Qualité des soins, analyse réflexive et valorisation des compétences - Objectif Soins & Management n° 234 du 01/03/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 234 du 01/03/2015

 

Recherche Formation

Sylvaine Vanier*   Justine Guyomar’ch**  

Dans la démarche de recherche, l’étudiant démontre sa capacité à articuler la théorie et la pratique et met en valeur sa professionnalisation. La thématique du mémoire émane le plus souvent d’une commande de l’établissement de santé ou de l’Institut de Formation en lien avec des futurs projets institutionnels. Et si la valorisation des compétences par l’analyse réflexive avait un lien avec la qualité des soins ? Quelques éléments de réponse.

Chaque professionnel paramédical est régi par un décret de compétence qui liste tous les actes professionnels propres à chaque corps de métier. Pour Guy Le Boterf(1), « la compétence est inobservable et non mesurable. Ce que l’on observe, c’est l’action, ce que l’on mesure, ce sont les savoirs, les performances, mais jamais on ne mesure la compétence puisqu’elle est une démarche psychique ». La formation initiale puis le développement professionnel continu permettent la professionnalisation des savoirs mobilisés dans les activités de soins.

La compétence collective est la résultante des compétences individuelles des professionnels et de leurs capacités à coopérer entre eux. Depuis 2004, les missions de la HAS(2) se sont élargies sur l’évaluation des pratiques professionnelles. Et depuis 2013, tous les établissements de santé appliquent le développement professionnel continu (DPC)(3) basé sur l’analyse de pratique ou d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). Ce dispositif permet de développer davantage leurs compétences en analysant, réajustant et enfin en optimisant la prise en charge des personnes hospitalisées. En analysant quotidiennement les pratiques, ils deviennent des praticiens réflexifs.

L’ANALYSE DES PRATIQUES PROFESSIONNELLES

L’analyse des pratiques professionnelles a été largement développée dans les années 1990 dans le milieu médico-social. Nombre d’auteurs ont écrit sur l’analyse des pratiques professionnelles et chacun s’accorde à la définir comme une démarche professionnalisante. Perrenoud(4) s’attarde plus particulièrement sur les compétences de l’animateur “réflexif” d’un groupe d’APP (analyse des pratiques professionnelles).

La réflexivité est une posture de réflexion sur l’action. L’approche la plus répandue d’analyse des pratiques est dérivée des groupes Balint, issue de la pensée psychanalytique. Ce dispositif associe la scène institutionnelle, l’exercice des pratiques et l’alliance de travail créée entre l’animateur et le groupe. Cette exploration des pratiques professionnelles expose les soignants à son “soi personnel” et son “soi professionnel”(5).

Pour cela, l’animateur doit être expérimenté, en dehors de l’institution afin de conserver le plus d’objectivité possible pour garantir un cadre comportant des règles de fonctionnement bien définies. Les soignants pourront déposer, dans un cadre de confiance et de non-jugement, leurs réflexions sur leurs pratiques. Cet espace permet à chaque professionnel de prendre de la distance par rapport aux différentes situations de soins. Le groupe et l’animateur sont alors une ressource psychique pour élaborer et objectiver la ou les situations. Le Boterf démontre à travers ses recherches que l’analyse des pratiques professionnelles valorise les ressources, les pratiques et les compétences mobilisées.

LE RÔLE DU CADRE

Postulat de départ

Comment le cadre de santé peut valoriser les compétences individuelles et collectives des paramédicaux afin d’optimiser le sens et la qualité des pratiques professionnelles ?

Le cadre conceptuel puis l’enquête vont nous permettre d’élucider et d’approfondir les deux hypothèses suivantes :

• les groupes d’analyse des pratiques professionnelles mettent en valeur l’engagement et les compétences des professionnels au service de la qualité et de la sécurité des soins des personnes hospitalisées ;

• le cadre de santé ne peut être l’animateur d’un groupe d’analyse de pratiques professionnelles au sein de son service. Il doit simplement en être le commanditaire. Le cadre de santé ne peut tenir, à lui seul, deux rôles qui sont d’être le manager d’une équipe de soins et d’accueillir, d’analyser le conscient et l’inconscient collectif dans un groupe d’analyse de pratiques professionnelles.

