Situation travaillée par un groupe d’étudiants de 2e année - Objectif Soins & Management n° 236 du 01/05/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 236 du 01/05/2015

 

Management des soins

Marie-Chantal Durier*   Béatrice Perel**  

Monsieur X., patient âgé de 69 ans, est une personne “sans domicile fixe” qui a été retrouvée blessée sur la voie publique. Il est d’origine turque et de religion musulmane. Il a été conduit aux urgences par les secours. À son arrivée, il est conscient. Un scanner cérébral est effectué, qui révèle un hématome sous-dural traumatique. Il précise qu’à la suite d’un conflit familial, il n’est plus en contact avec sa famille depuis plusieurs années. Son état se dégrade rapidement : il est alité, mange peu, parle peu. Au bout de quatre jours, il fait un accident vasculaire cérébral ischémique, et devient mutique. La famille est prévenue alors de l’état de Monsieur X., et vient le voir. La famille semble ne pas comprendre qu’il est en fin de vie, malgré plusieurs rencontres avec les médecins. Elle demande pourquoi aucun traitement curatif n’est mis en place et exige des examens complémentaires. Après avoir réfléchi en groupe, nous avons formulé le dilemme suivant : « L’équipe soignante doit-elle continuer les soins curatifs selon les souhaits de la famille ou doit-elle respecter la fin de vie et instaurer des soins palliatifs ? » À partir de ce dilemme, les étudiants se sont interrogés sur les différents aspects culturels à prendre en compte dans cette situation.

La conscience culturelle

Monsieur X. est d’origine turque, et est sans domicile fixe, dans un premier temps sa famille est absente. Se posent les questions suivantes : quel regard pose le soignant sur cet homme ? L’homme démuni ? L’homme d’origine étrangère ? Comment la vulnérabilité de cet homme est-elle perçue par les soignants ?

Quelle est notre connaissance culturelle de la situation ?

Quels étaient les souhaits du patient ?

Le fait de prévenir la famille allait-il à l’encontre ou non de ses souhaits (secret préservé ou non) ? Dans la religion musulmane, le devoir d’assistance est très présent. La personne malade doit être entourée et ne pas être laissée seule. On ne sait pas dans quelles circonstances Monsieur X. s’est retrouvé isolé socialement. Chez les personnes immigrées, la notion de réussite sociale est très présente, il a sans doute voulu écarter sa famille car il connaît un échec.

L’aggravation de la situation de Monsieur X. a motivé l’annonce de l’hospitalisation à sa famille, les soignants souhaitant qu’il soit entouré par ses proches. La famille est informée de la situation médicale (vérité scientifique) mais en fait une interprétation différente de l’équipe soignante. Quels éléments de compréhension culturelle sont à rechercher dans cet écart ?

L’approche de la fin de vie n’est pas la même pour tous. Il y a nécessité pour les soignants de réinterpréter dans un code culturel parfois différent du leur, ce qui fait sens pour le patient et qui est différent de ce qui fait sens pour eux. L’arrêt des soins curatifs peut être interprété comme un abandon du patient à un moment où il ne faut pas le laisser seul. Dans la confession musulmane, « l’assistance à un mourant est basée sur la conception même de la vie et de la mort dans l’Islam. Il faut donc lui faire sentir que tout le monde est à ses côtés et que tout doit être tenté pour le sauver. Il faut continuer à lui administrer son traitement jusqu’à son dernier souffle… ».*

Quelle sensibilité culturelle anime les soignants ?

Les soignants font-ils preuve d’empathie pour le patient ? La famille ?

Quelles sont nos croyances, nos comportements vis-à-vis de ce patient ? Respecte-t-on les souhaits du patient ? Comment sa prise en charge médicale est-elle envisagée ? Pourquoi sa famille réagit-elle ainsi ? Est-il égal aux autres patients dans sa prise en charge ? Jusqu’où peut-on accepter les demandes de la famille ? Quelle approche de l’accompagnement et de la fin de vie est envisagée ?

Compétence culturelle

Elle se retrouve dans l’évaluation du comportement et de l’attitude des soignants avec le patient et sa famille, dans le diagnostic posé, dans la compétence clinique qui prend en compte cet homme de 69 ans, d’origine turque, SDF, qui est en fin de vie. L’analyse de cette situation nous a montré la complexité de la mise en œuvre du questionnement et la nécessité de s’inscrire dans un échange véritable. Nous avons pris conscience grâce à ce travail de l’importance de la prise de recul sur ces situations et de s’interroger sur sa pratique professionnelle. La prise en compte de la dimension culturelle permet d’enrichir les hypothèses d’action.

* Aboubaker Djaber Eldjazaïri, La Voie du musulman, éditions Maison d’Ennour, 1997.