Pratiques simulées et évolution de la posture du formateur - Objectif Soins & Management n° 235 du 01/04/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 235 du 01/04/2015

 

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Nadia Pecquenard*   Laure Le Goff**   Corinne Perrot***   Alexandra Tony****  

Les séquences de pratiques simulées induisent, de facto, une évolution dans la posture du formateur. Une réflexion a été menée afin de définir dans ce cadre le positionnement du formateur surtout lors des séquences de débriefing. Cette posture professionnelle permet-elle de développer une nouvelle compétence pour le cadre formateur ?

Depuis 2009, la réingénierie des formations initiales en Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) a orienté l’apprentissage des étudiants sur un modèle socioconstructiviste, basé sur la construction de l’apprenant à partir de ses expériences, de son interrelation avec les autres et de sa capacité réflexive. La simulation en santé est désormais introduite dans les modalités pédagogiques et va dans ce sens.

ÉTUDE

Afin de répondre à la question de départ, nous avons mené une étude sur 24 débriefings à partir d’une grille. Les résultats montrent que la posture du formateur évolue sur certains critères. Cela permet-il pour autant de définir une nouvelle compétence dans le cadre de l’évolution des méthodes pédagogiques ? Il est évident que cette “compétence” s’inscrit dans l’amélioration des pratiques et, in fine, dans la qualité des soins. Dans le cadre des pratiques simulées en Ifsi, la pédagogie utilisée reste la même, puisqu’à travers la simulation et son débriefing(1), les apprenants vont pouvoir identifier leurs émotions et attitudes, lier l’exercice clinique à la théorie, renforcer et transférer des connaissances vers des situations quotidiennes. À l’heure où les agences régionales de santé recommandent aux Ifsi de se tourner vers les pratiques simulées(2) et que la Haute Autorité de santé (HAS)(3) identifie dans son rapport de 2008 douze bonnes pratiques de débriefing, il était indispensable de se pencher sur la posture du formateur. De plus, l’arrêté du 26 septembre 2014, modifiant l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’État d’infirmier, conforte cette idée. En effet, il stipule que la simulation est introduite dans les modalités pédagogiques.

PÉDAGOGIE INNOVANTE

Investissement des acteurs

Depuis deux ans, les instituts de formation du centre hospitalier Sud Francilien sont engagés dans une pédagogie innovante et dynamique en inscrivant les pratiques simulées dans leur projet pédagogique de formation. Le directeur des instituts de formation, Catherine Fourment, est à l’initiative de ce projet et le soutient avec force, tant au niveau de la formation des formateurs que dans l’organisation des séances de pratiques simulées. Dans ce cadre, quatre formatrices ont été formées aux pratiques simulées et se sont investies dans ce projet. Elles animent régulièrement des ateliers au sein d’un laboratoire de pratiques simulées haute-fidélité et à l’Ifsi du Sud Francilien.

Rôle du formateur

Lors de ces séances, le rôle du formateur se définit sous certains axes :

• il joue un rôle clinique, il anime la simulation ;

• il est facilitateur car il a un rôle de soutien vis-à-vis des étudiants ;

• il a un rôle d’observateur dans le cadre de l’évaluation de la pratique simulée ;

• il peut être évaluateur : dans ce rôle, il évalue la progression de l’étudiant infirmier (comme le maître d’apprentissage en stage) ;

• il est planificateur : il assure la progression pédagogique et planifie la simulation dans le continuum de formation ;

• il est producteur de ressources et d’informations : il fait appel aux recommandations et bonnes pratiques, à du matériel spécifique et opérationnel…

Certains de ces rôles sont “prédominants” et nous ont conduits à une réflexion sur le positionnement du formateur dans le cadre des pratiques simulées et plus particulièrement lors du débriefing.

PROBLÉMATIQUE

Pourquoi l’étape du débriefing ?

