Comment prévenir les litiges ? - Objectif Soins & Management n° 239 du 01/10/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 239 du 01/10/2015

 

Droit

Gilles Devers  

« C’est l’absence de dialogue qui conduit au procès… » Cette phrase n’est pas fausse, mais elle est présentée comme un principe qui structurerait le droit de la responsabilité hospitalière, et là… c’est faux.

L’absence de dialogue ou une communication biaisée peuvent envenimer des situations déjà difficiles, mais, sur le plan juridique, rien n’établit que c’est l’absence de dialogue entre les équipes hospitalières et les patients qui serait la source des procès.

FAUT-IL DIALOGUER ?

Bien sûr, c’est toujours mieux… mais pas pour éviter les procès : tout simplement, parce que c’est ainsi que les choses doivent être. La qualité de la relation est un critère de la qualité des soins. Cela dit, il est plus facile d’affirmer que de faire.

Depuis la loi du 4 mars 2002 sur les droits des patients, beaucoup de progrès ont été faits sur cette qualité de l’information, mais il faut prendre le temps d’une petite évaluation.

L’information du patient, c’est-à-dire le fait de donner aux patients les informations adaptées à son état de santé pour lui permettre de comprendre l’évolution de son état de santé et les décisions qui doivent être prises, est la pierre angulaire de la relation de soin. La loi de 2002 n’a pas créé ce devoir d’information, contrairement à ce que l’on entend encore trop souvent. C’est une base universelle de la déontologie médicale : le praticien doit savoir parler à son patient. Le Code de déontologie médicale indique d’ailleurs que le praticien doit informer le patient et les proches. Au-delà de l’utilité immédiate, à savoir la compréhension et l’acceptation des soins, le bon dialogue participe à la création d’une relation de qualité, qui permettra d’adoucir et de relativiser les difficultés, voire les crispations qui peuvent survenir lors d’un séjour hospitalier. Il faut d’ailleurs ne pas cantonner ce dialogue à l’acceptation des soins, mais le placer dans le sens de la relation. Or cet aspect n’est pas toujours géré, avec le travers qui consiste à avoir d’un côté une sous-information sur l’organisation du service et les méthodes de travail, et de l’autre une sur-information sur les actes pratiqués.

LE DIALOGUE INSTITUTIONNALISÉ

La Commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUQPC) est une création de la loi du 4 mars 2002 (Code de la santé publique, article L. 1112-3). Ces commissions sont devenues des instances importantes dans la vie des hôpitaux, ce qui est une réussite notable car la mission qui leur a été conférée par la loi n’est pas si évidente qu’il n’y paraît à première lecture.

D’abord, le domaine d’intervention est très large. La loi parle « d’usagers », ce qui inclut les patients mais aussi les familles et les proches. Ensuite, la loi donne pour mission de « veiller au respect des droits des usagers et de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’accueil des personnes ». Vaste sujet… Sur un plan opératoire, la commission est chargée d’un vrai travail de médiation. Elle veille à ce que les patients puissent exprimer leurs griefs – quand il y en a ! – auprès des responsables de l’établissement, et qu’il soit donné une suite adéquate. Il s’agit donc de permettre le dialogue, ou de resserrer les liens quand ceux-ci s’étaient distendus.

Ici, il faut relever le progrès fait par la loi qui, dans la première version, celle de 2002, avait retenu l’appellation de “commission de conciliation”. Or il faut bien distinguer : la médiation consiste à établir ou rétablir un dialogue, alors que la conciliation est un procédé juridique qui permet de mettre fin à un litige. La médiation est très utile comme réponse à l’incompréhension, et elle permet à des points de vue opposés de s’exprimer dans le respect mutuel. La conciliation est tout autre chose. C’est une manière contractuelle de mettre fin à un contentieux, et elle se résout le plus souvent par une transaction financière. Le régime de la médiation est assez libre alors que celui de la conciliation est défini par le Code civil. Quand une conciliation a été signée, l’accord a la valeur de l’autorité de chose jugée. Aussi, la loi est très prudente pour permettre ce procédé qui se substitue à la justice.

