Le handicap à l’hôpital, au-delà des caricatures - Objectif Soins & Management n° 236 du 01/05/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 236 du 01/05/2015

 

Ressources humaines

Caroline Coq-Chodorge  

Les établissements de santé sont de mauvais élèves pour l’insertion des personnes handicapées dans l’emploi. Paradoxe pour ce milieu professionnel où la pénibilité du travail se révèle assez forte. La représentation du handicap doit évoluer, du côté des directions comme des agents. Car la reconnaissance des travailleurs en situation de handicap peut s’avérer être un atout individuel et collectif.

« Le principal frein à l’emploi des personnes en situation de handicap tient à la représentation faussée que les valides se font du handicap. 80 % des handicaps sont invisibles », rappelle Patrice Thuaud, le directeur de l’Ifsi de Castelnau-le-Lez (Hérault), le seul en France dédié aux personnes en situation de handicap. Bien sûr, certains handicaps sont incompatibles avec les métiers soignants : « Les handicaps physiques et psycho-pathologique les plus lourds : les personnes en fauteuil roulant, aveugles, psychotiques, etc. » En revanche, les aménagements de postes sont aisés pour « les personnes en situation de handicap physique qui tiennent la station de bout – ceux qui boitent, ceux qui ont été amputés mais qui sont équipés de prothèses – tous ceux qui souffrent de maladies chroniques, à partir du moment où elles sont stabilisées, mais aussi les malvoyants ou les malentendants. Il y a même des aides-soignants sourds, et bientôt, j’en suis certain, des infirmiers », assure Patrice Thuaud. L’Ifsi de Castelnau-le-Lez forme chaque année dix-sept infirmiers, qui n’ont aucune difficulté d’accès à l’emploi : « 100 % trouvent un contrat à la sortie de leurs études, les deux tiers en CDI, assure le directeur. Les tensions sur le marché du travail infirmier n’ont pas eu de conséquences pour nous. Des employeurs me contactent régulièrement pour recruter nos étudiants. »

RÈGLE DES 6 %

Patrice Thuaud ne se fait cependant aucune illusion : « Bien sûr, le levier qui motive le plus les services de ressources humaines des établissements est la règle des 6 %. » Depuis la loi sur l’égalité des chances de 2005 (lire l’encadré p. 26), les entreprises privées comme les services publics doivent employer au minimum 6 % de travailleurs en situation de handicap. Sinon, ils sont sanctionnés financièrement.

Par exemple, le centre hospitalier d’Hyères (Var) n’employait en 2011 « que dix-huit personnes en situation de handicap, sur un effectif de 900 agents, raconte Muriel Laplacette, cadre socio-éducatif et référente handicap. Notre pénalité s’élevait à 150 000 euros ».

« Sous la pression financière, les établissements bougent », se félicite également Marc Dumon, délégué régional de l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) en Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca). L’ANFH est liée depuis 2010 par convention avec le Fonds pour l’insertion des personnes en situation de handicap dans la fonction publique (FIPHFP), qui a recueilli en 2013 150 millions d’euros des trois fonctions publiques (d’État, territoriale et hospitalière). Ces contributions sont versées lorsque le taux de 6 % n’est pas atteint dans les établissements et services publics. Cet argent est redistribué pour financer des formations, des aménagements des postes de travail et de locaux. Dans le milieu hospitalier, la plupart des grands établissements ont signé des conventions avec l’ANFH et le FIPHFP, par lesquelles ils s’engagent à mettre en œuvre une politique globale en faveur du handicap, via notamment le recrutement d’un référent handicap. Mais les petits établissements accusent un certain retard. Pour y pallier, le FIPHFP finance des postes de référents handicaps communs à plusieurs petits centres hospitaliers.

Le centre hospitalier psychiatrique de Montfavet (Vaucluse), qui emploie 2 200 agents, a atteint en 2014 le taux de 6 % de travailleurs en situation de handicap. « C’est le résultat d’une mobilisation importante de l’ensemble des équipes », se félicite Félicie Faggianelli, directrice des ressources humaines (DRH). Cet établissement travaille en partenariat avec l’Ifsi de Castelnau-le-Lez, accueille des étudiants infirmiers en stage et « devrait prochainement recruter », assure la DRH.