Le bénéfice de l’implication du cadre

Le cadre de santé planifie toutes les séances d’analyses des pratiques professionnelles avec l’animateur (le plus souvent un psychologue). Durant tout ce cycle, il veille à l’assiduité des soignants. D’un commun accord avec le psychologue, le cadre de santé, lors de la première séance, explique tout l’intérêt de ce travail en équipe au service de la compétence collective. Dans les premières séances, le psychologue va s’imprégner du vécu et des ressentis des professionnels. Il est essentiel que les soignants investissent cet espace en toute confiance et sans le risque de jugement de sa hiérarchie. C’est pour cela qu’en fonction des problématiques abordées, il peut proposer au groupe de partager leurs réflexions avec leur cadre de proximité.

À la fin du cycle d’accompagnement, il est intéressant que le cadre de santé rejoigne l’équipe sur la dernière séance afin d’échanger avec eux sur le bilan de ce parcours d analyse des pratiques. Cette valorisation et reconnaissance du cadre vis-à-vis de l’équipe permet d’améliorer la cohésion des professionnels pour optimiser en continu la qualité des soins auprès des patients.

ENQUÊTE

La méthodologie de cette enquête comporte deux axes : la guidance et l’enquête.

Le premier axe s’appuie sur la “guidance” par le directeur de mémoire. Le second sur la réalisation de l’enquête sur deux hôpitaux, un centre hospitalier spécialisé dans un service de pédopsychiatrie et un hôpital général sur un pôle de psychiatrie adulte. Durant cette enquête, nous allons interroger des professionnels paramédicaux, médicaux et médico-sociaux.

Le questionnaire

Il aborde les thématiques suivantes :

• la communication ;

• l’existence ou non d’un groupe de parole au sein de l’unité de soins ;

• la connaissance des professionnels sur l’analyse des pratiques professionnelles.

L’entretien destiné aux cadres de santé

Il aborde la place du cadre de santé dans un projet de mise en place d’analyse de pratiques professionnelles.

Résultats quantitatifs et qualitatifs de l’enquête

• Retour de quarante questionnaires exploitables.

• Les paramédicaux et médico-sociaux sont les plus représentatifs ; aucun médecin n’a pu participer à cette enquête.

• Les professionnels expriment un intérêt certain à l’analyse des pratiques professionnelles.

• Cette enquête fait émerger la grande force et la complémentarité des pratiques professionnelles au sein des équipes pluriprofessionnelles.

• La connaissance des APP est disparate et/ou incomplète chez les professionnels interrogés.

• Le DPC présentant la dimension d’analyse des pratiques professionnelles, en vigueur depuis janvier 2013 dans les établissements de santé, est encore peu connu des professionnels.

• Deux des trois cadres interviewés ne souhaitent pas mener un groupe d’analyse des pratiques.

• Ils pensent que c’est le rôle d’un psychologue extérieur à l’établissement.

• Les équipes sont demandeuses de ces temps d’analyse de la pratique.

• Cet accompagnement permet aux professionnels de se sentir écoutés, ils peuvent développer leurs compétences à travers ces temps de réflexion.

BILAN DE L’ENQUÊTE

Le centre hospitalier spécialisé a mis en place un projet d’accompagnement des professionnels ayant pour fondement l’APP. Ce dernier représente des grandes plus-values que sont :

• le développement des compétences collectives des professionnels ;

• l’accompagnement d’une équipe paramédicale pour donner du sens à sa pratique ;

• l’attractivité de la discipline pour les nouveaux arrivants et les étudiants paramédicaux ;

• la fidélisation des professionnels ;

• la réponse aux exigences du DPC ;

• la valorisation de l’image de l’établissement en répondant aux exigences des bonnes pratiques exigibles par la HAS(6).

Ce projet crée de la valeur au niveau individuel, collectif, institutionnel, dont la finalité demeure le patient.

