉDITATION LARGEMENT ADOPTÉE

L’une des mesures les plus communément mises en place en Europe réside dans le développement des processus d’accréditation, en fonction de standards et d’exigences tels qu’on les conçoit en France mais aussi au Danemark, en Allemagne, au Portugal ou en Espagne. Dans certains pays où la sécurité du patient est encore faible, ces processus permettent d’enclencher des initiatives concrètes. L’Autriche, la Hongrie, la Lituanie ou la Pologne ont préféré la certification ISO à l’accréditation pour leurs services de santé. Concrètement, les stratégies et activités développées résident dans l’amélioration de la communication avec les patients, le management du risque et le développement d’outils pour la sécurité. En termes de communication, il s’agit d’impliquer davantage le patient dans son programme de soin. En Suède, par exemple, les patients psychiatriques définissent leur plan de soin avec le médecin et ceux qui bénéficient de soins somatiques peuvent participer aux réunions d’analyse des événements indésirables graves. Les questionnaires de satisfaction et la mise en place de procédures de réclamation se mettent en place progressivement. En Suisse, les questionnaires sont obligatoires ainsi qu’en Finlande. Les informations récoltées sont ensuite utilisées à des fins de formation continue. De nombreux établissements développent des actions de management du risque : audit clinique (Autriche, Estonie, Lettonie), collecte de données (Autriche, Belgique et Finlande), protection des données, suivi d’indicateurs/benchmarking, système de déclaration et d’analyse des événements indésirables graves (14 pays sur 20 avaient mis en place une procédure de déclaration des événements indésirables graves en 2013). En Autriche, un système permet même aux professionnels de déclarer anonymement leurs propres erreurs ou événements indésirables.

LES OUTILS DE PRÉVENTION DU RISQUE

Les outils utilisés au quotidien afin de réduire le risque d’erreur dans les activités cliniques sont bien partagés entre tous les pays. Les checklists au bloc sont présentes dans la moitié des pays examinés. La plupart du temps, c’est celle recommandée par l’Organisation mondiale de la santé qui est employée, plus ou moins adaptée aux pratiques de l’établissement. La checklist néerlandaise (Surpass, pour SURgical Patient Safety System), qui accompagne le patient à toutes les étapes de son parcours chirurgical, a été élaborée à partir de la littérature scientifique sur les effets indésirables, les erreurs chirurgicales et le rôle du facteur humain.

Le suivi et la prévention des chutes, escarres et infections sont les outils les plus communément utilisés au Portugal, en Estonie, en Espagne, au Royaume-Uni et en Finlande. En Belgique, la prévention des chutes s’est fondée sur l’analyse des données. Celles-ci ayant montré que les chutes avaient principalement lieu dans la chambre du patient, le matin ou à la mi-journée, lors d’un transfert, d’un déséquilibre ou d’une glissade, les équipes ont pu respectivement s’interroger sur l’utilité des contentions. La sécurité du médicament est une priorité au Danemark. En Estonie, outre l’administration des traitements, elle concerne également le stockage et le transport des produits. Une des solutions répandues apparaît comme la présence d’un pharmacien dans le service qui garantit la bonne dispensation du médicament et évite les oublis. En Belgique, un service de chirurgie ambulatoire dispose d’un pharmacien chaque matin, qui rencontre les patients à la demande pour informer sur les risques d’effets secondaires et donner les médicaments. En Finlande, les établissements de soin ont adopté un système électronique recensant les prescriptions : il inclut les données ainsi que les prescriptions patients et émet des rappels, des suggestions thérapeutiques ou des recommandations liées au diagnostic établi. Enfin, l’identification du patient est mise en place dans près de la moitié des pays membres. Les outils adoptés peuvent être des bracelets précisant la pathologie et un système de triage par priorité qui oriente vers un parcours ou un autre, avec une niveau de priorité (urgence). Les différents stagiaires ont observé l’importance des systèmes d’information et de communication dans l’amélioration de la sécurité du patient.

L’INNOVATION À LA UNE

Outre la technologie, c’est l’innovation en général qui s’est finalement imposée comme thème de la dernière session d’échange Hope, en 2015. Une innovation présente à tous les niveaux, tant dans l’organisation et le management des soins que dans la gestion des ressources humaines et la mise en œuvre d’outils électroniques. Le dossier médical partagé est à l’œuvre dans différents pays. Son développement est parfois piloté au niveau national, plus souvent au niveau local, en fonction de l’organisation du système de santé. En Suède, toute l’histoire médicale de chacun est consignée dans un registre électronique du patient auquel tous les professionnels de santé ont accès, quel que soit leur lieu d’exercice. Les données sont partagées et très régulièrement mises à jour, le soin est réellement coordonné et sa continuité semble garantie.

Une tendance remarquée en Europe réside dans le rapprochement du soin du domicile. Ceci afin de désengorger les hôpitaux, structures coûteuses, et de maintenir les patients dans leur environnement familier le plus longtemps possible. Cette tendance entraîne souvent un développement des compétences et des responsabilités infirmières.

Au Danemark, pays engagé dans une réduction drastique de ses structures hospitalières, le maintien à domicile du patient est encouragé le plus longtemps possible. Un double mouvement de concentration des activités (urgences, soins oncologiques, chirurgie…) et de développement d’équipes mobiles a été initié ces dernières années. En conséquence, des équipes de soins aigus composées d’infirmières spécialisées et expertes peuvent réaliser des électrocardiogrammes, des transfusions ou des perfusions d’antibiotiques à domicile. Elles se connectent au besoin pour des consultations avec le médecin généraliste et/ou l’hôpital. Et sont pourvues d’équipements communicants permettant le développement de téléconsultations.