POSTES AMÉNAGÉS ET RECLASSEMENTS

Mais le plus difficile pour cet établissement est d’adapter les postes ou de reclasser des agents qui ont développé des handicaps, liés à l’usure du travail, ou à la suite d’une maladie, d’un accident, etc. Sa politique handicap, encadrée par une convention ANFH-FIPHFP, est très structurée. La DRH anime tous les mois une « cellule de maintien dans l’emploi, qui réunit la médecine du travail, le service des ressources humaines, les chefs de pôles et de service et la référente handicap ». À Montfavet, cette fonction est occupée par la cadre de santé Astrid Hennaut. C’est elle qui reçoit les agents en entretien individuel, « souvent au retour d’un arrêt maladie, pour évoquer leur situation, faire un état des lieux de leurs difficultés, envisager des aménagements de postes ou d’horaires ». Les profils types sont des « ASH ou des aides-soignants souffrant de troubles musculo-squelettiques liés à l’usure au travail, ou des agents qui tombent malades d’un cancer, qui développement un diabète, etc. ».

Pour maintenir ces personnes à leurs postes, l’établissement a recruté un ergonome et investi dans du matériel plus adapté : des chariots plus petits et plus légers, des balais articulés, des seaux équipés de tuyaux pour être vidés sans être soulevés… Grâce au progrès technique, « nous avons pas mal de solutions pour maintenir, au moins un temps, un agent sur son poste de travail. Il faut être un peu créatif », assure Astrid Hennaut. L’établissement essaie, autant que possible, de suivre une règle : « Que ces aménagements profitent au plus grand nombre, afin d’améliorer la qualité de vie au travail », explique Félicie Faggianelli. Une manière de valoriser la politique handicap de l’établissement.

Le centre hospitalier d’Hyères a de son côté monté un “comité restreint handicap”, comprenant la DRH, la référente handicap et la direction des soins infirmiers. « Mais, au préalable, la personne doit avoir fait la démarche auprès de notre service social, explique Muriel Laplacette. Et elle doit donner son accord pour que son cas soit étudié en comité restreint. »

Les difficultés des agents atteints de handicap sont souvent « une plus grande fatigabilité, des difficultés à se déplacer, à soulever des charges trop lourdes, des arrêts maladie à répétition. Souvent, le handicap d’un agent est compensé par son équipe, ce qui peut porter préjudice à son organisation », énumère Muriel Laplacette. Lorsque le handicap est bien cerné, des aménagements de poste sont recherchés : « On reprend la fiche de poste, on s’intéresse au fonctionnement du service. Des tâches peuvent être supprimées, par exemple la distribution des petits-déjeuners, remplacées par d’autres. » Des aménagements importants sont parfois nécessaires, et le FIPHFP est mobilisé. Muriel Laplacette donne l’exemple d’une infirmière en cardiologie qui bénéficie d’un « siège ergonomique quand elle s’installe au lit d’un patient, de supports adaptés pour les soins, d’un chariot plus léger… ».

CAPACITÉS D’ADAPTATION SOUS-ESTIMÉES

Mais vient toujours le moment où le maintien d’un agent à son poste n’est plus possible. À Hyères, même si « c’est exceptionnel », Muriel Laplacette évoque des infirmières qui s’orientent vers des postes « dans l’Éducation nationale, les Agences régionales de santé, les instituts de formation… ». Le délégué régional de l’ANFH en Paca, Marc Dumon, souligne cependant : « Il faut arrêter de penser que toutes les personnes en situation de handicap terminent forcément au standard ou à l’accueil ». Pour Patrice Thuaud, le directeur de l’Ifsi de Castelnau-le-Lez, les personnes valides sous-estiment les capacités d’adaptation des personnes en situation de handicap. Et en miroir, celles-ci « doutent de leurs capacités. Il faut les aider à prendre conscience de leurs savoirs et de leurs compétences ».

Hélas, le plus souvent, les personnes en situation de handicap sont rétrogradées sur des postes à moindres compétences. Au centre hospitalier de Montfavet, Astrid Hennaut reconnaît sans détours qu’elle « manque de marges de manœuvre lorsque les agents ont d’importantes restrictions physiques. Il y a quelques postes administratifs adaptés, la conciergerie, la cafétéria, les services ambulatoires, de médiation… Comme tous les établissements, nous sommes coincés au bout d’un moment ».