Cette frontière entre la médiation et la conciliation éclaire la mission que la loi a confiée à la CRUQPC. La commission est informée « des plaintes ou réclamations ». Une action en justice, c’est davantage qu’une réclamation : c’est l’exercice d’un droit. De même, une “plainte” peut être une “plainte pénale”, liée à une procédure lourde et complexe réglée par le Code de procédure pénale, et couverte par le secret. Ne pas confondre… Aussi, la commission examine les doléances et les réclamations, témoignant d’insatisfactions et de mécontentements, mais elle ne peut s’immiscer dans le contentieux juridique.

Agir en justice est un droit fondamental, qui fait l’objet d’une protection toute particulière, et celui qui y ferait obstacle commettrait une faute grave : l’entrave au fonctionnement de la justice. Dans la mesure où la loi confère à la CRUQPC la possibilité de faire des propositions en ce qui concerne « l’accueil et la prise en charge », on peut comprendre que la commission soit informée après coup des recours au civil ou au pénal. Tout jugement est public.

Finalement, la loi est logique : il existe un certain nombre de doléances et de réclamations qui ne peuvent être la matière d’une action en justice. Il est donc judicieux d’étudier ces affaires, en dehors de toute pression contentieuse. Mais la CRUQPC sortirait de son rôle si, cherchant la médiation, elle amenait des patients à renoncer à l’exercice de leurs droits. Par la qualité de ses travaux, la CRUQPC fait remonter des informations qui vont permettre de prévenir des litiges ; mais lorsqu’il y a litige, elle ne peut en aucun cas se prononcer.

QUELLE EFFICACITÉ DU DIALOGUE POUR LIMITER LES PROCÈS ?

Pour répondre, il faut bien comprendre ce que veut dire un procès en responsabilité. Il peut toujours y avoir des affaires secondaires, voire insignifiantes, montées en épingle : cela ne mène pas loin, et les tribunaux ne sont pas du tout réceptifs à des procès “pour l’exemple” qui, en fait, reposent sur trois fois rien. Ajoutons qu’il est difficile de faire un procès sans l’assistance d’un avocat, et ce professionnel du droit refusera de s’engager dans une affaire qui ne tient pas la route. Ainsi, la question est basique : y a-t-il ou non matière à faire un procès ? Pour le patient, le premier critère est le dommage subi du fait des soins pratiqués, et son avocat lui expliquera qu’il faut encore prouver que ce dommage a été causé par une faute. Le patient aura souvent une certaine idée de l’existence de la faute et du dommage, parce que les équipes médicales doivent l’informer sur l’évolution de la pathologie. Avant d’engager le procès, son avocat cherchera de plus à contacter un médecin expert qui puisse donner un premier avis, amiable.

Contrairement à l’idée reçue, la perspective du procès n’est pas tant la condamnation du médecin, mais davantage la reconnaissance de la faute, ce dont le patient a besoin, et le versement d’une indemnité qui peut être une aide considérable dans la vie de tous les jours, pour compenser un handicap, un préjudice économique ou des améliorations du quotidien comme une tierce personne ou l’aménagement de la maison. Bref, en engageant le procès, le patient défend ses droits dans ce qui touche son existence même.

Alors, soyons réalistes : quand de tels enjeux sont en cause, ce n’est pas parce que l’équipe aura été sympathique ou avenante que le patient renoncera à un procès qui peut changer sa vie. Ce d’autant plus que le procès n’est pas dirigé contre les praticiens ou les infirmières, mais contre l’assurance de l’établissement ou l’assurance des professionnels libéraux.