La Finlande déploie également des équipes mobiles pour rapprocher le soin dentaire, la rééducation et les soins du domicile. Le rôle des infirmières y est renforcé, en l’absence de médecin dans les véhicules qui se déplacent dans les sites les plus reculés du pays.

Ultime déplacement de tâche, en Lituanie, des consultations infirmières et un centre d’assistance téléphonique permet même d’opérer un glissement du soignant vers l’aidant familial et d’optimiser l’allocations des ressources médicales et soignantes dans la prise en charge du diabète.

Côté ressources humaines, la formation par simulation se développe dans tous les pays, ainsi que les mesures pour fidéliser les soignants évoqués précédemment. La gestion des plannings et du temps de travail est de plus en plus informatisée. Et certains outils technologiques ont fortement impressionné les participants de la dernière édition du programme d’échange. Au Royaume-Uni, dans l’hôpital universitaire de Derby, une application permet d’avoir une vision graphique globale des personnels qualifiés présents dans un service, un pôle ou un établissement à un moment donné, en relation avec les besoins nécessités par l’état clinique de chaque patient. Il permet de calculer en permanence le nombre optimal d’infirmiers nécessaire en fonction du meilleur rapport coût/efficacité. Et génère des bilans permettant de mieux répartir les ressources humaines et d’organiser les plannings de présence.

L’année prochaine, Hope s’intéressera à nouveau au futur du soin de santé.

Hope

Hope est une organisation internationale qui réunit 35 membres (associations, fédérations, unions hospitalières ou de services de soins) en provenance de 28 États membres de l’Union européenne (ainsi que la Suisse et la Serbie). Son objectif est de promouvoir l’amélioration de la santé des citoyens européens, en relevant la qualité et l’efficacité des établissements et services de soin. À cet effet, Hope recueille et produit différentes données sur les systèmes sanitaires de ses pays membres, effectue des enquêtes sur les challenges auxquels ils doivent faire face, et organise des voyages d’études. Son programme d’échange permet ainsi chaque année à quelques 150 ou 200?cadres hospitaliers de passer quatre semaines dans un établissement étranger adhérant à l’initiative. « C’est une sorte de programme Erasmus pour les cadres, résume Cédric Arcos de la Fédération hospitalière de France, l’un des membres fondateurs de Hope et coordonnateur de l’initiative en France. C’est un vrai succès, nous arrivons à opérer des échanges, des réflexions communes, à penser ensemble et créer des liens durables. »

La sécurité du patient aux Pays-Bas, un programme national

→ Aux Pays-Bas, un projet national pour la sécurité du patient est en œuvre depuis 2008. Son objectif initial était d’aider les établissements à diminuer de 50 % les incidents évitables. Les hôpitaux ont donc d’abord été poussés à obtenir l’accréditation de leurs services et à améliorer leur prise en charge dans dix domaines spécifiques.

Mais, à la suite d’un rapport daté de 2011 faisant état de diverses difficultés, il a été décidé de créer un programme national plus incitatif. Celui-ci a permis de développer des outils pratiques standards et des modules de formation, mais également d’intégrer la thématique “sécurité du patient” tout au long du programme de formation du professionnel.

→ La première étape a été la définition des connaissances, compétences et attitudes minimales pour travailler dans le respect de la sécurité du patient : la contribution à une culture de la sécurité au quotidien, le travail multidisciplinaire, une culture de la communication ouverte (entre collègues et avec les patients), l’identification et l’anticipation du risque potentiel, l’optimisation des facteurs humains et environnementaux de protection, la gestion active des incidents (afin de limiter les dommages au patient et d’éviter la répétition). Les programmes de formation initiale et continue de tous les professionnels de santé ont été détaillés afin d’évaluer s’ils correspondent aux compétences prédéfinies, et des recommandations ont été élaborées. Des modèles de modules complémentaires correspondant à toutes les étapes d’un parcours de formation ont été élaborés, les formateurs ont été formés, un site Web permettant de recenser les bonnes pratiques à travers les expériences existantes a été créé, des formations ont été dédiées aux formateurs…

→ En parallèle, différents outils ont été conçus en collaboration avec les organisations professionnelles et les fédérations d’établissements, afin d’améliorer les pratiques au quotidien dans les services : manuels et conseils, résumé des compétences détaillées, grille pour l’auto-évaluation des compétences du soignant, film destiné à la sensibilisation (Monsieur Berghuis est ennuyé, de la plainte à la honte dans la sécurité du soin), programme de formation à la sécurité du patient, suggestions de lectures scientifiques et recommandations pour l’élaboration d’une formation.

Lien raccourci pour plus d’informations : bit.ly/1JSSoEm

PASQ, UNE MINE DE BONNES IDÉES

PASQ, réseau européen pour la sécurité du patient et la qualité du soin, présente une sélection de bonnes pratiques mises en œuvre dans quelque 22 pays européens. L’objectif est de permettre l’amélioration des pratiques de tous, via le partage de connaissances. Chaque pratique est présentée à travers un résumé d’une dizaine de lignes, ainsi que ses objectifs et bénéfices. Un questionnaire permet de déterminer le niveau de développement de l’initiative, les pré-requis nécessaires à sa mise en œuvre, les personnels qui sont concernés, l’implication demandée au patient, etc.

Enfin, le coût de l’initiative est précisé. Ainsi que les coordonnées d’un correspondant et les liens vers des informations plus détaillées. Cette base de données continuera de s’enrichir jusqu’au printemps 2016.

www.pasq.eu/

www.pasq.eu/Wiki/PatientSafetyandQualityofCareGoodPractices.aspx

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