Un tel projet peut se réaliser sur l’hôpital général en service de psychiatrie adulte en passant par un organisme de formation.

Cela implique la présentation du projet au médecin chef de pôle de psychiatrie et au cadre supérieur de santé. C’est une action de formation collective coûteuse. L’objectif est de démontrer que tous les professionnels peuvent bénéficier de cette formation interne menée par un psychologue expérimenté en APP.

Si le projet est validé par le pôle médical et la formation continue, les autres actions de formations externes seront gelées sur une année.

La plus-value :

• diminution des coûts directs et indirects (formation, transport, repas, remplacement, etc.) ;

• réinvestissement de la formation sur le terrain ;

• démarche qualité en continu par les temps de régulation et de brainstorming ;

• climat social plus détendu par un travail collectif et la reconnaissance de ses pairs ;

• développement et optimisation des compétences ;

• transmission des savoir-faire (fonction tutorale).

Cette enquête nous a permis de confirmer que l’analyse des pratiques professionnelles valorise les compétences des soignants en menant une démarche de réflexivité sur leurs habitudes de soins. Par contre, la deuxième hypothèse n’est pas complètement validée, à savoir que le cadre peut animer des groupes d’APP. Les différentes lectures constituant le cadre conceptuel démontrent que le cadre de santé étant au cœur du travail d’équipe, il ne peut être suffisamment objectif quant à l’analyse des situations de soins. Le deuxième élément est que les soignants désirent s’exprimer librement et sans crainte de jugement de la part de la hiérarchie (résultat de l’enquête). Pour ces deux raisons, un professionnel (souvent psychologue de par sa formation initiale) extérieur au pôle médical est indiqué pour ce type d’accompagnement.

MISE EN ŒUVRE DU PROJET “UN GROUPE D’APP DANS UNE UNITE DE SOINS, SUR UNE PERIODE DEFINIE”

Avant tout lancement de projet, ce dernier doit être soumis à différentes instances (le médecin chef de pôle, le cadre supérieur de santé, le chef de service de l’unité de soins, la direction des soins et le directeur de l’hôpital). Il doit être en concordance avec le projet médical, le projet d’établissement et répondre aux axes stratégiques de la HAS. Tout projet est une démarche qualité(7) qui assoit l’expertise de soins et sert d ‘éléments de preuve pour la certification des EPS(8).

La démarche projet permet de “conduire le changement”. Cette conduite de changement est menée par le cadre de santé qui prendra en compte toutes les étapes afin de mener à bien ce changement.

Rien ne peut se faire sans la coopération et l’adhésion des équipes, d’où des phases plus ou moins longues en fonction des résistances des équipes. La durée de ce projet est de quatorze mois, environ 32 heures.

CONCLUSION

L’APP est un bon outil de management. Elle permet à chaque professionnel de se questionner sur ses pratiques pour leur donner du sens en interrogeant la question du savoir. Ces compétences déployées au niveau individuel et collectif convergent vers une mission commune qui est d’optimiser la qualité de la prise en charge des patients. Les cadres de santé ont un rôle essentiel à jouer en termes d’accompagnement des équipes, de mise en œuvre, de suivi et d’évaluation pour développer les compétences des paramédicaux par l’analyse des pratiques.

(1) Extrait de La compétence : essai sur un attracteur étrange, Guy Le Boterf, Édition d’Organisation, 1994.

(2) L’Anaes, la Commission de la transparence et CNEDIMTS.

(3) santé.gouv.fr (DPC)

(4) Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant : Philippe Perrenoud (ESF 2001).

(5) “Analyse des pratiques”, Groupe de formation à la recherche, 2005.

(6) HAS : Haute Autorité de santé.

(7) Démarche qualité : ordonnances du 24/04/1996.

(8) EPS : Établissement public de santé.

Qu’est ce que la pratique réflexive ?

Schön(1) énonce que « s’interroger sur nos pratiques, nos savoirs en action est une démarche professionnalisante ».

