Un guide évolutif sur le bon usage des CCI - Objectif Soins & Management n° 237 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 237 du 01/06/2015

 

Qualité Gestion des risques

Christian Dupont  

Avoir dans sa poche les dernières recommandations sur les bonnes pratiques de soins sur chambre à cathéter implantable (CCI), c’est possible, avec le Pocket CCI. Un concept qui répond aux attentes de la profession et qui permet, aux plus novices comme plus expérimentés, de respecter à la lettre les principes de précautions établis.

Édité pour la première fois en novembre 2010(1), le pocket intitulé Recommandations pour la bonne utilisation des chambres à cathéter implantable (CCI) complétait une série de supports d’informations consacrée aux recommandations de bonnes pratiques de manipulations des CCI. Après un poster destiné à être affiché dans les postes de soins(2), un diaporama d’accompagnement et d’argumentation(3), chaque étudiant en soins infirmiers, infirmier hospitalier ou libéral pouvait emmener avec lui un aide-mémoire de petit format dédié à l’utilisation des CCI. L’affaire était dans la poche. Mais, dès 2013, était-ce encore le cas ?

RÉACTUALISER

Rappel historique

À l’époque de la sortie du Pocket CCI, en 2010, seule l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) a rédigé en 2000 un document exhaustif sur l’utilisation des CCI. Ce dernier est apparu une vingtaine d’années après l’introduction des CCI en France.

Cependant, l’objectif premier du document, comme son titre l’indique, était d’aider à “l’évaluation de la qualité de l’utilisation et de la surveillance des chambres à cathéter implantables”. Aussi, en mars 2012, la parution des recommandations de la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H)(4) représentait un événement : plusieurs sociétés savantes françaises ont collaboré pour rédiger un consensus formalisé d’experts consacré à la prévention des infections associées aux CCI et ainsi édicter des recommandations professionnelles. Les recommandations de la SF2H ont validé les positions du pocket de 2010 concernant la prévention des infections des CCI (emploi préférentiel des antiseptiques alcooliques, des aiguilles de 22 gauges pour préserver au maximum la peau protégeant la chambre, utilisation des valves bidirectionnelles préservant le système clos…). L’adéquation des deux documents doit donc être rappelée au lecteur.

Quelles mises à jour ?

Les études menées par le laboratoire Matière et Systèmes Complexes de l’Université Paris-Diderot, Paris 7, spécialisé en rhéologie et en mécanique des fluides, ont prouvé dès janvier 2010 la supériorité du rinçage pulsé pour préserver la perméabilité des cathéters et des CCI en particulier. Mais, en 2013, elles vinrent infirmer deux informations véhiculées par le pocket de 2010.

Orientation de l’orifice de l’aiguille de Huber

La première information concernait l’orientation de l’orifice de l’aiguille de Huber(5). Le document recommandait en effet d’orienter le biseau, l’orifice de l’aiguille vers ou face à la sortie de la chambre de la CCI. Pourquoi ? Il arrive parfois que l’orifice de l’aiguille soit “collé” à la paroi interne de la chambre, et qu’une résistance à l’écoulement apparaisse. En tournant le biseau de l’aiguille vers la sortie de la chambre ou son centre, le débit est alors “libéré” et amélioré. Notons que la deuxième possibilité est que l’aiguille soit fichée dans un caillot sanguin ou un amas de précipités polluant le dispositif. La figure 1 (ci-contre) montre deux orientations extrêmes : α = 0°, vers la sortie de la chambre, et α = 180°, à l’opposé de la sortie.

Pour un même conduit et un même liquide et à pression d’injection identique, le débit est inversement proportionnel à la résistance opposée à l’écoulement. Donc, quellle que soit la direction de l’orifice d’une aiguille de Huber, le débit sera identique. Il sera modifié si l’orifice est totalement collé à la paroi du CCI (peu probable), s’il est en partie ou totalement inclus dans le septum ou s’il se situe dans un amas de précipités.

En revanche, les forces de frottement sur la paroi du CCI dépendent de la direction de l’orifice de l’aiguille de Huber. Les figures 2 et 3 (ci-contre) montrent des résultats expérimentaux in vitro pour des rinçages continus avec une seringue calibrée de 10 mL. L’orientation α = 180° de l’orifice de l’aiguille améliore de manière significative (test de Mann et Whitney) l’efficacité du rinçage.

