Cadres de santé dans un service d’addictologie - Objectif Soins & Management n° 234 du 01/03/2015 | Espace Infirmier
 

Objectif Soins n° 234 du 01/03/2015

 

Nathalie Odet et Nathalie Weber

Sur le terrain

Laure de Montalembert  

Au centre hospitalier universitaire de Nîmes (Gard), site du Grau-du-Roi, Nathalie Odet, cadre de santé du service d’addictologie, et Nathalie Weber, cadre de santé ergothérapeute du plateau technique de rééducation, sont garantes d’une prise en soins adaptée et personnalisée pour des patients souffrant d’addiction. Parcours.

Objectif soins et management : Pourquoi avoir choisi d’exercer au sein d’un service d’addictologie ?

Nathalie Odet : J’ai travaillé pendant vingt-trois ans dans un centre de rééducation dans lequel nous accueillions régulièrement des patients dont l’addiction à un produit et/ou une substance illicite était responsable d’un accident qui avait pour conséquence de les amener en service de rééducation post-traumatique. Lorsqu’on m’a proposé ce poste, il m’a semblé très intéressant de pouvoir travailler en amont avec ces personnes.

OSM : Au CHU de Nîmes, le service d’addictologie travaille main dans la main avec le service de rééducation…

Nathalie Odet : Oui, et c’est essentiel. L’hospitalisation dure six semaines et l’une de nos missions est de préparer le patient à sa sortie, et cela, dès le moment de son admission. Ainsi, la personne est encouragée par une équipe pluridisciplinaire à identifier et réfléchir à toutes les situations à risques auxquelles elle sera confrontée une fois dehors pour trouver des stratégies à mettre en place. Cela se fera tout au long du séjour.

OSM : Comment les patients arrivent-ils chez vous et pourquoi ?

Nathalie Odet : La demande d’admission doit être faite par un médecin addictologue. Une forte motivation à se sevrer est nécessaire, mais nous recevons également des patients sous injonction de soins ou d’autres qui sont fortement encouragés par leur famille. Souvent, ils subissent des problèmes de santé liés à leur consommation d’alcool, de produits (cannabis, opiacés, benzodiazépines) ou à une poly-consommation. Le service est constitué de 56 lits : 10 lits de sevrage et 46 lits de soins de suite et réadaptation (SSR). Il arrive que les personnes que nous accueillons fassent uniquement un court séjour pour sevrage et dont l’indication d’un SSR n’est pas posée.

OSM : Concrètement, comment aidez-vous les malades, une fois la phase de sevrage passée ?

Nathalie Odet : L’écoute active est une dimension majeure du soin dans cet accompagnement. Nous les aidons par un programme élaboré et progressif de prise en soins individuelle et personnalisée sur la base d’ateliers de groupe, notamment les programmes “Phare”, animés par une infirmière. Par groupe d’une dizaine, les patients sont invités à visionner un court support vidéo à propos de leur addiction sur lequel il leur est demandé de réagir. Différentes problématiques sont évoquées : savoir refuser l’alcool, les pensées dangereuses, gérer les critiques liées à l’alcool, petites décisions aux conséquences lourdes, avoir un plan d’urgence en cas de faux pas, etc. Parmi les autres ateliers, celui dédié à la prévention de la rechute se fait en deux temps : la première heure, le médecin présente les mécanismes de la rechute. La semaine suivante, c’est un travail sur un cas concret qui se fait sous forme d’échanges avec le médecin et les autres patients. À chaque semaine d’hospitalisation correspond un programme préalable d’ateliers spécifiques.

OSM : Les soignants de votre service sont-ils spécifiquement formés à cela ?

Nathalie Odet : Deux infirmières ont suivi un diplôme universitaire d’addictologie mais cela n’est pas une obligation. Les autres sont formées sur le terrain. Le plus difficile est d’animer les ateliers. C’est la raison pour laquelle elles sont accompagnées au début par une infirmière confirmée. Parfois la gestion du groupe peut être délicate mais, avec l’expérience et grâce aux supports que nous utilisons, les IDE parviennent à développer rapidement la compétence nécessaire à cet exercice. Les qualités que nous recherchons chez une infirmière dans un service d’addictologie sont majoritairement l’empathie et des compétences relationnelles, ainsi qu’une qualité d’écoute : si le savoir-faire est important, le savoir-être est primordial.

OSM : Les préjugés ont la vie dure…

Nathalie Odet : Il est essentiel de travailler avec les soignants sur leur représentation de la personne sous addiction : c’est un objectif majeur du service. Avec des préjugés, il est très difficile de travailler dans l’empathie. Parfois, la question des addictions fait écho au propre vévu des soignants. Une réunion menée par les médecins du service est désormais organisée à chaque arrivée des nouveaux internes, réunion à laquelle est convié le personnel afin de combattre préjugés et idées reçues. On pose à l’équipe la question : « Que représente pour vous un patient addict ? » Chaque mot, adjectif ou phrase de réponse est noté, de manière à en discuter en groupe. Les éléments recensés ont toujours un aspect péjoratif, impliquant ainsi un abord initial biaisé chez un soignant, et donc une difficulté possible dans la relation patient/soignant. Nos patients sont hypersensibles à l’image que leur renvoient les soignants, même inconsciemment. C’est pourquoi notre objectif est de les revaloriser et de mettre en avant chacun de leurs progrès.

OSM : Qu’apporte spécifiquement la rééducation ?

Nathalie Weber : Pour les patients présentant une addiction, leur consommation a des répercussions sur différentes fonctions : altération physique, psychologique et cognitives. Sont donc véritablement nécessaires une rééducation et une réadaptation dans l’optique de la sortie. Le premier objectif est de retrouver un cadre de vie “normal” par le simple respect d’horaires, aussi bien sur l’hygiène de vie, que sur les horaires des différents ateliers. Ainsi, par exemple, au-delà de quinze minutes de retard, le patient n’est plus accepté en atelier. Réapprendre à respecter les horaires est essentiel pour retrouver un rythme perdu, et c’est aussi nécessaire par respect pour la structure et les autres patients.

OSM : Les patients ont-ils perdu ce type de repères ?

Nathalie Odet : La plupart du temps, ils ont perdu toute notion du “vivre ensemble”, ce qui peut les amener au non-respect de l’autre. À son arrivée dans le service, le patient signe un contrat thérapeutique qui fixe des règles et des limites. Dans le contrat est spécifié un certain nombre de points dont le respect des horaires des ateliers, mais aussi les permissions – autorisées uniquement sur prescription médicale –, la nécessité d’une attitude de respect avec le personnel, les autres patients, le mobilier mis à sa disposition, ainsi que, bien sûr, l’absence de consommation de produits. Au retour des permissions, tous les patients sont systématiquement contrôlés. Le non-respect de ces règles peut engendrer une sortie prématurée du service. Nous comprenons cependant très bien qu’il puisse y avoir des faux pas. Dans ce cas, nous en discutons en équipe avant de prendre une décision. En plus de la signature de ce contrat, j’organise avec une infirmière et une aide-soignante une réunion d’accueil le jeudi, réunion de présentation du service, des intervenants et des règles de fonctionnement. Nous reprenons ensemble tous les éléments du contrat afin de répondre aux questions des patients.

OSM : Cette perte de repère se manifeste-t-elle ailleurs ?

Nathalie Odet : Oui, tout à fait. Le sommeil peut par exemple être perturbé. C’est d’ailleurs un thème abordé lors d’un autre de nos ateliers. Les patients en addiction ont souvent perdu des repères de rythme normal de vie. Ils se couchent très tard et se lèvent en milieu de journée. Pour leur permettre de reprendre une vie sociale satisfaisante, il est important qu’ils comprennent à quel point un rythme de sommeil et une bonne hygiène de vie sont essentiels.

OSM : Parmi leurs problèmes, les difficultés de communication sont-elles importantes ?

Nathalie Odet : En effet, et c’est la raison pour laquelle nous avons mis en place un atelier “Affirmation de soi et communication”. Les personnes souffrant d’une addiction sont en permanente dépréciation d’elles-mêmes. Ces patients ont une grande perte de confiance en leur capacité de faire, ce qui joue sur leur estime personnelle. Ils se voient beaucoup plus en négatifs qu’ils ne le sont en réalité. Dans la notion d’estime de soi, il y a “je me respecte” et “je respecte les autres”. Dans cette session, tout est basé sur des cas concrets. Par exemple : « Vous avez rendez-vous avec un ami devant une gare et il arrive avec deux heures de retard. Que dites-vous ? » En fonction des réponses, le médecin qui anime l’atelier oriente les patients pour leur permettre de retrouver les bases d’une communication adaptée. Beaucoup d’entre-deux, qui s’étaient complètement “oubliés” et ne se connaissaient plus que sous l’emprise des produits, se redécouvrent.

OSM : Vous parlez aussi des idées reçues…

Nathalie Odet : Nous les abordons dans un atelier spécifique, en effet. Là, encadrés par une infirmière et une aide-soignante, les patients sont amenés à verbaliser sur ce sujet. Concrètement, est tiré au sort un papier sur lequel est inscrite une affirmation et le dialogue démarre. Ce peut-être, par exemple : « Je bois uniquement du bon vin donc je ne suis pas dépendant » ou « Je fume du cannabis avant de prendre le volant, ce n’est pas dangereux », « L’alcool réchauffe »… Les patients apportent leurs propres commentaires et nous sommes là pour corriger l’idée reçue.