Posture

Le modèle pédagogique transmissif n’y ayant peu de place, le positionnement du formateur doit s’adapter à l’écoute des étudiants, au respect des silences pour favoriser la réflexivité et l’interactivité dans les échanges. Ce questionnement nous a amenées à réfléchir à notre posture lors du débriefing par l’analyse de notre pratique professionnelle. Conscientes de développer ou d’améliorer une posture pédagogique, nous nous sommes interrogées par rapport à ce que nous initions, les unes et les autres, lors des débriefings, et si cela pouvait être assimilé à une nouvelle compétence ou bien à nos capacités ou compétences déjà existantes. Pour étayer notre réflexion, nous nous sommes appuyées sur les textes faisant référence aux pratiques simulées, notamment sur le guide de bonnes pratiques en matière de simulation de la HAS 2012. Plus spécifiquement pour l’évaluation nécessaire des compétences des formateurs en simulation et l’évaluation des pratiques professionnelles.

Travail de recherche

Nous avons consulté différentes études et articles sur la simulation en santé comme outil pédagogique. Dans leur article de 2011 sur la simulation dans l’apprentissage des soins infirmiers, Christophe et Sarah Emmanelle Hoang-Tho(4) évoquent l’importance de consacrer du temps à la formation du personnel qui encadre les étudiants lors des sessions de simulation. Philippe Delmas et Liette Saint-Pierre évoquent en 2013 le modèle théorique du Nursing Education Simulation Framework : il comprend cinq composantes majeures qui analysent les facteurs liés aux formateurs et à leur pratique pédagogique dans la simulation.

Ces articles soulignent l’importance du rôle bien spécifique du formateur dans la simulation et confortent notre opinion. Cependant, peu d’études ont été réalisées sur cette pratique pédagogique particulière, et la compétence qui pourrait en découler. Nous nous sommes bien sûr appuyées sur les différentes théories de la “compétence” et les auteurs comme Guy le Boterf, pour ne citer que lui, qui a défini la compétence en pédagogie.

Méthodologie

Nous avons mené une étude pendant six mois, sur l’année 2013-2014, pour définir si la posture professionnelle adoptée lors du débriefing permettait de mettre en évidence une ou des nouvelles compétences pour le cadre formateur. Nous nous sommes prêtées à cette étude : chacune d’entre nous a été observée pendant le débriefing par une collègue à l’aide d’une grille d’observation.

Les règles de bienveillance et de confidentialité ont été respectées. L’enquête s’est déroulée pendant six journées de pratiques simulées, soit vingt-quatre débriefings auprès d’un groupe de douze étudiants de première, deuxième ou troisième année, au total soixante-douze étudiants. Nous nous sommes inspirées d’une grille d’évaluation(5) préexistante pour élaborer la nôtre. Elle reprend les différents temps du débriefing : expression des ressentis des étudiants, descriptions des faits, analyse, synthèse, questionnement sur les éléments de compétence acquis et renforcement positif à travers le temps de parole formateur/étudiant, les types de questions posées et attitudes non verbales du formateur. Les grilles ont été décryptées et analysées.

RÉSULTATS

Temps de parole

Le temps moyen d’un débriefing est d’environ de 35 minutes (5, 15 et 15 minutes pour chaque temps). Les résultats montrent que le temps de parole des étudiants et des formateurs est équivalent (20 minutes).

Méthode

Les formateurs ont utilisé la reformulation et les questions de relance pour susciter la pensée réflexive des étudiants. Pour ce faire, ils associent quinze questions ouvertes et neuf affirmations ainsi qu’une question fermée pour structurer le questionnement et le cheminement de la réflexion des étudiants. Les questions sont en lien avec la communication, les soins relationnels, le recueil de données, le travail en équipe ainsi que sur le vocabulaire professionnel attendu.

Attitude réceptive

Il ressort que les cadres formateurs sont restés, lors de chaque débriefing, dans une attitude réceptive face aux étudiants : écoute active, respect des silences et de la parole de tous, bienveillance et renforcement positif.

