L’évaluation en économie de la santé - Objectif Soins & Management n° 242 du 01/01/2016 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 242 du 01/01/2016

 

Économie de la santé

Didier Jaffre  

La loi de santé a été adoptée le 17 décembre dernier. Mais, dès qu’une nouvelle loi arrive, une question se pose : a-t-on évalué la mise en œuvre de la précédente, c’est-à-dire la loi HPST de juillet 2009 ? Pas certain, d’autant qu’il convient déjà de se mettre d’accord sur la notion d’évaluation en économie de la santé.

LE CADRE

• L’évaluation des politiques publiques en santé conduit finalement à répondre à plusieurs questions :

→ est-il possible de rationnaliser les dépenses de santé qui sont des dépenses publiques financées par la solidarité nationale ? Quels sont les moyens nécessaires pour satisfaire l’intérêt général ? On parle alors d’analyse coût-bénéfice, ce qui implique de faire un équilibre entre les gains et les dépenses, et donc de simuler plusieurs arbitrages ; on doit bien sûr connaître les bénéficiaires et les payeurs (autrement dit, ceux qui subissent les pertes). Car notre système de santé est basé sur le principe de compensation des pertes par les bénéfices, ce qui suppose que la somme des gains des uns est compensée par la somme des pertes des autres ;

→ à quelle population s’intéresse-t-on ? Celle des bénéficiaires et/ou des payeurs ? Car le point de vue de l’évaluation sera différent selon que l’on se place du côté de l’usager ou du côté de l’Assurance maladie. Il convient donc de toujours définir une population de référence. Ainsi les dépenses d’Assurance maladie ne prennent pas en compte les coûts supportés par les patients et leurs familles à domicile ; pour autant, ces coûts ont une valeur, la famille étant considérée comme une unité de production ;

→ par rapport à quoi j’évalue ? Quelle est la situation de référence ? Ainsi, par exemple, les résultats ne seront pas les mêmes selon que l’on compare un vaccin par rapport à rien ou par rapport à un autre vaccin. Ne rien faire a un coût également. Il n’y a que des évaluations relatives par rapport à une référence, mais jamais d’évaluation absolue.

• L’évaluation en économie de la santé, ce n’est pas :

→ l’évaluation technique de telle ou telle thérapeutique ou tel matériel, car on part du postulat que tel traitement permet d’améliorer de x % l’état de santé de l’individu. En revanche, il s’agit d’évaluer les conditions optimales de production ;

→ l’évaluation financière : il ne s’agit pas de faire des calculs financiers, sur la base de taux de rendement. En revanche, on tient compte des effets indirects sur les agents.

• L’évaluation économique consiste finalement à simuler les choix du décideur politique : définition des domaines du possible, prévision des effets et des conséquences, synthèse des résultats. En principe, l’objectif du décideur est de maximiser une utilité procurée par chacun des possibles. In fine, le critère central de la décision sera le bilan actualisé des coûts et des bénéfices. Les différentes simulations doivent permettre d’établir un ordre de préférence sur les conséquences et les coûts, et optimiser cet ordre. On ne s’intéresse donc pas à la manière dont les processus de production sont utilisés, mais seulement aux choix et aux conséquences de ces processus.

LES QUESTIONS À SE POSER

• La question est-elle bien posée ? Peut-on y répondre avec des données quantifiées ? Il faut tout d’abord préciser le point de vue choisi : pour qui est-ce rentable : la société, le ménage, l’État, l’Assurance maladie ? L’évaluation ne sera pas la même selon le point de vue choisi. Ensuite, l’ensemble des alternatives doit être appréhendé, y compris l’alternative de ne rien faire, qui a un coût en santé. Il faut ensuite préciser la temporalité de l’évaluation. Ainsi, par exemple, une bonne question peut-être la suivante : le traitement de la dialyse à domicile du point de vue de la collectivité est-il plus rentable par rapport au traitement de la dialyse à l’hôpital sur une année ?

• Les alternatives sélectionnées sont-elles bien décrites ? Une alternative n’est-elle pas manquante ? Y a-t-il toutes les alternatives pertinentes ? Le programme est-il faisable ? On doit être en capacité de juger la faisabilité d’une politique ou d’un programme, c’est-à-dire connaître toutes les conséquences (taux d’échec et conséquences de ces échecs, taux de guérison), les composantes des coûts. Ceci doit permettre de voir si on omet des coûts et/ou des conséquences, et de faire une étude en structure.