En poussant le raisonnement, on pourrait soutenir que le patient va parfois renoncer à une plainte pénale qui, elle, expose les praticiens, parce que la relation a été bonne. Cela peut jouer. Un patient qui a ressenti de la déconsidération peut estimer que le règlement par la compagnie d’assurance – car c’est toujours la compagnie d’assurance qui payera – est un peu facile, et qu’il serait juste que les professionnels de santé soient directement impliqués par le procès pénal. Mais son avocat lui expliquera les difficultés que soulève la procédure pénale. De fait, les procédures pénales sont rares et restent liées aux affaires les plus graves, notamment lorsqu’il y a eu un décès incompréhensible.

COMMENT PRÉVENIR LE PROCÈS ?

La première voie est celle de la qualité des soins… et c’est une réussite ! Toutes les études sérieuses montrent que, si sur les vingt dernières années, le nombre de condamnations civiles est en régulière augmentation, l’évolution est en réalité une raréfaction des procédures, car le nombre d’actes a été décuplé pendant la même période. Et lorsque l’on compare les décisions de justice anciennes et récentes, on voit très bien que la qualité du travail a évolué, dans le bon sens. La seconde est celle d’un travail sur la reconnaissance de l’erreur et de la faute, faits qui peuvent concerner tout le monde, même les meilleures équipes. La survenance d’un événement indésirable doit amener à une saine réaction de l’équipe, qui doit immédiatement savoir gérer la crise, et œuvrer pour limiter les conséquences. Or on voit trop souvent des équipes rester tétanisées, avec une double difficulté : d’abord reconnaître ses failles, et ensuite très vite s’adresser à d’autres pour limiter les séquelles. En droit, la faute n’engage la responsabilité que si elle a causé le dommage, et si les soins réparateurs ont été de qualité, le procès devient plus difficile à envisager.

Enfin, plus que sur l’information, c’est sur l’écoute qu’il faut travailler : écouter ce que le patient dit. C’est la première source de renseignements.

Ainsi lors d’un congrès sur l’expertise, où le tableau des outils et procédés des progrès médicaux était dressé : la clôture du congrès était réservée à un expert honoraire, de grand renom. Il s’était dit impressionné par la science exposée lors du congrès, mais avait conclu en ces termes : « J’ai exercé la médecine pendant quarante ans et j’ai été expert pendant vingt ans. Ce que j’en retiens, c’est que le plus difficile est d’écouter ce que dit le patient. Quand il dit qu’il a mal, c’est qu’il a mal ; quand il dit qu’il a très mal, c’est qu’il a très mal ; et quand il dit qu’il a vraiment très très mal, c’est qu’il a vraiment très très mal. »

LA CRUQPC, ARTICLE L. 112-3

• OBJECTIFS

Dans chaque établissement de santé, une Commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUQPC) a pour mission de veiller au respect des droits des usagers et de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’accueil des personnes malades et de leurs proches et de la prise en charge. Cette commission facilite les démarches de ces personnes et veille à ce qu’elles puissent, le cas échéant, exprimer leurs griefs auprès des responsables de l’établissement, entendre les explications de ceux-ci et être informées des suites de leurs demandes.

• FONCTIONNEMENT

La CRUQPC est consultée sur la politique menée dans l’établissement en ce qui concerne l’accueil et la prise en charge, elle fait des propositions en ce domaine et elle est informée de l’ensemble des plaintes ou réclamations formées par les usagers de l’établissement ainsi que des suites qui leur sont données. À cette fin, elle peut avoir accès aux données médicales relatives à ces plaintes ou réclamations, sous réserve de l’obtention préalable de l’accord écrit de la personne concernée ou de ses ayants droit si elle est décédée. Les membres de la CRUQPC sont astreints au secret professionnel dans les conditions définies par les articles 226-13 et 226-14 du Code pénal.

Devoir d’information (CSP, article R. 4127-35)

Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension.

Toutefois, lorsqu’une personne demande à être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic, sa volonté doit être respectée, sauf si des tiers sont exposés à un risque de contamination.

Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite.