Économie, santé publique et non-observance des AVK - Objectif Soins & Management n° 237 du 01/06/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 237 du 01/06/2015

 

Promotion de la santé

Marina Vaugon*   Dalinda Gori**   Axelle Semet***   Isabelle Dudziak****   Laurence Beaucamp*****  

Coûteuse, la non-observance des anti-vitamines K (AVK) est un problème de santé publique non négligeable pour les établissements de santé. Les AVK sont une catégorie d’anticoagulants généralement utilisés pour traiter des pathologies chroniques affectant la population vieillissante. Ils nécessitent une surveillance et une observance scrupuleuse. La non-observance du traitement entraîne une augmentation de la durée moyenne de séjour.

Les anti-vitamines K (AVK) sont des traitements anticoagulants administrés par voie orale à dose curative. Ils sont utilisés dans la prévention et le traitement des thromboses artérielles ou veineuses. Leurs indications sont essentiellement cardiaques ou liées à une maladie thromboembolique veineuse.

ÉPIDÉMIOLOGIE

L’évolution démographique actuelle, avec le vieillissement de la population, entraîne un accroissement du nombre de personnes concernées par la prise d’un traitement anticoagulant. En effet, les AVK sont prescrits à environ 1 % de la population française sur une durée de quelques mois ou au long cours, en fonction des indications. Les personnes âgées sont principalement concernées par ces prescriptions. Un traitement par AVK doit être bien équilibré. En effet, si le sous-dosage expose à un risque de récidive de thrombose, un surdosage expose quant à lui à un risque hémorragique. La gestion du traitement par AVK peut être parfois complexe.

En effet, il est prescrit dans le cadre de pathologies chroniques chez des sujets souvent âgés. Dans ces circonstances, il n’est pas rare de rencontrer une mauvaise observance de la prise de ces traitements.

POSTULAT DE DÉPART

L’impact

L’expérience professionnelle des membres du groupe de travail nous montre de manière subjective l’impact de cette mauvaise observance sur la santé publique.

Ainsi, notre expérience professionnelle en cardiologie et en chirurgie nous permet de constater que les patients traités par AVK sont réhospitalisés en urgence pour douleurs thoraciques aiguës pouvant aller jusqu’à l’arrêt cardiaque. Souvent, les causes de ces hospitalisations sont liées au mauvais suivi du traitement ou à l’arrêt de celui-ci.

Rupture de traitement

La rupture de traitement est liée au recours à la chirurgie. La durée moyenne de séjour des patients sous AVK est influencée par la méconnaissance du malade de son traitement, de l’équilibrage de l’INR avant la sortie et de l’implication du médecin traitant après la sortie. Pour comprendre cette problématique, il est nécessaire de redéfinir certains termes afin de mener une enquête pertinente.

ENQUÊTE

Pour mesurer l’impact de la non-observance de ce traitement, nous avons procédé à une enquête empirique par questionnaires anonymes adressés aux soignants en unités de chirurgie et de cardiologie dans un établissement public de santé du Val-d’Oise.

Qui ?

Les services concernés par l’enquête (cardiologie, chirurgies) prennent tous en charge des patients sous AVK.

Représentation

Les infirmiers sont les plus représentés. Ces soignants accueillent majoritairement des personnes âgées de plus de 60 ans.

En effet, cette population présente des pathologies cardiovasculaires, axe de notre travail et peut aussi être prise en charge dans les services de chirurgie pour différentes raisons.

La non-observance observée

Les soignants répondent tous que les patients prennent régulièrement leur traitement.

Pourtant, ils mettent en avant l’existence d’une mauvaise observance. Celle-ci est due à :

• des facteurs physiologiques : l’âge, la démence, les troubles mnésiques ;

• des facteurs environnementaux : organisation de vie, problème social, barrière linguistique, la présence ou non de la famille ;

• des facteurs cliniques : surveillance clinique, la surveillance biologique, les polypathologies ;

• des facteurs psychologiques : rigueur de la prise, lassitude, oubli de prise, non-acceptation de la maladie chronique.

L’importance de l’éducation thérapeutique

L’autre élément mis en évidence par les soignants est l’importance de l’éducation thérapeutique pour l’observance du traitement AVK. La mauvaise observance selon les données épidémiologiques est responsable de l’augmentation de la morbidité, la diminution de l’efficacité du traitement, l’augmentation des arrêts de travail et représente plus de 30 % des hospitalisations des plus de 70 ans.

Une durée moyenne de séjour en augmentation ?

Par ailleurs, notre questionnaire met en exergue l’augmentation de la durée moyenne de séjour due à la non-observance du traitement AVK. Cet élément est d’ailleurs significatif dans les données épidémiologiques. En effet, une mauvaise observance majore les hospitalisations pour hémorragie.