Un tel effet s’explique par une meilleure répartition des forces de frottement pariétales lorsque le jet est orienté à l’opposé du canal de sortie. Cette différence est confirmée, quel que soit le point d’insertion de l’aiguille de Huber, centrale ou excentrée. Il en est de même lors de l’injection continue : le frottement pariétal, est plus important si α = 180°, le risque de dépôt sera réduit, la pollution moindre. Lorsque le point de ponction est latéralisé, les résultats se situent entre les résultats obtenus pour les deux orientations extrêmes du biseau de l’aiguille de Huber (figure 1).

Les travaux menés par Paris-Diderot montrent ainsi que le fait de positionner l’orifice de l’aiguille face à la sortie de la chambre nuit à l’efficacité du rinçage de la chambre et que la solution idéale (celle qui va créer le plus de frottements dans la chambre) est de positionner l’orifice de l’aiguille à l’opposé du canal de sortie de la chambre.

Conjuguée au rinçage pulsé, cette orientation du biseau entraîne un rinçage optimal de la CCI.

Juste avant le retrait de l’aiguille de Huber

La seconde information concernait l’étape précédant le retrait de l’aiguille, soit le fait de tourner l’aiguille de Huber à 180° tout en rinçant la chambre. L’examen de l’intérieur des chambres explantées a montré qu’elles sont moins polluées depuis que cette pratique avait été appliquée. Malheureusement, ces observations cliniques n’ont jamais fait l’objet d’une publication. De plus, comment déterminer l’action déterminante de l’optimisation du rinçage, à savoir la rotation de l’aiguille sur son axe ou le rinçage pulsé ?

L’équipe de rhéologie a donc étudié et comparé les effets d’un rinçage continu en tournant l’aiguille sur son axe et celui d’un rinçage en laissant l’aiguille immobile. La figure 4 représente l’intensité totale de la force de frottement pariétal sur l’ensemble de la chambre d’un rinçage en continu (résultat numérique). Les courbes (a) et (e) de la figure 4 donnent respectivement les forces de frottement pariétales totales pour α = 180° et α = 0°. On voit que le résultat numérique est en accord avec les résultats expérimentaux de la figure 3. Le point A, fond de la chambre, de très minime surface, est le siège possible d’une faible stase. Une oscillation minime permettrait de supprimer cette stase éventuelle.

L’ensemble des résultats numériques montre qu’une oscillation de l’aiguille, mimant le rinçage en rotation à 360° prônée par certains protocoles ne conduit pas à une amélioration de l’efficacité, le rinçage continu à α = 180° conservant dans tous les cas une meilleure efficacité. L’efficacité du rinçage à α = 180° est plus grande si le rinçage est pulsé. Il n’y a donc physiquement aucune raison pour systématiquement tourner l’aiguille sur son axe à 360° tout en rinçant une CCI.

Le verrou hépariné

Menée au centre hospitalier universitaire de Louvain, l’étude de M. Stas et L. Goossens a confirmé, avec une méthodologie de recherche très sûre, que le rinçage de la CCI avec une solution héparinée n’apporte aucun avantage, voire peut engendrer des thrompénies allergiques induits par l’héparine pouvant être mortels(6).

Rappels utiles

Dans un même ordre d’esprit, les indicateurs de bon fonctionnement ont été augmentés au nombre de six, car les signes d’apparition d’une thrombose étaient insuffisamment rappelés sur des audits de connaissances, notamment des étudiants infirmiers(7).

En supplément de ces données, des rappels ont semblé nécessaires : le retrait du vernis à ongles pour optimiser l’efficacité de l’hygiène des mains nues et sans bijoux, la nécessité de désinfecter la totalité de la surface cutanée qui sera recouverte par le pansement, la nécessité de fixer l’aiguille avec des bandelettes adhésives (prévention de l’extravasation). La désobstruction et la prise en charge de l’extravasation ont été développées.

L’information aux patients

Il semble également primordial que le patient sache gérer au quotidien sa CCI, dépister un problème, et que faire pour le résoudre ou à qui faire appel. L’information du patient est un thème récurrent à l’hôpital. Mais elle nécessite une réflexion au sein de l’équipe pluridisciplinaire. À quel moment cette information est-elle utile pour le patient et “écoutable” par le patient ? Que dire à une personne extrêmement angoissée sur les signes d’appel d’une thrombose sans majorer son malaise ? Les propos des soignants doivent être clairs, cohérents au sein de l’équipe thérapeutique au sens large, et adaptés au patient. L’assimilation des messages doit être évaluée. Est-ce toujours le cas ?