OSM : Vous travaillez aussi avec une psychomotricienne. Pourquoi ?

Nathalie Weber : Comme nous l’avons dit, les addictions aux substances sont accompagnées de perturbations physiques, psychiques et psychologiques. La prise de produit modifie les perceptions, perturbe le schéma corporel, altère la régulation des émotions, bouleverse les rythmes. La psychomotricienne intervient pour rééduquer les désordres psychomoteurs, restaurer cette relation au corps et le respect de ses rythmes (sommeil, alimentation, activités…), pour permettre au patient de se réapproprier son corps sans produit, réapprendre à réguler ses émotions, à gérer l’anxiété et la douleur. Comme tous les professionnels, elle procède d’abord par un bilan personnalisé puis intervient en séance individuelle au moyen de techniques d’approche corporelle comme la relaxation dynamique, l’expression corporelle, les activités rythmiques… Il faut noter que la psychomotricienne, comme tous les professionnels de l’équipe, travaille en étroite collaboration avec les psychologues et les neuropsychologues du service. Son rôle est également essentiel dans la prise en charge de ces patients.

OSM : Quel est le rôle des ergothérapeutes ?

Nathalie Weber : Les ergothérapeutes travaillent sur prescription médicale. Le médecin prescrit un bilan cognitif, afin de déterminer les déficits pouvant exister au niveau cérébral (déficits liés à la consommation d’un ou plusieurs produits). Les séances d’ergothérapie durent environ 45 minutes et sont généralement individuelles. Elles ont pour objectif de faire retrouver l’autonomie et l’indépendance dans les activités de la vie quotidienne. La mémoire, l’attention, la concentration, l’organisation et la planification, la flexibilité mentale et l’inhibition sont travaillées lors de ces séances au moyen de jeux éducatifs, de logiciels informatiques ou de mises en situation réelles.

OSM : L’atelier cuisine thérapeutique est-il destiné à leur apprendre à se nourrir mieux ?

Nathalie Weber : Oui, mais pas uniquement. C’est un travail d’ergothérapie dont l’objectif est de développer une valorisation par la socialisation, le partage et l’échange et de retrouver une notion de plaisir. Cet atelier met en pratique de nombreuses tâches travaillées dans d’autres séances ou ateliers (notamment la planification et l’organisation de la vie quotidienne). Organisé par une diététicienne et un ergothérapeute, il concerne un groupe de quatre patients et se déroule en deux temps. La première séance est destinée à élaborer un menu et prévoir une liste de courses adaptée. Lors de la séance suivante, les quatre patients réalisent le repas qu’ils dégusteront avec deux invités : c’est donc un moyen de travailler sur la valorisation de leur activité, la socialisation et la notion de prendre et donner du plaisir. Chez ces personnes qui ne trouvaient de plaisir que dans la consommation de leur produit, il est très important de leur faire découvrir d’autres sources de plaisir. Manger des bonnes choses en est un, et la musique, l’activité physique adaptée, en sont d’autres.

Nathalie Odet : En plus de ce bénéfice, on sait maintenant que l’exercice physique permet de redynamiser, reprendre possession de sensations physiques non altérées, de favoriser les fonctions cognitives et ainsi de contribuer à une meilleure estime de soi.

Nathalie Weber : Les séances d’activités physiques adaptées se font en groupe. Marche, aquagym, ping-pong, gymnastique sont quelques-unes des activités proposées par les Enseignants en activités physiques adaptées (EAPA). Le reconditionnement physique est un des objectifs, l’autre est de faire découvrir aux patients des activités qu’ils pourront poursuivre à la sortie du service.

OSM : En quoi consiste l’atelier “Préparation à la sortie” ?

Nathalie Weber : Il est organisé par un ergothérapeute et une assistante sociale. L’idée est de permettre aux patients de gérer des démarches simples de la vie quotidienne comme rédiger un CV, gérer son compte bancaire, chercher un logement… Toutes les démarches administratives et sociales nécessaires à une réinsertion dans la vie de tous les jours.

OSM : À quelles situations vraiment complexes pouvez-vous vous trouver confrontées ?

Nathalie Odet : Récemment, nous avons eu un patient violent. Il a fallu faire intervenir les équipes de sécurité de l’hôpital et les gendarmes. Il a été hospitalisé d’office en psychiatrie. Il est difficile de déterminer si l’addiction est la source de la violence. Souvent, nos patients ont un lourd passé.