• L’efficacité technique des programmes a-t-elle été démontrée par ailleurs ? S’assurer de la pertinence du programme, c’est vérifier s’il a été testé par des essais thérapeutiques, reconnu par des autorités scientifiques. L’essai thérapeutique peut être décomposé en plusieurs phases : la recherche fondamentale, la vérification de l’effet in vitro, les essais cliniques. On sélectionne une population, on la suit et on regarde l’efficacité. L’essai randomisé à double aveugle et prospectif consiste à sélectionner les patients au hasard pour obtenir deux populations identiques. On définit les critères d’inclusion et d’exclusion. Le patient ne sait pas ce qu’il prend, le prescripteur ne sait pas ce qu’il donne. Puis on établit une échelle de preuves.

• Les coûts et les conséquences de chaque alternative ont-ils été identifiés ? La durée de l’observation est-elle bonne et suffisante ? L’ensemble des coûts, directs et indirects, doit être pris en compte. De la même manière pour les bénéfices directs et indirects. Et selon tous les points de vue et toutes les composantes de la politique ou du programme.

• Les paramètres sont-ils mesurés dans des unités qui permettent de conclure ? Par exemple, pour un médecin, plusieurs choix sont possibles : le nombre de consultations pour un médecin de ville, le temps de travail pour un médecin hospitalier. Pour un médicament, l’unité pertinente est-elle la boîte ou le comprimé ? La durée de travail perdue pour un malade se mesure-t-elle en heure ou en demi-journée ? Les coûts doivent aussi être correctement imputés (comptabilité analytique), valorisés selon une nomenclature satisfaisante, et selon un taux d’actualisation.

• A-t-on fait les calculs en coût moyen ou en coût marginal ? On ne dispose souvent que du coût moyen, alors que c’est le coût marginal qui est intéressant.

• Une étude de sensibilité a-t-elle été faite ? Ceci permet de tester la robustesse du résultat par rapport aux variables importantes.

• Les résultats sont-ils discutés ? Le lecteur doit s’assurer que les résultats sont obtenus à partir de tableaux, bien commentés, comparés avec d’autres études, généralisables.

CONCLUSION

Dans la plupart des cas, les politiques publiques font rarement l’objet de véritables évaluations économiques. La santé n’échappe pas à cette règle. Tout au plus dispose-t-on d’analyse de moyens et de bilan de mises en œuvre, mais jamais d’évaluation selon une méthode coût-bénéfice. Car les décisions prises ont souvent des effets à très long terme, alors que les coûts sont supportés tout de suite ; ce qui conduit souvent à des politiques de très court terme, alors même que dépenser plus aujourd’hui pourrait permettre d’économiser beaucoup à long terme. Mais, hélas, les décideurs des coûts ne sont pas ceux qui auront les bénéfices de demain. C’est toute la problématique des choix politiques.

La notion de coût en économie

→ Coût fixe : dépense qui ne varie pas en fonction de la quantité produite

→ Coût variable : dépense qui varie en fonction de l’activité, pas forcément proportionnellement

→ Coût total : somme du coût fixe et du coût variable

→ Coût moyen : rapport entre le coût total et la production

→ Seuil de rentabilité : moment où la recette totale de la production est égale au coût total

→ Amortissement : perte de valeur d’un capital fixe due à l’usure, à l’obsolescence, aux dégradations

→ Coût en capital : durée de vie qui excède l’exercice (véhicules, bâtiments, équipements)

→ Coût renouvelable (de fonctionnement) : personnels, fournitures, entretien

→ Coût par fonction/activité : on distingue les coûts dédiés directement à l’activité (personnel spécifique, par exemple) des coûts non dédiés (administration, cuisine, nettoyage)

→ Comptabilité analytique : affectation des coûts dédiés (directs) et non dédiés (indirects) à chaque unité d’œuvre selon des règles d’imputation des coûts prédéterminées à l’avance

→ Méthode coût-efficacité : comparer les coûts de plusieurs politiques par rapport à l’efficacité rendue

→ Méthode coût-utilité : on tient compte des préférences (utilité) des individus

→ Actualisation des coûts : il s’agit d’actualiser les coûts réels par rapport aux bénéfices qui vont intervenir dans le futur