Une mise à jour indispensable

Cette mise à jour a fourni l’occasion d’accueillir de nouveaux intervenants au sein du groupe de travail initial(8). Leurs connaissances ont grandement enrichi les échanges. Le document a été soutenu par l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, la Société française de mucoviscidose, l’Arlin Sud-Ouest, l’Association française des infirmières de thérapie cellulaire hématologie - oncologie et radiothérapie (AFITCH-OR) et l’ensemble des Centres régionaux de lutte contre le cancer dont sont issus les rédacteurs.

LA DIFFICULTÉ DE LA COMMUNICATION

Le format adapté à la mobilité, la présentation synthétique et synoptique (information pratiques délivrées en de brefs messages et appuyés par des visuels simples) ont été très bien accueillis par les professionnels et les étudiants en soins infirmiers. Ces atouts et sa gratuité sont à l’origine de sa large diffusion et utilisation. Les caractéristiques de la première édition du pocket ont donc été conservées.

Cependant, l’expérience a montré que la simplicité est un objectif difficile à atteindre. En 2010, les travaux de Paris 7 sur le rinçage pulsé étaient peu connus des soignants. Imager le rinçage pulsé par la superposition de dix photographies de mains actionnant successivement un piston millilitre par millilitre était peu lisible et compréhensible. Trois superpositions étaient explicites. Mais comment légender cette photo par “actionner en dix pulsions” alors que trois pulsions étaient uniquement visibles ?

Le diaporama exposait en détail les dix pulsions nécessaires, mais le poster et le pocket ne montraient que cette photo et cette phrase, « actionner en trois pulsions ». La recommandation de la SF2H promeut explicitement le rinçage pulsé (R.42 « Un rinçage efficace consiste en l’injection de 10 mL de NaCl à 0,9 % de manière pulsée par poussées successives (accord Fort)(4) », mais ne l’explique que dans l’argumentaire. Or il s’avère que les argumentaires ne sont pas systématiquement lus par les professionnels de santé.

La preuve en a été donnée lors des journées annuelles de l’Association française des infirmières de thérapie cellulaire hématologie – oncologie et radiothérapie (AFITCH-OR), en 2014, où un auditoire d’une centaine de personnes a vivement remis en question le fait que le rinçage pulsé recommandé consiste en une injection en dix saccades successives. Pour le plus grand nombre, “pulsé” signifiait “en trois poussées”. L’exposé de l’étude fondatrice(9) de la recommandation qui préconise l’injection en dix pulsions successives de 1 mL de NaCl à 0,9 %, pour retirer 90 % +/- 3 % des protéines adsorbées sur la lumière interne d’un cathéter, a été une découverte pour beaucoup. La mise au point fut donc utile. Deux travaux ont objectivé le passage du mode pulsé dans les pratiques de rinçage mais aussi la mauvaise interprétation du terme “pulsé”. L’audit réalisé en 2010 et 2013 auprès d’une large population d’étudiants en soins infirmiers(10) montre, en effet, que le rinçage pulsé est de plus en plus respecté (56 % rincent en pulsé et 19 % en continu en 2010 versus 72 % qui rincent en pulsé et 7 % en continu en 2013). Cependant, une récente évaluation(11) réalisée auprès de 96 infirmières issues de neuf services hospitaliers différents d’un même CHU montre que le rinçage pulsé en dix pulsions successives est une pratique minoritaire (figure 5). Pour ces raisons, si l’image des trois pulsions a été conservée sur le pocket CCI, le message « rinçage en dix pulsions » est devenu explicite.

PRÉSENTATIONS ET ÉVOLUTIONS

Cette 2e version du pocket a été testée durant le 7e congrès des Dispositifs intraveineux de longue durée (DIVLD), le 3e congrès mondial des accès vasculaires (World Congress of Vascular Access), aux journées annuelles de l’Association française des infirmières de thérapie cellulaire hématologie – oncologie et radiothérapie (AFITCH-OR).

La version définitive de cette seconde version, éditée en novembre 2014, est dorénavant gratuitement disponible sur le site evenousaccess.com.

CONCLUSION

Ce pocket reste un outil, efficace certes, mais qui doit être régulièrement remis à jour. Cette volonté d’actualisation touchera sous peu le diaporama puis le poster.