Conclusions de l’enquête

Au vu des résultats des questionnaires, les soignants semblent bien formés aux risques liés à la non-observance du traitement, mais moins à l’accompagnement thérapeutique des patients sous AVK. Selon eux, cet accompagnement est réalisé par le médecin traitant à travers le contrôle biologique.

Les éléments révélateurs d’un défaut d’éducation thérapeutique sont l’absence de :

• personnes ressources clairement identifiées dans les services ;

• distribution de livret de suivi du traitement AVK ;

• formation complémentaire à l’actualisation des connaissances.

Pourtant, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé prône l’utilisation du carnet de suivi des AVK pour les patients. De même, la loi régissant l’exercice profes-sionnel et la formation infirmière stipule précisément que ces professionnels doivent être en capacité de réaliser des actions d’éducation thérapeutique. Cette action soignante est aussi une priorité de santé publique au niveau national, notamment depuis l’avènement de la loi HPST de 2009, pour limiter les surcoûts liés aux réhospitalisations pour les conséquences de la non-observance des traitements. Ces derniers points font partie des pistes de réflexion proposées par les soignants à l’issue des questionnaires.

QUELS LEVIERS ?

Un plan d’amélioration de la situation de défaillance de l’éducation thérapeutique auprès des patients sous AVK devra être mis en place.

Les équipes

L’éducation thérapeutique réalisée par les professionnels permet de motiver les patients au suivi de leur traitement au long court répondant ainsi aux obligations de la loi HPST*. Les malades doivent être aidés dans le suivi de leur traitement.

Une prise en charge pluridisciplinaire

Les interventions doivent être individualisées. La famille, les organisations de malades ainsi que la collectivité en général sont des facteurs clés pour l’amélioration de l’adhésion thérapeutique, ce qui met en relief l’importance d’une approche de nature pluridisciplinaire.

Faciliter l’observance

La non-observance entraîne des effets délétères pour le patient comme pour la collectivité (santé publique et coûts). Faciliter l’observance est donc un enjeu im-portant. Cela nécessite une approche particulière, centrée sur des protocoles bien définis. Initiés par le médecin, ils sont souvent mis en œuvre par des infirmières au cours de consultations spécialisées.

ÉVALUER POUR MIEUX SOIGNERs

L’évaluation de l’éducation thé-rapeutique comme facteur d’amélioration de l’observance des patients traités par AVK s’envisage uniquement sur du long terme, comme toute action de santé publique.

Formation

L’évaluation passera par la formation et la remotivation des professionnels de santé à l’éducation thérapeutique.

Réseau

Il est essentiel d’entretenir et de promouvoir auprès des patients le réseau ville-hôpital. Les consultations infirmières de suivi d’éducation thérapeutique sont en développement en ville.

CONCLUSION

Au terme de notre étude, nous pouvons donc confirmer que la non-observance des traitements AVK par les patients est un réel problème de santé publique.

Les réhospitalisations et l’augmentation de la durée moyenne de séjour représentent un coût important pour le système de santé. Cela nécessite la mobilisation des compétences des équipes soignantes.

Le cadre de santé ne peut pas agir seul face à cette problématique. Cependant, son positionnement stratégique lui permet de fédérer les équipes autour de l’éducation thérapeutique, favorisant une cohésion d’équipe autour d’un projet commun.

La pérennité des actions mises en place au sein de l’hôpital passe par leur continuité et la mise en lien avec les réseaux ville-hôpital. Cette cohésion peut être facilitée par l’obligation formulée dans la loi HPST de 2009. En effet, l’éducation thérapeutique y est positionnée comme un axe prioritaire de santé publique.

Ce travail met en exergue l’importance de la mission de formation du cadre de santé ainsi que l’accompagnement des équipes dans une dynamique de démarche éducative. Ceci dans le but d’assurer la qualité et la sécurité des soins qui sont dues aux patients.

Le rôle du cadre

Le cadre doit sensibiliser les équipes à l’évaluation et au dépistage de la non-observance du traitement par AVK. Il s’agit de motiver et fédérer l’équipe pour :

→ désigner un médecin référent qui peut être rapidement contacté pour prendre en charge un problème hémorragique ou thrombotique compliqué ;

→ former un IDE référent en éducation thérapeutique qui interviendrait auprès des patients de façon individuelle ou collective : formation à l’éducation thérapeutique, formation externe (40 heures ou un DU éducation thérapeutique) intégrée au plan de formation 2015 ;

→ coordonner une formation aux IDE en interne sur l’information du patient concernant son traitement et sa surveillance ;

→ anticiper un programme de formation (personnels médicaux et paramédicaux) à l’outil plan de soin guide : prise en charge de l’éducation du patient sous AVK ;

→ formaliser et s’assurer de la traçabilité de l’information délivrée.