D’autres auteurs comme Bourassa, Serre et Ross en 2000 ont étudié la démarche réflexive en utilisant une approche logique et une approche analogique(2). À savoir que dans l’approche logique, le professionnel adopte une posture analytique sur ses pratiques professionnelles qui servent d’objet de réflexion. Cette posture est en lien avec son identité professionnelle, son histoire et son environnement de travail. Tandis que l’approche analogique utilise un registre métaphorique, imagé d’une situation. Le raisonnement est basé sur des associations d’idées et de perceptions. Les informations sont traitées de façon active et circulaire permettant d’aboutir à une sorte de carte conceptuelle de l’action observée puis analysée. La carte conceptuelle a un double intérêt puisqu’elle mobilise la réflexion (approche logique) et l’émotion (approche analogique).

Ces différentes approches dynamiques ont l’avantage de répondre aux différentes sensibilités des professionnels. Ces variantes sont indispensables dans la mise en place d’un groupe d’analyse des pratiques professionnelles.

(1) D. Schön, Le praticien réflexif, à la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel, publié aux États-Unis en 1983.

(2) Définition du Petit Larousse (2005) : « L’analogie est le rapport de ressemblances entre deux objets, personnes ou choses et la manière d’aborder ces ressemblances. »

RÔLE DU CADRE

Le cadre de santé a pour mission de valoriser les équipes soignantes en donnant du sens aux situations de soins. Il doit les emmener dans cette démarche réflexive en mobilisant et en développant leurs capacités à faire du lien entre leurs pratiques et leurs conceptions du soin.

LA DYNAMIQUE DE GROUPE ET RÔLE DE L’ANIMATEUR DANS LE DÉCRYPTAGE DES HABITUDES DE SOINS

La mise en place d’un groupe d’APP repose sur un système de valeurs professionnelles (confidentialité, bienveillance, ponctualité, assiduité…), garant du bon fonctionnement des séances. La méthodologie du déroulement des séances est la suivante :

• choix de la situation ;

• le narrateur présente la situation ;

• le groupe formule des questions pour avoir le plus d’éléments pour énoncer leurs réflexions ;

• le groupe formule des hypothèses avec le soutien de l’animateur ;

• la reformulation des hypothèses permet au groupe une prise de conscience et une distanciation de la situation ;

• l’animateur expose la ou les hypothèses retenue (s) par le groupe et propose un plan d’actions ;

• l’animateur clôt la séance par un tour de table pour recueillir le vécu des soignants.

Il est essentiel que l’animateur soit formé aux analyses de pratiques professionnelles, car souvent ces séances bousculent les habitudes des soignants. L’habitude, la routine des soins rassurent et sécurisent les gestes métiers. La mission de l’animateur sera d’accompagner et de rassurer les professionnels à s’interroger sur leurs pratiques professionnelles en développant une posture réflexive. La dynamique de groupe est précisé selon R. Mucchielli* comme la capacité à définir :

• le type de réunion ;

• aider le groupe à progresser vers sa maturité ;

• faire progresser le groupe vers ses objectifs ;

• fonction positive de l’animateur ;

• la compétence de l’animateur.

La prise en compte de tous ces phénomènes groupaux est essentielle pour accompagner le changement.

LA CONDUITE DU CHANGEMENT ET LA QUALITÉ DES SOINS

Le changement développe l’idée de passer d’une situation à une autre. Le changement au sein des hôpitaux s’opère depuis une dizaine d’années par la création de pôles d’activités médicales et par la polyvalence et mobilité des soignants. L’hôpital poursuit ses profondes mutations (organisationnelles, financières, économiques et politiques).

L’Organisation mondiale de la santé définit la qualité des soins comme la capacité de « garantir à chaque patient l’assortiment d’actes thérapeutiques… lui assurant le meilleur résultat en termes de santé, conformément à l’état actuel de la science, au meilleur coût pour le même résultat, au moindre risque iatrogénique, pour sa plus grande satisfaction en termes de procédures, résultats, contacts humains… ».

Le cadre de santé a la mission d’accompagner les équipes soignantes vers la qualité des soins par la promotion du sens donné aux soins.

*Roger Mucchielli, La dynamique des groupes : collection formation permanente (Edition ESF 2002).