MÉTIERS À DIMENSION PHYSIQUE

« Notre priorité, c’est le maintien dans l’emploi en aménageant les postes de travail. Mais cela a ses limites, renchérit Rodolphe Soulié, DRH au CHRU de Lille (Nord). On essaie de trouver une solution dans le pôle, l’établissement, et, dans le pire des cas, on envisage une sortie de l’activité soignante. » À Lille comme ailleurs, les problèmes dorsaux sont nombreux : « Pour les restrictions de port de charge lourdes de plus de cinq kilos, nous trouvons des solutions techniques ou humaines. Mais lorsque les restrictions sont plus importantes, le maintien dans un métier de soins auprès des patients devient compliqué. » Car il y a une réalité incontournable : « 80 % des métiers de l’hôpital ont une dimension physique. » Les postes plus statiques sont donc pris d’assaut : « Nous avons créé des postes d’assistant codage, pour des infirmières. Sur seize postes, onze sont déjà occupés par des personnes en situation de handicap », précise Rodolphe Soulié.

STATUT RECHERCHÉ

Un autre frein à lever est l’acceptation par l’agent du statut de travailleur en situation de handicap, pourtant recherché par l’établissement. Le CHRU de Lille emploie 554 personnes en situation de handicap, sur un effectif total de 11 500 personnes, soit un taux de 5 % seulement. « Mais, en réalité, nous employons 700 personnes en situation de handicap, assure le DRH. Certaines refusent encore le statut. Nous essayons de faire des campagnes de communication, en insistant sur l’accès aux aides, aux aménagements de postes. »

À Montfavet, où la politique handicap est plus ancienne, la référente handicap Astrid Hennaut assure que l’établissement a « progressé. Nous pouvons désormais parler du handicap sans que cela soit gênant ». L’établissement a mené une politique de communication volontariste sur le sujet à travers « des plaquettes d’information, et même un film humoristique sur notre démarche auquel ont participé de nombreux services, y compris leurs cadres. À la suite de la diffusion de ce film, j’ai reçu des appels spontanés d’agents ». Elle rappelle que l’accès au statut de travailleur en situation de handicap reste une démarche volontaire : « Nous essayons d’aider les agents à accepter leur situation. Mais c’est à eux de faire les démarches administratives pour demander ce statut auprès de la Maison départementale des travailleurs en situation de handicap. »

Le Centre hospitalier du Vinatier, situé à Bron (Rhône), près de Lyon, se trouve lui aussi confronté à cette réticence, plus forte encore pour les handicaps physiques, car c’est un établissement psychiatrique : « Il y a toujours une projection en miroir des soignants sur leurs patients, particulièrement difficile à vivre lorsqu’ils souffrent de pathologies semblables, explique le directeur des soins Vincent Bérichel. C’est le même problème pour les personnes malades d’un cancer, qui ont beaucoup de mal à travailler en cancérologie. Les personnes atteintes d’un handicap psychique parlent très tard de leurs difficultés, souvent lorsqu’ils arrivent en disciplinaire. Les expertises psychiatriques sont toujours très mal vécues. Dans ces cas-là, la seule solution est souvent un reclassement vers un autre établissement. » Pour le directeur de l’Ifsi de Castelnau-le-Lez Patrice Thuaud, les réticences des soignants à accéder au statut de travailleur en situation de handicap tombent lorsque « la politique d’emploi est visible, portée par la direction de l’établissement, le services des ressources humaines, les cadres de santé. C’est indispensable. Car si cette politique n’est pas vraiment assumée par les établissements, elle échoue et laisse durablement une image négative du handicap ».

Les dix ans de la loi pour l’égalité des chances

Alors qualifiée “d’historique”, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées a dix ans. Son bilan est contrasté. Si le regard porté sur le handicap a évolué, l’insertion des handicapés dans la société n’est pas encore acquise.

→ Seuls 40 % des bâtiments recevant du public sont accessibles, alors que la loi fixait une échéance au 1er janvier 2015. Si la grande majorité des établissements de santé le sont, ce n’est pas le cas des cabinets des personnels libéraux.

→ L’insertion professionnelle est encore très faible : 22 % des personnes handicapées sont au chômage, soit deux fois plus que les personnes valides. La loi fixe, pour les employeurs privés comme publics, un taux d’emploi de travailleurs handicapés à hauteur de 6 % de l’effectif total. Il est loin d’être atteint dans la fonction publique, qui ne compte que 4,41 % de travailleurs handicapés au 1er janvier 2011, selon l’édition 2012 du Rapport annuel sur l’État de la fonction publique. La fonction publique d’État est la plus mauvaise élève (3,34 %), et la territoriale la meilleure (5,32 %). La fonction publique hospitalière affiche un taux de 5,1 %, encore faible pour un milieu professionnel dont les conditions de travail génèrent beaucoup de handicaps.