Compétences du référentiel infirmier

Les résultats démontrent que le questionnement sur les compétences du référentiel infirmier sont abordées environ dix fois, tant par les formateurs que les étudiants. Le renforcement positif est, lui, essentiellement abordé par les débriefers. Les débriefers occupent l’espace face aux étudiants, se tiennent debout avec un regard circulaire, sont calmes, attentifs, hochent la tête en signe d’approbation, émettent des signaux d’acquiescement qui encouragent les étudiants à s’exprimer.

DISCUSSION

Accompagnement de l’étudiant

Au regard de ces résultats, on constate que c’est dans le débriefing que le formateur guide l’étudiant pour qu’il garde confiance en lui et renforce ses apprentissages. Cet accompagnement de l’étudiant à réfléchir sur sa pratique professionnelle apporte une nouvelle approche pédagogique pour le formateur.

Compétences du formateur

Dans ce cadre, le débriefer utilise les compétences du cadre formateur : pédagogique, réflexive, relationnelle, organisationnelle et technique. Deux de ces compétences, à savoir la réflexivité et le relationnel, pressenties avant l’étude, nous apparaissent comme prévalentes dans la conduite du débriefing. En effet, l’étudiant joue dans une situation proche de la réalité professionnelle et il peut en sortir déstabilisé. Ce risque nous a fait prendre conscience d’une responsabilité accrue face aux possibles effets délétères d’un débriefing mal conduit. Pour ce faire, le formateur doit être vigilant, maîtriser les techniques de communication, l’approche relationnelle avec l’étudiant et l’entretien d’explicitation. Ce qu’on retrouve bien dans les résultats de l’étude. Effectivement, les questions ouvertes sont utilisées et les formateurs se positionnent dans une attitude bienveillante.

À l’écoute de l’étudiant

Quelles que soient la facilité ou la difficulté d’expression du groupe d’étudiants, le temps de parole du formateur reste équivalent. Il doit apprendre à modérer son temps de parole pour mieux permettre à l’étudiant de réfléchir et de s’exprimer.

Le débriefing reste un exercice difficile et fatiguant, car il demande une grande attention et une vigilance de tous les instants pour rester à l’écoute des étudiants et ne rien perdre des interactions possibles, verbales ou non verbales. Il doit aussi respecter une certaine ligne de conduite lors de silences prolongés pour laisser le temps de réflexion à l’étudiant.

À l’étudiant de prendre le pouvoir

Il est indispensable de ne pas interpréter ni juger ce que dit l’étudiant. Nous devons les amener au contraire à verbaliser ce qui n’est pas dit, ou mal dit. Nous retrouvons dans une étude américaine Nursing Education Simulation Framework(6) de 2005, la bascule du pouvoir qui doit s’exercer du formateur vers l’étudiant.

En effet, l’étudiant doit prendre le pouvoir de la parole sur le formateur. Cette remise en question nous a amené à réfléchir plus largement à notre posture de formateur/débriefer.

Retour réflexif

Notre posture doit être ouverte et réflexive, à notre tour, et privilégier un échange sur le modèle : « J’ai vu (les faits remarqués), j’ai pensé (pour proposer des commentaires sur des actions concrètes), je me demande. »

Le débriefing peut sembler similaire par certains côtés à l’entretien d’explicitation. Pierre Vermersch(7) le décrit comme un retour réflexif aussi bien sur le fonctionnement cognitif dans la réalisation d’une tâche que sur le vécu d’une pratique professionnelle. L’étudiant centre son questionnement sur la mise à jour des éléments implicites du vécu de l’action, ce qui est le cas dans le débriefing. Le formateur doit donc bien guider l’étudiant tout au long de cette séance. Mais s’agit-il pour autant d’une nouvelle compétence ?

UNE NOUVELLE COMPÉTENCE ?

Définition

Si nous reprenons la définition de Guy Le Boterf(8), la compétence est un “savoir agir” en situation de travail, un processus combinant plusieurs ressources. Individuelle et/ou collective, elle vise l’atteinte d’un résultat exprimé en termes de performance.

Nous retrouvons donc des similitudes avec le débriefing. En effet, cette compétence développée permet la mise en œuvre ainsi que l’adaptation des méthodes pédagogiques existantes. Elle renforce la communication et les interactions avec de petits groupes d’étudiants, tout en ayant une attitude bienveillante.