Cependant, ces outils sont avant tout des prétextes à échanges. Ils ne sont pas destinés à remplacer les discussions professionnelles autour des pratiques. L’information vivante, non figée sur un quelconque support, et surtout l’évaluation de son impact sont et doivent être avant tout portées par des équipes ressources en cathétérisme veineux périphérique et central. Ces équipes pluriprofessionnelles de cliniciens sont aussi nécessaires que les infirmières douleurs ou plaies et cicatrisation.

Notes

(1) CCI : pour l’implication des étudiants en soins infirmiers. S. Boyer, M. Miègeville, C. Dupont, Objectif soins n° 202, janvier 2012.

(2) Mise en place de recommandations pour l’utilisation et le maintien des CCI. C. Dupont, Objectif soins n° 166, novembre 2007.

(3) Bonnes pratiques sur les CCI : l’utilité d’un diaporama didactique. C. Dupont, Objectif soins n° 178, août/septembre 2009.

(4) Préventions des infections associées aux chambres à cathéter implantables pour accès veineux. SF2H. Mars 2012.

(5) Guide pratique des chambres à cathéter implantables. Éditions Lamarre. 2012.

(6) Comparing normal saline versus diluted heparin to lock non-valved totally implantable venous access devices in cancer patients: a randomised, non-inferiority, open trial G. A. Goossens, M. Stas. Annals of Oncology 00: 1-8, 20134.

(7) CCI : pour l’implication des étudiants en soins infirmiers. S. Boyer, M. Miègeville, C. Dupont, Objectif soins n° 201, décembre 2011.

(8) Groupe de travail (l’auteur remercie chaleureusement ces personnes pour leur investissement : O. Albert, S. Villiers, H. Levert, M.-C.Douard, (CHU Saint-Louis, Assistance publique-hôpitaux de Paris), B. Assier (ABCommunication), N. Baghdadi (Arlin Nord, Lille), S. Boyer (CHU Paul-Brousse, Assistance publique-hôpitaux de Paris),E. Desruennes (Institut Gustave-Roussy), G. Hoareau (CHU Pitié-Salpêtrière, Assistance publique-hôpitaux de Paris), M. Kerbrat (Centre de ressources et de compétences pour la mucoviscidose de Pérharidy, Roscoff), I. Kriegel (Institut Curie), B. Le Hasif (Centre régional de lutte contre le cancer François- Baclesse, Caen), M. Miegeville (CHU Necker-enfants malades, Assistance publique-hôpitaux de Paris), P. Parneix (Arlin Sud-Ouest, Bordeaux), J. Raffin (CHU Cochin, Assistance publique-hôpitaux de Paris), J.-J. Simon (Centre régional de lutte contre le cancer Paoli-Calmettes, Marseille).

(9) Flushing of intravascular access devices (IVADs) – Efficacy of pulsed and continuous infusions G. Guiffant,J.-J. Durussel, J. Merckx, Patrice Flaud, Jean Pierre Vigier, Patrice Mousset. Journal of Vascular Access 2012;13 (1):75-78. (pour des données supplémentaires : Perfusions et cathétérisme, bien choisir les dispositifs. G. Guiffant, P. Flaud et al. Éditions Arnette 2015 (à paraître).

(10) Impact de la réforme des études en soins infirmiers de juillet 2009 sur l’apprentissage des bonnes pratiques de manipulation des CCI. S. Boyer, M. Miegeveille. Présentation orale durant le 7e congrès des Dispositifs intraveineux de longue durée. Paris, 24/01/2014.

(11) Rinçage des CCI et des Picc : évaluation des pratiques. Y. Chabi, B. Benoît. Travail en vue de la validation de l’Unité d’enseignement dispositifs médicaux (UEDM). Poster, avril 2014. Données non publiées à ce jour.

(12) Guideline for the management of totally implantable ports (tip): a practical pocket guide now downloadable. Poster. 3rd World Congress on Vascular Access 2014, 18-20 June 2014, Berlin, Germany.

Info +

Le 8e congrès francophone sur les Dispositifs intraveineux de longue durée (DIVLD) se tiendra à Paris les 29 et 30 janvier 2016. Plus de renseignements sur www.divld.org

Remerciements

à J. Merckx, infatigable “agitateur d’idées”, pour sa relecture des données de Paris 7, et aux équipes de Pérouse Médical et de Becton Dickinson France pour leur soutien durable et leur professionnalisme tout au long de la création et de l’accompagnement de ce document.