Une réflexion pédagogique

L’apprentissage par simulation nécessite une réflexion pédagogique de fond afin que les formateurs adoptent cette nouvelle posture tout en respectant les règles de bonnes pratiques du débriefing. Cette pratique peut être individuelle ou collective, selon le choix de l’équipe pédagogique. Aucune étude à ce jour ne s’est penchée sur le bénéfice d’être seul ou accompagné pour débriefer.

En pratique

En ce qui nous concerne, nous débriefons seules avec les étudiants, les autres formateurs étant présents dans la salle. Ce qui permet, d’une part, de tutorer les nouveaux débriefers et, d’autre part, de débriefer sur le débriefing. La compétence, dans sa définition, vise l’atteinte d’un résultat exprimé en termes de performance.

Pour nous, ce résultat passe par un positionnement adapté lors du débriefing. Le formateur doit garder à l’esprit cette “bascule du pouvoir” tout au long des échanges, pour que l’étudiant réflexif puisse transférer les situations vécues et débriefées.

CONCLUSION

Les pratiques simulées sont une pédagogie innovante qui se développe de plus en plus au sein des Ifsi.

Introduites et mises en œuvre dans notre projet pédagogique depuis deux ans, nous avons mené une étude qui a démontré une évolution de la posture du formateur dans le cadre des séquences de débriefing. Il semble que nous répondions aux critères d’une compétence, telle que la définit Guy le Boterf, mais est-ce vraiment une compétence nouvelle ou l’approfondissement d’une compétence existante ?

NOTES

(1) Le débriefing est un temps d’analyse et de synthèse qui succède à la mise en situation simulée : HAS, guide de bonnes pratiques en matière de simulation en santé, 2012, p.15.

(2) Via le lien raccourci petitlien.fr/7z3t

(3) Granry JC, Moll MC. Rapport de mission HAS : État de l’art en matière de pratiques de simulation dans le domaine de la santé. 02-2012.

(4) Hoang Tho Christophe et Sarah Emmanuelle. “La simulation dans l’apprentissage des soins infirmiers”. Revue soins n° 752, janvier-février 2011, pp.24 à 26.

(5) CEnSIM de Chambéry : Docteur Sécheresse Thierry et Dumas Jocelyne, 2012.

(6) Delmas P., Saint- Pierre L. “Le modèle théorique du Nursing Education Simulation Framework”, Soins cadres, février 2013. Jeffries PR. A framework for designing, implementing and evaluating simulation. Nurs Educ Perspect 2005.

(7) Vermersch Pierre. L’entretien d’explicitation en formation continue et initiale. Paris ESF 1994.

(8) Le Boterf Guy. Construire les compétences individuelles et collectives. Paris Eyrolles. 6e édition 2013.

BIBLIOGRAPHIE

• Chevillotte J. et all. Dossier la simulation, un apprentissage innovant. IN: La revue de l’infirmière, n° 204, avril 2014, p.13 à 26. • Boet S., Granry J.-C., Salvodelli G. La simulation en santé, de la théorie à la pratique. Springer 2013. • Delmas P., Saint Pierre L. La simulation, plus qu’un outil didactique, une approche pédagogique. IN: Soins cadre, supplément au n° 80, novembre 2011, p.11 à 14. • http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/ pdf/2012-01/simulation_en_sante_-_rapport.pdf, consulté le 2 avril 2014. • Jeffries PR. A framework for designing, implementing and evaluating simulations. Nurs Educ Perspect 2005. • Renou J. Le débriefing en simulation médicale, techniques et outils pédagogiques. Mémoire de Pédagogie des Sciences de la Santé. 2012 • Savoldelli, Fauquet-Alekhinine Ph et Pehuet N. Améliorer la pratique professionnelle par la simulation. Toulouse,Collection Formation dirigée par P.Pastré, ed Octares, 2011. • Violet,P. Méthodes pédagogiques pour développer la compétence, manuel pratique à l’usage des formateurs. Ed de Boeck, 2011.